Il est immédiatement conduit au commissariat de police de Dieuppeul, puis au poste de police du Port. Il est confronté à sa petite amie Ramata Guèye que la police est allée arrêtée un peu plus tôt.
L’interrogatoire mené par le Colonel Charles Diédhiou commencé la nuit, se terminera le lendemain à 15 heures. Il sera finalement remis au juge d’instruction qui lui décerne un mandat d’arrêt le 24 juin 1993.
L’enquête a été efficace et diligente, comme le gouvernement de la République l’avait promis, le 15 mai 1993. Elle l’a été sans conteste pour les meurtriers. Pas pour les commanditaires du crime. Là, c’est le cafouillage total.
Tous les amis avec qui il a fait le coup avaient déjà été arrêtés. Lui erre encore. Mais sent son arrestation proche. Il hésite, il ne sait pas vraiment quoi faire. Il part à Mékhé chez un de ses amis qui travaille au Conseil municipal de cette ville. Ils ont fait le service militaire ensemble. Il sait qu’il l’expose. Il ne veut surtout pas lui créer d’ennuis avec la justice.
L’idée de se rendre à la Justice lui traverse l’esprit. Il sait qu’il ne peut échapper aux enquêteurs, à moins de fuir à l’étranger. Il décide alors de remonter sur Dakar. Il y loue une chambre, où il vit avec sa petite amie. A un moment il a le réflexe de se rendre au domicile de Abdoulaye Wade. Il nourrit, avoue-t-il, le secret espoir de se faire arrêter là-bas. Il a pris le temps de réfléchir sur leur forfait. Il retourne le problème dans tous les sens. Il en veut aux commanditaires du crime. Depuis l’arrestation de son ami Clédor Sène, l’attitude qu’affiche ces derniers lui paraît quelque peu désinvolte.
Il en veut, aussi, à son ami Clédor Sène. Il ne comprend pas qu’il ait balancé son nom, dès sa première audition. Il ne lui pardonne pas: « Nous nous étions promis que toute personne qui tombe parmi nous ne dénoncerait personne. Clédor n’a pas tenu ses engagements. Il m’a balancé à la première minute qui a suivi son arrestation. Il n’a même pas résisté, ni hésité. »
Pape Ibrahima Diakhaté se rend chez Wade dans la nuit du 18 juin. Il explique comment il s’y est pris :
« Quand je suis arrivé les vigiles ont voulu me faire partir dans l’immédiat. J’ai alors menacé de faire un scandale. Ils sont allés alertés le maître des lieux. Je n’ai pas pu entrer. Mais je sais qu’il a été informé de mon arrivée. Les gens m’ont demandé, à nouveau, de partir. J’ai refusé en leur disant que même si je devais partir, il me fallait prendre un taxi. Les vigiles sont entrés dans la maison pour en sortir avec un billet de dix mille (10000) francs qu’ils m’ont remis. J’ai fait mine de refuser pour rester. Les dix mille francs (10 000 francs) venaient, j’en suis persuadé, de la poche du Vieux.
En fait, je ne savais même pas pourquoi j’étais là et si j’avais réellement besoin d’argent venant d’eux. Sûrement, je ne l’aurais pas n plus refusé si les époux Wade m’en donnaient. Je savais que c’était trop risqué pour eux de m’en demander beaucoup, car ils devaient se douter si j’étais venu ou non avec des policiers, ou si j’étais suivi. Une connexion solide serait rapidement établie si je ressortais de là avec beaucoup d’argent. Or, avec 10 000 francs, ils ne risquaient rien. C’est mon interprétation personnelle. »
Tout en se sachant activement recherché, Pape Ibrahima Diakhaté se permet des sorties nocturnes assez risquées. Il est, en fait, convaincu que sa cabale prend bientôt fin. Il passe chez Lamine Faye, avant d’aller se présenter chez Abdoulaye Wade. Cet homme est un grand neveu du président qui occupe, aujourd’hui, le premier rang de la garde rapprochée du Chef de l’Etat.
