leral.net | S'informer en temps réel
Dimanche 14 Septembre 2008

Chapitre 5:La marche forcée vers le 15 mai.


Les sénégalais ont voté ce dimanche 21 février 1993, à l’horizon se profile l’odieux crime perpétré contre le juge Sèye. Les résultats du scrutin tardent à sortir. Et pour cause ! Tout un pays reste, en effet, suspendu à l’indécision de la Commission nationale de recensement des votes, totalement paralysée par des querelles partisanes. Les atermoiements et les tergiversations de l’instance installent au fur et à mesure que l’attente dure la suspicion dans les esprits. Incapable de trancher, la Commission décide, ce samedi 27 février 1993, sans avoir donner de résultats provisoires, comme ptrescrit par la loi, de transférer l’ensemble du dossier au Conseil Constitutionnel.



Ce Conseil constitutionnel, encore présidé par le juge Kéba Mbaye, reçoit le dossier transmis par la juge Andrezia Vaz et l’ensemble des huit membres de la Commission nationale de recensement des votes, représentant les huit candidats à l’élection présidentielle du 21 février 1993. Le Conseil constituionnel délibère le 2 mars 1993 et décide alors de retourner l’ensemble du dossier à l’envoyeur. Il prend, cependant, le soin de lui fixer un délai de 72 heures pour procéder à la proclamation des résultats provisoires.
Passé ce délai, la Commission de recensement est alors tenue, lui indique le Conseil constitutionnel, même sans résultats provisoires, de de tout retransférer à nouveau à l’instance juridictionnelle suprême.

Le juge Kéba Mabye et ses collègues précisent en même temps à la Commission de recensment des conditions stricte de travail. Au même moment où le Cnseil constitutionnel délibère et retoure à la Commission son dossier, le juge rédige sa lettre de démission de la présidence du Conseil. Il l’a présentée dans la journée même du mardi 2 mars au Chef de l’Etat, Abdou Diouf. Ce dernier l’accepte et la rend publique. La nouvelle a surpris. Le pays est comme sous le choc, du fait de la brutalité de la nouvelle et du contexte. Les spéculations sur les raisons de cette démission inattendue vont bon train. Tout le monde y va de ses conjectures.

Le vieux juge reste, lui, sommaire et laconique dans les explications fournies à la presse. J’eus l’occasion de discuter avec lui de sa décision, juste quelques heures après l’annonce officielle de son départ. C’est son fils Cheikh Tidiane qui m’apprit au téléphone que son père désirait me parler. Je pris immédiatement rendez-vous avec lui dans l’après-midi du 2 mars 1993. Nous avons longtemps échangé. Dans l’interview qu’il m’a accordée et dont l’intégralité a été publiée dans l’édition de « Sud au Quotidien » du 3 mars 1993, le juge a tenté, sans trop convaincre de s’expliquer et de justifier sa démission :

« Compte tenu du rôle que j’ai joué dans l’élaboration du code électoral, en tant que Président de la Commission cellulaire de réforme, de tout ce que j’attendais et que je vois actuellement, je considère que je suis arrivé à un échec. Il faut appeler un chat, un chat. Je devrais donc en tirer toutes les conséquences (…) La seule chose déterminante dans ma décision c’est le fait que je me suis aperçu que j’étais dans l’erreur (…). Je m’étais dit que le Sénégal avait passé la barre, mais je me suis rendu compte qu’il se trouve toujours de l’autre côté ».

Pourquoi ne pas ramer avec le pays, au regard de son expérience de juge chevronné, pour passer la tempête, en l’aidant à se donner les moyens de sauver l’essentiel et en l’amenant ainsi à poser les pieds sur l’autre berge, dont il peine à atteindre les sables ? C’est ce moment de doute que le juge a choisi pour démissionner. La nation est dans l’expectative ? Alors que mêmes ces soutiens les plus sûrs pointent un doigt sur lui en s’interrogeant sur son attitude, le juge donne l’impression d’avoir été trahi. Il fait face à de violentes critiques.

Les plus sévères de ces critiques sont formulées par certains à son endroit même et d’autres visent directement le contenu du nouveau code dont il est le père géniteur. Les plus durs reproches viennent de là où il les attendait le moins : des Socialistes et des milieux proches du pouvoir. Quelque peu choqué et déstabilisé, le juge Kéba Mbaye consent tout juste à dire :

« J’ai confiance en mon pays. Je fais aussi confiance aux hommes politiques, touts tendances confondues. Je me désole cependant, surtout par rapport à l’appréciation que certains d’entre eux ont du code. Je me désole particulièrement en considérant l’état d’esprit des uns et des autres ».

