Entretien - Lamine Bâ, GC: "Wade a été arnaqué et roulé dans la farine"

Après la perte du pouvoir, que doit faire le Pds pour se refaire une santé ?

Le Pds doit tirer les leçons du passé. En 2000, Abdou Diouf a perdu le pouvoir après 40 ans de gestion. Le Parti socialiste avait refusé de voir la réalité c’est-à-dire qu’il fallait réformer le parti. Ce n’a pas été fait et cette situation a créé la décadence. En 2012, le Pds a perdu le pouvoir. Nous devons aujourd’hui, en toute froideur, nous pencher sur les vraies raisons qui nous ont fait perdre le pouvoir.

Selon vous qu’est-ce qui vous a fait perdre le pouvoir ?

Sur ce, je dis qu’il y en a deux raisons : les raisons déterminantes et celles influentes. Les raisons déterminantes, c’est le Pds, la façon avec laquelle nous avons géré le pouvoir, le manque de solidarité dans le parti qui symbolisait même les actes de tous les jours. J’ai toujours dit qu’au Pds il n’y a pas d’amitiés, il n’y a que des intérêts que les gens défendent. En dehors de ces intérêts, les gens étaient capables de vous tuer. Ça devient une jungle.
En dehors de ces facteurs déterminants qui concernent la gestion du parti, il y a les raisons influentes qui viennent de l’Extérieur. On ne peut pas nier que Wade a fini par être une personne qui dérange de par son courage politique, sa vision et sa capacité à faire face à l’Occident et certains lobbies et à dire non. Nul ne doute que la politique de l’Occident repose sur le refus du non. Parmi les facteurs influents qui ont fait tomber Wade, il y a aussi cette rumeur selon laquelle le président voulait donner le pouvoir à son fils. Or, si nous décryptons l’environnement politique, on se rend compte que tout ce qu’on disait était faux. Mais c’est parce que l’opposition n’avait pas de programme à l’époque.

Vous êtes responsable du Pds mais on ne vous sent pas trop dans le parti. Avez-vous suspendu vos activités ?

Mon appartenance à la Génération du Concret m’a coûté cher. Les gens m’ont combattu dans le Pds. Je ne négocie pas de poste car je fais confiance à mes compétences. Je suis né dans une ville très politique (Nioro). Ce n’est pas la première fois que je fais de la politique. Je fus l’un des premiers jeunes coptés par Djibo Kâ quand il fut exclu du Parti socialiste après le congrès sans débat de 1996. J’ai soutenu Djibo jusqu’au Législatives de 1998. Pour moi, l’objectif à l’époque était de faire partir Abdou Diouf par tous les moyens. J’ai beaucoup de respect et d’estime pour Djibo Kâ qui m’a appris la politique. Je partageais des heures avec lui. Et on a eu des problèmes en 1999. Je voulais partir au Canada et il n’était pas pour. Finalement je me suis rebellé. Après cette rupture, j’étais un peu découragé de la vie politique et je me suis investi dans le mouvement associatif en France. J’ai rencontré un ami avec qui j’ai créé IACD (Initiatives actions citoyennes pour la démocratie et le développement). Ce mouvement regroupait toute la crème de la Diaspora africaine en Europe. On faisait les plus grandes tribunes et les plus grandes conférences. Cela nous a permis de recevoir toute la classe politique sénégalaise en France. C’est en 2007 que je suis rentré au Sénégal à la demande du président Wade. Mais c’est ça qui a amené le problème au Pds. Je suis venu avec des projets bouclés pour régler la communication de Me Wade. Et là, la guerre a commencé. Je suis un enfant de la République et citoyen universel. Ces gens qui me font la guerre n’étaient même pas imprégnés des projets dont j’étais porteur. Ils voulaient que je sois porteur de valises ! J’étais un jeune venu de la France et qui a conquis sa liberté. Ce qui m’intéressait c’est Wade, sa vision et sa philosophie. J’ai été nommé à la cellule de communication de la présidence de la République par Macky Sall (à l’époque Premier ministre de Wade et directeur de campagne du candidat Wade). Ce dernier m’a reçu le 12 décembre 2006 dans son bureau. Macky m’a dit : « Je te demande de rester au Sénégal parce que tous ces gens-là ont fait des séminaires à Mbour, à Dakar… On a une cellule de communication mais franchement personne ne m’a encore montré des projets aussi ambitieux que les vôtres ». Macky a appelé Wade qui se trouvait en Suisse et lui dit : « J’ai en face de moi un jeune que vous avez fait venir de la France ». Et Wade lui répond : « C’est mon projet ! Où est-ce que vous en êtes avec ? ». Mais vu qu’il y avait un problème de temps, j’ai dit au Premier ministre que je ne pouvais pas attendre car j’avais perdu trois mois à Dakar. Il fallait voir vingt ministres, tu les répètes la même chose mais ils ne comprenaient rien. Ils ne voulaient pas du projet et c’est là que la guerre a commencé. J’ai refusé de m’aligner. Ceux qui étaient à la cellule de communication du Président étaient des minables. Aucun d’eux n’a fait la communication.

