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Entretien avec Ibrahima Sène du Pit : «Wade ne sera pas candidat en 2012

Ibrahima Sène est à l’image du Secrétaire général de son parti, Amath Dansokho. Comme le chef de file du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), la langue de bois, il ne connaît pas. Le chargé des affaires économiques du Pit assène ses convictions avec une force qui, parfois, frise le dogmatisme, mais l’argumentaire ne manque pas de pertinence.
Ibrahima Sène est à l’image du Secrétaire général de son parti, Amath Dansokho. Comme le chef de file du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), la langue de bois, il ne connaît pas. Le chargé des affaires économiques du Pit assène ses convictions avec une force qui, parfois, frise le dogmatisme, mais l’argumentaire ne manque pas de pertinence. Ici, M. Sène met en scène ce qu’il considère comme une parodie de candidature de Wade à la Présidentielle de 2012, persuadé qu’il est que ce dernier organise la dévolution du pouvoir pour son fils. Avant de déflorer la stratégie qu’entend mettre en place Bennoo Siggil Senegaal pour faire face à Wade.

Source : Soro DIOP / sodiop@lequotidien.sn


Rédigé par leral.net le Mercredi 24 Février 2010 à 12:49 | | 0 commentaire(s)|

Entretien avec Ibrahima Sène du Pit : «Wade ne sera pas candidat en 2012
La dernière fois, il y a eu la conférence des leaders de «Bennoo». Beaucoup s’attendaient à ce que soit abordée la question de la candidature de «Bennoo». Pourquoi, cette question n’a pas été abordée à cette occasion ?
D’abord, elle n’a pas été programmée et ensuite Bennoo a mis en place une procédure pour arriver à résoudre la question de la candidature pour 2012. La procédure, c’est quoi ? C’est de mettre sur pied une commission technique chargée de recueillir les propositions de démarche de chaque composante. Elle est chargée de synthétiser et de voir les points sur lesquels il y a convergence ; d’autres sur lesquels il y a nécessité de se concerter pour mieux élargir le champ de convergence et les points sur lesquels, vraiment, il y a divergence totale. Ce travail vient d’être terminé. La commission, dans la semaine, va envoyer son rapport. Certainement, la semaine prochaine, en recevant le dossier, Bennoo va décider de la date de la tenue d’un séminaire au cours duquel la question sera débattue, en direction des élections de 2012, baliser bien ce que l’on veut. Est-ce qu’on veut un candidat unique ? Si on le veut, dans quelles conditions et autour de quel programme ?
Si ces questions sont réglées, ceux qui sont d’accord autour de l’option d’un candidat unique, d’un programme, non pas législatif, mais de transition, vont se retrouver pour décider de la durée, du contenu et du candidat de la transition. Nous avons donc une démarche qui doit être discutée et validée pour le séminaire prochain. Si tout le monde n’a pas la même option de ce qu’il faut faire en direction de 2012, on ne peut plus parler de candidature. C’est ce préalable qui est en train d’être fait et la démarche, pour y aboutir, la commission instituée pour cela, a terminé son travail qu’elle va remettre aux leaders. Dans une ou deux semaines, les leaders décideront de la date du séminaire pour en discuter.
Donc, les gens sont un peu pressés. C’est vrai que Wade a mis le tempo tout de suite. Il dit qu’il est candidat. Alors ils disent que Wade est candidat, et les autres où est leur candidat ? Il faut que les gens se rendent compte que ce n’est pas Wade qui doit nous dicter le calendrier et le tempo; la Présidentielle, c’est 2012.
Tout de même, par rapport à cet agenda, si on se réfère aux réactions dans certains partis qui postulent que leur leader sera celui de «Bennoo», n’y a-t-il pas une cacophonie?
Il n’y a pas de cacophonie. C’est la culture de lutte du Sénégal, qui consiste à jouer le fanfaron vers l’arène. En wolof, on dit «Dagay bakku boyy demm di bëre». Tout le monde dit aujourd’hui : «Oui, je suis le plus beau, le plus grand.» Mais arrivés au séminaire, les gens se diront que personne ne peut s’improviser candidat de Bennoo, parce que quand même, c’est une adhésion volontaire des gens par rapport à quelque chose. Donc, dire, dès maintenant, «je suis candidat ou mon leader devra être candidat», c’est rendre un mauvais service à son leader, car les gens n’aiment pas qu’on leur force la main. Le caractère culturel du Sénégalais, c’est qu’il n’aime pas qu’on le bouscule.
Mais, cela ne découle-t-il pas du fait, -vous semblez le récuser tout à l’heure- que la déclaration de candidature de Wade a obligé les partis politiques au sein de «Bennoo» à se prononcer sur cette question ?