On rappelle que ce dernier avait reconnu, devant les enquêteurs, d’avoir fait accéder au domicile de Me Abdoulaye Wade, Clédor Sène et Pape Ibrahima Diakhaté, dans la nuit même du 15 mai 1993. Il nie après tout, devant le juge instructeur. C’est lui-même Pape Ibrahima Diakhaté qui déroule le film des évènements, avant qu’il ne se rende chez Abdoulaye Wade. Il se souvient:
« Je suis allé chez Lamine Faye. A son domicile à Colobane. Je suis entré dans la maison et j’ai demandé à ma copine de m’attendre dehors. Dès que je suis rentré, Lamine Faye me reçoit. Il me met en garde et me demande de faire attention. Il me raconte, ensuite, les tortures qui avaient été infligées à Mody Sy. Puis, il dit : [Clédor a accusé Habib Thiam. I Si tu es pris, tu dis la même chose et n’en démords pas]. Je le rassure. Je prends, ensuite, congé de lui, mais il refuse et me retient. Il fait même appeler ma copine qu’il va faire chercher. Elle m’attendait dehors devant la maison des Faye. Nous avons discuté pendant un bon moment. Je suis, ensuite, parti avec ma copine, il était vingt trois heures.
Pape Ibrahima Diakhaté a été arrêté est arrêté le 21 juin 1993. Il revient sur les circonstances de cette arrestation :
« J’étais debout, dans la rue, à discuter avec mon frère quand les policiers m’ont arrêté. Je lui disais que j’allais me rendre. Avant j’avais envoyé ma copine chez nous, pour qu’elle dise à mon frère que j’avais besoin de lui parler car j’avais une décision importante à prendre. Ma copine a cherché, en vain, à l’avoir. Je suis, alors, parti moi-même le voir. En discutant avec lui, j’ai vu les policiers arriver. Ils étaient deux habillés en civil. Ils m’ont conduit au commissariat de Dieuppeul. Je n’y suis pas resté longtemps. Après, j’ai été amené au commissariat du Port. C’était la première fois que je mettais les pieds dans un commissariat de police. Puis j’ai été emmené dans les locaux de la Division des investigations criminelles de la police (Dic). Les policiers m’ont entendu, bien qu’ayant été sous le coup d’un mandat d’arrêt. Quand il y a un mandat d’arrêt, le suspect arrêté doit être immédiatement présenté au juge. Donc, il ne pouvait pas y avoir d’enquête. Je sais pourquoi ils ont procédé ainsi. »
On se souvient que le Premier ministre de l’époque, Habib Thiam portait un intérêt tout particulier au déroulement de l’enquête. Il dira le jeudi 17 juin 193, devant les députés de l’Assemblée, alors qu’il présentait son discours de politique générale, après sa reconduction comme premier ministre, à la suite des élections législatives du 9 mai 1993 :
« Je voudrais dire que nul ne connaît mieux que moi ce dossier. C’est mon rôle de premier ministre. Je peux vous annoncer aujourd’hui qu’un autre élément a été arrêté hier, mercredi 16 juin, il pourrait être décisif dans la quête de la vérité. Il y a certains terrains où on ne me trouvera jamais. J’aurais pu exhiber, ici, devant vous un document assez compromettant. Mais je suis d’avis que ce n’est pas la place publique qui réglera certaines choses. La justice est saisie et toute la lumière sera faite sur cette affaire. Je préfère m’en tenir là. »
En prononçant ses paroles, le Premier ministre est réellement ému. Il écrase des larmes qui en disent long sur son dégoût et sa peine, face à la tentative maladroite du Pds qui, par le biais des accusés, tentent de le salir. Pape Ibrahima Diakhaté ont enregistré ses déclarations sur une cassette audio, pour ensuite la remettre au Premier ministre. Il précise:
« Les policiers m’ont entendu et ont enregistré et transcrit ma déposition. La cassette a été transmise à Habib Thiam qui l’a écoutée. Parce que le jour où je suis allé devant le juge, il s’appelle Cheikh Tidiane Diakhaté, ce dernier est moins intelligent qu’il ne voulait le faire croire, parce que à un moment où on était ensemble, on l’a appelé au téléphone et je l’entendais dire : « oui, il est ici avec moi ». Je n’entendais pas son interlocuteur. S’il ne parlait pas au Premier ministre, il parlait au ministre de la Justice. C’est moi-même qui lui dit : « ne t’excite pas ainsi. Je suis prêt à tout révéler. Ce n’est pas la peine de jouer à ce jeu ». Je savais qu’il subissait des pressions. Il me dit alors : « puisque tu veux parler, je peux t’emmener un avocat. Sinon, je demande au procureur de te commettre un avocat d’office ».
