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Entretien - Amadou Sylla, Président de l’Association SOS Casamance: "On ne peut pas régler un conflit dans la non transparence"

LERAL.NET Amadou Sylla, Président de l’Association SOS Casamance, une association qui se bat pour la paix et le développement et qui milite pour un nouvel ordre en Casamance, dans un entretien accordé à Leral, nous analyse sur les maux qui freinent le processus d'une paix définitive dans le Sud du Sénégal. Entretien


Rédigé par leral.net le Lundi 11 Mars 2013 à 16:00 | | 1 commentaire(s)|

Entretien - Amadou Sylla, Président de l’Association SOS Casamance: "On ne peut pas régler un conflit dans la non transparence"
Dans quel contexte est née votre association SOS Casamance ?

Ce qui nous a conduit à créer cette association, c’est d’abord, la désolation dans laquelle vivaient nos parents, en particulier et de façon générale les populations de Casamance. Face à cette affliction, face à cette impuissance, on s’est constitué en association pour exprimer notre ras-le-bol et notre solidarité par rapport à cette situation de guerre en Casamance, j’allais dire cette situation de ni paix, ni guerre. Le contexte de la naissance de SOS Casamance, c’est aussi un espoir qu’a suscité, quelque part, une rencontre qui est qualifiée par les observateurs de « crise casamançaise », d’ historique, entre le Président Abdou Diouf et l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor, une rencontre que nous avons jugé importante à l’époque et qu’il fallait accompagner par une mobilisation de toutes les forces vives de la Casamance, parce que tout le monde voulait la paix. L’espoir était tellement grand qu’il fallait saisir cette opportunité pour aller les deux parties à la Paix des braves. Malheureusement, l’histoire en a décidé autrement : le Président Diouf est parti, le Président Wade est venu, et, hélas, jusqu’ au moment où je vous parle, on est en quête d’une paix définitive en Casamance. Donc le combat continue pour nous afin que cette Casamance recouvre la paix et la sérénité toujours dans le respect de la dignité des populations.

Pourtant le Président Wade avait fait de la résolution de cette crise une priorité. Est-ce que vous étiez en contact avec lui comme vous l’étiez avec le Président Diouf ?

Concernant le Président Wade, il faut voir sa stratégie et sa méthode parce que, quand il est arrivé au pouvoir, il avait dit qu’il ne voulait pas voire de mouvements ou d’initiatives qui parlent de paix, parce qu’ il avait sa propre stratégie et son plan. Mais à un moment donné, il était obligé de constater que ce n’était pas à lui de faire le Sénégal tout seul. Il a compris qu’il fallait tenir compte de toutes les forces vives qui œuvrent pour la paix et écouter tout le monde . En ce qui nous concerne, certes, nous n’étions pas là parce que résidents à l’extérieur. Mais de l’extérieur, nous avons contribué au processus de paix qui a conduit à la signature des accords de paix, en 2004. Nous étions des facilitateurs au niveau de la diaspora entre le gouvernement du Sénégal et le MFDC, notamment, l’aile extérieure du Mfdc. Toutes les rencontres, qui ont eu lieu et qui ont, par la suite, permis à toutes les délégations européennes de participer à ce processus de paix, sont à mettre sur le compte de l’œuvre de SOS Casamance. Ainsi pour répondre à votre question le contacte a été établi, et nous avons positivement contribué au nom de l’intérêt des populations de Casamance, à ce processus qui a conduit aux accords de paix de 2004 et qui a conduit, également, à l’ouverture officielle des négociations de paix à Foudiougne.

D’habitude on dit que les associations œuvrant pour la paix en Casamance font pour le compte de leurs membres et que leurs actions se limitent uniquement à des discours. Alors quelles sont les actions que vous menez concrètement ?

