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Jeudi 26 Septembre 2019

EXCLUSIF : KOURTI-KOURTI... C'est un "cadeau pour vous", dit-il ( Issa Thioro Gueye )


Ce 26 septembre, l'écrivain sénégalais Issa Thioro Gueye fête son anniversaire. 

Natif de Rufisque, il marche depuis 2006 sur les pas de Abdoulaye Sadji et de Ousmane Socé Diop, deux virtuoses, deux classiques de la littérature africaine et mondiale.



KOURTI-KOURTI est le roman de l'afromatièrisme, un concept cher à l'auteur qui donne à l'Afrique la possibilité de ne plus être un figurant dans le si long film économique qui se réalise depuis des siècles sur d'autres continents.

voici pour vous spécialement et gratuitement, chers lecteurs de leral.net, des EXTRAITS de KOURTI-KOURTI, le prochain roman de l'éditorialiste et expert en communication, Issa Thioro Gueye, qui dans le roman fait de la ville de Gabana "un mondopole", la cité de tous les rêves...

C'est un livre d'émotion et de raison qui fait la part belle à ce que l'africain a de plus intime : sa dignité.
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Bizarrement, Venus et Marie Ndiaye sont d'une ressemblance détonante. 

Toutes les deux ont le même regard et la même démarche. 

Venus est une fille adoptive de la France, pays froid des gaulois. Et Marie Ndiaye est originaire du Gadiaga, pays chaud des SONINKÉ. 

La localité est une province d'accueil. Elle est aussi l'héritière de princes du Ghana qui ne se sont pas égarés, marchant vers un couchant de somptueux reflets d'or et de lumière.

Dans leur expansion conquérante, ils se sont établis sur les marges d'un fleuve qui ne leur a pas refusé l'hospitalité de ses berges qui mènent au lit fécond... 

Si l'Égypte est un don du Nil pour reprendre la vieille pensée d'Hérodote, le Sénégal ne serait alors qu'une généreuse offrande de ce Zénéga, déformé comme ses méandres, au cours de l'histoire, jusqu'à devenir Sénégal... La vraie Histoire a tant de secrets à nous apprendre.

Dans le Gadiaga, souffle très souvent l'harmattan. 

C'est un vent issu du pays maure, du septentrion saharien.

Il se répand sur des terres méridionales sans défense mais qui n'abdiquent pas. Son hégémonie dure des mois, jusqu'à ce qu'une mousson bienfaitrice vienne enfin reverdir les immenses étendues qu'il avait envahies dans un funeste dessein de stérilisation forcée.

Quand il se lève avec son cortège poussiéreux réduisant la visibilité, le fleuve vient à la rescousse des corps brûlants et s'offre comme unique bouclier thermique.

Le Gadiaga est un Orient particulier. Sous un ciel blafard qui se pare de rayons d'or comme celui du proche Ngalam, le pays SONINKÉ se réveille toujours avec le sourire sur le fleuve. Avant que le jour ne commence à poindre, c'est un chant descendu du ciel qui vient réveiller la nature et les hommes. 

De son lit non défait par une nuit sans sommeil, le fleuve revient au centre des activités. 

Sur un frêle esquif ballotté par un léger souffle matinal, quelques pêcheurs espèrent quelques silures ayant oublié la prière de l'aube, au bout de leur filet-épervier qu'ils jettent avec hardiesse et espérance. 

Sur les rivages, on vient se débarrasser des souillures de la nuit torride alors que sur la vaste plaine alluviale exondée fleurissent langoureusement des cucurbitacées et montent au ciel des épis de sorgho à l'ombre desquels des barbes de maïs croissent.

 Un jour de vendredi, alors que j'y suis allée avec Marie Ndiaye pour découvrir le fleuve de ses origines, j'ai rencontré toute ĺa saveur fervente du pays.

 Drapés dans leurs plus beaux atours les hommes sortis des mosquées se hâtent de regagner les maisons à l'intérieur rafraîchissant. Parce que dehors l'harmattan a commencé à prendre ses quartiers. 

Ce vent chaud et sec annonce la fin de ce qui restait des pâturages d'hivernage. Il n'est le bienvenu ni pour les humains ni pour les animaux obligés de se contenter de maigres lambeaux des prairies de décrue qu'offre encore le fleuve, comme vivre de soudure d'une longue saison sèche qui pousse à l'exode. Exode qui a tant de fois fait partir, loin, très loin, jusqu'aux confins des pays de la neige et des cœurs glacés où c'est déjà le triste automne des feuilles mortes et des courts jours gris. 