Pape Ibrahima Diakhaté est persuadé que le juge savait qu’il avait l’intention de parler, en disant toute la vérité. Il a décliné l’offre du procureur qui lui propose les offres d’un avocat. Il lui explique qu’il ne sentait pas la nécessité de trouver un avocat car il sait ce qui l’attend. N’empêche, il veut, en ce moment, collaborer avec la Justice pour faire éclater la vérité. Il change, finalement, d’avis et explique pourquoi :
« C’est après que Khoureichi est venu me voir en me disant que c’est ma famille qui l’avait constitué. Il a commencé à me convaincre de ne pas parler. Quand Clédor a su que je voulais parler, c’est à ce moment qu’il a fait une déclaration en disant que j’ignorais tout de l’affaire. Il cherchait à me blanchir. Parce qu’un journal avait révélé mon arrestation et Clédor savait que j’allais parler. C’est à partir de cet instant que la presse a commencé à dire que Clédor était le cerveau du crime. Cela m’amusait. Quel cerveau ? Le cerveau c’était Maître Wade. Voilà. Ceux qui étaient au courant, ceux qui savaient c’étaient : Samuel Sarr, Ablaye Faye, Ousmane Ngom, Viviane Wade. Ils étaient au courant. Karim Wade savait peut-être. Ce que je peux dire avec certitude le concernant, c’est que, pendant la campagne électorale Karim nous avait prêté son arme un magnum.
Qui d’autre était au courant du complot fomenté contre le juge Sèye dans l’entourage de Me Wade de l’époque ? Pape Ibrahima Diakhaté énumère et révèle les noms de tous ceux qui, éventuellement, pouvaient être arrêtés pour complicité ou pour, au moins, non dénonciation de crime :
« Je ne sais pas si Sindjély, était au courant. On a partagé quelques fois la même voiture. Un jour, c’était un jour de vote, on était à la recherche de Ousmane Ngom, qui devait représenter le Pds au Tribunal, pour la vérification des votes. Ce jour-là, nous étions en compagnie de Samuel Sarr pour retrouver Me Ngom. Au retour, il n’y avait qu’elle et moi dans la voiture. Pape Samba Mboup savait. Lamine Faye, également. Jean Paul Dias? Non ! Celui-là, vraiment, je ne peux pas affirmer, mordicus, qu’il savait. Mais de mon point de vue, il ne pouvait pas l’ignorer. Nous ne l’avons jamais rencontré. Mais il m’est arrivé de partager un déjeuner, une fois avec lui, à Kolda. Mais dans cette affaire, non. Mody Sy, c’est un règlement de compte. Parce qu’après 1988, il nous a fait des crasses, des bassesses. Pour se venger, Clédor l’a cité, quand il a été arrêté. Il a fait la même chose pour Modou Kâ. »
A partir de cet instant l’avocat Khoureysi Bâ devient un élément de la procédure ouverte contre Pape Ibrahima Diakhaté. Il joue un rôle de relais entre lui et les autres co-accusés, soutien l’intéressé. Il était aussi leur intermédiaire avec les commanditaires restés dehors. Il était le « passeur » de l’argent régulièrement versé par ces commanditaires. Pape Ibrahima Diakhaté révèle à ce sujet que pendant les six premiers mois de détention il a reçu des versements variant entre cent mille et cent cinquante mille francs Cfa. Ces montants ont substantiellement baissé à trente et quinze mille francs Cfa.
L’avocat a par la suite pris ses distances avec les accusés. Diakhaté indique à ce sujet :
« Quand on se présentait devant la Chambre d’accusation Khoureichi n’était plus régulier. Il ne venait plus nous voir. Nous nous sommes demandé pourquoi il avait subitement arrêter de venir vers nous, alors que jusqu’ici il s’était bien comporté à notre égard, en essayant du maximum qu’il pouvait pour nous aider à sauver nos têtes. Il est vrai qu’il le faisait au préjudice de la vérité attendue. Il travaillait en bonne intelligence avec le Pds. Vrai ou faux, nous avions eu des informations nous apprenant que Djibo Kâ avait rencontré Khoureichi la veille de notre audition par la chambre d’accusation. Djibo Kâ, à l’époque, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur aurait longuement discuté avec lui d’une importante déclaration que nous avions l’intention de faire. Semble-t-il, en s’entretenant avec lui, le ministre désirait l’amener à nous convaincre d’y aller pour faire une déclaration réhabilitant nos premières auditions, celles de Clédor Sène et les miennes qui avaient toutes mises en cause le Pds. Nos informateurs nous avaient indiqué que le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur aurait tenté, pour ce faire, de remettre 7 millions de francs Cfa à l’avocat. Cette rencontre avait été révélée par la presse. »
L’interrogatoire mené par le Colonel Charles Diédhiou commencé la nuit, se terminera le lendemain à 15 heures. Il sera finalement remis au juge d’instruction qui lui décerne un mandat d’arrêt le 24 juin 1993.