Naïf. L’homme semble trop naïf même, en exprimant une telle conception des choses. Comment n’a-t-il pu ou su faire, dès le départ, avec les insuffisances révélées, nécessairement, par l’application de tout texte de droit. Naïf surtout, pour n’avoir pas également compter avec la duplicité caractéristique du comportement des hommes politiques, surtout pendant les périodes de crise politique ?

Le juge se sent trahi. Par qui ? L’histoire ou lui-même se chargera un jour de le dire. Kéba Mbaye parti, la vie politique n’en continue pas moins son chemin. Le Conseil constitutionnel n’a pas connu de vide à son sommet. Abdou Diouf s’empresse de tourner la page Kéba Mbaye, en nommant dans la même journée du 2 mars 1993, le juge Youssoupha Ndiaye. Ce dernier préside, jusquu’au jour de sa nommination, la Cour de Cassation.
Le Conseil Constitutionnel est, désormais, composé des cinq juges suivants: Youssoupha Ndiaye, Président, Babacar Sèye, vice-président, ancien avocat, ayant une longue carrière politique, plusieurs fois élu député pour le compte du Parti socialiste, Marie José Crespin, ancienne juge à la Cour Suprême du Sénégal, Amadou So, ancien magistrat dans cette même Cour Suprême, et enfin, Ibou Diaïté, professeur de droit public à la Faculté de Droit de l’Université de Dakar.

Ce professeur de Droit a été choisi, en 1988, pour diriger les travaux de la Table ronde nationale, convoquée en mai 1989, par Abdou Diouf et en accord avec Abdoulaye Wade, son rival malheureux au cours du scrutin présidentiel de février 1988. La Commission nationale de recensement des votes peine toujours à surmonter le blocage qui la paralyse. Les positions exprimées en son sein se radicalisent. Le délai de 72 heures arrive à son terme ce 5 mars à 15 heures.

A nouveau, la Commission nationale de recensement des votes doit constater son incapacité à trancher. Elle s’avoue vaincue. Elle doit, à nouveau, s’incliner devant ce blocage persistant et réexpédie au Conseil Constitutionnel le colis encombrant qu’il lui avait retourné le 2 mars 1993. Désormais, la dernière parole revient aux Cinq sages du Conseil. Le pays qui a voté depuis le 21 février est toujours dans l’expectative, 12 jours après la fermeture des bureaux de vote. Le délai de recours contre la décision ou plutôt la non-décision de la Commission nationale s’ouvre immédiatement. Six candidats déposent des requêtes devant le Conseil Constitutionnel qui procèdera à la proclamation définitive des résultats.
Les recours sont formés même si, au demeurant, la Commission de recensement a été incapable de proclamer des résultats provisoires. Pour le bloc des six candidats : Abdoulaye Wade, Abdoulaye Bathily, Iba Der Thiam, Abdou Diouf, Landing Savané, Babacar Niang, il y a tout simplement lieu de faire annuler certains procès-verbaux, à la lumière de l’article LO 1121 du Code électoral, pour incohérence de résultats.

Par ailleurs, le candidat Abdou Diouf et ses conseils soutiennent également devant les cinq juges que l’opposition confond les ordonnances et les certificats de conformité. Par conséquent, la plupart des procès-verbaux dont l’annulation est demandée sont valides, car ne comportant que de simples erreurs de calcul. Le candidat socialiste, lui-même, demande l’annulation de tous les procès-verbaux qui ont été transportés par des personnes non assermentées et d’autres comportant des vices substantiels.

Les bases et termes d’un nouveau contentieux électoral sont ainsi nés, alors que le code consensuel salué par tous, voulait éviter des contestations substantielles et documentées à l’issue de tout scrutin organisé au Sénégal. Au terme de huit jours de travaux, le Conseil constitutionnel déclare Abdou Diouf vainqueur du scrutin du 21 février 1993, avec 58,40% des voix, alors que son second, Abdoulaye Wade, portait 32,02% des voix. Le Conseil déboute en même temps tous les candidats qui avaient déposé un recours auprès des cinq juges. Seuls Madior Diouf du Rassemblement national démocratique (Rnd) et Mamadou Lô, un candidat indépendant, n’avaient pas déposé de recours.