C’est vrai qu’on n’est pas très souvent sur le terrain comme les autres pour montrer ce que nous faisons. En tout cas, ceux qui bénéficient la plupart du temps, de nos actions, c’est-à-dire les écoles, les enfants, les hôpitaux, eux, connaissent bien l’association SOS Casamance.
Nous envoyons chaque année des missions sur le terrain, pour mieux répondre aux besoins des populations. Pour être plus concrets, nous faisons chaque année une campagne de parrainage des enfants démunis (orphelins handicapés) qui vivent dans des situations difficiles, on prend en charge un certain nombre de besoins notamment les frais d’inscription, les fournitures d’une certaine catégorie de ces enfants. Nous ciblons beaucoup d’écoles notamment dans le département de Bignona, de Ziguinchor, d’Oussouye, et le Balanta Counda. Également au niveau des hôpitaux, par la mise à disposition du matériel médical. Nous portons aussi assistance aux personnes handicapées victimes des mines, les non-voyants, etc. Ces actions au profit des populations démunies,ne sont pas de simples discours.
Toujours au plan dans le domaine de l’éducation, nous participons à la création de bibliothèques scolaires au niveau des établissements scolaires. Donc quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, personne ne peut nous contester notre contribution à l’effort de développement public.

Plus de trente ans avec une situation de ni paix ni guerre comme vous l’avez évoquée tantôt, comment selon vous doit-on aborder cette crise pour aboutir à une paix définitive ?

Je pense que le problème dure maintenant plus de trente ans. La nation sénégalaise a capitalisé une expérience assez intéressante, de par la gestion des différents régimes successifs, teintée parfois de tergiversation, d’hésitation, de manipulations et d’amateurisme. Le président Abdou Diouf qui, en 17 ans de conflit, avait compris effectivement que ce n’était pas l’usage de la violence qui allait régler cette crise, mais qu’il fallait vraiment engager le dialogue. Il l’a compris vers la fin de son règne précisément, en 1999, malheureusement il est parti. Et après, il y a eu le Président Abdoulaye Wade qui est arrivé et qui a géré à sa manière ce dossier avec des conséquences catastrophiques. Il avait tout pour réussir, mais, malheureusement, il a lui-même avoué son échec en disant qu’il s’était trompé. Maintenant, Wade est parti. Parmi les causes qui ont fait qu’il est parti, il y a effectivement la non résolution de la crise casamançaise. Je tiens quand même à le rappeler, que si Wade est parti, au de la volonté de Dieu et du Peuple, ce sont les citoyens, les mouvements associatifs, la société civile, la diaspora sénégalaise de façon générale, celle de la Casamance en particulier, qui se sont mobilisés pour faire en sorte que le président Wade soit sanctionné de la façon de plus démocratique.
Maintenant avec l’avènement de Macky Sall, il y a un vent de l’espoir. Je pense qu’il a déjà affirmé sa volonté. Ce qui est quand même à saluer. De son côté le MFDC a aussi exprimé sa volonté à aller à la négociation. Au-delà de ces volontés exprimées de part et d’autre, il y a des actes qui ont été posés notamment par le mouvement rebelle notamment Salif Sadio qui a libéré les soldats, un acte que tout le monde a salué. Également du côté du pouvoir, des actes sont posés sur lesquels malheureusement le pouvoir ne communique pas. Il y a une absence de communication et de transparence dans la démarche du gouvernement. Ainsi d’après des sources sûres, aujourd’hui le pouvoir a effectivement levé le mandat d’arrêt international qui pèse sur Salif Sadio et d’après certaines sources, c’est ce qui expliquerait la présence de Salif Sadio à Dakar, il y a quelques jours. Le constat aujourd’hui, est de prendre en compte cette volonté des parties en conflit à aller vers une paix définitive en Casamance.

Est-ce qu’il ne faut pas utiliser la méthode de la transparence pour aboutir cette paix tant louée ?