C’est malheureux, parce que cela ne devrait pas être le cas. Wade ne doit pas imposer à des partis dans ou hors de Bennoo, leur calendrier électoral. Les élections, c’est 2012 ! Or, Wade n’est pas candidat. C’est de la propagande qu’il fait.
Pourquoi donc, dites-vous cela ?
Premièrement, il sait que constitutionnellement, il ne peut pas être candidat. Pourquoi constitutionnellement, il ne peut pas l’être ? L’article 27 de la Constitution dit clairement que le mandat du président de la République se renouvelle une seule fois, c’est terminé ! Et pour changer cette disposition, il faut un référendum ou une réforme constitutionnelle. C’est ce que dit la loi. Les Libéraux disent que : «Oui, cette disposition de l’article 27 n’est pas rétroactive.» Ils racontent des histoires, parce que l’article 104 de la Constitution dit que les dispositions de l’article 27, en ce qui concerne la durée du mandat du Président, ne s’applique pas au mandat actuel. Pour ce qui est de Wade, son premier mandat, toutes les autres dispositions lui sont applicables, c’est-à-dire le renouvellement. L’article 27 a deux composantes : la durée et le renouvellement. Or, l’article 104 dit que la durée ne lui est pas applicable ; donc, Wade, au lieu de faire cinq ans, pouvait faire sept ans. Mais le renouvellement lui est applicable. Donc, la rétroactivité est là et Wade le sait. D’ailleurs, eux, quand ils voulaient de nouveau réformer la Constitution pour faire que la durée du mandat de cinq soit portée à sept ans, quand on leur a dit que vous ne pouvez pas le faire parce qu’en ce moment, il faut aller au référendum, qu’est-ce qu’ils avaient dit ? «Non, non ! Cette contrainte ne se pose pas sur la durée du mandat, mais seulement sur le renouvellement.» Ce sont eux-mêmes qui le disaient. Donc Wade sait que constitutionnellement, soit il ne va pas au référendum soit il ne fait pas un changement constitutionnel. Un changement constitutionnel, c’est quoi ? C’est faire en sorte que le Parlement réuni au 3/5 vote cela. Il avait essayé de le faire du temps de Idrissa Seck, quand il avait des problèmes avec lui. Il a fait un coup de force d’ailleurs ; ça n’a pas marché. Il n’est pas parvenu à réunir les 3/4.
Mais aujourd’hui, au Parlement, il détient quasiment…
(Il coupe) Il sait parfaitement que s’il pose la question au Parlement pour dire qu’il faut changer la Constitution pour qu’il puisse devenir candidat, le monde entier lui rentrera dedans. Ça, il le sait très bien. Il a vu Tandja (Président du Niger, victime d’un coup d’Etat après avoir modifié la Constitution pour se tailler un autre mandat : Ndlr).
Mais plusieurs fois, le Président Wade a,-à 15 reprises-, modifié la Constitution, sans conséquence ?
(Il crie). Ce n’est pas pour renouveler son mandat ! Attention, c’est ça qui est très sérieux ! Tu peux faire des tripatouillages, mais pour renouveler ton mandat pour rester, ceci est assimiler à un coup d’Etat. Si Wade veut faire ce coup d’Etat, il en verra les conséquences. Voilà pourquoi Wade n’est pas candidat. Il prouve nettement qu’il ne l’est pas, parce que, si c’est son sort politiquement qui était concerné, ce serait très simple de dire à tous ses partisans : «Ecoutez, chacun dans sa sensibilité n’a qu’à mobiliser ce qu’il peut derrière moi, pour que je gagne.» Il n’a pas besoin de renouveler, d’attiser les contradictions entre ses membres. Pourquoi, il fait cela ? C’est parce qu’il sait -il l’a vérifié, lors des locales- que Karim n’a pas le soutien du parti (Pds : ndlr). Donc, il va renouveler pour que les rouages du parti (Pds), essentiellement, soient contrôlés par les hommes de Karim. Il le fait pour que Karim soit candidat et pas lui. Lui, il va organiser les élections, avec Karim comme candidat.
Ce n’est pas de la fable, parce que, n’oubliez pas ce qu’il avait dit au fils de Eyadema, quand il hésitait à aller aux élections. Il lui avait dit : «Vous avez l’Armée, vous avez l’argent et le parti. Pourquoi vous avez peur d’aller aux élections ?». Karim, qu’est ce qu’il a ? Il a l’argent. Baldé aux Forces armées, donc il présume qu’il a l’Armée ; il lui faut le parti. Wade est en train de lui donner le parti. Donc, Wade, lui, n’est pas candidat. Je suis convaincu que Idrissa Seck a bien compris ce jeu-là. Voilà pourquoi, il joue à la réconciliation ; il ne se fatigue pas pour se mettre en pôle position derrière Karim, et le jour où Wade sortira ses cartes, lui, Idrissa, il sortira les siennes.