L’enquête a été efficace et diligente, comme le gouvernement de la République l’avait promis, le 15 mai 1993. Elle l’a été sans conteste pour les meurtriers. Pas pour les commanditaires du crime. Là, c’est le cafouillage total.
Tous les amis avec qui il a fait le coup avaient déjà été arrêtés. Lui erre encore. Mais sent son arrestation proche. Il hésite, il ne sait pas vraiment quoi faire. Il part à Mékhé chez un de ses amis qui travaille au Conseil municipal de cette ville. Ils ont fait le service militaire ensemble. Il sait qu’il l’expose. Il ne veut surtout pas lui créer d’ennuis avec la justice.
L’idée de se rendre à la Justice lui traverse l’esprit. Il sait qu’il ne peut échapper aux enquêteurs, à moins de fuir à l’étranger. Il décide alors de remonter sur Dakar. Il y loue une chambre, où il vit avec sa petite amie. A un moment il a le réflexe de se rendre au domicile de Abdoulaye Wade. Il nourrit, avoue-t-il, le secret espoir de se faire arrêter là-bas. Il a pris le temps de réfléchir sur leur forfait. Il retourne le problème dans tous les sens. Il en veut aux commanditaires du crime. Depuis l’arrestation de son ami Clédor Sène, l’attitude qu’affiche ces derniers lui paraît quelque peu désinvolte.
Il en veut, aussi, à son ami Clédor Sène. Il ne comprend pas qu’il ait balancé son nom, dès sa première audition. Il ne lui pardonne pas: « Nous nous étions promis que toute personne qui tombe parmi nous ne dénoncerait personne. Clédor n’a pas tenu ses engagements. Il m’a balancé à la première minute qui a suivi son arrestation. Il n’a même pas résisté, ni hésité. »
Pape Ibrahima Diakhaté se rend chez Wade dans la nuit du 18 juin. Il explique comment il s’y est pris :
« Quand je suis arrivé les vigiles ont voulu me faire partir dans l’immédiat. J’ai alors menacé de faire un scandale. Ils sont allés alertés le maître des lieux. Je n’ai pas pu entrer. Mais je sais qu’il a été informé de mon arrivée. Les gens m’ont demandé, à nouveau, de partir. J’ai refusé en leur disant que même si je devais partir, il me fallait prendre un taxi. Les vigiles sont entrés dans la maison pour en sortir avec un billet de dix mille (10000) francs qu’ils m’ont remis. J’ai fait mine de refuser pour rester. Les dix mille francs (10 000 francs) venaient, j’en suis persuadé, de la poche du Vieux.
En fait, je ne savais même pas pourquoi j’étais là et si j’avais réellement besoin d’argent venant d’eux. Sûrement, je ne l’aurais pas n plus refusé si les époux Wade m’en donnaient. Je savais que c’était trop risqué pour eux de m’en demander beaucoup, car ils devaient se douter si j’étais venu ou non avec des policiers, ou si j’étais suivi. Une connexion solide serait rapidement établie si je ressortais de là avec beaucoup d’argent. Or, avec 10 000 francs, ils ne risquaient rien. C’est mon interprétation personnelle. »
Tout en se sachant activement recherché, Pape Ibrahima Diakhaté se permet des sorties nocturnes assez risquées. Il est, en fait, convaincu que sa cabale prend bientôt fin. Il passe chez Lamine Faye, avant d’aller se présenter chez Abdoulaye Wade. Cet homme est un grand neveu du président qui occupe, aujourd’hui, le premier rang de la garde rapprochée du Chef de l’Etat.
