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Découverte / Une figure d’hier présente dans nos mémoires: Emile Badiane, qui était-il ?

Jusqu’à sa mort en 1972, Emile Badiane était un acteur clé, ayant apporté une pierre à la construction citoyenne de la jeune nation sénégalaise. Ce fidèle allié du Bloc démocratique sénégalais (Bds) de Senghor, était un acteur politique endurant, combatif et redoutable, qui a su avec habilité imposer une bipolarisation de l’arène politique dans le sud, autrefois dominé par la SFIO de Lamine Guèye.


Rédigé par leral.net le Mardi 24 Août 2021 à 16:14 | | 0 commentaire(s)|

En décrivant le sens de sa signature tel qu’« un chemin de fer qu’il avait rêvé pour sa Casamance natale », Emile Badiane venait encore d’affirmer son engagement à œuvrer pour le développement de sa région. Un développement matérialisé par un Sénégal desservi du nord au sud, de l’est à l’ouest, par une voie ferrée. Brillant intellectuel, Emile Badiane était l’un des premiers leaders politiques du département de Bignona qui savait tirer son épingle du jeu. Cet enseignant rompu à la tâche est né en 1915 à Tendiéme, dans le département de Bignona, d’une mère ménagère et d’un père très engagé dans la sphère de l’église catholique coloniale. Il s’illustra parmi les jeunes de sa génération, en obtenant d’excellents résultats scolaires, en dépit du « véritable calvaire l’obligeant tous les jours, matin et soir à faire le trajet, pieds nus, Tendième-Bignona », raconte Atab Bodian, consultant international en aviation civile à la retraite.

Le formateur

Conscient que le devenir de son pays dépend sans doute de la formation des concitoyens, il misa tôt sur l’éducation et la formation, deux secteurs incontournables pour la mutation « d’une société aussi traditionnelle que la nôtre », disait-il lors de la cérémonie de pose de première pierre de l’Ecole nationale des cadres ruraux de Bambey en 1963. Et donc, une telle vision était un secret de Polichinelle. Puisqu’en juin 1935, alors major de sa promotion à l’Ecole normale William Ponty, établie à l’époque sur l’Ile de Gorée, avant sa délocalisation à Sébikotane en 1937, Emile Badiane choisit d’enseigner dans les régions de la périphérie, afin de contribuer à la formation des futures élites du pays.

Il prit service dans la région du fleuve, l’actuel Podor, avant de sillonner une partie de la Casamance naturelle : Baïla, Djianaki, Balingore, Bessire. Emile gravit les échelons en devenant chargé d’enseignement puis directeur au cours Normal de Sédhiou à l’issue d’un stage à l’école primaire supérieure Blanchot de Saint-Louis en 1947. Cette même fonction de directeur qu’il a occupée durant 7 ans à l’école primaire de Nyassia jusqu’en 1958, est restée indélébile dans l’esprit de l’ancien représentant du Sénégal au Conseil de sécurité de l’organisation des Nations-Unies, Saliou Cissé. Ce dernier se souvient de l’élégance et de l’assiduité de cet instituteur hors pair, nonobstant les coups de règle qu’il administrait aux retardataires en guise de punition. « Les coups étaient tellement forts que nous sentions la douleur jusqu’au lendemain », a révélé l’ancien diplomate.

Fidèle allié de Senghor

C’est grâce à sa rigueur, sa vision futuriste et son sens élevé de leadership, qu’il fut propulsé au-devant de la scène politique et sociale. Au sein du Bloc démocratique sénégalais (BDS), où il militait, il dévoua fidélité et loyauté à Léopold Sédar Senghor. Comme pour lui témoigner de sa confiance, le chef de l’Etat lui confie, le Secrétariat d’Etat chargé de l’information, de la Radiodiffusion et de la Presse (1959 -1960), puis le ministère de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle, qui subit plusieurs modifications entre 1960 à 1970 ; ensuite, il fut ministre de la Coopération technique de 1970 au 22 décembre 1972, date à laquelle il tira sa révérence en sa résidence à Fann.

