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D’UNE FRANCOPHONIE SUSPECTE À UNE ANGLOPHILIE ALÉATOIRE

Rédigé par leral.net le Mardi 27 Mai 2025 à 01:39 | | 0 commentaire(s)|

C’est un fait que de plus en plus, on note une prise de distance de certains pays d’Afrique subsaharienne par rapport à la Francophonie. En effet, fin février début mars 2025 le Niger, le Burkina et le Mali ont annoncé au monde leur retrait...

C’est un fait que de plus en plus, on note une prise de distance de certains pays d’Afrique subsaharienne par rapport à la Francophonie. En effet, fin février début mars 2025 le Niger, le Burkina et le Mali ont annoncé au monde leur retrait de cette organisation Internationale. Trois ans auparavant, en 2022 le Gabon et le Togo, tout en restant membres de la Francophonie avaient également informé de leur adhésion au Commonwealth.  Bien plus tôt, en 2009 le  Rwanda ouvrait la voie du basculement vers la communauté anglophone en y adhérant, après avoir remplacé, l’année d’avant (2008) le français par l’anglais dans son système éducatif. Pour le cas du Sénégal,  pour la première fois de l’histoire de l’OIF , le président  n’a pas participé au sommet de l’institution, tenue cette année du 4 au 5 octobre  en France. Cette absence ne pouvait pas passer inaperçu en raison du rôle pionnier du Sénégal dans la création de la Francophonie, le président Léopold S. Senghor  figurant parmi ses fondateurs, et son successeur le président Abdou Diouf, en ayant été le Secrétaire Général de 2003 à 2014.

Malgré la présence de la Ministre de l’Intégration et des affaires étrangères, qui a représenté le Sénégal à ce sommet, cette absence du président  a pu être interprétée  comme l’amorce  d’un détachement par rapport à la francophonie, interprétation confortée par la nouvelle décision  d’introduction et de généralisation de l’anglais aux cycles préscolaire et élémentaire de l’école sénégalaise.

Après avoir souligné et discuté sommairement la montée de tendances francocentristes pouvant justifier le désamour constaté vis-à-vis de la francophonie, l’objet de cette communication est de s’interroger cependant sur la pertinence du virage tous azimuts vers l’anglais sur le terrain linguistique et éducatif.

1-Il faut rappeler que  la francophonie de ses débuts jusqu’en 1995   était   centré sur le français à l’exclusion de toutes les autres langues de l’espace francophone. Elle   ne prônait que la promotion du français, sa défense et  son illustration . Le rapport  entre cette langue et celles   africaines était alors un rapport conflictuel. Pour cette raison, la francophonie était mal vécue sinon rejetée par une bonne frange de l’élite africaine qui considérait qu’elle ne faisait que perpétuer le système glottophagique colonial, dans lequel l’emploi des langues africaines était interdit. En effet, l’arrêté 1207 du 27 octobre 1911 autorisant la création d’écoles maternelles  stipule en son article 4  que « l’emploi des idiomes locaux est formellement interdit »  et l’article 34 fixant l’organisation générale de l’enseignement, en son alinéa 4 précise qu’ « il est interdit aux maîtres de se servir avec leurs élèves des idiomes du pays ». En 1817 quand Jean  DARD, le premier instituteur  laïc envoyé officiellement par la France au Sénégal préconisa le recours aux langues sénégalaises pour dispenser les premiers enseignements, il fut immédiatement relevé et renvoyé en France.

Mais à partir de 1995, une nouvelle  francophonie est déclarée au VIème sommet de Cotonou  où le concept de partenariat linguistique est lancé par  le président Abdou DIOUF. Le virage idéologique est confirmé par les Etats Généraux de Libreville convoqués en 2003 par Abdou DIOUF, devenu Secrétaire Général de l’OIF, et qui  engagent  la francophonie dans la prise en compte et la promotion de la diversité linguistique et culturelle ;  diversité  englobant celle interne au français  avec l’existence de variétés régionales  et celle multilingue  renvoyant aux autres langues de l’espace francophone. Dans cette nouvelle perspective,  le français, langue commune, continuera  à être consolidé, mais les autres langues  seront  respectées et revalorisées, dans un  rapport de complémentarité et non plus conflictuel.