Mais au cas où Karim serait candidat, quelle sera votre attitude en tant qu’opposition ?
Karim, s’il est le responsable d’un parti, personne, qu’il soit le fils de Jupiter ou de Abdoulaye Wade, ne peut légitimement lui refuser le droit de se présenter aux prochaines élections. Personne ! C’est un Sénégalais, chef d’un parti. Et même s’il n’était pas chef d’un parti, si des gens de la société civile le présentent comme candidat, il a le droit de le faire. Le problème n’est pas là.
A la différence, que Karim aura l’Armée, le parti et l’argent…
Alors Wade pense que, lui, il pourra gérer le processus électoral de telle manière à plébisciter son fils. C’est là où il se trompe, parce qu’on ne se laissera pas faire puisque nous connaissons son jeu.
On a quand même un problème avec l’opposition. Vous dites souvent «On ne se laissera pas faire» ; «C’est inadmissible». Vis-à-vis de Wade, l’opposition n’oppose finalement que des cris d’indignation simplement…
Je dis une fois encore que c’est la culture wolof qui prédestine un peu la conscience et le comportement des hommes politiques de ce pays. La culture wolof, qu’est-ce qu’elle dit ? «Booy deff daara, nalako jaaral.» Quand il y a des choses qui ne t’agréent pas, tu as le droit de t’indigner. Mais si c’est une chose qui pose la question de ton existence, si tu veux t’exprimer, il faut passer à l’acte. Tant que Wade tripatouille des choses, on s’indigne, on alerte l’opinion pour que les gens se rendent compte de comment il se comporte. Quand il a refusé de réformer le système électoral aux législatives, nous avons dit, puisqu’il ne veut pas, quelle est notre position ? Nous allons agir et non seulement nous contenter de parler. Agir, c’est quoi ? C’est boycotter, pour montrer au monde entier que lui qui dit avoir été élu en janvier 2007 par le même corps électoral, de janvier en juin, n’a pas été élu. Et l’expérience l’a prouvé. Maintenant, il s’agit du sort du pouvoir politique au Sénégal par la Présidentielle ; et là «kumoko jaaralul (celui qui pense que cela ne vaut pas la peine de se battre : ndlr», ce n’est pas la peine de faire de la politique.
S’il pose un acte qui, véritablement, remet en cause les procédures de dévolution du pouvoir au Sénégal, ce ne sera pas seulement un problème de Bennoo Siggil Senegaal, même pas des partis qui se disent non alignés, ce sera celui de tous les Sénégalais.
Encore faudrait-il que les Sénégalais, face à cette éventualité, trouvent des leaders politiques capables de jouer leur rôle d’avant-garde…
Voilà pourquoi nous travaillons à mettre sur pied un processus au bout duquel on trouvera cela. Nous ne sommes pas pressés, parce que 2012, ce n’est pas demain. Tout le monde pense que Wade va faire une élection présidentielle anticipée. S’il le fait, il est perdant sur toute la ligne, du moins, s’il respecte la Constitution. Pourquoi ?
S’il organise des élections anticipées, il faut qu’il démissionne. Or, s’il le fait, ce n’est pas lui qui organise les élections. Dans ce cas, c’est le président du Sénat. Les partis d’opposition n’accepteront pas que le président du Sénat organise les élections sur la base d’un système électoral aussi farfelu. Le président du Sénat n’aura pas la force politique et institutionnelle, en tant que Président intérimaire, pour refuser l’ouverture d’une véritable réforme du système électoral. Et s’il y a la réforme électorale, comme il faut, Karim n’a aucune chance de passer. Wade sait bien qu’il n’a aucun intérêt à démissionner. Mais, il peut faire une chose.
Que peut-il faire alors d’autre ?