Emile Badiane a su, à la tête du département qu’il a occupé, inscrire en priorité de son agenda, la coopération sud–sud, malgré un contexte sous régional tendu. Ainsi qu’il contribua à l’apaisement de la tension qui prévalait à la frontière avec la Guinée-Bissau sous colonisation portugaise. A plusieurs reprises, il est intervenu auprès l’armée portugaise qui « exerçait le droit de poursuite sur les combattants du Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée et du Cap vert, (Paigc) repliés en Casamance. Il avait certes, compris que le Sénégal se devait de soutenir les combattants de la Paigc, mais sans s’immiscer dans le conflit », commentait, sur un document consacré à Emile Badiane, le professeur Mamadou Keith Badiane, décédé en juillet 2010.

En outre, très attaché à la base politique, celui qui fut maire de la commune de Bignona de 1970 à 1972, séjournait chaque fin de semaine, c’est-à-dire du vendredi au samedi en Casamance, pour ne retourner que le dimanche à Dakar. Il releva l’énorme perte de temps qu’occasionnait le ferry de Farafagné à cause de ses fréquentes avaries mécaniques. Il entama des négociations avec les autorités de Banjul, certes libre, mais toujours sous l’influence la Grande-Bretagne, pour l’érection d’un pont afin de rendre fluide la circulation entre la Casamance et le reste du pays, mais les réticences de la partie gambienne entravaient la procédure.

Leader des masses paysannes

Son entrée en politique coïncidait à un contexte assez particulier en Casamance. Le département de Bignona, plus vaste et plus peuplé, était inaudible dans le débat politique. Ainsi, pour prendre le dessus sur Ziguinchor, minoritaire en termes de population et acquis à la cause de la Section française de l’Internationale ouvrière (Sfio) de Lamine Guèye, Emile Badiane obtint la confiance du leader de Bloc démocratique sénégalais (Bds) et investit le milieu paysan. Avec ses souiens, ils réussirent à convaincre les masses paysannes casamançaises, jusqu’ici très peu ancrées dans la chose politique, en les enrôlant massivement dans les rangs du BDS de Senghor. Il s’appuyait sur la promesse « de la suppression de l’indigénat » cher à Senghor, une stratégie payante. Il occupa d’importantes responsabilités politiques : Secrétaire Général à l’organisation et à la propagande du (BDS), Secrétaire administratif adjoint de l’union progressiste sénégalais (UPS), Secrétaire Général adjoint de l’UPS.

S’il était vivant, il n’y aurait jamais eu un conflit en Casamance

Auparavant, Ils avaient mis en place le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance originel le 14 mars 1947 à Sédhiou, avec Ibou Diallo, Dembo Coly, Boubacar Edouard Diallo, Yoro Kandé, Assane Seck, Edouard Diatta, Michel Diop, Paul Ignace Coly… Emile Badiane se battait avant tout, pour une représentation effective des autochtones au niveau du Conseil général, où seuls les membres de la Section Française de l’Internationale Ouvrière de Lamine Gueye (Sfio), parlaient au nom de la Casamance. Pour lui, les visées du « Mfdc authentique » consistaient à apporter une réponse aux soucis des populations, « de combler un vide politique» favorisé par le hiatus imposé par le territoire gambien, en séparant la Casamance « du principal pôle de décision, Dakar ».

De ce fait, ce MFDC n’a jamais eu en ligne de mire la revendication d’une autonomie de la Casamance. « Emile n’a jamais été pour une indépendance de la Casamance», dixit Paul Ignace Coly, premier Maire de Bignona de 1960 à 1970, membre de la délégation du département de Bignona qui a pris part à cette fameuse réunion du 14 mars 1947, ayant porté sur les fond baptismaux le MFDC originel. Il ajoute, que jamais il n’a existé « un deal entre Emile Badiane et Léopold S. Senghor pour une indépendance de la Casamance après celle du Sénégal en 1960 ». « Il y a l’épisode où des gens ont dit que c’est Emile Badiane qui avait dit à des combattants du MFDC, que tant d’années après l’indépendance du Sénégal, la Casamance prendrait son indépendance. Ce qui est absolument faux », ajoute-t-il.