On rappelle que ce dernier avait reconnu, devant les enquêteurs, d’avoir fait accéder au domicile de Me Abdoulaye Wade, Clédor Sène et Pape Ibrahima Diakhaté, dans la nuit même du 15 mai 1993. Il nie après tout, devant le juge instructeur. C’est lui-même Pape Ibrahima Diakhaté qui déroule le film des évènements, avant qu’il ne se rende chez Abdoulaye Wade. Il se souvient:
« Je suis allé chez Lamine Faye. A son domicile à Colobane. Je suis entré dans la maison et j’ai demandé à ma copine de m’attendre dehors. Dès que je suis rentré, Lamine Faye me reçoit. Il me met en garde et me demande de faire attention. Il me raconte, ensuite, les tortures qui avaient été infligées à Mody Sy. Puis, il dit : [Clédor a accusé Habib Thiam. I Si tu es pris, tu dis la même chose et n’en démords pas]. Je le rassure. Je prends, ensuite, congé de lui, mais il refuse et me retient. Il fait même appeler ma copine qu’il va faire chercher. Elle m’attendait dehors devant la maison des Faye. Nous avons discuté pendant un bon moment. Je suis, ensuite, parti avec ma copine, il était vingt trois heures.
Pape Ibrahima Diakhaté a été arrêté est arrêté le 21 juin 1993. Il revient sur les circonstances de cette arrestation :
« J’étais debout, dans la rue, à discuter avec mon frère quand les policiers m’ont arrêté. Je lui disais que j’allais me rendre. Avant j’avais envoyé ma copine chez nous, pour qu’elle dise à mon frère que j’avais besoin de lui parler car j’avais une décision importante à prendre. Ma copine a cherché, en vain, à l’avoir. Je suis, alors, parti moi-même le voir. En discutant avec lui, j’ai vu les policiers arriver. Ils étaient deux habillés en civil. Ils m’ont conduit au commissariat de Dieuppeul. Je n’y suis pas resté longtemps. Après, j’ai été amené au commissariat du Port. C’était la première fois que je mettais les pieds dans un commissariat de police. Puis j’ai été emmené dans les locaux de la Division des investigations criminelles de la police (Dic). Les policiers m’ont entendu, bien qu’ayant été sous le coup d’un mandat d’arrêt. Quand il y a un mandat d’arrêt, le suspect arrêté doit être immédiatement présenté au juge. Donc, il ne pouvait pas y avoir d’enquête. Je sais pourquoi ils ont procédé ainsi. »
On se souvient que le Premier ministre de l’époque, Habib Thiam portait un intérêt tout particulier au déroulement de l’enquête. Il dira le jeudi 17 juin 193, devant les députés de l’Assemblée, alors qu’il présentait son discours de politique générale, après sa reconduction comme premier ministre, à la suite des élections législatives du 9 mai 1993 :
« Je voudrais dire que nul ne connaît mieux que moi ce dossier. C’est mon rôle de premier ministre. Je peux vous annoncer aujourd’hui qu’un autre élément a été arrêté hier, mercredi 16 juin, il pourrait être décisif dans la quête de la vérité. Il y a certains terrains où on ne me trouvera jamais. J’aurais pu exhiber, ici, devant vous un document assez compromettant. Mais je suis d’avis que ce n’est pas la place publique qui réglera certaines choses. La justice est saisie et toute la lumière sera faite sur cette affaire. Je préfère m’en tenir là. »
En prononçant ses paroles, le Premier ministre est réellement ému. Il écrase des larmes qui en disent long sur son dégoût et sa peine, face à la tentative maladroite du Pds qui, par le biais des accusés, tentent de le salir. Pape Ibrahima Diakhaté ont enregistré ses déclarations sur une cassette audio, pour ensuite la remettre au Premier ministre. Il précise:
« Les policiers m’ont entendu et ont enregistré et transcrit ma déposition. La cassette a été transmise à Habib Thiam qui l’a écoutée. Parce que le jour où je suis allé devant le juge, il s’appelle Cheikh Tidiane Diakhaté, ce dernier est moins intelligent qu’il ne voulait le faire croire, parce que à un moment où on était ensemble, on l’a appelé au téléphone et je l’entendais dire : « oui, il est ici avec moi ». Je n’entendais pas son interlocuteur. S’il ne parlait pas au Premier ministre, il parlait au ministre de la Justice. C’est moi-même qui lui dit : « ne t’excite pas ainsi. Je suis prêt à tout révéler. Ce n’est pas la peine de jouer à ce jeu ». Je savais qu’il subissait des pressions. Il me dit alors : « puisque tu veux parler, je peux t’emmener un avocat. Sinon, je demande au procureur de te commettre un avocat d’office ».
