N’est-ce pas que vous en avez plus que marre des vedettes habituelles qui envahissent la Une des tabloïds, squattent les écrans de télé et confisquent les micros de la bande Fm ? Mais vous êtes coriace. Chapeau bas. Vous supportez l’insupportable, sans geindre, ni même soupirer. Rester coi, quel que soit votre martyre.
Même votre place au septième Ciel, vous ne ferez aucun zèle pour. Finie, la mascarade : vous les virez, les concessionnaires de grâce divine, les pigistes en sainteté, les gérants de succursale du paradis, l’amicale des postulants à la Miséricorde suprême, tout le gratin des érudits qui parlent doctement de l’Au-delà pour se payer des acomptes terrestres.
Vous décidez de vivre sur terre en attendant que le Ciel s’éclaircisse. Le drame est que ces gens-là ne vous étonnent plus. Vous avez besoin d’être étonné. C’est aussi plat que ça. Rien ne vous abat, rien ne vous dérange. Vous vous accommodez de tout. Même de l’impensable.
Par exemple, que vous êtes fauché et que vous n’avez plus d’amis. Vous êtes blasé à force d’en avoir entendu, vu et enduré.
Quand bien même Abdoulaye Wade est président de la République, Iba Der Thiam, Aïda Mbodj, Aïda Ndiongue, Djibo Kâ, Abdourahim Agne et Mbaye-Jacques Diop sont les piliers de son régime, tandis que Tanor Dieng le singe dans l’opposition, acoquiné à Moustapha Niasse, Landing Savané, Amath Dansokho, Madior Diouf, Talla Sylla et Abdoulaye Bathily. En 1991, vous faites une bonne fois pour toute de l’urticaire mâtiné d’ulcère surmonté d’une migraine, avec l’entrée du pape du Sopi dans le «gouvernement de majorité présidentielle élargie». Depuis, vous êtes immunisé.
Ca vous étonne, maintenant, qu’il existe un pelé et deux tondus qui ont l’énergie pour hurler à la trahison et en appeler au sens moral des citoyens. La vaste blague. Vous avez déjà donné. Les hurlements d’indignation, vous ne les entendez plus. Votre existence ronronne paisiblement de ses certitudes.
Ah, exception : il vous arrive de vous tordre de rire, comme ça, devant la très austère actualité. Par exemple, quand on évoque «l’opposition significative» en passe de renverser le régime pourri qui gangrène ce pays depuis l’Alternance, laquelle vient de renverser un régime pourri qui gangrène le pays depuis l’indépendance. Rien qu’au souvenir du balai que Madior Diouf exhibait en guise de programme lors de la Présidentielle de 1993, définitivement rangé dans les placards de Moustapha Niasse, vous frôlez l’apoplexie ! Ce placide professeur de lettres végète dans les couloirs réservés aux seconds rôles et passe sans doute à côté d’une fortune colossale. Iba Der Thiam, «borom rèè djou nekh bi» de la même Présidentielle 1993, à qui on ne la fait pas, sait où se situe son intérêt. Il s’embourgeoise peinard et continue de renier tous ses slogans de campagne, les uns après les autres. C’est ce qu’on appelle appliquer le Sopi à la lettre.
Même au boulot, vous ne vous foulez plus.
Vous avez bien, dans votre insouciante jeunesse, tenté de foncer dans le tas d’endormis professionnels, persuadé que le monde se secouera sous vos coups de boutoir. Votre imagination débordante, vos audaces… Vos patrons trouvent les mots qui vous convainquent : vous avez de l’initiative, du savoir-faire, de l’avenir. Vingt ans après, rien d’autre ne bouge que votre dentier, à force de mordre vos doigts. Depuis, vous émargez vos feuilles de présence tel un revenant, traînez des pieds jusqu’à votre bureau où vous attend L’Obs dont vous raffolez du français de tirailleur et des mots fléchés. Quand un stagiaire se pointe, vous lui refilez le boulot qui traîne depuis un trimestre. Vous le persuadez que le monde ne sera plus le même quand il aura fini de faire ses preuves. Lui, il a de l’imagination, du savoir-faire, de l’avenir, etc.
