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“Diplomatie ostentatoire et effets collatéraux”, Par Babacar Gaye, ancien Ministre d'État


Rédigé par leral.net le Vendredi 20 Juin 2025 à 23:55 | | 0 commentaire(s)|

“Diplomatie ostentatoire et effets collatéraux”, Par Babacar Gaye, ancien Ministre d'État
“Si elle renforce le sentiment d’unité nationale, la rhétorique nationaliste et populiste produit aussi ses zones d’ombre : stigmatisation de minorités, crispations identitaires, et sur le plan international, malentendus susceptibles de dégénérer en crises. À l’échelle mondiale, cette poussée nationaliste a porté au pouvoir, plusieurs figures populistes : Jörg Haider en Autriche, Jair Bolsonaro au Brésil, Benjamin Netanyahou en Israël, Donald Trump aux États-Unis, Viktor Orban en Hongrie ou encore Matteo Salvini en Italie. Tous ont conquis les urnes à force de discours souverainistes.

Depuis sa réélection, Donald Trump engage une politique volontariste de remodelage de la carte diplomatique du Monde. De la guerre commerciale avec la Chine au harcèlement de l'Iran par l'intermédiaire de Israël, son pion au Moyen-Orient en passant par le durcissement de la politique migratoire des États-Unis et son désengagement de l’OTAN, il s'érige en gendarme du Monde et tente de mettre toutes les nations sous coupe réglée.

Au Sénégal, Ousmane Sonko s’inscrit dans une dynamique de repli panafricaniste. Son registre anti-néocolonialiste, violemment critique des ingérences étrangères, séduit une jeunesse avide de dignité. Mais sa rhétorique offensive n’est pas sans risques diplomatiques

En effet, son discours nationaliste-souverainiste, structuré autour d’une dénonciation ferme du néocolonialisme et des ingérences étrangères, a souvent été salué par une jeunesse africaine avide de dignité. Sa posture dernière réaction teintée de confrontation assumée, notamment vis-à-vis des États-Unis sous Donald Trump, réélu au nom du projet “America first”, n’est pas sans conséquences concrètes.

En s’opposant et de manière ostentatoire aux politiques migratoires américaines, Sonko a ouvert un bras de fer symbolique. Ces positions critiques d’Ousmane Sonko, en particulier à travers l’exemple symbolique de son post Facebook publié le 19 juin 2025, à la suite du refus de visas pour quatre basketteuses sénégalaises et une dizaine d'accompagnants, ne manqueront pas d'avoir des conséquences et effets pervers, dans les relations traditionnellement correctes avec l'administration américaine.

Lorsqu’on occupe certaines fonctions étatiques, le premier devoir est de mesurer la portée de ses paroles. Chat échaudé devant craindre l’eau froide, les conséquences des accusations de maquillage de données budgétaires, devraient amener nos dirigeants actuels à plus de responsabilité dans leur prise de parole publique.

Dès les premières années de l’administration Trump, Ousmane Sonko a vivement dénoncé ce qu’il appelait une "diplomatie de l’humiliation", notamment à travers les politiques migratoires racialisées et discriminatoires à l’encontre des ressortissants africains. Il a été l’un des rares leaders politiques africains à critiquer ouvertement les propos de Trump, qualifiant certains pays africains de "shithole countries" - je préfère garder l'expression originale - et à refuser toute posture de soumission dans les relations avec Washington. Cette ligne “guerrière”, cohérente avec son projet souverainiste-panafricaniste, a séduit une frange importante de la jeunesse. Mais elle risque aussi d'alimenter une tension diplomatique dont notre pays pourrait se passer. On ne gouverne pas sous la dictée de la rue, des grand’places ou des réseaux sociaux.

La posture actuelle des États-Unis, n'est pas nouvelle. Déjà en 2019, le refus de visas à une équipe sénégalaise de basketball en partance pour un tournoi universitaire aux États-Unis, avait provoqué une indignation dans l’opinion publique. Bien que les autorités américaines aient évoqué des raisons techniques ou sécuritaires, plusieurs observateurs y ont vu un acte à portée diplomatique, un message implicite adressé à un pays, dont certains dirigeants - Ousmane Sonko en tête - multipliaient les critiques somme toute légitimes à l’égard de la politique américaine. A l'époque, le Chef du Gouvernement n'avait pas eu une réaction aussi polémiste.

Le refus de visas à des sportifs, qui ne sont ni des migrants économiques ni des clandestins, révèle une dimension plus stratégique de la diplomatie des visas : un outil d’influence, voire de rétorsion douce.

En diplomatie, les restrictions de visas peuvent devenir un levier politique subtil, surtout lorsque le pays cible est perçu comme déviant de la ligne d’alignement habituellement attendue par les grandes puissances politiques économiques et militaires.

