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Déguerpissements en zones d'utilité publique : entre légalité assumée et émotion collective

Rédigé par leral.net le Samedi 14 Juin 2025 à 19:54 | | 0 commentaire(s)|

Depuis plusieurs jours, une vague d'émotion traverse Libreville et plusieurs autres localités du pays, en réaction aux opérations de déguerpissement menées dans les zones classées d'utilité publique (ZUP). Ces opérations, parfaitement légales, sont perçues par de nombreux citoyens comme abruptes, mal préparées et socialement violentes.
Pourtant, l'État exerce ici un droit reconnu et une obligation de fond : celle de garantir un aménagement rationnel du territoire et de reprendre (...)

- LIBRE PROPOS /

Depuis plusieurs jours, une vague d'émotion traverse Libreville et plusieurs autres localités du pays, en réaction aux opérations de déguerpissement menées dans les zones classées d'utilité publique (ZUP). Ces opérations, parfaitement légales, sont perçues par de nombreux citoyens comme abruptes, mal préparées et socialement violentes.

Pourtant, l'État exerce ici un droit reconnu et une obligation de fond : celle de garantir un aménagement rationnel du territoire et de reprendre possession d'espaces réservés à des projets structurants. Dans les zones concernées, il ne devrait y avoir aucune ambiguïté : ces terrains sont non constructibles depuis des années.

Leur occupation relève de l'irrégularité, souvent encouragée par une tolérance coupable, voire par la complicité de certaines figures politiques ou administratives locales.

Ce qui soulève l'indignation, ce n'est donc pas tant la légitimité des démolitions que la brutalité perçue dans leur exécution. De nombreuses familles affirment avoir été surprises au petit matin, sans notification formelle, ni délai raisonnable pour partir, ni solution de relogement. Le choc est d'autant plus fort que certains de ces foyers vivaient sur ces terrains depuis plusieurs années, avec parfois de faux espoirs d'une régularisation future.

L'opération ne tombe pourtant pas du ciel. En avril 2024, le Premier ministre de la Transition, Raymond Ndong Sima, avait présenté au président Brice Clotaire Oligui Nguema un projet de grande envergure : construire une cité administrative moderne afin de loger les services de l'État, tout en mettant fin à la dépendance coûteuse aux immeubles privés – une charge estimée à 22 milliards de FCFA par an.

Ce projet, qui s'inscrit dans une vision de modernisation et d'économie, avait été salué pour son ambition. Des actions préparatoires, comme le recensement des occupants, avaient été annoncées. Mais entre les intentions et la mise en œuvre, une faille semble s'être ouverte.

Dans le tumulte, certains acteurs politiques aujourd'hui dans l'opposition se découvrent une soudaine empathie pour les déguerpis, multipliant les dénonciations sur les réseaux et dans les médias. Beaucoup de citoyens s'interrogent : où étaient ces voix quand, hier encore, ces mêmes personnalités toléraient, voire facilitaient les installations illégales sur des terrains réservés à l'État ? L'indignation sélective jette un doute sur la sincérité de certaines prises de position, et souligne un retournement de veste qui peine à convaincre.

Pour autant, les critiques sur la méthode ne doivent pas être balayées d'un revers de main. Une République en reconstruction ne peut se contenter d'imposer la loi par la seule force. Elle doit aussi convaincre, expliquer, accompagner. Il ne s'agit pas de reculer face à la pression populaire, mais d'humaniser l'action publique pour mieux la faire accepter.

À cet effet, plusieurs pistes méritent d'être explorées : améliorer la communication en amont, prévoir des délais raisonnables d'exécution, mettre en place un véritable plan d'accompagnement social, et surtout traquer les réseaux de spéculation foncière qui ont profité du chaos. L'objectif est clair : restaurer l'autorité de l'État, sans basculer dans l'arbitraire ou la brutalité.

Ce que réclament les populations déplacées n'est pas l'impunité, mais la considération. Elles savent que l'occupation de certaines zones est illégale, mais elles attendent qu'on les traite avec dignité. L'État a raison d'agir. Il ne doit simplement pas oublier que la manière de faire compte autant que le fond. Dans une démocratie en maturation, l'efficacité se mesure aussi à la qualité de l'écoute et de la réponse sociale.

En définitive, ce ne sont pas les murs qu'on abat qui font mal. Ce sont le silence, l'absence de dialogue, le sentiment d'être méprisé. Une autorité respectée est une autorité comprise. Et pour gagner la confiance des citoyens, il faut parfois plus qu'un bulldozer : il faut une parole claire, une main tendue et une vision partagée de l'intérêt général.

Par Eugène-Boris ELIBIYO
Acteur associatif engagé.



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...