Heureusement, vous avez votre boulot. Il vous permet de n’être à la maison que pour égarer un œil sur les dernières infos de la Rts 1, vers minuit, avant d’aller vous coucher en gémissant après avoir tourné le dos à l’une de vos quatre femmes. Même votre penchant funeste pour la bagatelle vous est passé. Vous en avez eu pour tous les goûts : le gros monstre qu’on surmonte à l’aide d’un escabeau, les squelettes maigrichons qu’on évite de casser par un mouvement trop brusque, les couleurs claires café au lait, les noirs culs de marmite. Des femelles, vous en avez eu de tous les échantillons. N’empêche, votre virilité somnole comme une bienheureuse depuis que vous n’arrivez plus à vous rappeler le nom de vos enfants tellement ça foisonne.
On ne peut plus vous accuser de faiblesse sous la ceinture… Vous êtes à l’abri des coups de foudre et de ses dérivés de la famille des émois mal venus.
«Banc diakhlé», c’est par où ?
LA NATION SANS «CARS RAPIDES»
Paris à sa Tour Eiffel et New York sa Statue de la Liberté ? On ne les envie pas, à Dakar : nous autres, on a nos cars-rapides. Vous rigolez ? Vous ne les trouvez pas aussi mignons qu’inimitables, nos cars-rapides ? Avec leur jaune et bleu, façon sopiste démodé, repérables à un kilomètre, avec leur chauffeur qui slaloment dans une complète illégalité et un pur bonheur, leurs apprentis entassés sur le marchepied à hurler des destinations paradisiaques ? Vous n’avez jamais entendu un apaaranti indiquer à tue-tête «Grand-Dakar-Isééé» et qui, pour aguicher, précise carrément : «Fourrière laay diaar» ?
Vous aurez beau fouiller, vous ne dénicherez nulle part dans notre pays plus farouchement sénégalais qu’un car-rapide. Ne vous fatiguez pas plus longtemps à chercher, et laissez-vous entraîner jusqu’à leurs truculents terminus où votre éducation irréprochable vous défend de vous boucher les narines et vous somme d’enjamber stoïquement les immondices que le tout-Dakar se fait un plaisir de venir y déverser.
Les indolentes vendeuses de beignets, de bissap, de madd et de thiaf, mine fatale et éventails nonchalants, qui tentent de vous mettre en appétit dans le voisinage des détritus, vous confortent surtout dans la certitude qu’au fond, la vie n’est pas compliquée. Dans cette antichambre du nirvana, vous êtes prié de négocier, dans la bonne humeur si possible, avec les coxers et autres rôdeurs qui séquestrent votre enfant pour vous orienter vers le car-rapide qu’ils vous ont choisi parce que l’apprenti-chauffeur qui y sévit est le plus sympa.
Ne vous insurgez pas non plus, chère madame, si un individu louche s’empare brutalement de votre sac à provisions, sans crier gare, avant de le balancer vigoureusement dans une grande boîte en fer bleu et jaune, qui sort de la fumée par le postérieur. Ce monsieur serviable ne comprendrait pas votre ingratitude devant sa manière à lui d’être galant.
Vous êtes le bienvenu dans le «salon», lorsque vous enjambez le «wersaye» et esquivez les postillons de la brave ménagère surchargée de poisson fumé et de légumes en décomposition avancée, vaincue par la cellulite, assise sagement sous l’inscription en caractères gothiques presque impeccables : «défense de fumer, de cracher.» Votre chemise manque de peu de totalement cramer à l’entrée, grillée par le mégot rabiboché d’un des apprentis suspendus dans le vide… Ne vous inquiétez pas pour eux : ils sont à l’abri de tout. Ne remarquez-vous pas sur le capot avant l’inscription «bon père, bonne mère» ou «talibé Cheikh» ? Avec pareille caution, pas même besoin d’assurer le bolide contre les accidents : il ne leur arrive jamais rien de bien grave. Il est même incongru pour le voyageur de réclamer un ticket après avoir payé. Vous ne savez pas lire ? «Bonne mère», ça vous garantit pour la vie ! Et puis, pourquoi un ticket ? En zone de non-droit, ça tarife à la bouille du client. Donc, vous êtes bien installé sous votre voisin qui vous envoie son coude dans les côtes à chaque coup de frein. Vous avez tout le loisir de reluquer les portraits de tous les saints du Sénégal, des vedettes du showbiz et des sports populaires. Si vous êtes chanceux, délice incommensurable, vous avez sous les yeux la plus belle photo de la niarèel du conducteur, prise lors des épousailles. Celle chez qui il règne sans conteste, qui maîtrise l’art de griller des têtes de mouton et qui, lorsque les honnêtes gens sans dette ronflent la bouche bée, pleine de prévenance, lui sert un lait caillé coupé d’un enivrant et surtout inodore flacon de Riqlès… Une recette de Lambaye, dit-on. Et si vous insistez, il vous racontera par le menu la suite de la soirée, entre deux rires de gorge canailles, plié dans son fauteuil, juste sous l’édit catégorique : «défense de parler au chauffeur.»