Le spectre de février 1988 plane à nouveau sur le pays. Les violences post-électorales, d’il y a cinq ans, hantent les esprits. Il y a des raisons à cela. Quelques heures après la publication des résultats définitifs par le Conseil Constitutionnel, les rues de la capitale se sont mises à flamber. La violence reprend ses droits, alors que jusqu’ici, c’était le calme plat. Une horde de vandales armés de gourdins, de coupes-coupes, de couteaux envahissent les quartiers. Ils incendient à 17 heures, le domicile de l’ancien député-maire socialiste de Saint-Louis, Abdoulaye Chimère Diaw. Celui de Lamine Diack, ancien maire socialiste de Dakar, à l’époque député à l’Assemblée nationale flambe à son tour. Le quartier du Point-E où réside Abdoulaye Wade tombe sous la coupe réglée des vandales. C’est l’embrasement dans Dakar et sa banlieue.

Abdoulaye Wade s’emmure dans un « silence assourdissant », comme pour reprendre les mots d’un journaliste de l’Agence de Presse Sénégalaise qui interpellait ainsi sur ce silence le vainqueur de l’élection, le candidat Abdou Diouf. Cette interpellation a été faite au cours de la première conférence de presse que le candidat nouvelement élu a donnée ce mercredi 17 mars 1993, quelques jours avant son investiture, consacrée par la cérémonie de prestation de serment tenue le 3 avril 1993.

Au cours de cette cérémonie, Abdou Diouf avait laissé entendre : « Je rends grâce à Dieu. Je le fais avec autant de ferveur que nous venons de vivre avec la préparation et l’organisation de l’élection du 21 février 1993, une période singulièrement marquée en Afrique, par des dérapages violents. La manière dont nous avons traversé cette période a prouvé encore une fois de plus, la maturité de notre peuple et confirmé notre réputation de grande nation. Le mérite en revient à chacune et à chacun d’entre nous, simple citoyen ou responsable politique»

Le Chef de l’Etat avait, sans aucun doute, raison de parler ainsi ! Il faut cependant reconnaître que le silence du « Pape du Sopi » avait largement permis de calmer les ardeurs contestataires de ses partisans. Il avait déjà laissé entendre, le 26 mars 1993, lors du premier meeting qu’il a tenu après la proclamation des résultats : « j’avais délibérément choisi le silence pendant quelques temps après le verdict du Conseil constitutionnel, car, pesant mes responsabilités, j’avais choisi de ne pas produire l’étincelle qui pourrait allumer l’incendie et entraîner la confrontation. J’étais profondément convaincu que le temps était notre meilleur allié qui nous permettrait d’arriver aux mêmes résultats ».

Il ajoutera pour peut-être préciser davantage sa pensée : « Renoncez à la violence et à la confrontation physique, car avec la violence, ou bien il n’y en a pas assez et les sacrifices sont vains, ou bien il y en a de trop et cela débouche sur l’aventure. L’Ethiopie, le Rwanda, la Somalie nous en ont fourni des exemples malheureux. Je ne crois pas que la somalisation du Sénégal, soit un prix à payer »




Ouf, se sont dit, ceux qui parmi les citoyens – il s’agit de la quasi-totalité de la population- n’avaient nulle envie de revivre le traumatisme des voitures piégées, la casse des cabines téléphoniques et des bus de transport public. Aucune violence. Dakar plonge dans un calme plat. S’installe, alors, un climat serein et propice à une préparation des législatives annoncées pour le 9 mai 1993.

Le découplage des deux élections a eu un effet cathartique inattendu. Après la perte de la présidentielle, l’opposition, en particulier le Pds, rêve d’une cohabitation. Le fait de penser l’avenir autrement que dans la perspective d’une prochaine élection présidentielle prévue, 7 ans plus tard, a eu comme conséquence heureuse et inattendue de tempérer les ardeurs contestataires des responsables du Pds. Les législatives deviennent un objectif majeur et un deuxième tour de scrutin, à défaut d’avoir été possible, lors de la présidentielle. L’espérance est forte.
Déjà, lors du meeting du 26 mars 1993, Abdoulaye Wade déclarait à ses électeurs et à ses militants : « Portez une majorité libérale à l’Assemblée nationale pour contraindre Diouf à se soumettre ou à se démettre. C‘est le pouvoir sans le Palais : mais le pouvoir réel car permettant de décider pour changer concrètement la vie des Sénégalais en attendant que soient réglés les autres.»

