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Crèches au Sénégal : Combien de bébés devront encore mourir avant que l’Etat n’agisse ?

Le Sénégal est une nouvelle fois endeuillé. Ce lundi 8 décembre 2025, un bébé de huit mois a perdu la vie dans une crèche clandestine à Thiès. Face à ce drame insupportable, je prends la plume, non seulement comme professionnel de la petite enfance, mais aussi comme parent, citoyen et témoin direct d’un système qui vacille depuis trop longtemps.


Rédigé par leral.net le Mercredi 10 Décembre 2025 à 15:48 | | 0 commentaire(s)|

Crèches au Sénégal : Combien de bébés devront encore mourir avant que l’Etat n’agisse ?
"Un drame de plus… et toujours les mêmes questions. Ce décès n’est pas un fait isolé. Il s’inscrit dans une série de tragédies qui, depuis cinq ans, révèlent les mêmes défaillances, la même inertie, et malheureusement… les mêmes conséquences. Depuis la perte de mon fils en 2020, j’ai espéré — peut-être naïvement — qu’aucune famille ne revivrait cette douleur.

Mais l’actualité nous rappelle cruellement que notre système de protection de la petite enfance, n’a guère évolué. En 2023, l’affaire « Ker Yeurmandé » avait pourtant mis en lumière des actes de maltraitance d’une extrême gravité dans une crèche de Dakar. Le choc, l’indignation, la colère collective avaient laissé penser que des réformes majeures seraient inévitables.

Deux ans plus tard, l’histoire se répète : les mêmes négligences, les mêmes failles et, au bout de la chaîne, les mêmes victimes — nos enfants. Il faut le dire avec lucidité : le système sénégalais de prise en charge de la petite enfance, est à bout de souffle. Un décret vital… oublié dans les tiroirs. Depuis plusieurs années, un décret fixant les normes de sécurité, d’hygiène, de formation et de contrôle des crèches, a été rédigé, validé techniquement et transmis pour signature. Pourtant, il n’a jamais été promulgué.

Comment comprendre qu’un texte aussi essentiel, conçu pour protéger les nourrissons et les jeunes enfants, reste bloqué sans justification ? Comment admettre que cette immobilisation administrative puisse continuer à coûter des vies ?

Faute de cadre légal contraignant : ¬ les inspections restent sporadiques ; ¬ les normes ne sont pas obligatoires ; ¬ les sanctions sont difficiles à appliquer ; ¬ les crèches clandestines prolifèrent dans un vide réglementaire alarmant. C’est une défaillance majeure de gouvernance qui fragilise les plus vulnérables.

Un modèle institutionnel dépassé

Actuellement, la petite enfance est rattachée au ministère de l’Éducation nationale. Or, cette orientation, que je conteste depuis le début, est inadaptée. La petite enfance mobilise des compétences en santé, nutrition, psychologie, protection sociale, hygiène, sécurité civile… Aucun de ces domaines ne relève prioritairement de l’Éducation nationale. Ce rattachement limite : la capacité de contrôle ; ¬ la coordination intersectorielle ; ¬ la rapidité d’intervention en cas d’urgence ; ¬ la professionnalisation des acteurs ; ¬ la place de la petite enfance dans les priorités publiques.

Résultat : un système fragmenté, peu contrôlé, qui se retrouve livré à lui-même. 

CRÈCHES AU SÉNÉGAL : COMBIEN DE BÉBÉS DEVRONT ENCORE MOURIR AVANT QUE L’ÉTAT N’AGISSE ?

Pour une réforme institutionnelle urgente

La solution, à mes yeux, est désormais évidente : L’Agence Nationale de la Petite Enfance et de la Case des Tout-Petits (ANPECTP), doit être placée sous l’autorité directe de la Présidence ou de la Primature. Ce changement offrirait : ¬ une coordination efficace entre les ministères compétents ; ¬ des décisions rapides ; ¬ un contrôle rigoureux et permanent ; ¬ une lutte systématique contre les structures clandestines ; ¬ un financement cohérent ; ¬ une stratégie nationale ambitieuse pour les 0–5 ans.

Nos enfants ont besoin d’un leadership fort, capable de protéger ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes.

Protéger les tout-petits : un impératif moral et national

Dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 20 ans, la manière dont nous prenons soin de nos plus jeunes, est le premier indicateur de notre avenir collectif. Aucune nation ne peut prétendre au progrès, si elle ne garantit pas un environnement sûr à ses enfants dès leurs premiers mois de vie. Il est également urgent de rompre avec le silence social qui accompagne ces drames.

La mort d’un enfant dans une crèche devrait déclencher un débat national, et non simplement, un cycle médiatique éphémère.

Mon appel au Président et au Premier Ministre

Je formule aujourd’hui une demande solennelle : ¬ La signature immédiate du décret en attente au ministère de l’Éducation nationale ; ¬ Le rattachement de la petite enfance à la Présidence ou à la Primature ; ¬ La mise en place d’un dispositif permanent de contrôle des structures d’accueil ; ¬ La réforme de la formation du personnel ; ¬

Une stratégie nationale de lutte contre les crèches clandestines

Il n’est plus possible d’attendre. Il n’est plus acceptable de compter les morts. Il faut agir — et agir avec courage. L’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, est pourtant clair : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » Il est temps que cette règle guide réellement nos politiques publiques.”


Magor Dia,
Coordonnateur de Impact Social Sénégal

Ousseynou Wade