Devant tant d’émouvante simplicité, vous n’avez pas le droit de lever un sourcil plus haut que l’autre, lorsque la destination de départ est détournée en cours de route. Et qu’on vous transvase dans un tout aussi folklorique véhicule au beau milieu de Niafoulène. Ou lorsque l’apprenti, seul maître à bord, ex-æquo avec Dieu, se fiche royalement de votre retard au boulot et des menaces de licenciement qui planent sur votre tête : c’est décidé, il attendra placidement que son métro soit rempli jusqu’à ras-bord de retardataires.
Et dire que les autorités veulent nous supprimer toutes ces petites joies quotidiennes pour les remplacer par d’authentiques cars de «Transports en commun de voyageurs» : autant changer à la fois l’hymne national et le drapeau. Le pays ne s’en relèverait pas.
-Ce n’est pas le trio à poil de la statue de la Renaissance qui nous consolera de l’inestimable perte de notre identité nationale.
LE CREATEUR, CE SADIQUE…
Un jour où je déambule sur Georges Pompidou, il y a de cela bien longtemps, au plus fort du succès de Goorgoorlou dans les colonnes du Cafard Libéré, je croise TT Fons, Alphonse Mendy, dans le civil, sapé comme un nabab. Echange de civilités avec le caricaturiste, auteur du célèbre personnage que Baye Eli immortalise à la télé bien des années plus tard.
Et puis, comme ça, sans penser à rien, je lui demande s’il a un jour l’intention de donner un travail décent à son personnage.
Etonnement manifeste de Monsieur TT Fons qui réprime un haut-le-cœur comme un ecclésiaste devant un grave blasphème. Et puis il prend sa patience à deux mains pour me faire avaler sa mayonnaise : son personnage a le destin scellé d’avance. Conclusion imparable : «son» Goorgoorlou ne trouvera jamais de travail. La charité chrétienne dans tout ça ? A d’autres ! Par destinée, Goorgoorlou ne peut pas être un père de famille prospère et tranquille qui a les moyens de déguster à l’envi du tiéré-guinaar d’aller à La Mecque, d’épouser à tour de bras des driankés dodues. Pourtant, il ne tient qu’à un coup de plume de TT Fons pour le transformer à la minute même en Sénégalais bienheureux…
Rien à faire : nous créerions des lobbies, organiserions des marches, déclencherions des grèves de la faim, que Monsieur Alphonse Mendy resterait de marbre. Il se complaît à se torturer l’imagination et passe des nuits blanches à s’énerver, suer et cracher pour que sa créature trinque. Pour un peu, et l’on se mettrait à penser que TT Fons tire une jouissance malsaine à le martyriser, à lui tracer d’un trait de plume vicelard une bouille de grand niais, avec un morceau de chéchia par-dessus et une virgule en guise de barbichette. Ma tête à couper que Fons préfère ne plus dessiner du tout plutôt que d’en faire un bel homme heureux et sans histoire, au risque de se retrouver lui-même au chômage !
Samba Fall, dessinateur au Soleil, ne vaut pas mieux. Rappelez-vous Tialky, des Aventures d’Aziz Le Reporter : comment un Croyant peut-il imaginer pareille bouille pour une Créature ? Sans parler de la fange dans laquelle il le cantonne. Un indic, un vil «tiokoto», p’tit fumeur de mauvais yamba qui n’a pas même le privilège de baiser de la mauvaise fesse de temps à autre. Pire : il se vexerait, Samba Fall, si jamais on lui demandait de faire vivre Tialki dans un palace, entouré de filles de rêve, à écluser bouteille de champagne après bouteille de champagne loin de son Dakar interlope que hantent Boy Mélakh et autres tristes malfrats.