Mais Abdou Diouf n’est pas tout à fait du même avis. Il s’est déjà exprimé sur le sujet, lors de la conférence de presse du 17 mars 1993, en ces termes : « Je rappelle, et là-dessus je précise une chose : le gouvernement qui sera nommé émanera du Président de la République. Nous sommes en régime présidentiel. Il ne faut pas l’oublier. Sinon, nous ne nous serions pas donné autant de peine pour cette bataille pour l’élection d’un Président de la République. Si nous étions en régime parlementaire, les ténors se seraient réservés pour les élections législatives en sachant que c’est du Parlement qu’émanerait le pouvoir. Mais le pouvoir émane du Président de la République. Mais l’Assemblée nationale a aussi un rôle à jouer. »

Loin de ces considérations philosophico-politiques sur le pouvoir, les Sénégalais, eux, apprécient le calme et la sérénité qui semblent s’installer, durablement. Le souvenir de l’élection présidentielle reste encore pénible. La majorité des citoyens est convaincue que le nouveau code mériterait d’être retouché.

Sont seules concernées quelques unes de ses dispositions, pour éviter à la Commission nationale de recensement des votes, de connaître un nouveau blocage lors des élections législatives. Le gouvernement convoque une session extraordinaire de l’Assemblée nationale, en vue de faire modifier certaines dispositions de la loi électorale.

L’Assemblée nationale réunit le 6 avril 1993, la conférence des Présidents, à 16 heures. La commission des lois siège le lendemain. La session plénière extraordinaire est ouverte le 9 avril 1993. Elle adopte les projets de modification du texte originel. La composition de la commission nationale de recensement des votes est concernée, en priorité.

Désormais, trois magistrats y siègent avec voix délibératives, alors que les représentants des listes de partis politiques ou de candidats ne sont admis qu’en qualité d’observateurs. Tous les cas de litiges à l’intérieur de la commission sont tranchés par les trois juges. La Commission dispose, de cinq jours pour procéder à la proclamation provisoire. Les ordonnances et les certificats de conformité sont réaménagés. Des conditions de travail plus rationnelles et plus cohérentes sont ainsi aménagées en ce qui concerne la Commission nationale.

La campagne électorale pour les élections législatives peut démarrer. Elle est lancée le 17 avril 1993. Le Ps, le Pds, le Pit, l’Alliance Jappo Ligueyyel Sénégal, composé par Aj, le Rnd, le Cdp, et l’Uds/R, sont sur la ligne de départ pour la conquête des suffrages des électeurs. Ils sont au total 1222 candidats, et tous ont en ligne de mire, le 9 mai 1993, date du scrutin.

Abdoulaye Wade passe, apparemment, à pertes et profits, l’élection présidentielle. Il n’en garde pas moins la dent contre le Conseil Constitutionnel. Déjà, dès la nomination de Youssou Ndiaye, au plus fort du blocage de la Commission nationale de recensement, le Secrétaire national du Pds, fait une proposition surprenante. Il invite tous les partis et l’Etat, à s’asseoir autour d’une table, pour définir les conditions et les modalités de création d’un tribunal arbitral pour régler le contentieux électoral. Tous les candidats qui s’étaient opposés à Abdou Diouf rejettent la proposition. Mamadou Lô, candidat indépendant, renchérit: « c’est une proposition irréaliste, qui ajoute à la confusion ».

Abdoulaye Bathily ne dit pas autre chose quand il affirme que :

« Cette proposition est étonnante. Nous avons mis en place des structures, laissons les travailler ».

Les Socialistes raillent l’idée. Mieux, le Bureau politique du parti considère que :

« Wade se livre là, à un de ses jeux favoris : la diversion ».

L’idée ne prospère pas, en fin de compte. Wade l’abandonne alors, aussi vite qu’il l’avait émise. Son idée oubliée, Abdoulaye Wade peut tirer à boulets rouges sur le Conseil Constitutionnel, en dressant un réquisitoire impitoayble contre l’institution et contre certains juges qui y siégent. Il engage en fait une bataille d’oipinion contre la crédibilité de l’institutition, en tentant d’entâcher la réputation et l’intégrité de son président, le magistrat Yousouspha Ndiaye, de même que celle de son vice-président, le juge Babacar Sèye.