Au lieu de démissionner, il peut écourter son mandat. Il peut demander à son Parlement de voter une loi pour dire que le mandat du président de la République en cours s’arrête, par exemple, en 2011. Il ne démissionne pas; il organise en 2011. C’est la seule manière par laquelle il peut s’en sortir, s’il veut faire des élections anticipées. Il peut le faire par le biais du Parlement. Et ça, c’est la durée du mandat, il peut le faire par majorité simple du Parlement. Même dans ce cas, nous avons élaboré une stratégie pour faire face, parce que la procédure de désignation de notre candidat va aboutir avant la fin de 2010. Et pas même plus tard que mai. Ce n’est pas un secret que je dévoile, mais c’est exactement les dispositions dans lesquelles les gens sont. De sorte que, quel que soit Alpha, Wade ne peut pas nous surprendre. Que les gens sachent une chose : ce n’est pas lui qui nous dicte, en tout cas nous au Pit et dans la plupart des partis membres de Bennoo, le calendrier politique de ce que nous devons faire. Maintenant, j’entends dire : «Il y a des poids lourds dans Bennoo.» Mais, poids lourd ou poids léger (rires), cela n’a pas de sens. Celui qui est poids lourd, il n’a pas besoin d’être dans Bennoo. Si on est suffisamment lourd pour faire face, qu’est-ce qu’on fait dans Bennoo ? S’ils sont lourds, pourquoi ils ne sont pas allés, chacun de son côté aux Législatives ? Ils savent qu’ils sont des poids légers par le système électoral qui est là. En février 2007, ce système électoral leur a tous distribué des quotas bidon. Donc, laissons de côté les fanfaronnades des uns et des autres pour voir ce qui est possible et ce qui est en train d’être fait. Moi, je suis membre de la commission qui travaillait sur ces dossiers et nous sommes dans la bonne voie pour nous en sortir.
Vous êtes sur la bonne voie, alors que le processus de révision du Code électoral a été entamé. Il y a le pouvoir qui organise des consultations foraines ; vous n’y êtes pas présents. Ne risquez-vous pas d’être devant le fait accompli par rapport à la révision du Code électoral ?
C’est justement ce système qu’on veut remettre fondamentalement en cause. Pour le remettre en cause, il y a deux voies possibles. C’est d’abord mobiliser l’opinion pour exercer une pression sur Wade pour qu’il soit plus regardant par rapport aux normes normales de la transparence du système électoral. Nous savons que cette procédure ne marche pas avec lui. Qu’est-ce qui marche avec Wade ? Ce sont les rapports de force. Ce que nous sommes en train de construire pour empêcher son processus de fraude. Cela, on l’a vérifié aux élections locales. Partout où on a mis une Coalition de Bennoo face à Wade, on a gagné. Partout où nous sommes partis dispersés, on a perdu. Partout où nous avons été absents, on a perdu. Les gens ont eu cette expérience; ce n’est plus la théorie. Pour faire face à son processus de fraude, ce n’est pas la parlotte, c’est construire les rapports de force. Et ces rapports de force, nous sommes en train de les construire autour d’un programme et d’un candidat.
Parlant justement de rapports de force, il est communément admis par les observateurs, que les conditions objectives de changement sont réunies dans le pays, si l’on observe la situation sociale des populations, les problèmes d’électricité, des inondations, sur fond de série de scandales. Cependant, l’opposition a du mal à organiser ou à être à l’avant-garde du bouillonnement social. Comment dans ces conditions, vous voulez reconstruire les rapports de force ?
Le Sénégal est un pays politiquement mûr. Aujourd’hui, dans la lutte citoyenne, il y a une différenciation, une segmentation des responsabilités face aux problèmes des citoyens. Dans les années 80-90, le Sénégal n’avait pas atteint ce degré. Dans les années 80, les organisations de la société civile étaient balbutiantes, ne pesaient pas; les organisations consuméristes n’existaient pas; les syndicats, bon an mal an. Les partis politiques, particulièrement ceux de l’opposition à l’époque, assumaient cette fonction pour amener l’éveil de conscience, la détermination des gens à s’organiser pour prendre leurs responsabilités. Le résultat a été quoi ? Vers la fin des années 90 et en début 2000, l’éclosion d’organisations qui assument leurs responsabilités. Le mouvement syndical, quand il s’agit du pouvoir d’achat, des conditions de travail, d’augmentation des salaires, bouge. En ce qui concerne les prix, les organisations consuméristes existent et bougent, même si c’est insuffisamment. En ce qui concerne le mode de gérer ce pays, les partis politiques bougent aussi. Donc, la spécialisation qui est la mesure de la maturité politique d’une société, le Sénégal l’a atteint. Et personne n’acceptera que les partis politiques appellent les gens pour l’augmentation des salaires. Ils vont dire de quoi ils se mêlent. Les gens verront curieux que les hommes politiques descendent dans la rue pour l’augmentation des salaires. Les gens diront-il y a des organisations dans lesquelles les Sénégalais se reconnaissent là-dessus. Le rôle des partis politiques, en ce moment, c’est quoi ? C’est de faire en sorte que les luttes des uns et des autres soient coordonnées, de manière à ce qu’elles atteignent une masse critique leur permettant de faire aboutir leurs revendications. C’est cela le rôle des partis politiques et non de se substituer aux organisations spécialisées.
