Leral.net - S'informer en temps réel

De Gaulle : «Vous êtes les enfants d'un grand peuple»

Rédigé par leral.net le Lundi 24 Septembre 2012 à 12:45 | | 0 commentaire(s)|

Du 4 au 9 septembre 1962, le président français parcourt toute l'Allemagne prononçant une dizaine de discours, dont six en allemand appris par cœur, s'adressant au grand public pour exalter le rapprochement des deux pays.


De Gaulle : «Vous êtes les enfants d'un grand peuple»
C'était l'année du premier tube des Beatles Love me do et de la victoire d'une équipe brésilienne de rêve au Mondial de football. Mais pour les Allemands, 1962 reste gravée dans l'Histoire comme l'année du général de Gaulle. Le 9 septembre, l'ancien officier français, qui avait combattu l'Allemagne dans les deux guerres mondiales, achève à Ludwigsburg une tournée triomphale de six jours outre-Rhin. Son discours à la jeunesse est l'acte fondateur de la réconciliation franco-allemande scellée par de Gaulle et son ami le chancelier Konrad Adenauer.

Du 4 au 9 septembre 1962, le président français parcourt toute l'Allemagne prononçant une dizaine de discours, dont six en allemand appris par cœur, s'adressant au grand public pour exalter le rapprochement des deux pays. À Duisbourg, il parle aux ouvriers de l'usine sidérurgique de Thyssen, les appelant «Meine Herren», «Messieurs». À Hambourg, il s'exprime devant l'armée. Et dans la cour du château de Ludwigsburg, il félicite les jeunes Allemands «enfants d'un grand peuple qui au cours de son histoire, a commis de grandes fautes».

Dix-sept ans après la capitulation du régime nazi, l'Allemagne est encore hantée par le sentiment de culpabilité de l'Holocauste, par sa défaite et sa division après la construction du mur de Berlin en 1961. «C'était une autre époque, explique l'historienne Corinna Franz de la fondation Konrad Adenauer. Les contacts entre les citoyens des deux nations étaient presque inexistants. Beaucoup de Français s'opposaient à la réconciliation. Les Allemands étaient écrasés par le poids du nazisme. Et là arrive le général de Gaulle, évoquant le grand peuple allemand. Il a fait sensation. C'est comme s'il était venu nous libérer ou nous absoudre du poids de notre passé.»

Assis au premier rang pendant le discours du général, Manfred Feldmann avait 19 ans à l'époque. Lycéen à Kornwestheim, une petite ville du Bade-Wurtemberg jumelée avec Villeneuve-Saint-Georges, Manfred venait de participer au premier échange d'étudiants franco-allemands. «Au début j'étais très impressionné, se souvient-il. Puis j'ai brûlé de plaisir en entendant les paroles du général. J'aimais tant la France. Mais nos fautes pendant la guerre nous empêchaient de faire le premier pas de la réconciliation. Nous étions une nation défaite à tous les points de vue. Seul de Gaulle pouvait l'oser. Et il l'a fait avec une classe immense.» La ferveur monte au fil du discours, dont les spectateurs allemands ponctuent les moments forts par des «vive la France».

Sans notes, de Gaulle s'est adressé à plus de 7000 personnes en allemand «dans une langue très littéraire» pendant dix minutes, raconte l'interprète allemand du général, Hermann Kusterer. «C'était une performance exceptionnelle, se souvient Kusterer. Il venait de parcourir pendant six jours l'Allemagne, avait tenu en allemand plusieurs discours appris par cœur. C'était terriblement éprouvant. Personne ne s'attendait à cela. Certains politiques ont tenté de minimiser la portée de son voyage. Mais il a enthousiasmé les Allemands.» Dès la fin du discours quelque 500.000 personnes envahissent les rues de Ludwigsburg, pour tenter d'apercevoir le Général.

Une haie d'honneur
Le Général avait une parfaite maîtrise de la langue de Goethe, obligatoire à Saint-Cyr et qu'il avait perfectionnée lors de ses années de captivité pendant la Première Guerre mondiale. Ce qui ne l'a pas empêché de trébucher sur un mot, avant de se reprendre avec une agilité d'équilibriste, qui a impressionné son interprète. Mais le général était furieux. En se rendant à l'aéroport, où il doit prendre l'avion pour la France, il lâche à son traducteur «j'ai raté mon coup». En fait, «les gens ne s'en sont pas rendu compte», assure Kusterer.

Pour son dernier trajet avant son départ d'Allemagne de Gaulle fait un triomphe. Les 30 kilomètres d'autoroute reliant Ludwigsburg à l'aéroport de Stuttgart sont fermés pour le laisser passer. Les Souabes, qui reviennent de week-end, se retrouvent bloqués. Mais, loin de se fâcher, ils descendent de leur voiture pour lui faire une haie d'honneur et le saluer amicalement de la main. L'été suivant, Abitur (le bac allemand) en poche Manfred Feldmann, le lycéen de Kornwestheim, part faire du camping en France. Puis il travaillera pour une filiale de l'entreprise française Alcatel. Aujourd'hui âgé de 69 ans, Manfred passe toujours ses étés en France, cultivant une amitié, qui ne s'est jamais démentie.

Cinquante ans plus tard, Angela Merkel et François Hollande, tenteront de retrouver, ce samedi à Ludwigsburg, un peu de cette ferveur. L'exercice sera délicat… L'enthousiasme des relations naissantes a cédé la place à une forme de normalité, qui s'installe dans les vieux couples. À eux de rallumer la flamme.


Par Patrick Saint-Paul