Le 29 avril 1993, il tient un meeting à Diourbel, relaté dans les colonnes du « Soleil » du 30 avril 1993 : « Le Conseil constitutionnel n’est pas crédible et n’a pas à interpréter l’élection. L’élection c’est l’affaire des populations. Abdou Diouf étant candidat, n’avait pas à nommer le Président du Conseil qui se trouve être son homme. Son vice-président est un membre du parti socialiste c’est connu de tous. Ce qui est une véritable entorse à la Justice. Mais pour les élections législatives prochaines, la décision de cette institution ne sera pas reconnue. Je ne constaterai que la volonté populaire. Nous siégerons et au besoin, érigerons une Assemblée nationale parallèle. Car ce sont les Parlementaires qui devront défendre les intérêts du peuple ».

Son refus d’accepter Youssou Ndiaye comme Président du Conseil Constitutionnel vient du fait qu’après l’adoption du code électoral consensuel en 1992, et à la suite de la création du Conseil constitutionnel, Abdou Diouf avait, à l’époque réuni dans son bureau, Amath Dansokho et Abdoulaye Wade, lui-même, tous deux membres du gouvernement de majorité présidentielle élargie formé le 7 avril 199, pour arrêter un choix définitif sur le nom de la personne qui devait présider le Conseil constitutionnel.

L’avis de ses alliés importait beaucoup pour le chef de l’Etat qui les avait invités à se prononcer sur la liste des Présidents pressentis pour diriger le Conseil Constitutionnel. Tous les trois s’accordèrent sur le nom de Kéba Mbaye. Après la démission de ce dernier, Abdoulaye Wade avait souhaité que la même procédure de concertation utilisée, par le passé, fusse reconduite.

Sa position était peut-être politiquement juste Elle était, somme toute, irréaliste compte tenu du nouveau contexte. Le consensus qui avait prévalu à l’époque du choix de Kéba Mbaye n’était plus de rigueur.

« Youssoupha Ndiaye c’est l’homme de Abdou Diouf » disait Abdoulaye Wade. Le magistrat avait, peut-être, entre temps d’obédiance en 2000, pour devenir son homme à lui. C’est, en effet, le même juge qui a proclamé les résultats de l’élection présidentielle de mars 2000, quand les suffrages des Sénégalais ont effectivement, choisi Abdoulaye Wade. Et il est devenu depuis le 4 novembre 2003 le ministre d’Etat du président de la république qui l’avait pourtant tant décrié et mis en doute son intégrité et son honneteté. De deux choses l’une : ou bien Wade a tort de s’en prendre au juge ou bien il avait bâti une stratégie machiavélique de justification à postéri d’une défaite qu’il prévoyait cinglante. Pourquoi un juge malhonnête et sans morale devrait-il être un bon ministre honnête ? L’incohérence de la démarche est frappante. La mauvaise foi qui la sous-tend tout aussi criarde. Les deux auront malheureusement coûté la vie au juge Sèye.

En mai 1993, Abdoulaye Wade menait campagne tambours battants, en ayant en ligne mire Youssoupha Ndiaye, le juge Babacar Sèye et, en définitive, le Conseil constitutionnel. Par son discours radical contre cette institution et contre les juges qui la président, il a désigné ses membres à la vindicte populaire. Pire, il a sélectionné certains d’entr eux comme cibles à neutraliser. Sinon, comment comprendre le sens de cette déclaration:
« Je ne donne aucun crédit aux décisions du Conseil constitutionnel qui se trouve sous l’influence des hommes de Abdou Diouf, en particulier, de son vice-président, Me Babacar Sèye, qui a été pendant longtemps, un député socialiste. Ce n’est pas sérieux. «
Une telle déclaration faisait à une autre, lancée par l’un de ses lieutenant, en l’occurrence, Jean paul Dias qui avertissait les juges et les invitait à préparer leur linceul, si jamais ils se trouvaient mêlés à des activités de fraudes, au cours des prochains scrutins.
Me Sèye n’aura pas eu le temps de pépérarer sa mort. la été surpris, même si tout dans le climat de tension et de maneces pouvait le laisser croire. Trop de surenchère verbale ! Les responasbles de cette surenhère verbale se préparaient-ils à une défaite obejctivement inévitable, tout en tentant de tromper l’opinion là-desssu ? Abdoulaye Wade, prévoyait-il déjà sa défaite, lors même qu’il déclarait le contraire, en battant campagne : « j’aurai 71 sièges de députés ».