Absolument ! Je prends le pouvoir au mot. Ils vont vous dire que c’est un dossier sensible, ils ne veulent pas communiquer. Il y a beaucoup de choses que les citoyens que nous sommes ne maîtrisent pas, faute d’information et de visibilité dans la démarche des uns et des autres. Mais encore une fois, je pense qu’on ne peut pas régler un conflit dans la non transparence, il va falloir mettre en place un mécanisme de communication, avoir une vision claire et précise que l’opinion peut comprendre ; qu’il y ait vraiment de la transparence au non de l’intérêt du peuple souverain, et pour que demain l’on puisse dire concrètement voilà ce qui a été fait avec une traçabilité des actes. C’est vrai que le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de communications, qu’il n’y ait pas de transparence dont vous parlez, pose un certain nombre de problèmes pour le règlement de la crise. Vous savez dans ce problème il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, c’est un conflit qui a beaucoup duré, et a été géré de façon chaotique, et scandaleuse. Ce conflit a permis à des personnes d’arriver à des stations de responsabilité politique, de gens de bénéficier de privilèges énormes, ce conflit qui a fabriqué des acteurs sans statuts légaux, qui pratiquent des trafiques de tout genre au détriment de notre économie légale, qui gagnent leur vie dans cette crise. Et , nous pouvons illustrer d’autres exemples . Vous comprendrez ainsi que c’est difficile pour certains, aujourd’hui, de comprendre, d’accepter que ce conflit doit finir. Il faut que tout le monde comprenne que c’est un conflit qui a fait et qui continue de faire beaucoup de malheur. Ceux qui s’opposent ou qui ne souhaitent pas sa résolution définitive , sont des gens qui ne défendent pas l’intérêt du Sénégal, des anti patriotes qui minent le développement et l’avenir du Sénégal.
Il nous faut donc une approche globale, inclusive et participative dans l’intérêt des populations, avec des programmes de développement concertés

Quels genres de programmes préconisez-vous?

Quand je dis le Sénégal ne peut pas se développer, cela signifie que le Sénégal ne peut pas se donner une image positive de démocratie alors qu’à coté il y a la question casamançaise. Je pense que quel que soit le discours de bonne conscience et morale que nous pouvons tenir, on ne peut réussir aujourd’hui le pari du développement si le territoire sénégalais, dans sa globalité, recouvre la quiétude, la paix sociale, et l’espoir d’un avenir partagé. Donc tant que le problème casamançais persiste, tant qu’il y aura l’exercice de la violence sur une partie du territoire national au nom d’un idéal politique , il sera difficile de réussir le développement, le bien être pour les populations, et même l’amélioration des conditions de vie. Et il me paraît important aujourd’hui dans la perspective de résolution de cette crise de ne pas se limiter à deux acteurs, Etat sénégalais et Mfdc. Car Il faut tout de même avouer et constater que ce sont les populations civiles qui ont payé un lourd tribut, et qui continuent de souffrir de cette situation de crise.
Donc une implication effective de ces populations civiles est une donnée obligatoire à prendre en compte. La parole doit etre libérée dans le respect de liberté fondamentale de chacun. Nous devrons tenir compte de leur avis, de leurs préoccupations, et de leurs besoins. Ces besoins sont l’éducation, la santé, l’emploi, la formation…
Il est triste de constater que les conditions dans lesquelles ces populations vivent sont déplorables pour une bonne politique de développement. Pour être précis on ne peut pas parler de développement sans qu’il y ait des infrastructures routières.
Quand vous partez pour la Casamance, c’est la peur mais aussi une catastrophe au vu de l’état des routes susceptibles de transporter toutes les ressources naturelles dont dispose cette région pour le commerce. l’exemple de la route de Kafountine où il y a une forte activité de pêche, quand vous regardez l’état de la route, c’est épouvantable, de même dans le fogny , dans le boulouf , le Pakao, et le fouladou c’est dure à vivre. Dans ces conditions, on ne peut pas rêver de développement. On ne peut pas parler de développement également si au niveau de la ville, la question de l’électrification pose problème, vous rentrez dans une ville comme Bignona c’est la catastrophe, il n’y a pas d’électricité le soir, on ne peut pas parler de développement dans ces conditions. C’est pour dire qu’aujourd’hui l’émergence d’un nouvel ordre régional s’impose en Casamance, ce nouvel ordre comme je le dis, doit se réaliser avec une nouvelle génération d’hommes et de femmes, engagés au plan politique, économique, social et culturel…. Il nous faut être créative et inventive face à notre destin. Il faut peut-être lier ce nouvel ordre à ce que le Président Macky Sall développe comme concept de territorialisation et qu’il indique, avec son gouvernement, que la Casamance doit être une région-test. Ce concept nécessiterait à mon avis une réflexion profonde au niveau de toutes les couches de la populations et des partenaires au développement. Je crois qu’il nécessite un vrai débat citoyen.
Si, maintenant, on arrive à une paix définitive, est-ce qu’on peut s’attendre à une mort de l’association ou bien quelle serait sa nouvelle vocation ?