Ce virage idéologique explique l’intérêt que l’OIF accorde depuis lors aux expériences d’enseignement bi/plurilingue menées dans plusieurs  pays d’Afrique francophone, qui mettent en cohabitation  le français et les langues africaines dans les systèmes éducatifs.

Cela s’est d’abord concrétisé par le  programme LASCOLAF (Langues de Scolarisation en Afrique), mis en oeuvre dans six pays d’Afrique et qui consistait à faire le bilan des expérimentations d’enseignement bi-plurilingue.  Cet intérêt est maintenu à travers  l’initiative ELAN (Ecole et Langues Nationales) consistant à appuyer  la poursuite et  l’extension  de cet enseignement bi-plurilingue, une fois constatée sa supériorité par rapport à l’enseignement exclusif en français,

Ce partenariat bien engagé et prometteur gagnerait à être consolidé pour une francophonie qui soit sentie par les africains comme un cadre de dialogue interculturel et de valorisation des langues et cultures africaines à côté du français.

Malheureusement, aujourd’hui il y a lieu de craindre un retour en force à une francophonie  francocentriste , si l’on en juge  par des éléments indicateurs de l’idéologie  originelle .

1-Le premier type  de ces éléments renvoie aux griefs exprimés par les pays  qui prennent leur distance, griefs d’un déficit de démocratie interne, faisant que certaines décisions de l’organisation  sont perçues comme imposées par la France et ne prenant pas en compte les aspirations et intérêts légitimes des africains.

2-Le deuxième type d’éléments renvoie aux analyses  d’experts français comme celles qu’on peut lire dans le rapport de Jacques ATTALI, établi à la demande du président François HOLLANDE  en 2014 et intitulé La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable  et selon lesquelles réflexions :«Le progrès des langues dialectales en Afrique francophone est un risque pour la francophonie » (page 6)

C’est bien là une remise en cause du concept de partenariat. L’analyse est, du reste, mal fondée puisque l’enseignement bilingue par lequel se réalise ce partenariat à l’école a pour objectif d’améliorer la qualité des apprentissages à la fois des connaissances disciplinaires et de la langue française.

-Dans le même sens, Louis-Jean Calvet, Professeur à l’Université de Provence, dans un texte intitulé « Mondialisation, langues et politiques linguistiques », propose un schéma gravitationnel dans lequel l’anglais fonctionnerait comme une langue « hypercentrale » autour de laquelle graviterait une dizaine de langues « supercentrales » (le français, l’espagnol, l’arabe, le chinois et quelques autres grandes langues). Autour de ces langues supercentrales graviteraient à leur tour cent à deux cents langues dites « centrales » qui correspondraient  aux principales langues locales véhiculaires. Chacune de ces langues serait à son tour le pivot de gravitation de plusieurs autres petites langues locales. L.-J. Calvet. considère que dans ce schéma à trois niveaux : Langue hypercentrale (internationale) / langue supercentrale (langue de l’Etat) / langue centrale (langue locale grégaire), il n y a de places que pour deux langues.  Il affirme : “ la logique de la mondialisation suppose la disparition de la seconde de ces trois langues, la langue de l’Etat ” (p. 5). Et à la suite, il présente cette éventualité comme à risque pour la francophonie et le français à l’instar de ATTALI en affirmant :

« Il semble qu’en voulant systématiquement protéger ou promouvoir les « petites » langues (…) on joue avec le feu, surtout si cette protection se fait au détriment des langues intermédiaires, des langues des États.  [càd des langues officielles actuelles] ( p. 7).

Une telle conception ne va pas dans le sens d’une  francophonie qui « doit respecter la souveraineté des Etats, leurs langues et leurs cultures » comme stipulé dans la charte  votée en 1995 à Cotonou par le VIe sommet des chefs d’états.

Du reste, à y regarder de près, Calvet surévalue les chances d’évolution de l’anglais en Afrique liées à la mondialisation, et ne justifie guère l’idée qu’il n y a que deux places pour trois langues, qui oblige à choisir soit le duo anglais-français ou le duo anglais-LN.

En effet, l’Afrique ne vit pas les mêmes contraintes que l’Europe face à la mondialisation. Les pays d’Europe sont engagés comme acteurs dans le processus de cette mondialisation. L’ouverture du marché et la mobilité de la main d’œuvre posent de plus en plus la nécessité d’une langue unique  à vocation universelle : rôle que la langue anglaise semble être la mieux placée à remplir. Cela n’a pour autant amené aucun état européen à choisir l’anglais comme langue officielle, ni même l’UE à choisir l’anglais comme unique langue européenne.