Nous l’avons si bien fait comprendre aux gens. Certains, malheureusement prennent le mauvais côté de la chose, en disant «puisque c’est ça, nous on attend». Non, le rôle des partis, encore une fois, dans un contexte de maturité politique et sociale d’un pays, c’est d’épauler les organisations syndicales, consuméristes, du monde rural, des femmes, des droits de l’homme. Ces organisations spécialisées, les partis doivent les épauler pour leur permettre d’avoir une synergie…
C’est justement à ce niveau que l’on fait un constat de vacuité…
(Il coupe en criant). Encore une fois, si on juge Bennoo sur ce terrain, je suis d’accord. Mais les gens jugent Bennoo sur le fait que «oui, quand il y a hausse des prix, on ne l’entend pas». Or, on entend Bennoo, parce que son rôle est d’expliquer pourquoi il y a hausse des prix. Mais ceux qui doivent assumer la défense, ce n’est pas Bennoo. Si les travailleurs sont agressés, Bennoo parle ; mais ceux qui doivent assumer la défense des travailleurs, ce sont les syndicats. Mais, Bennoo n’est pas encore dans une dynamique de fédérer ces luttes. Nous au Pit, les partis de gauche, nous travaillons à fédérer ces luttes et nous sommes parvenus à faire franchir un pas, en inventant le concept d’Assises nationales, pour que les gens se retrouvent autour d’une même vision, des mêmes préoccupations et des mêmes exigences. Le Front Siggil Senegaal est parvenu à réunir les organisations de la société civile, consuméristes, syndicales, de défense des droits humains et des organisations de la société civile de développement et, ensemble, avec les partis de l’opposition, pour se pencher sur le destin du Sénégal et dégager des perspectives.
Mais, on a envie de vous dire : «Quel énorme gâchis !» Pourquoi ? Parce que tout ce travail qui a été fait par les Assises nationales, on a l’impression qu’il est fini, que les Assises nationales maintenant, c’est du domaine de l’histoire et qu’il y a une autre histoire qui est en train de se faire à côté…
C’est là où vous vous trompez ! Les Assises nationales, ce n’est pas fini. Vous n’avez pas encore vu les conclusions. Quand les grandes orientations ont été arrêtées, il y a une commission pour finaliser, mettre en forme ces grandes orientations sous forme de programme. Ça, c’est terminé. Je suis convaincu que deux ou trois semaines plus tard, les gens verront le contenu et la mobilisation qui va se faire autour de ce travail. C’est ce second terrain de lutte, conjugué au terrain des concertations que nous menons autour de la prise en charge politique de ces conclusions, qui vont permettre aux Sénégalais de se rendre compte que le travail des Assises n’a pas été un acte historique terminé, mais il impactera durablement le comportement des partis politiques de l’opposition et l’avenir du Sénégal. Il était difficile, avant de ficeler, d’entendre un parti politique aller au-delà de l’évocation symbolique des conclusions des Assises. On dit «conclusions, conclusions», mais lesquelles ? Personne n’en parle, parce qu’il fallait respecter la mise en forme de ces conclusions, les formaliser, pour pouvoir en parler concrètement.
Tout cela, ce n’est pas pour dire que nous sommes parvenus à répondre à la question essentielle que vous avez posée, à savoir prendre le leadership pour la convergence des luttes. Nous avons un chemin ; c’est la convergence des visions, des programmes. C’est à partir de là qu’il sera possible de bâtir des convergences de lutte. De la même manière que le programme autour duquel les partis de Bennoo doivent se réunir s’inspire des conclusions des Assises. Ce programme va baliser le terrain au programme de transition et à la candidature unique. C’est un processus intellectuel; le Sénégal est politiquement mûr. Il ne faut pas que les gens pensent que nous sommes encore au stade de 1990, quand les partis faisaient beaucoup de choses à la place des citoyens pour les exhorter, pour qu’ils prennent conscience de leurs responsabilités. Maintenant, ils les ont prises.
Ne peut-on pas quand même reprocher à la Coalition «Bennoo Siggil Senegaal» une absence de code de conduite, en tout cas de principe, dans la réception des leaders qu’elle reçoit ? Macky Sall de l’Apr est quand même comptable de 9 ans de gestion au sein du pouvoir ; Landing Savané, pratiquement près de dix ans. Tous ces gens sont admis au sein de Bennoo, comme si le mot d’ordre était : «Prenons tous ceux qui sont contre Wade».