La posture offensive d'Ousmane Sonko, si elle procède “d’une nouvelle doctrine de coopération”, n'en affirme pas moins une souveraineté politique et morale. Elle expose aussi le Sénégal - et plus largement les États africains souverainistes - à des sanctions ou à une marginalisation dans des domaines où la coopération internationale est cruciale : échanges universitaires, mobilité culturelle et sportive, financements de projets, accès aux marchés etc.

Dans le cas des basketteuses, l’impact est double : perte d’opportunités sportives et éducatives pour des jeunes talents, mais aussi coup porté à l’image d’un pays aspirant à rayonner à travers sa jeunesse. La diplomatie sportive, souvent perçue comme un terrain neutre, devient ainsi le théâtre d’un bras de fer politique, où le plus fort impose ses règles.

A la suite d'une décision purement technique du Consulat des États-Unis, la réaction émotionnelle du Premier Ministre, qui aurait dû laisser la Fédération sénégalaise de Basket-Ball faire un communiqué et endosser la décision d’annulation du stage de préparation, si vraiment c'était nécessaire, empiète sur les plates-bandes du président de la République, a tout le moins, celles du Ministre des Affaires étrangères, compétente en la matière. Pis, il est intervenu au moment où le Sénégal est blacklisté dans le cadre de la politique du “Travel ban” de Donald Trump.

Qui plus est, dans un contexte de crise géopolitique au Moyen-Orient, et pendant que Israël et l’Iran sont en train de compter leurs alliés, “gifler” l'Américain Trump pour “embrasser” le Chinois Xi Jinping, n'est pas une attitude prudente et équilibrée. La “diplomatie du bruit” ou du microphone n’est pas la meilleure. Le “nombrilisme diplomatique”, encore moins.

Les États Unis sont un grand partenaire historique du Sénégal, tout comme la Republique populaire de Chine. Tenter de les opposer est contre-productif. Et le Sénégal n’a aucun intérêt à jouer l’un contre l’autre. La diplomatie est à la fois une science et un art et requiert un minimum de savoir-faire et de savoir-être, surtout dans ce monde plongé dans une crise multidimensionnelle : économique, financière, énergétique, climatique et sanitaire, dont les jeux d'influence engendrent une course aux armements. La crise du multilatateralismne accentue son dérèglement et le rend dangereux.

En effet, le Sénégal qui n'a que 60 jours - deadline 14 août - pour se conformer aux directives de Trump, gagnerait à rester dans le style policé du communiqué du Ministère des Affaires étrangères, qui a été fort apprécié par l'Ambassade des États-Unis. Car au-delà des conséquences au plan économique et financier, l'application du “Travel ban” pourrait concerner des Sénégalais qui sont nombreux aux États-Unis, les uns après une émigration vieille de plusieurs décennies, les autres qui ont obtenu un visa pour poursuivre des études et la plupart, pour être entrés clandestinement par le Nicaragua.

Quel désarroi pour ces étudiants inscrits dans les universités et grandes écoles américaines, qui rêvent d'une graduation en BBA ou en MBA, ainsi que leurs parents qui ont cassé la tirelire, vendu leurs bijoux ou fait des emprunts bancaires pour la réussite scolaire de leur progéniture, si l'administration américaine refusait à nos enfants de retourner dans leurs campus après leurs vacances au Sénégal ! Le Premier ministre devrait tenir compte de cette probabilité dans sa croisade contre les forces impérialistes - je le cite - dont la France et le pays de l'Oncle Sam.

L’incident des visas refusés souligne la fragilité des États en quête de souveraineté, lorsqu’ils n’ont pas encore les relais de puissance nécessaires pour faire face aux pressions indirectes et sournoises des grandes nations. La position de Ousmane Sonko, bien qu’idéologiquement cohérente avec son discours souverainiste-panafricaniste, appelle à une réflexion stratégique mieux élaborée : comment concilier fermeté prudente dans les principes et agilité diplomatique dans les discours et actes ?

Si le refus de soumission est un acte politique, la souveraineté réelle exige aussi des alliances, des stratégies d’influence alternatives et une capacité à protéger les intérêts nationaux dans tous les domaines - y compris ceux, comme le sport ou l’éducation, qui peuvent devenir les victimes silencieuses des grandes tensions internationales, qui cachent en arrière-plan, un repli nationaliste et identitaire mal assumé. Mais quand on porte le Souverainisme en bandoulière, on doit comprendre qu'un autre pays puisse mettre en œuvre sa propre politique migratoire, au nom de la souveraineté nationale.”








Babacar Gaye
Ancien Ministre d'État
Leader de Mankoo Mucc

Ousseynou Wade