Quant à feu Joop, paix à son âme, créateur de Weex Dunx, sosie de l’opposant Laye Wade, créé au plus fort de la tourmente de Février 88, il aurait eu la possibilité de l’assassiner toutes les semaines par des supplices à faire se pâmer les meilleurs spécialistes de la question, il n’aurait pas hésité. Dieu merci, feu Joop n’est pas l’inspirateur du jeu politique sénégalais et n’en détient alors aucune ficelle. Rien qu’à suivre assidument le «Feuilleton autour d’un fauteuil» entre l’opposant Laye Wade et le président de l’époque, Abdou Diouf, qui nous tient en haleine près d’une décennie, on devine à quel niveau il cantonnerait nos joutes politiques. Encore que, comparé à la réalité, le feuilleton de Joop était dès fois bien moins caricatural… Et pour ce qui est de ses dessins, au moins, on se marre de bon cœur, parce que c’est fait pour. Tandis que nos personnages en chair et en os, ils donnent plus envie de pleurer qu’autre chose…
Je ne m’attarde pas sur Odia, dont la cruauté congénitale n’a plus de borne. Il découvre les plaisirs sado-masos par la création suivie de tortures de ses propres personnages : Tonton Thiop, Issa Koor, son épouse et son immortel mouton, Mor Alternoce, personnage hors du commun… Il n’en a jamais assez, faut que ça saigne !
Personnellement, ce n’est pas que je me plaigne de mon sort ; je parviens même à être béat d’autosatisfaction ou rigoler franchement de l’existence, parce que je me sens bien dans ma peau. Seulement, y’a des jours où il m’arrive de regarder vers le ciel avec une envie d’y… Bon, non. Rien. Tout va bien.
lequotidien.sn
Même votre place au septième Ciel, vous ne ferez aucun zèle pour. Finie, la mascarade : vous les virez, les concessionnaires de grâce divine, les pigistes en sainteté, les gérants de succursale du paradis, l’amicale des postulants à la Miséricorde suprême, tout le gratin des érudits qui parlent doctement de l’Au-delà pour se payer des acomptes terrestres.
Vous décidez de vivre sur terre en attendant que le Ciel s’éclaircisse. Le drame est que ces gens-là ne vous étonnent plus. Vous avez besoin d’être étonné. C’est aussi plat que ça. Rien ne vous abat, rien ne vous dérange. Vous vous accommodez de tout. Même de l’impensable.
Par exemple, que vous êtes fauché et que vous n’avez plus d’amis. Vous êtes blasé à force d’en avoir entendu, vu et enduré.
Quand bien même Abdoulaye Wade est président de la République, Iba Der Thiam, Aïda Mbodj, Aïda Ndiongue, Djibo Kâ, Abdourahim Agne et Mbaye-Jacques Diop sont les piliers de son régime, tandis que Tanor Dieng le singe dans l’opposition, acoquiné à Moustapha Niasse, Landing Savané, Amath Dansokho, Madior Diouf, Talla Sylla et Abdoulaye Bathily. En 1991, vous faites une bonne fois pour toute de l’urticaire mâtiné d’ulcère surmonté d’une migraine, avec l’entrée du pape du Sopi dans le «gouvernement de majorité présidentielle élargie». Depuis, vous êtes immunisé.
Ca vous étonne, maintenant, qu’il existe un pelé et deux tondus qui ont l’énergie pour hurler à la trahison et en appeler au sens moral des citoyens. La vaste blague. Vous avez déjà donné. Les hurlements d’indignation, vous ne les entendez plus. Votre existence ronronne paisiblement de ses certitudes.
Ah, exception : il vous arrive de vous tordre de rire, comme ça, devant la très austère actualité. Par exemple, quand on évoque «l’opposition significative» en passe de renverser le régime pourri qui gangrène ce pays depuis l’Alternance, laquelle vient de renverser un régime pourri qui gangrène le pays depuis l’indépendance. Rien qu’au souvenir du balai que Madior Diouf exhibait en guise de programme lors de la Présidentielle de 1993, définitivement rangé dans les placards de Moustapha Niasse, vous frôlez l’apoplexie ! Ce placide professeur de lettres végète dans les couloirs réservés aux seconds rôles et passe sans doute à côté d’une fortune colossale. Iba Der Thiam, «borom rèè djou nekh bi» de la même Présidentielle 1993, à qui on ne la fait pas, sait où se situe son intérêt. Il s’embourgeoise peinard et continue de renier tous ses slogans de campagne, les uns après les autres. C’est ce qu’on appelle appliquer le Sopi à la lettre.
Même au boulot, vous ne vous foulez plus.
