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Editorial Ouest France : "Alternance sénégalaise"

La réussite de l'élection présidentielle au Sénégal suscite encore des réactions de personnalités politiques et de journalistes. L'éditorialiste du journal Ouest-France parle d'alternance sénégalaise.


Rédigé par leral.net le Mardi 27 Mars 2012 à 12:10 | | 0 commentaire(s)|

Editorial Ouest France  : "Alternance sénégalaise"
Quand le vieil homme se fait sage, tout devient possible. C'est ce que doivent se dire tous les démocrates sénégalais, du pays ou de l'étranger, au vu des résultats de l'élection présidentielle. Tout le monde craignait un regain de tensions et de violences à l'occasion de ce scrutin. Car, en briguant un troisième mandat et après avoir forcé le texte constitutionnel, Abdoulaye Wade avait donné le sentiment, ces derniers mois, de vouloir commencer, à 86 ans, une bien tardive carrière de dictateur. Il y a heureusement renoncé. En reconnaissant immédiatement sa défaite, dimanche soir, et en appelant son adversaire politique pour le lui dire, il vient de légitimer son successeur et de consolider le destin démocratique de son pays. Le fair- play reste le plus beau geste.

La victoire de Macky Sall permet en effet au Sénégal de vivre, en à peine douze ans, sa deuxième alternance. Le fait est suffisamment rare sur le continent africain pour être salué. Le père fondateur de l'indépendance sénégalaise, Léopold Sédar Senghor, serait ravi de voir ses successeurs - Abdou Diouf fit de même en 2000 - renoncer au pouvoir lorsque celui-ci leur échappe. L'exemple de Dakar est d'autant plus frappant que le Mali voisin subit, en ce moment-même, un coup d'État.

Le geste de Wade a suscité d'autant plus de soulagement que la campagne électorale avait fait craindre de voir le pays plonger dans une spirale dangereuse. La crise sociale est profonde, avec un taux de chômage officiel de près de 50 %, surtout chez les jeunes (80 % de la population a moins de 40 ans). La crise politique était manifeste, avec la constitution d'un front anti-Wade désireux, dans le sillage du Printemps arabe, de faire vivre au pays un renouvellement de sa classe dirigeante.

Soulagement

La crise religieuse, enfin, plus pernicieuse, guettait elle aussi. Car, durant ses deux mandats, Wade a ostensiblement soutenu sa confrérie d'origine, les mourides, une des composantes de l'islam sénégalais. Après quarante années de pratique sécularisée du pouvoir, ce soutien a été mal vécu par les autres confréries. Et lorsque, le mois dernier, dix jours avant le premier tour, une grenade a explosé dans une mosquée de la confrérie tidjane - la plus nombreuse du pays -, le scénario du pire est venu peser sur le scrutin.

Le soulagement, manifeste à Dakar comme dans les réactions officielles des diplomaties française et américaine, n'efface pas les difficultés de ce pays de treize millions d'habitants. Chômage, corruption, pauvreté... Macky Sall, ancien homme de confiance de Wade tombé en disgrâce, en 2008, lorsqu'il refusa de favoriser le fils du Président, aura fort à faire. Surtout, son véritable poids politique ne sera chiffrable qu'au terme des élections législatives du mois de juin, seconde étape vitale pour le bon fonctionnement démocratique du pays. On saura alors si l'alternance est surtout une question de personne ou un changement de cap politique, après douze ans de virage libéral.

Le nouveau Président a promis de réduire les taxes sur les produits de première nécessité, d'éteindre la rébellion rampante en Casamance, de renforcer les institutions démocratiques. Espérons qu'après s'être érigé en rempart républicain contre les velléités dynastiques de la famille Wade, il ait, lui aussi, lorsque le moment sera venu de céder la place, la sagesse de respecter ce qui est en train de devenir une tradition sénégalaise : le renouvellement démocratique.

Laurent Marchand