Dans la grisaille de banlieues empilées, ils ne renoncent jamais à replonger, par le miracle de la pensée à ce bout de terre, derrière eux et devant eux. Terre patiente qui attend ceux-là qui voudraient qu'on y bâtisse pour eux une ultime demeure, quand le voyage arrivera à son terme...

 Le soir, dans le Gadiaga, telle une dame redoutant les marques du temps, la lune se mire longuement sur la nappe argentée qui serpente à travers des villages ensommeillés ou endormis, attendant des lendemains ensoleillés.

 Maintenant que la nuit a enveloppé de son sombre manteau les demeures à l'intérieur desquelles des hommes se sont assoupis. Maintenant que le royaume de la nuit a vaincu celui de la lumière. Maintenant que les bruits ont cédé le pas aux bruissements et aux clapotis, le fleuve continue de passer son chemin et de poursuivre sa mission de fertigation des espaces agraires millénaires. 

Ainsi va l'existence sans cesse renouvelée, comme au premier jour, sur ces terres jadis prospères du Fouta lointain et du Guidimakha. 

Dans l'imaginaire de ces riverains la nuit, le cours d'eau connaît une activité nocturne de génies et de merveilleux. Laissons-les à leur retraite à laquelle quelques humains dans le secret de l'ésotérisme peuvent assister.

 Ici, demain est toujours un autre jour, la fin d'une histoire et le début d'une autre de l'Histoire qui ne finit jamais.

 Le lendemain, samedi, nous quittons le Gadiaga pour rentrer et retrouver mon époux, Cheikh.

Traverser le Sénégal d'est en ouest : c'est le tracé du voyage.


Touabou, Bakel, Dembankani... Les localités du pays soninké s'éloignent dans la brume du matin. Le Damga nous tend les bras : Lobali, Ourossogui... 

 Assise à mes côtés, Marie Ndiaye dort profondément. Je n'ai que le chauffeur avec qui je peux discuter. Mais comme il n'est pas indiqué de distraire un conducteur, je prends mon téléphone et commence à visiter le principal site d'information du net : www.madeinline.com.

Soudain, à quelques kilomètres de Ranerou, en plein cœur du pays des éleveurs de petits ruminants, je découvre un bel article titré : "L'AFROMATIERISME POUR SAUVER LE PATRIMOINE AFRICAIN...".

 L'auteur s'appelle Birago Ndoye. C'est un journaliste doublé d'un écrivain.

 A la fin de l'article, il signe par un double identifiant : le Promoteur de "TRANSFORMING" et le Fondateur de l'école francophone pour la défense des civilisations noires : LES AFROMATIERISTES.

 Dans plusieurs cercles du monde muséal et en dehors même, nous avons remarqué qu'il y'a eu un bel unanimisme autour de la "mission" d'inventaire des trésors volés à l'Afrique : écrit-il dans la première phrase. 

 Puis, il ajoute : "sur le continent africain, cette adhésion purement émotionnelle s'est amplifiée du fait que la "mission" porte la signature d'un des fils du terroir". 

 Peut-être ? : s'interroge-t-il.

 L'article est une marque de témérité intellectuelle. 

 Je l'ai lu d'un seul trait.


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 Oui, ces œuvres ont produit de l'argent et construit une représentation, un imaginaire. 

Elles n'avaient pas quitté des musées, créations occidentales, mais d'autres environnements sociaux et sacrés. 

Les musées les ont désacralisées en les rendant profanes (contraire de sacré). Ces objets, après une migration inverse vont nous revenir dans des néo- musées. Est-ce leurs vraies places?

 

Les musées européens regorgent de biens (mal)acquis en Afrique. On ne peut pas reprocher à de tels lieux d'abriter des choses anciennes venues d'ailleurs, du lointain, souvent synonyme de l'inconnu, du barbare. 

Garder et montrer des objets de peuples exotiques n’avaient pas pour objectif de les valoriser mais plutôt de surligner leurs différences, en se fondant sur des théories racistes abjectes. 

Pourtant, quelques esprits en avance sur leur temps ont pu trouver un intérêt à la culture indigène.

Pillages, razzias, sacs, vols, marché noir, complicités locales, missions scientifiques douteuses, expéditions faussement savantes... Autant de voies et moyens ayant permis de s'emparer de gros butins, symboles d'abord de triomphe des envahisseurs. 