Certains spécialistes avaient décrié la communication de Wade jugée désastreuse. En tant qu’ancien conseiller en com de l’ex président, vous
n’avez pas une certaine responsabilité ?

Je n’ai pas peur d’assumer ma responsabilité. Si j’étais responsable de la communication de Wade, je serai le premier à être devant les Sénégalais pour dire : « C’est moi ». Pour moi, ce que Wade avait l’ambition de faire pour le Sénégal dépasse le tâtonnement et l’improvisation. Si Wade pouvait dire combien il a dépassé pour sa communication, vous n’allez même pas le croire.

Vous voulez dire que Wade a été arnaqué ?

Il a été arnaqué et roulé dans la farine. Je donne un seul exemple : lors de la campagne de la dernière Présidentielle, aucun journal sur lequel les Sénégalais faisaient la ruée pour comprendre ce que veut Wade et ce qu’il fait pour le pays. Finalement les outils de communication du président étaient des sources de dégoût pour les Sénégalais qui n'y voyaient pas Wade mais autre chose. Les gens n’ont pas servi Wade. Ils se sont servis eux-mêmes. Ce qui a favorisé la réunification de ces germes de destruction du parti et causé la défaite de Wade.

Wade est présenté par certains comme un homme difficile à gérer. N’était-il pas difficile d’être son conseiller en com ?

Un président de la République est une autorité qui doit savoir tenir. Wade est quelqu’un de complexe et le danger chez lui c’est qu’il y a des
profanes, des gens qui n’ont aucun métier et aucune formation qui se sont ligués pour détruire tout ce qu’il y a de bon. Des gens qui ont réussi à mettre le président dans une prison et l’éloigner du peuple qui a fini par lui tourner le dos. C’était un système impénétrable fait par des gourous, des gens capables de tout pour se maintenir au pouvoir. Mais aujourd’hui c’est fini.

Wade a perdu, Macky Sall a pris le pouvoir. Comment jugez-vous ces 5 premiers mois du nouveau président de la République à la tête du pays ?

Depuis que Macky Sall est élu, son Premier ministre n’arrive toujours pas à faire sa déclaration de politique générale en violation de la constitution. Pour moi, la violation de la constitution n’est pas seulement un acte écrit mais un non-respect d’une tradition politique. Abdoul Mbaye viole la constitution au mépris et au su de tous ceux qui criaient hier. Cette société civile ringarde, cette classe politique, personne ne dit rien. Plus grave, on gouverne le Sénégal sur la base d’actes anticonstitutionnels. A Nioro, nous avons décidé avec 37 chefs de villages de saisir notre groupe parlementaire (Les libéraux et démocrates) pour attaquer l’Etat du Sénégal au Conseil d’Etat. Macky Sall vient de récupérer les voitures qui ont été offertes aux chefs de villages du Sénégal. Nul ne doute que c’est à la suite d’une loi votée à l’Assemblée nationale que ces véhicules ont été octroyés. Cette loi avait comme motivation d’élever le rang de chef de village et de l’institutionnaliser comme le Préfet ou le Sous-préfet. Wade disait : « Dans un village, quand il se passe quelque chose, c’est le chef de village qui vient avant le Préfet, le Sous-préfet ou le commandant de brigade». Donc le chef de village a une fonction sociale. C’est une violation de la constitution et personne n’en parle. Ça a été la même chose avec l’interdiction de sortie du territoire des anciens dignitaires du régime de Wade. Une décision qui a été prise sans respecter les formes et procédures. Où est Alioune Tine ? Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily sont plus préoccupés par un poste de ministre d’Etat que par dénoncer cette injustice. Aujourd’hui, Macky va nommer 55 Sénateurs, alors elle est où la rupture ? Nous allons droit au mur. Il n’y a pas de projet de société. Yoonu Yokuté, c’est plutôt Yoonu Wagnéku. On ne peut faire du Yokuté si on ne sait pas où on va. C’est un gouvernement de bluff avec des gens qui nous racontent du n’importe quoi. C’est le tâtonnement absolu.

Vous étiez proche de Karim Wade. Est-ce toujours le cas ?

Il faut comprendre le sens du mot « proche ». Je fais partie des cadres de la GC les plus respectés par Karim. Je ne me mêle pas de sa vie privée et il ne se mêle pas de la mienne. Il n’est pas mon ami intime mais il a une grande considération et une grande estime pour moi en tant que responsable de la GC et du parti.

Vous vous parlez régulièrement ?

Non ! On ne s’est pas parlé depuis qu’il est parti et c’est très normal. Il a des choses à faire et moi aussi. Mais notre relation est solide.

Entretien réalisé par la rédaction de Leral