C’est là l’erreur. Il y a un critère pour adhérer à Bennoo. Le critère fondamental, c’est la conclusion des Assises. Macky et Landing étaient contre les Assises. Mais quand ils sont sortis, ils ont dit qu’ils se reconnaissent dans ces conclusions. S’ils ne l’avaient pas fait, ils ne seraient jamais dans Bennoo. Maintenant dire qu’on est pour ces conclusions et avoir un comportement en conséquence, c’est autre chose. Pas seulement, eux, mais tous les autres qui se disent partie prenante des Assises. Il ya un terrain de démarcation pour être dans Bennoo. On a dit que le préalable, c’est d’accepter les conclusions des Assises et de signer la Charte nationale de bonne gouvernance. Moi, je ne peux que saluer le fait que Macky et Landing, malgré leur position antérieure, soient revenus vers nous. Encore une fois, c’est la prise en charge, le respect à la lettre de leur signature qui le prouve. Il ne s’agit pas seulement de dire, on est là. Maintenant, leurs responsabilités dans la gestion du pouvoir, ils en rendront compte au peuple sénégalais. Nous, nous ne pouvons ni les laver, ni les accuser. Quand ils étaient au pouvoir, tout le monde sait ce qu’ils ont fait et dit. Ce qu’ils ont fait au peuple, ils en répondront. Ils ne sont pas les seuls à être venus à Bennoo ; Idrissa Seck était venu dans le Front Siggil Senegaal. Quand Idrissa Seck y est venu, on lui a dit d’accepter le boycott ; il l’a fait. Après, il a fait ce qu’il a fait. Et quand il l’a fait, c’est fini. Si Idrissa Seck n’avait pas participé au boycott, est-ce que nous aurions eu le résultat qu’on a eu ? Soyons sérieux, des actes comme ça sont politiquement significatifs. Est-ce que les gens qui posent ces actes seront suffisamment conséquents pour aller jusqu’au bout ? Il n’y a que le futur qui peut répondre à une telle question. Donc, Bennoo n’est pas un club fermé ; il a des principes et des objectifs.
On a assisté récemment à la publication des audits de l’Armp. Il y apparaît que 72 structures, ministères et agences, presque la totalité, n’ont pas obéi aux règles correctes de passation des marchés. Il y a eu, quelque part, prévarication, surfacturation, etc. Mais la plupart des épinglés qui ont réagi par rapport à ces audits, se sont défendus pour dire qu’ils n’ont pas reçu le rapport pour pouvoir répondre. Que pensez-vous, en tant qu’expert dans le domaine de l’économie, de ces réponses ? L’Armp n’a-t-elle, quand même pas fait l’erreur de n’avoir pas attendu les réponses des audités ?
L’Armp a fait son travail. Les alibis des autres, c’est autre chose. Pape Diop et Awa Ndiaye qui avaient dit qu’ils n’avaient pas reçu le Rapport, les gens ont démontré le contraire. D’ailleurs, Awa Ndiaye n’a eu comme seul argument que de dire : «Moi, je ne suis pas la seule, pourquoi on me cible ?» Elle sait très bien qu’elle a fait des choses reprochables.
L’Armp a illustré, cette fois-ci de manière institutionnelle, ce que nous, en tant que partis, nous critiquons régulièrement et ce que Latif Coulibaly a illustré sur l’Oci. Mais, l’Armp est allée plus loin car institutionnellement, elle a mis à nu le roi. C’est un régime corrompu et de corruption, qui renchérit le coût de la vie de ce pays, par des surfacturations ; ce qui élève les prix et vide les caisses de l’Etat, parce que ces surfacturations iront à leurs poches. Ce qui rend les Finances publiques exsangues. C’est un régime que nous avons caractérisé depuis longtemps en donnant des illustrations. Latif l’a illustré dans un secteur, l’Oci ; et l’Armp l’a démontré nettement.
D’ailleurs, ce qu’a fait l’Armp a tellement secoué les institutions de Bretton Woods qui étaient complaisantes dans cette gestion, à tel point que c’est maintenant la Banque mondiale qui sort le canon contre la gestion de la Senelec, en dénonçant les mêmes maux et tares que Latif a dénoncés dans la gestion de l’Oci et que les partis d’opposition avaient toujours dénoncés. La Banque mondiale était obligée, parce que si elle ne le dit pas quand la Senelec va rentrer dans le domaine des audits, ils vont le sortir. Donc, la Banque mondiale a pris le devant en disant qu’elle ne comprend pas que les revenus de la Senelec aient augmenté de 96 milliards et qu’à cause des dépenses de salaires, de primes et de transport et de voyages, qu’on soit déficitaire au point de ne plus planifier les approvisionnements de la Société et d’acheter au prix fort les approvisionnements au jour le jour. La Banque mondiale était obligée de le dire, parce qu’elle sait très bien qu’elle est impliquée dans le dossier de la Senelec. Si l’année prochaine la Senelec rentre dans les audits, la Banque mondiale aura honte. Donc, sur cette question, même ceux qui couvraient le pouvoir ne peuvent plus le faire. Ce n’est pas pour rien que Segura a reçu un cadeau en partant. Moi qui vous parle, j’avais écrit un article pour dénoncer le comportement de Segura, et de Madani Tall qui représente la Banque mondiale, par rapport à leur comportement complaisant vis-à-vis de la gestion des Finances publiques. Je posais la question : «Est-ce que ces gens ne sont pas rentrés dans le système de corruption du pouvoir ? » Un an après, l’affaire Segura avec sa valise sort.