Pour perpétuer les chants d'une victoire sans gloire, on exposait les attributs guerriers aux regards impudiques de curieux visiteurs de 7 à 77 ans...

En restituant des " vieilleries " plus de 100 ans après, la France composte un ticket de bonne conscience. Et puis les temps ont changé. 

Les anciennes nations impériales n'ont plus tellement besoin de pièces de musées pour se convaincre de leur impérialisme conquérant. Elles ont besoin de pièces de monnaie. Et ça, l'Europe arrive toujours à nous le soutirer, tout en gardant une partie non négligeable de nos réserves de change. A quand cet autre rapatriement plus qu'attendu. Un débat cette fois ci plus économique qu'historique.

Dans notre conception de l'histoire, l'AFROMATIERISME est loin d'être une version africaine du PROTECTIONNISME de TRUMP ou l'Europe de la défense à laquelle appelle MACRON.

L'AFROMATIERISME est plutôt l'incarnation d'une Afrique respectée dans ses choix de vie, ouverte à toutes les cultures mais attentive à l'obligation des autres de rembourser ce qui est volé aux civilisations noires.

 Dans cette conception, nous avons noté que seule l'Afrique n'a pas encore tenu son procès mémoriel. 

Toute l'histoire internationale a été renégociée au sortir de la deuxième guerre mondiale et de certains conflits ayant fait date.

En même temps, nous estimons que le PATRIMOINE mondial doit faire l'objet d'un règlement objectif pas symbolique. Et NOUS de l'école de DAKAR, qui portons L'AFROMATIERISME en bandoulière, demandons aux NATIONS UNIES la tenue sans délai d'un procès historique pour le remboursement des sommes dues, allant des recettes de l'industrie muséale à celles des industries connexes. 

 Alors, faudrait-il nous dédommager pour le séjour de nos œuvres en Europe ? Et comment ? 

Cela repose la question controversée de la réparation de l'esclavage. Problématique complexe, jeu et enjeux intellectuels plus que réellement économiques. Enfin... 

Nous AFROMATIERISTES, considérant que la plupart des pays pillés sont membres de la francophonie, nous proposerons trois choses.

Premièrement, il y'a "la fermeture immédiate de tous les musées établis dans un espace francophone et qui tiennent leur notoriété de la présence des oeuvres africaines ainsi que leur rétrocession à la propriété originelle".

Deuxièmement, sachant que le pillage, de l'Afrique et pas que, a fait le lit de la prospérité du vieux continent et continue de l'entretenir, nous soutenons qu'il ne faudrait pas estimer les richesses gratuitement tirées de l'Afrique et nous donner un chèque étant entendu qu'aucune réparation financière ne serait juste. Alors, nous demandons "la saisine des avoirs bancaires et non bancaires de ces musées". 

Troisièmement, l'organisation internationale de la francophonie devra veiller à faire appliquer la sanction à tous les pays pilleurs.  

 Concernant les fonds issus de la saisine des biens bancaires et non bancaires de ces musées, nous estimons qu'il n'y aurait point de répartition du "butin". Ils serviraient à mettre en place ce qui pourrait être "LE FONDS AFRICAIN D'INVESTISSEMENT CULTUREL, AGRICOLE, INDUSTRIEL ET NUMÉRIQUE".

L'objectif du "FAICAIN" serait de permettre aux africains de pouvoir combler l'énorme gap économique entre L'AFRIQUE et ses pilleurs.

 Les défis sont énormes : me dit un "frère" ivoirien.

Je le pense aussi : lui ai-je répondu.

C'était dans une petite discussion entre africains, au pied d'un hôtel, de passage à Abidjan et en partance pour Addis Abeba dans le cadre d'une mission de benchmarking pour la transformation industrielle. 

L'affaire des biens culturels spoliés c'est de 1880 à 1960. Moins de 100 ans. La valeur symbolique est importante mais celle financière est bien inférieure à l'exploitation systématique de l'Afrique au plan des ressources naturelles et HUMAINES, pendant au moins 300 ans. C'est inestimable. Et ça se poursuit encore et toujours. A qui profite déjà le coltan de la RDC qui fait nos portables et autres ordinateurs et qui participe à générer pour un seul géant du digital un chiffre d'affaires annuel de 99 646 milliards de fcfa ?

 Et les "salaires" impayés de millions d'esclaves qui ont fait l'immense fortune du pays de TRUMP ? Et le sang des troupes noires versé sur la glace pour la liberté de ceux-là qui leur déniaient une historicité pourtant incontestable ? Il y a tant à dire et à redire sur les biens mal acquis par l'Occident et sa prétendue mission civilisatrice.