« Je l’ai dit devant mes parents quand il y a eu les rencontres de Foundiougne. Il était un patriote et Emile Badiane ne l’aurait jamais accepté. Cette histoire est un gros mensonge. Si Emilie Badiane était vivant, il n’y aurait jamais eu un conflit en Casamance. Les gens n’ont pas dit la vérité. J’ai rencontré un chef d’Attika qui m’a avoué que c’est après qu’il a appris que celui qui les avait engagés sur ce chemin, racontait des histoires », a insisté le président du Collectif des cadres casamançais. Pierre Goudiaby Atepa. Le grand architecte rapporte qu’Emile Badiane était très proche du président Léopold Sédar Senghor, qui l’appelait affectueusement, mon « Petit Diola », mais cette complicité avait un seul but : « faire avancer le Sénégal ».

Le MFDC peinait à s’unir et à parler d’une seule voix. Les dissensions internes apparaissent au grand jour, au congrès de juin 1954, visant à intégrer le MFDC au BDS. Frustré par ce qu’il considérait comme une démarche unilatérale entreprise par Emile Badiane et Ibou Diallo auprès de Senghor, pour une intégration du MFDC dans le BDS, Djibril Sarr s’oppose farouchement à ce projet. La jeunesse du Mfdc conduit par Faye Badji, président desdits jeunes, à ses côtés, Djibril Sarr réussit à bloquer les travaux. Le congrès se poursuivra au troisième jour. Ainsi, la majorité accepte « un apparentement» entre le Mfdc et le Bds plutôt qu’une « intégration ».

Le désaccord prend un autre tournant. Djibril Sarr, insatisfait de cette orientation qu’il estimait être exclue depuis le départ, créa le Mouvement pour l’Autonomie de la Casamance (Mac) en 1956, qui rejoint plus tard la Sfio de Lamine Guèye.

Emile Badiane a marqué son époque jusqu’à sa mort brutale en 1972. Dans le domaine de l’éducation et la formation, l’homme a contribué avec générosité, à la formation de l’élite intellectuelle à la veille comme au lendemain des indépendances. Pierre Goudiaby Atepa fait partie des milliers de Sénégalais à avoir bénéficié de sa générosité. L’architecte clame cela avec fierté et avec une voix empreinte d’émotion qu’il était « le monsieur Casamance ». « Il l’assumait bien. Quand j’ai perdu mon père en 1965, c’est lui qui m’a pris chez lui avec ma tante. C’est lui qui m’a envoyé aux Etats-Unis poursuivre mes études », confie-t-il, en précisant que « ce n’était pas par clientélisme ». « J’ai fait trois concours que j’ai réussis pour avoir une bourse en France, au Canada et aux Etats-Unis. Emile hébergeait et s’occupait de tout le monde. C’est lui qui m’a inculqué beaucoup de valeurs », témoigne-t-il.

Emile Badiane savait aussi livrer une bataille politique. Ce rassembleur, dont des édifices, places et rues portent son nom, « n’hésitait pas de passer la nuit, voire manger et dormir chez ses adversaires. Il octroyait des zincs à ses adversaires politiques. Quand il descend dans un village, il rencontre d’abord ses adversaires politiques, avant de voir ses militants », témoigne Atab Bodian.

Car pour lui « Il ne faut jamais fuir ton ennemi, va vers lui, il comprendra et deviendra ton ami », rapporte Edmond Badiane, censeur du Lycée Haoune Sané de Bignona. Une générosité que lui témoignent toujours ses contemporains. Tous ont salué la magnanimité «d’un paysan, d’un éducateur, d’un homme d’Etat», écrit Makhily Gassama, qui, en 57 années d’existence, a inscrit son nom dans les annales de l’histoire politique du Sénégal. A l’image de Pierre Goudiaby Atepa, ses contemporains disent espérer que son rêve de voir une ligne de chemin de fer Dakar-Tambacounda-Ziguinchor, devienne une réalité comme l’avait promis le chef de l’Etat.






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Ndèye Fatou Kébé