Vous avez bien, dans votre insouciante jeunesse, tenté de foncer dans le tas d’endormis professionnels, persuadé que le monde se secouera sous vos coups de boutoir. Votre imagination débordante, vos audaces… Vos patrons trouvent les mots qui vous convainquent : vous avez de l’initiative, du savoir-faire, de l’avenir. Vingt ans après, rien d’autre ne bouge que votre dentier, à force de mordre vos doigts. Depuis, vous émargez vos feuilles de présence tel un revenant, traînez des pieds jusqu’à votre bureau où vous attend L’Obs dont vous raffolez du français de tirailleur et des mots fléchés. Quand un stagiaire se pointe, vous lui refilez le boulot qui traîne depuis un trimestre. Vous le persuadez que le monde ne sera plus le même quand il aura fini de faire ses preuves. Lui, il a de l’imagination, du savoir-faire, de l’avenir, etc.
Heureusement, vous avez votre boulot. Il vous permet de n’être à la maison que pour égarer un œil sur les dernières infos de la Rts 1, vers minuit, avant d’aller vous coucher en gémissant après avoir tourné le dos à l’une de vos quatre femmes. Même votre penchant funeste pour la bagatelle vous est passé. Vous en avez eu pour tous les goûts : le gros monstre qu’on surmonte à l’aide d’un escabeau, les squelettes maigrichons qu’on évite de casser par un mouvement trop brusque, les couleurs claires café au lait, les noirs culs de marmite. Des femelles, vous en avez eu de tous les échantillons. N’empêche, votre virilité somnole comme une bienheureuse depuis que vous n’arrivez plus à vous rappeler le nom de vos enfants tellement ça foisonne.
On ne peut plus vous accuser de faiblesse sous la ceinture… Vous êtes à l’abri des coups de foudre et de ses dérivés de la famille des émois mal venus.
«Banc diakhlé», c’est par où ?
LA NATION SANS «CARS RAPIDES»
Paris à sa Tour Eiffel et New York sa Statue de la Liberté ? On ne les envie pas, à Dakar : nous autres, on a nos cars-rapides. Vous rigolez ? Vous ne les trouvez pas aussi mignons qu’inimitables, nos cars-rapides ? Avec leur jaune et bleu, façon sopiste démodé, repérables à un kilomètre, avec leur chauffeur qui slaloment dans une complète illégalité et un pur bonheur, leurs apprentis entassés sur le marchepied à hurler des destinations paradisiaques ? Vous n’avez jamais entendu un apaaranti indiquer à tue-tête «Grand-Dakar-Isééé» et qui, pour aguicher, précise carrément : «Fourrière laay diaar» ?
Vous aurez beau fouiller, vous ne dénicherez nulle part dans notre pays plus farouchement sénégalais qu’un car-rapide. Ne vous fatiguez pas plus longtemps à chercher, et laissez-vous entraîner jusqu’à leurs truculents terminus où votre éducation irréprochable vous défend de vous boucher les narines et vous somme d’enjamber stoïquement les immondices que le tout-Dakar se fait un plaisir de venir y déverser.
Les indolentes vendeuses de beignets, de bissap, de madd et de thiaf, mine fatale et éventails nonchalants, qui tentent de vous mettre en appétit dans le voisinage des détritus, vous confortent surtout dans la certitude qu’au fond, la vie n’est pas compliquée. Dans cette antichambre du nirvana, vous êtes prié de négocier, dans la bonne humeur si possible, avec les coxers et autres rôdeurs qui séquestrent votre enfant pour vous orienter vers le car-rapide qu’ils vous ont choisi parce que l’apprenti-chauffeur qui y sévit est le plus sympa.
Ne vous insurgez pas non plus, chère madame, si un individu louche s’empare brutalement de votre sac à provisions, sans crier gare, avant de le balancer vigoureusement dans une grande boîte en fer bleu et jaune, qui sort de la fumée par le postérieur. Ce monsieur serviable ne comprendrait pas votre ingratitude devant sa manière à lui d’être galant.