L’Afrique, qui représente moins de 3% du marché mondial,   n’est pas impliquée au même degré dans le processus de la mondialisation, du fait de la faiblesse de son économie et de ses infrastructures industrielles. La question d’une langue globale ne se pose pas directement par les réalités économiques.

L’exemple du Rwanda d’adopter en 2003 l’anglais comme langue officielle à côté du français et du Kinyarwandi et en 2008 comme langue d’enseignement en remplacement du français à tous les niveaux du système éducatif relève plutôt d’une démarche politique que d’une prise en compte de la dynamique du pays et de l’école rwandaise.

Dans la plupart des pays francophones d’Afrique subsaharienne la tentation est grande de copier cet exemple rwandais, le dernier en date étant l’Algérie. Cependant, il y a lieu de constater que cet exemple n’a pas donné les résultats escomptés si tant est que les résultats attendus étaient d’améliorer les performances scolaires et d’augmenter le nombre d’anglophones parmi l’élite rwandaise. En effet, l’introduction brutale de l’anglais comme medium de l’enseignement à l’école élémentaire en remplacement du français a plutôt entraîné, comme on pouvait s’y attendre, une grande cacaphonie dans le système éducatif avec pour conséquence un enseignement au rabais. Faisant, à mis parcours, le bilan de cette réforme, Joséphine Tuvuzimpundu (2014) fait le constat suivant:

« Quand la langue d’enseignement n’est maîtrisée ni par les élèves/étudiants ni par les enseignants, on ne peut s’attendre qu’à un enseignement catastrophique. Les enseignants eux-mêmes reconnaissent qu’ils n’arrivent plus à donner aux élèves ce qu’ils sont censés leur donner car, disent-ils, « on ne donne que ce que l’on a ». Un d’eux s’exprime avec regret :

« Avec le lancement brutal de cette réforme, nombre d’enseignants se sentent coupables de ne rien donner aux enfants car on ne donne que ce qu’on a. Il arrive que les élèves passent une semaine sans rien apprendre car les enseignants doivent apprendre quelques notions de ce qu’ils vont enseigner. Nous qui n’avons pas appris l’anglais pendant notre formation, il nous est difficile de l’apprendre au travail » (p. 19).

« Les enseignants sont donc tous obligés de se mettre à l’apprentissage de l’anglais. Cependant ils n’arrêtent pas de confesser que les enfants n’y gagnent rien » (p. 19).

Ce constat de Joséphine Tuvuzimpundu ne devrait nullement surprendre étant donné que le personnel enseignant rwandais est essentiellement francophone.

L’anglais est certes une langue dont il faut promouvoir l’usage eu égard au rôle important qu’il joue dans le monde .  Ce rôle de lingua franca sur le plan international devrait cependant être considéré à sa juste mesure. En effet, cette représentation de  l’anglais comme une langue globale, homogène partagée par tous, est en réalité un mythe.

La variation linguistique, observable dans toutes les langues de grande diffusion,  fait qu’en réalité on ne parle pas tout-à-fait la même langue quand on est dans des aires culturelles et géographiques différentes. Les mêmes mots peuvent avoir des sens différents, de même que les mêmes réalités peuvent être désignés par des mots différents. Ainsi, pour l’anglais qui offre la meilleure illustration de cet état de fait parce qu’étant la langue la plus répandue dans le monde, il existe des divergences, entraînant même des ratés de communication et des incompréhensions, entre les différentes variétés parlées en Grande Bretagne, aux USA, en Australie, en nouvelle Zélande, au Ghana, au Nigéria, etc.

Même à l’intérieur des USA, les variétés d’anglais parlées à Brooklyn, à Boston, ou dans le Sud présentent parfois des différences lexicales qui impactent sur l’intercompréhension.

Ces faits de variation, que l’on feint d’ignorer quand on présente l’anglais comme une langue homogène, sont la source d’importants problèmes de communication avec assez souvent des conséquences catastrophiques. Ainsi, dans le domaine de la navigation aérienne, KENT, Jones dans un rapport intitulé Des inconvénients de la langue anglaise pour les communications aéronautiques internationales, (2010) affirme avoir relevé 569 accidents aériens dus à un déficit de communication entre pilotes et aiguilleurs du ciel ne parlant pas la même variété d’anglais.

