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Mercredi 22 Mars 2017

Dans "Un Dieu et des moeurs", Elgas nous parle d'un Sénégal aux moeurs souffreteuses


“ On ne soupçonne que très peu la providence qu’assure la misère” ! Ce propos liminaire, en première ligne du roman, est rude. Et, avec "Un Dieu et des moeurs" paru chez Présence Africaine, il faudra s’y faire le long des 336 pages qui sculptent et interrogent le Sénégal d’aujourd’hui.



Dès l’atterrissage du vol AF718 du 24 juillet 2013 en provenance de Paris, je savais que, de vacances, il ne serait pas question. Il y avait une urgence, une urgence sociale, une urgence grave, hélas dévaluée par la société entière, qui accepte qu’au nom de la trahison, de la pauvreté, on compte les morts, les malades, ce que le dénuement inflige aux corps et aux esprits, avec toujours la jovialité d’un renoncement comme façade de diversion. Cela comme un destin évident et invincible“.

À chaque ligne, de ce récit atypique, on est introduit dans la peau des personnages, et des choses. Comme devant la natte de l’excision avec ses horreurs : “A midi, terrassées par la douleur, sans doute vaincues par la souffrance, abattues, les filles dormaient à côté de leurs flaques de sang“. Ou encore, après les sorts de Ndeey B, l’excisée, et Fatou C dans les turbulences de la guerre en Casamance, le destin de Jean, un 2 puces, expression locale qui désigne les homosexuels.

À cause de cette indifférence, qui mène souvent au suicide, et d’autres comportements abjects, Elgas parle à sa terre : “Ma famille qui y vit, mes proches qui y meurent, mes amis qui y voient toujours leurs perspectives se clore, m’invitent à raconter mon désarroi. ” Alors, “je trempe la plume dans un encrier de sanglots, de sang, de boue, de douleur“.

Chaque détail a son souffle. Jusqu’au quotidien des rats de Ziguinchor, dont la viande figure sur les feuilles d’ordonnances des hôpitaux ! On l’a compris, l’auteur veut dire, nommer les blessures. Alors, “les histoires narrées ici ne s’alourdissent pas de la fiction. Elles restituent un vécu, s’enrichissent de témoignages proches, romancent et recoupent des tranches de vie”. Et le tout se construit “à l’aube où même les coqs se joignaient au silence d’un matin sobre“.

L’auteur, Elgas, n’a que 28 ans. Doctorant à Caen en France, né à Saint-Louis, et ayant grandi à Ziguinchor, il semble être d’une autre génération. Celle de la liberté, qui n’épargne rien, même à heurter les idées reçues. “je n’ai jamais goûté aux critiques belliqueuses de ceux qui empoignaient virilement la France comme objet de nos maux. C’est une fumisterie , écrit-il. La France est un mal plus supportable que le mal sénégalais “.

Il charge les responsables politiques, mais pas seulement. Les familles en prennent pour leur grade, sur la haie de l’émigration. Une trahison des siens ! “L'émigration, c’est de la prostitution, dit-il. Elle en a toutes les tares et tous les services en retour.”

Avec le voyage, sans retour souvent, qui accompagne ceux qui prennent l’aventure à tous risques, il cite avec remords un cas : “Fodé est mort en vomissant son pays, son état, ses valeurs, ses travers, tous les litres d’eau de l’océan, calice qu’il but jusqu’à la mort “.

Avec des analyses, par moments drues, sur la politique, la dégradation des moeurs, la corruption, l’exploitation des enfants talibés, la banalisation de la santé, la prégnance du religieux qui s’invite à tout, ce livre n’est qu’un cri. Un refus de la complaisance et de l’inertie.

En 15 nuits et 15 portraits, tableaux sans concessions, nous sommes conduits à l’ombre de vies réelles, toilettées et souvent cachées. Une écriture sincère, sans voyeurisme pour autant, restitue les dessous de quotidiens rarement avoués. Elgas signe là une oeuvre au souffle fort. Les phrases, longues ou ciselées, baignent dans une parfaite maîtrise de la langue française. Une signature à surveiller.

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