Cette déclaration est faite lors du meeting tenu le 21 avril 1993 à Touba. A l’arrivée, la désillusion est immense. La frustration l’est tout autant. La campagne électorale a été calme. Aucun incident majeur à signaler. Le scrutin est ouvert ce dimanche 9 mai 1993. Il est tout aussi calme. La journée de vote n’enregistre aucun fait grave, encore moins de violence. Le vote est marqué par un seul point spectaculaire : le fort taux d’abstention.

Un éditorialiste du quotidien « Le Soleil » peut écrire à ce sujet : « les élections législatives ont été marquées par un fort taux d’abstention. Peu d’électeurs se sont en effet déplacés pour s’acquitter de ce droit civique. Plus de la moitié du corps électoral a préféré rester chez lui. En tout cas, par rapport au scrutin présidentiel, on a noté une certaine désaffection vis-à-vis des urnes. Pourquoi cette abstention dans un pays qui vote depuis 1848 ? »

Le journaliste Abdallah Faye qui signe le texte, dans l’édition du « Soleil » du 11 mai 1993 ; répond sans ambages :


« Après le long et éprouvant feuilleton de la présidentielle, bon nombre de Sénégalais fatigués de l’attente des résultats, des tergiversations et des diversions de tous ordres, ont préféré se détourner da la chose politique, déçus par le comportement global des hommes censés renforcer la démocratie sénégalaise, après les avancées notables obtenus avec l’élaboration du code consensuel ».

Abdou Diouf, lui, apprécie autrement, en exprimant un avis contraire:

« Contrairement à ce que l’on tentait de faire croire, les lenteurs observées dans le processus de proclamation des résultats bien qu’ayant été ressenties çà et là comme source de malaise ou d’impatience, n’entament pas la crédibilité de notre système démocratique. Bien au contraire, elles doivent être perçues au second degré, comme l’expression de notre option résolue pour la primauté du droit, au-delà donc du choc des passions et les turbulences politiques conjoncturelles. L’image de notre pays en sort grandie ».

Il n’empêche ! L’histoire aura au moins servi. Les retouches apportées au code consensuel ont porté leurs fruits, du moins en ce qui concerne la proclamation des résultats provisoires. La Commission nationale de recensement des votes est allée, cette fois-ci, très vite dans ses travaux.

Vendredi 14 mai 1993. Quatre jours après le vote, les résultats provisoires sont proclamés par la Commission. Le Parti socialiste sort largement vainqueur de la confrontation. Il fait élire 84 députés, alors que le Pds arrive en deuxième position avec 27 parlementaires élus. La Ld/Mpt en fait élire trois. C’est le même nombre que recueille la liste Jappoo constituée par le Rnd, And Jëf et la Cdp. La frustration et la déception sont grandes dans le camp de l’opposition. Les conditions qui avaient prévalu après la proclamation les élections générales de février 1988 semblent, à nouveau, réunies dans le pays, pour faire sauter le couvercle de la marmite électorale. On se demande quand est-ce que celle-ci va exploser sous la pression des radicaux, mauvais perdants. C’est peut-être une question d’heures, se dit-on, partout ailleurs dans le pays.

L’inquiétude affichée est d’autant plus justifiée que déjà, le 13 mai 1993, le correspondant de Radio France International (Rfi), Nicolas Balique a été sauvagement agressé devant le domicile de Me Wade, pour avoir publié une information jugée désobligeante, par le Secrétaire national du Pds qui, sous prétexte, de donner un droit de réponse, à la suite de la diffusion de la dite information a fait venir à son domicile le journaliste de Rfi.

La suite des faits est stupéfiante. L’entretien a lieu dans une pièce attenante au grand salon situé à l’entrée du domicile de Me Wade et lui servant de bureau chez lui. Juste, quelques instants, avant la fin de l’interview, Me Wade quitte l’endroit où il reçoit le journaliste, pour venir trouver quelques militants agglutinés devant le portail de sa demeure. L’ordre donné par le maître des lieux est précis : « faites-lui sa fête. »