Selon lui « Le manque de compétence de pilotes et d’aiguilleurs du ciel de langues maternelles différentes à utiliser la langue anglaise est cause d’accident d’avions. C’est d’ailleurs l’une des 5 catégories d’accidents selon la Fondation sur la Sécurité Aérienne » (p. 2)

Il ajoute qu’ « Il arrive même que les pilotes américains eux-mêmes se heurtent à des difficultés en utilisant la langue anglaise étant donné qu’ils parlent des dialectes et aussi du fait que l’anglais regorge d’homonymes et d’homophones, ce qui peut donner lieu à des interprétations erronées » (p. 2).

Il est par ailleurs constaté que , dans certaines entreprises internationales ayant un personnel de différentes nationalités, l’emploi de l’anglais a entraîné une baisse de performance due aux ratés de communication.  Ce qui amène de plus en plus d’experts à préférer à la place d’une communication monolingue en anglais, une interaction plurilingue avec traduction et/ou  interprétation. Ce que va faciliter  aujourd’hui l’avancée technologique avec l’IA qui permet un échange en temps réel entre locuteurs de langues différentes. Si bien que de nos jours on apprendra une langue étrangère non plus par nécessité mais par luxe, pour le plaisir ou par atavisme, notre nature humaine nous prédisposant à cela.

En tout état de cause, la nécessité de promouvoir l’anglais ne devrait pas amener à risquer une perturbation des systèmes éducatifs  par son introduction  aux cycles préscolaire et élémentaire, introduction qui ne ferait qu’alourdir les charges d’apprentissages et éventuellement mutiler l’enseignement de disciplines fondamentales à l’épanouissement cognitif des élèves ainsi que celui essentiel des langues nationales .

Au Sénégal, la généralisation de cet enseignement exigera que l’ensemble du personnel enseignant ait une compétence satisfaisante et en langue anglaise et en didactique des langues étrangères, comme cela est suffisamment renseigné dans le cadre du bilinguisme français/ langues nationales. Cela nécessite un vaste programme de formation à la fois initiale et continu qu’on ne saurait réduire à un recyclage sommaire d’instituteurs bacheliers ou ayant fait l’université.

A notre avis, il n’ y a pas nécessité  pour le Sénégal d’introduire l’anglais à l’école élémentaire, puisqu’il existe un long dispositif d’enseignement de cette langue, dans les cycles moyen-secondaire et universitaire, qu’il  convient simplement d’ajuster pour réussir à améliorer les performances des élèves et des étudiants. L’anglais est, en effet, présent comme matière d’enseignement de la 6ème  des lycées et collèges au doctorat. Ainsi, les élèves de terminal comme les étudiants toutes facultés confondues possèdent un stock lexical et grammatical qui  leur confére une compétence au moins passive de l’anglais. L’ajustement consistera à renforcer la pratique de l’oral en multipliant dans les écoles et universités les clubs de langue anglaise, le constat étant fait que, les membres de ces clubs de langue attestent déjà d’un niveau de compétence orale en anglais assez satisfaisant.

Pour conclure, la francophonie offre certes à ses membres africains l’opportunité d’un cadre de solidarité et de collaboration aux avantages divers, en particulier sur le terrain de l’éducation et de la formation. Des efforts doivent cependant être faits pour lever les tendances au francocentrisme, maintenir et renforcer le partenariat linguistique et culturel engagé dans les années 90, consolider la dimension économique et élargir la démocratie à la prise en compte des aspirations des peuples et états africains à l’autonomie et la souveraineté. L’élan porté vers la langue anglaise qui s’explique à la fois par le dépit vis-à-vis de l’organisation francophone mais surtout par le rôle hégémonique de cette langue sur la scène internationale doit être lu avec réalisme comme déterminé par la dynamique mondiale, mais une dynamique qui, au-delà de la francophonie, constitue un défi au monde entier pour la diversité et la préservation des langues et cultures, quelles qu’elles soient, diversité qui fait la richesse et la beauté de l’humanité.

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Alioune


Source : https://www.seneplus.com/opinions/dune-francophoni...