L’association SOS Casamance est une association qui agit de façon conjoncturelle. Le jour où il y aura la paix, encore une fois, nous estimons avoir capitalisé une expérience intéressante qui fait de nous des acteurs de développements, et nous permettant de nous adapter à toute nouvelle situation et à d’autres horizons.
SOS Casamance n’est pas une association qui bénéficie, d’un traitement de faveur, comme certaines autres organisations à cause du conflit. C’est pour dire, que nous n’avons jamais bénéficié de privilèges de qui que ce soit, c’est une initiative personnelle, volontaire qui fonctionne citoyennement. Nous sommes en dehors de ce genre de système et rassurez-vous que avoir une association en Europe, pouvoir bénéficier un financement n’est pas chose simple car il faut une cohérence avec les politiques publiques, et répondre a des critères bien défini. Autrement nous ne sommes pas dans un système de clientélisme. Cela ne vaut pas dire que tout est parfait, loin de là.
Mais je veux tout simplement dire que ce n’est pas une association comme la notre qui posera de problèmes de nature à compromettre la paix et l’avenir de la casamance. Il y a surtout des gens qui ne sont pas visibles qui sont dans le système et qui jouent un rôle important dans l’orientation des politiques en matière de ce processus de paix, qui manipulent les parties en conflit, ce sont plutôt ces personnes qui posent problème. Parce qu’ils font office d’érudits et d’experts dans les coulisses du pouvoir sur le sujet avec des orientations bien calculées qui sont loin de la volonté des populations. Vous n’avez vu aucune association qui gère des milliards dans un processus de paix, ce sont souvent les politiques, ce sont des hommes de l’appareil d’État. ce sont ces gens qui crée des fonds soit disant pour la paix et qui se les servent malheureusement au nom des besoins des populations.
Je prends un exemple très précis, on a mis en place une Agence nationale pour la reconstruction de la Casamance (ANRAC), certes, le but est noble, mais aujourd’hui allez demander aux Casamançais quelle est l’utilité de cette agence-là ? Ils vous répondront qu’ils n’en savent pas. Pourtant, cette agence a géré des milliards, qui nous appartiennent à tous. Cette agence n’a visiblement servi qu’à caser des amis politiques. Comment pouvez-vous expliquer la création d’une agence pour la reconstruction de la Casamance, qui a son siège à Dakar, avec un budget de fonctionnement mensuel qui peut construire et équiper des centaines d’écoles et de cases de santé dans des milliers de villages ou de quartiers en Casamance ? Ces fonds sont souvent utilisés à des fins politiques. Donc cela pose problème. Je crois qu’aujourd’hui pour nous, nous serons très heureux d’avoir une paix définitive en Casamance. Une fois que cette paix est signée, nous sommes, certes, loin du pays, mais nous avons des ambitions pour notre pays , et notre région . Nous ambitionnons de contribuer à aider les populations, les mettre dans de bonnes conditions de vie et de bien-être , mettre en relation des acteurs économiques avec des investisseurs… Développer le volet touristique, construire des écoles, des usines de production.
Je crois que tout cela va se réaliser si la paix est effective, si nous arrivons à mettre en confiance les partenaires au développement. Je vous assure que nous aurons été très heureux et que l’on se dira que l’on a été utile .
Aucun bailleur de fonds ne prendra le risque d’investir dans une zone considérée comme d’insécurité donc une zone classée rouge.
Vous savez que même dans les pays occidentaux, les chancelleries, et ce la quelque soit les bons rapports que le Sénégal entretient avec ces pays, la destination Casamance est déconseillée à certains ressortissants européens. Et je pense que c’est une image négative, et qui handicap la destination Casamance.
Autrement je vous assure que l’on sera très heureux et que SOS Casamance peut se transformer en une association de développement en Casamance.

Interview réalisée par Cheikh Coka Camara



1.Posté par eva le 11/03/2013 17:31 | Alerter
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