Il peut alors, immédiatement, retourner dans la pièce d’où il venait, pour libérer son hôte. Ce dernier ne se doute de rien. Il prend congé de lui, mais dès qu’il franchit le seuil de la porte, Pape Samba Mboup le harponne et l’empoigne, avant de lui asséner un violent coup à la tête. Le journaliste titube, se ressaisit et parvient à fuir, poursuivi par une meute. Il réussit à s’échapper mais laisse sur place sa nagra et sa voiture. Celles-ci sont la roie des flammes et de la brutalité des militants. Le pays s’indigne et les condamnations fusent de partout.
Dans un communiqué rendu public et lu à la presse par Ousmane Ngom, le Pds admet de façon explicite la responsabilité de ses militants dans l’agression sauvage qui a failli coûter la vie à Nichola Balique. Ousmane Ngom laisse entendre, en présence des journalistes :

« L’agression a eu lieu le jeudi 13 mai devant le domicile du secrétaire national du Pds. Elle fait suite à la diffusion sur Rfi d’un information mensongère et selon laquelle, le patron du Pds aurait demandé au Président Abdou Diouf, la création d’un poste de Vice-Président et la formation d’un gouvernement de majorité présidentielle élargie ».

Pape Samba Mboup, ministre, actuel Chef de Cabinet du Président Abdoulaye Wade, a été arrêté et condamné pour avoir été identifié par la justice, comme étant le principal responsable de l’agression.

A la suite, Abdoulaye Wade, porte plainte contre Rfi, l’Afp et Ousmane Tanor Dieng, alors ministre d’Etat, ministre chargé des services et affaires présidentiels, pour diffusion de fausses nouvelles et injures. Pointé du doigt, identifié comme le coupable principal de l’agression, Me Wade tente de se présenter en victime. Il Joue-t-il ainsi à détourner l’attention de l’opinion sur les faits graves qui ont été commis sous sa responsabilité ? Un jeu de pure diversion dans un contexte où les esprits sont de plus en plus troublés par les agissements des responsables du Pds.

Quelques jours auparavant, le confrère Oumar Diouf Fall, alors journaliste à la rédaction de Radio Sénégal, parti en reportage sur le Campus de l’Université Cheikh Anta Diop, a été attaqué et violenté par une bande d’étudiants identifiés comme étant membres du mouvement des étudiants se réclamant du « Sopi ». Il n’en faut pas plus pour que de nombreuses voix autorisées s’élèvent pour dénoncer la violence exercée contre d’innocents citoyens, en particulier celle dirigée contre les journalistes. Parmi elles, celle de Feu le Cardinal Hyacinthe Thiandoum, alors Archevêque de Dakar :

« La liberté d’informer juste et vrai, accordée au journaliste dans l’exercice de son métier, constitue le rempart ultime de la citadelle de toutes les libertés. Si on y porte atteinte, on s’achemine tout droit vers la dictature et au terrorisme. Comme on peut le constater ailleurs de par le monde » .

Terrorisme ? La crainte de l’homme de Dieu n’est pas sans fondements. Nous sommes, en effet, dans la terreur ce 15 mai 1993. Le Cardinal ne pouvait mieux parler qu’il l’avait fait, en s’exprimant ainsi, ce jour de vendredi 14 mai. Me Babacar Sèye, Vice-Président du Conseil Constitutionnel est assassiné, le lendemain de la mise en garde du prélat, par trois jeunes gens agissant par procuration.

L’horreur : un meurtre sur commande ! Cette opinion est largement partagée par de nombreux Sénégalais. Parmi eux, il y a eu un citoyen, en l’occurrence, Sidy Dieng qui sut traduire le sentiment général. Ce dernier, à l’époque militant socialiste et actuel président de la structure de soutien à l’action du chef de l’Etat, dénommée « Construire le Sénégal avec le Président Abdoulaye Wade » (Cosewa), peut écrire dans l’édition du Soleil du 18 mai 1993 :

« L’assassinat de Me Babacar Sèye, Vice-président du Conseil constitutionnel serait-il une forme de recours, pour contester les résultats provisoires proclamés par la Commission nationale de recensement des votes ? Pourquoi avoir attendu l’entrée en scène du Conseil constitutionnel pour frapper si lâchement un des meilleurs fils du pays ? »

Sidy Dieng n’est pas le seul à s’interroger. Son texte suggère subtilment que les seuls ayant intérêt à utiliser ce genre de procédé, à préférer se servir de cette forme de recours détestable, contre les résultats provisoires proclamés par la commission de recensement des votes, sont les vaincus, en fait « les mauvais perdants », comme les appellaient les Socialistes. Ce sont eux, ces « mauvais perdants » qui ont lâchement fait assasssiner Me Sèye, laissait entendre, à l’époque, le texte du néolibéral.