Là, les prétextes utilisés par Pape Diop et Awa Ndiaye n’ont aucune valeur ni au plan économique ni au plan judiciaire, à plus forte raison au plan moral. Wade ne peut pas les sanctionner, parce qu’il est au cœur du système. Récemment, le représentant de l’Union européenne a dit qu’il faut voir s’il y a prévarication et ensuite sanctionner. Même l’Union européenne exige des sanctions !
Pourquoi Abdoulaye Wade ne pourrait pas quand même sanctionner, en tant que président de la République ?
Il est au centre de ce système de corruption et de surfacturations, dans les Finances publiques.
Comment ?
N’a-t-il pas dit : «J’ai dit à Idrissa Seck prend tant. Ensuite, je lui ai fait une rallonge» ? Sur quelle base ? Est-ce son argent ? L’utilisation des Finances publiques passe par une loi de finances rectificative. Il use et utilise les Finances publiques comme si c’est l’argent de sa poche. Puis, il dit : «Idrissa Seck me doit de l’argent», mais Idrissa Seck doit de l’argent au pays ! Il ne s’est pas arrêté là ; toutes les terres de ce pays lui appartiennent. Quel terrain ici à Dakar n’a pas fait l’objet de transaction pour lui permettre de gagner de l’argent. Pourtant, la loi est claire : les terrains du domaine national, à plus forte raison ceux du domaine public, font partie des patrimoines, comme les entreprises publiques. Il ne peut pas les vendre ; sans que l’Assemblée nationale vote une loi pour l’autoriser à le faire. Le domaine maritime, on n’en parle même pas.
Il y a aussi le problème de la Casamance avec la recrudescence de la violence, obligeant même certains généraux à sortir de leur réserve. Quelle lecture vous faites quant à l’origine de ce regain de la violence au sud du pays ?
(Il rappelle d’abord le contenu de la dernière déclaration du Pit sur la question : ndlr)
(…) A l’époque, au début de cette situation, le Pit avait publié un mémorandum adressé au Président Diouf et qui n’a pas eu de suite. Maintenant, pourquoi il y a eu recrudescence ? Quand même, quand les gens du Mfdc demandent d’ouvrir des négociations sérieuses, le Président fait la sourde oreille. Quand les socio-cultures demandent des négociations sérieuses pour le retour de la paix, il fait la sourde oreille. Les Assises nationales ont été saisies par le Mfdc sur la question. Elles sont parvenues à la conclusion que les conditions, maintenant, sont réunies, parce que c’est le Mfdc, par la voix de Biagui, lui-même, qui demande des négociations de paix. Quand, Bennoo Siggil Senegaal, dans la plateforme de dialogue politique, pose, parmi les points à discuter, les conditions de reprise des concertations sur la paix en Casamance, Wade fait la sourde oreille. Que voulez-vous que les gens qui veulent sortir du maquis fassent ? Mais, ils prennent les armes pour attaquer ! Tant que les maquisards restent tranquilles, font de petits braquages, le pouvoir s’en fout pas mal. Mais quand ils attaquent l’Armée, ça devient sérieux, parce que les soldats se sentent exposés. Wade ne peut pas leur dire d’aller faire la guerre, parce qu’il veut faire croire à tout le monde qu’il y a la paix.
Quel intérêt le Président Wade a à faire la sourde oreille par rapport à des gens qui veulent faire la paix, lui qui préside aux destinées du pays ?
Je ne suis pas dans sa tête. C’est une question pertinente qu’il faut lui poser. Mais ce que l’on voit, c’est quoi ? C’est que les hommes que Wade a choisis se sont sucrés dans ce dossier. Et on a l’impression que Wade pense qu’il est possible, par la corruption et la division du Mfdc, d’aboutir à un moment où ce mouvement va se rendre avec armes et bagages. C’est vraiment minable que d’avoir une vision pareille de gestion d’un conflit vieux de 30 ans. Les gens ne sortiront pas du maquis, poings et bagages liés. Jamais ! Ils sortiront quand les conditions seront réunies pour qu’ils sortent honorablement et qu’ils trouvent des perspectives. Non pas des perspectives pour avoir des poulaillers. Non ! Ils ne sont pas allés au maquis pour des poulaillers ou des jardins. C’est pour qu’ils puissent compter parmi ceux qui vont contribuer au développement économique et social de leur région. Wade ne connaît que la division et la corruption. C’est ce qu’il fait avec les syndicats.