 En fait, dans l'AFROMATIERISME, le plus c'est moins la constatation des faits historiques que la TRANSFORMATION DES FAITS ÉCONOMIQUES qui jusque-là se résument à "un appel à candidature des technologies occidentales et asiatiques à des taux de prestation de services" qui coûtent les yeux de la tête. 

 C'est là qu'on attend la nouvelle élite intellectuelle africaine.

 L'idée que défend l'AFROMATIERISME est de freiner les vagues de l'émigration, pas humaine mais celle des MATIÈRES PREMIÈRES, à travers un filtre et un taux de concession qu'on pourrait appeler "TRANSFORMING".

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 Je lis et relis l'article sans cesse pendant que le chauffeur, un homme pieux et responsable, reste concentré sur le volant.

Par endroit, Tonton Talibé Cissé se doit d'éviter les ânes et les bovins.

La route comporte beaucoup de ralentisseurs.

C'est le cas à Danthialy, une petite bourgade peulhe où les émigrés sont les propriétaires des plus belles demeures.

Dans le village, le futur se conjugue à un concept pratique, WADUGOL qui signifie FAIRE L’AVENIR ENSEMBLE.

L'esprit de solidarité a un fort accent et une belle représentation dans le développement de la zone, à travers des écoles, des postes de santé et des champs communautaires.

Danthialy et d'autres localités du pays peulh...

Nous quittons des yeux les dernières prairies et oasis  du Fouta proche.

Puis, c'est la traversée du Ferlo par une route promise aux aurores des indépendances et enfin réalisée. Ranérou, Linguère, Dahra, le Djolof des transhumants en quête perpétuelle de points d'eau raréfiés. 

Escale dans un hameau...

Sous le feuillage d'un arbre au bord de la route une jeune fille de quinze ans.

D’une beauté rare, elle discute sans gêne ni gants avec les hommes. On dirait des rapaces rôdant avec des espèces sonnantes.

La jeune fille est une vendeuse d'eau fraîche. Sa mère, elle, vend du thé et ne se soucie guère de ce qui peut arriver à la petite Amina, tel un appât devant passer facilement à proie. 

Tu sais, la misère est la pire des choses, des conditions : me confie la dame... 

Je l’ai fait sortir de l’école pour qu'elle m’aide dans le petit commerce et qu’elle puisse trouver un mari le plus tôt possible : précise-t-elle en faisant savoir que sa fillette est d’une beauté que tout homme au portefeuille bien garni voudrait voir parader dans son jardin.

Je me souviens du livre d'un brillant intellectuel de Gabana, Abdoulaye Sadji : "Maïmouna". Belle petite paysanne trahie par l'illusion de la ville. Elle dont la beauté lui avait valu "étoile de Dakar". La fin de l'histoire est tragique pour elle et pour Yaye Daro, sa mère qui rêvait de mieux pour sa Mai...

Mais avant de reprendre la route, j'ai pu conseiller à Amina que la beauté n'est pas inaltérable. C'est un état passager, une richesse qui ne profite que rarement d'autant qu'elle expose celle qu'elle caractérise. Elle porte en elle une certaine fatalité. Quand on a que sa beauté...tant jalousée, tant convoitée.

La voiture repart. Je nourris quelques remords pour n'avoir pas pris les coordonnées de la dame.

Je prie alors pour Amina afin que Dieu sauve la belle des bêtes.

Nous le savons tous : quand on a une innocence et une beauté rare qui aiguisent des appétits démoniaques et orientent des regards lubriques sous d'inavouables pensées, on devient inexorablement une victime.

Le ruban d'asphalte continue de se dérouler rapprochant Touba, la cité radieuse de son maître, Cheikh Bamba MBACKE. 

Subrepticement MBACKE se laisse traverser, puis Diourbel, Khombole, le Baol autrefois terre de paganisme... Thiès, ville du chemin de fer désertée par les trains. Allou Kagne non encore anthropisé mais pour combien de temps encore ? 

Pout, Sébi et le Diamniadio des rêves présidentiels, le double d'une capitale détrônée... 

Gabana, vieille ville que fige l'éternité. Fin du voyage par l'accueillant terroir des lébous, Hommes de la terre, Hommes de la mer à l'hospitalité légendaire.

De cette terre trempée de cosmogonies, est natif l'ex-époux de Marie Ndiaye.  

ISSA THIORO GUEYE
La rédaction de leral...