Suggérée, comme le faisait Sidy Dieng, explicitement ou implicitement exprimée, une telle conviction était largement partégée dans le pays. Elle a été à l’origine des fortes suspicions qui ont été portées sur Me Wade et sur son camp. C’est ainsi que les enquêteurs se lancèrent à la recherche des commanditaires dès l’annonce du crime. Ils frappèrent trop bruyamment à la porte du Pds, dans cet après-midi du samedi 15 mai 1993. Moins d’une heure après le crime.

Cette attitude à la limite frénitique des enquêteurs, commandée par celle plus visible des autorités de l’époque, ajouté à l’hostilité connue de certaines personnalités du régime à l’égard de Me Wade, font immédiatement douter de nombreux Sénégalais du sérieux de l’enquête. Leur perplexité est d’autant plus forte que Me Wade et trois de ses « frères » de parti, sont immédiatement interpellés et gardés à vue, au poste de gendarmerie de la rue de Thiong. Ils y passent trois jours. Au même moment, les auteurs du crime, eux, sont dans la nature. Me Wade et ses « frères » seront, finalement, libérés le mardi 18 mai à 20 heures.

Le mercredi 19 mai 1993, la presse est convoquée au domicile du secrétaire du Pds. Le parti et son chef saisissent l’occasion pour développer les axes d’une ligne de défense qui se veut imparable. Celle-ci s’appuie, essentiellement, sur une idée force : convaincre l’opinion qu’il sagit d’un complot ourdi sur leur dos et d’orienter donc les enquêteurs vers d’autres cibles, celles qui ont toujours été opposées à une éventuelle et cordiale entente entre Wade et Diouf.
S’adressant dans cet esprit aux journalistes, Me Wade suggère d’emblée aux enquêteurs d’écarter la piste Pds et explique, en temps, pourquoi ils devraient le faire :
« La piste du Pds est à écarter dans la mesure où, si j’avais voulu attenter à la vie de Me Babacar Sèye. Je n’aurai pas ouvertement critiqué sa présence au sein du Conseil Constitutionnel. La piste des adversaires d’une entente entre moi et Diouf pour un gouvernement de majorité élargie doit être sérieusement explorée. Ils peuvent être les auteurs possibles de l’assassinat de Me Sèye. »

Les maladresses de départ des enquêteurs, poussés sûrement par le Premier ministre d’alors qui en avait fait une affaire personnelle, donnait à Abdoulaye Wade les moyens d’une défense, qui reposait pour l’essentiel, sur l’idée d’un complot contre lui et son parti.

Se rendant compte qu’il s’était placé sur un terrain glissant, il précise, sans trop convaincre : « Ma démarche n’est pas destinée à accuser quiconque, mais vise plutôt à aider, comme je l’ai promis aux enquêteurs qui m’interrogeaient, de faire éclater la vérité ».

Nous étions une vingtaine de reporters à assister à cette rencontre avec la presse. J’étais, profondément, marqué par le détachement apparent de Me Wade, face à la tragédie qui consternait toute la Nation et anéantissait, en particulier, tous ceux qui croyaient aux valeurs de la démocratie et au respect de la vie humaine. Il n’eut aucun mot de compassion, ni une expression de réconfort à l’égard de la famille éplorée. Je n’avais pas manqué de m’en étonner auprès de certains confrères. Me Wade était sans émotion apparente. Il était plutôt préoccupé par la construction des axes de la ligne de défense qu’il esquissait.
Avec le recul et l’effet du teps, on peut noter que son attitude et son apparence de l’époque, contrastent fortement avec ce soudain élan de solidarité, de compassion et de sollicitude, dont il fait montre aujourd’hui, en indemnisant largement la famille de feu Babacar Sèye et en faisant voter une loi d’amnistie pour « le bien » de cette famille. Les temps ont changé. Les positions également.
Aujourd’hui, même un retour sommaire sur le passé permet de comprendre que la ligne de défense adoptée à l’époque qui mettait en avant l’idée d’un complot et et s’appuyait, également, sur la théorie d’un meurtre simulé, résiste difficilement à un examen attentif de la réalité du déroulement du crime commis ce 15 mai 1993.



leral .net






Publicité