Pape Ibrahima Diakhaté est persuadé que le juge savait qu’il avait l’intention de parler, en disant toute la vérité. Il a décliné l’offre du procureur qui lui propose les offres d’un avocat. Il lui explique qu’il ne sentait pas la nécessité de trouver un avocat car il sait ce qui l’attend. N’empêche, il veut, en ce moment, collaborer avec la Justice pour faire éclater la vérité. Il change, finalement, d’avis et explique pourquoi :
« C’est après que Khoureichi est venu me voir en me disant que c’est ma famille qui l’avait constitué. Il a commencé à me convaincre de ne pas parler. Quand Clédor a su que je voulais parler, c’est à ce moment qu’il a fait une déclaration en disant que j’ignorais tout de l’affaire. Il cherchait à me blanchir. Parce qu’un journal avait révélé mon arrestation et Clédor savait que j’allais parler. C’est à partir de cet instant que la presse a commencé à dire que Clédor était le cerveau du crime. Cela m’amusait. Quel cerveau ? Le cerveau c’était Maître Wade. Voilà. Ceux qui étaient au courant, ceux qui savaient c’étaient : Samuel Sarr, Ablaye Faye, Ousmane Ngom, Viviane Wade. Ils étaient au courant. Karim Wade savait peut-être. Ce que je peux dire avec certitude le concernant, c’est que, pendant la campagne électorale Karim nous avait prêté son arme un magnum.
Qui d’autre était au courant du complot fomenté contre le juge Sèye dans l’entourage de Me Wade de l’époque ? Pape Ibrahima Diakhaté énumère et révèle les noms de tous ceux qui, éventuellement, pouvaient être arrêtés pour complicité ou pour, au moins, non dénonciation de crime :
« Je ne sais pas si Sindjély, était au courant. On a partagé quelques fois la même voiture. Un jour, c’était un jour de vote, on était à la recherche de Ousmane Ngom, qui devait représenter le Pds au Tribunal, pour la vérification des votes. Ce jour-là, nous étions en compagnie de Samuel Sarr pour retrouver Me Ngom. Au retour, il n’y avait qu’elle et moi dans la voiture. Pape Samba Mboup savait. Lamine Faye, également. Jean Paul Dias? Non ! Celui-là, vraiment, je ne peux pas affirmer, mordicus, qu’il savait. Mais de mon point de vue, il ne pouvait pas l’ignorer. Nous ne l’avons jamais rencontré. Mais il m’est arrivé de partager un déjeuner, une fois avec lui, à Kolda. Mais dans cette affaire, non. Mody Sy, c’est un règlement de compte. Parce qu’après 1988, il nous a fait des crasses, des bassesses. Pour se venger, Clédor l’a cité, quand il a été arrêté. Il a fait la même chose pour Modou Kâ. »
A partir de cet instant l’avocat Khoureysi Bâ devient un élément de la procédure ouverte contre Pape Ibrahima Diakhaté. Il joue un rôle de relais entre lui et les autres co-accusés, soutien l’intéressé. Il était aussi leur intermédiaire avec les commanditaires restés dehors. Il était le « passeur » de l’argent régulièrement versé par ces commanditaires. Pape Ibrahima Diakhaté révèle à ce sujet que pendant les six premiers mois de détention il a reçu des versements variant entre cent mille et cent cinquante mille francs Cfa. Ces montants ont substantiellement baissé à trente et quinze mille francs Cfa.
L’avocat a par la suite pris ses distances avec les accusés. Diakhaté indique à ce sujet :
« Quand on se présentait devant la Chambre d’accusation Khoureichi n’était plus régulier. Il ne venait plus nous voir. Nous nous sommes demandé pourquoi il avait subitement arrêter de venir vers nous, alors que jusqu’ici il s’était bien comporté à notre égard, en essayant du maximum qu’il pouvait pour nous aider à sauver nos têtes. Il est vrai qu’il le faisait au préjudice de la vérité attendue. Il travaillait en bonne intelligence avec le Pds. Vrai ou faux, nous avions eu des informations nous apprenant que Djibo Kâ avait rencontré Khoureichi la veille de notre audition par la chambre d’accusation. Djibo Kâ, à l’époque, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur aurait longuement discuté avec lui d’une importante déclaration que nous avions l’intention de faire. Semble-t-il, en s’entretenant avec lui, le ministre désirait l’amener à nous convaincre d’y aller pour faire une déclaration réhabilitant nos premières auditions, celles de Clédor Sène et les miennes qui avaient toutes mises en cause le Pds. Nos informateurs nous avaient indiqué que le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur aurait tenté, pour ce faire, de remettre 7 millions de francs Cfa à l’avocat. Cette rencontre avait été révélée par la presse. »