Or, c’est son cursus politique qui l’amène à cette conception, parce que son parti a été miné par la corruption et la division. Il sait pourquoi Serigne Diop, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, l’ont quitté. Certainement cela l’a marqué au point qu’il pense que la politique, quand on a les moyens, pour s’en sortir, c’est cette voie-là.
L’actualité, c’est aussi le coup d’Etat au Niger. En tant qu’homme politique sénégalais, avec ce que vous vivez au Sénégal, quelle lecture vous faîtes de ce qui s’est passé au Niger ?
Ce qui s’est passé au Niger ne surprend que ceux qui veulent être surpris. Les Armées, les plus républicaines au monde, ne peuvent pas rester indifférentes quand leur pays est bloqué, quand l’instabilité risque de remettre en cause la sécurité des citoyens et même l’autorité de l’Etat. Tandja a pensé que, puisqu’il est le chef des Armées, il peut faire ce qu’il veut, mais il a payé. Il a été sourd aux récriminations de son opposition et aux avertissements du monde entier. Les gens n’ont pas eu besoin de créer les conditions d’un génocide ; ce qui s’est passé en Guinée-Conakry est largement suffisant. Maintenant, est-ce que l’Armée gérera cette responsabilité de manière à permettre un renouveau démocratique au Niger ? C’est un autre débat. En tout cas, les démocrates et républicains du Niger se sont battus pour refuser le despotisme rampant de Tandja, jusqu’à mettre ce pays au bord du gouffre, qu’illustre la médiation de la Cedeao. Quand la Cedeao a sorti la médiation de Wade, j’ai rigolé, parce que c’est le moins qualifié pour aller la faire concernant des manipulations et des changements de la Constitution. Vous pensez que les Nigériens vont laisser Wade venir leur faire la leçon de manipulation de la Constitution ? Je ne crois pas que ce soit un hasard que les gens aient pris le pouvoir pour qu’il ne vienne pas. Tous les démocrates africains doivent se demander quel est le bilan des médiations de Wade. Demandez en Mauritanie, les forces démocratiques se disent qu’elles ont été menées en bateau par Wade, qui a permis les conditions de maintien au pouvoir de putschistes et qui est en train d’enfreindre toutes les libertés dans ce pays. C’est la même chose en Madagascar et en Guinée. C’est Ousmane Ngom qui avait bien défini le sens du despotisme éclairé chez Wade ; c’est parler en démocrate et agir en despote. Un tel homme, les démocrates nigériens ne vont pas le laisser venir compliquer la situation.
Mais ne doit-on pas se réjouir de cette marque de considération de la part de la Cedeao ?
La Cedeao l’a choisi, c’est juste pour faire un équilibre en son sein. Elle sait que le fait d’avoir choisi Compaoré (le Président du Burkina Faso : ndlr), comme médiateur dans le conflit, l’a frustré. Il y a encore entre ces deux Présidents le fait pour chacun d’avoir le poste. Ils savent que Wade n’est porteur d’aucune solution. La preuve, les Nigériens n’ont pas attendu. Or, Wade, s’il pouvait faire cette médiation, cela allait être un stage pratique pour lui. Il allait pratiquer, grandeur nature, au Niger, pour voir comment s’en sortir, après avoir imposé son fils ; donc confisquer le pouvoir pour ce dernier. Lui, il a confisqué le pouvoir pour soi ; là, il allait étudier comment s’en sortir en confisquant le pouvoir pour son fils.
Vous pensez que Wade en tirera la leçon ?
A son âge, je ne crois pas. Il a perdu la capacité de discerner le bien du mal. Voilà pourquoi quand Bennoo dit qu’il s’interroge sur ses facultés à gérer le pays, ce n’est pas de la médisance. C’est parce que Wade est arrivé à un stade où il ne discerne plus le bien du mal. Quand un vieillard est arrivé à ce stade, il faut le décharger. Et les malheurs de Pape Diop sont liés à cela. Wade sait très bien que quand le Pit dit que Pape Diop doit assumer ses responsabilités pour vérifier l’état de santé de Wade, c’est parce que les Sénégalais sont inquiets. Wade fait tout pour le fragiliser, l’apeurer, afin qu’il ne franchisse pas le pas. J’espère que Pape Diop ne se laissera pas brimer à ce point, jusqu’à fuir ses responsabilités historiques d’assumer les fonctions qu’il a obtenues de Wade, mais qui ne sont plus les fonctions de ce dernier. Il détient maintenant les fonctions de la République. C’est lui seul qui est habilité, dans ce pays, pour rassurer les Sénégalais, à savoir si Wade est mentalement sain pour continuer à diriger le Sénégal.

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