Vous êtes le bienvenu dans le «salon», lorsque vous enjambez le «wersaye» et esquivez les postillons de la brave ménagère surchargée de poisson fumé et de légumes en décomposition avancée, vaincue par la cellulite, assise sagement sous l’inscription en caractères gothiques presque impeccables : «défense de fumer, de cracher.» Votre chemise manque de peu de totalement cramer à l’entrée, grillée par le mégot rabiboché d’un des apprentis suspendus dans le vide… Ne vous inquiétez pas pour eux : ils sont à l’abri de tout. Ne remarquez-vous pas sur le capot avant l’inscription «bon père, bonne mère» ou «talibé Cheikh» ? Avec pareille caution, pas même besoin d’assurer le bolide contre les accidents : il ne leur arrive jamais rien de bien grave. Il est même incongru pour le voyageur de réclamer un ticket après avoir payé. Vous ne savez pas lire ? «Bonne mère», ça vous garantit pour la vie ! Et puis, pourquoi un ticket ? En zone de non-droit, ça tarife à la bouille du client. Donc, vous êtes bien installé sous votre voisin qui vous envoie son coude dans les côtes à chaque coup de frein. Vous avez tout le loisir de reluquer les portraits de tous les saints du Sénégal, des vedettes du showbiz et des sports populaires. Si vous êtes chanceux, délice incommensurable, vous avez sous les yeux la plus belle photo de la niarèel du conducteur, prise lors des épousailles. Celle chez qui il règne sans conteste, qui maîtrise l’art de griller des têtes de mouton et qui, lorsque les honnêtes gens sans dette ronflent la bouche bée, pleine de prévenance, lui sert un lait caillé coupé d’un enivrant et surtout inodore flacon de Riqlès… Une recette de Lambaye, dit-on. Et si vous insistez, il vous racontera par le menu la suite de la soirée, entre deux rires de gorge canailles, plié dans son fauteuil, juste sous l’édit catégorique : «défense de parler au chauffeur.»
Devant tant d’émouvante simplicité, vous n’avez pas le droit de lever un sourcil plus haut que l’autre, lorsque la destination de départ est détournée en cours de route. Et qu’on vous transvase dans un tout aussi folklorique véhicule au beau milieu de Niafoulène. Ou lorsque l’apprenti, seul maître à bord, ex-æquo avec Dieu, se fiche royalement de votre retard au boulot et des menaces de licenciement qui planent sur votre tête : c’est décidé, il attendra placidement que son métro soit rempli jusqu’à ras-bord de retardataires.
Et dire que les autorités veulent nous supprimer toutes ces petites joies quotidiennes pour les remplacer par d’authentiques cars de «Transports en commun de voyageurs» : autant changer à la fois l’hymne national et le drapeau. Le pays ne s’en relèverait pas.
-Ce n’est pas le trio à poil de la statue de la Renaissance qui nous consolera de l’inestimable perte de notre identité nationale.
LE CREATEUR, CE SADIQUE…
Un jour où je déambule sur Georges Pompidou, il y a de cela bien longtemps, au plus fort du succès de Goorgoorlou dans les colonnes du Cafard Libéré, je croise TT Fons, Alphonse Mendy, dans le civil, sapé comme un nabab. Echange de civilités avec le caricaturiste, auteur du célèbre personnage que Baye Eli immortalise à la télé bien des années plus tard.
Et puis, comme ça, sans penser à rien, je lui demande s’il a un jour l’intention de donner un travail décent à son personnage.
Etonnement manifeste de Monsieur TT Fons qui réprime un haut-le-cœur comme un ecclésiaste devant un grave blasphème. Et puis il prend sa patience à deux mains pour me faire avaler sa mayonnaise : son personnage a le destin scellé d’avance. Conclusion imparable : «son» Goorgoorlou ne trouvera jamais de travail. La charité chrétienne dans tout ça ? A d’autres ! Par destinée, Goorgoorlou ne peut pas être un père de famille prospère et tranquille qui a les moyens de déguster à l’envi du tiéré-guinaar d’aller à La Mecque, d’épouser à tour de bras des driankés dodues. Pourtant, il ne tient qu’à un coup de plume de TT Fons pour le transformer à la minute même en Sénégalais bienheureux…
Rien à faire : nous créerions des lobbies, organiserions des marches, déclencherions des grèves de la faim, que Monsieur Alphonse Mendy resterait de marbre. Il se complaît à se torturer l’imagination et passe des nuits blanches à s’énerver, suer et cracher pour que sa créature trinque. Pour un peu, et l’on se mettrait à penser que TT Fons tire une jouissance malsaine à le martyriser, à lui tracer d’un trait de plume vicelard une bouille de grand niais, avec un morceau de chéchia par-dessus et une virgule en guise de barbichette. Ma tête à couper que Fons préfère ne plus dessiner du tout plutôt que d’en faire un bel homme heureux et sans histoire, au risque de se retrouver lui-même au chômage !
Samba Fall, dessinateur au Soleil, ne vaut pas mieux. Rappelez-vous Tialky, des Aventures d’Aziz Le Reporter : comment un Croyant peut-il imaginer pareille bouille pour une Créature ? Sans parler de la fange dans laquelle il le cantonne. Un indic, un vil «tiokoto», p’tit fumeur de mauvais yamba qui n’a pas même le privilège de baiser de la mauvaise fesse de temps à autre. Pire : il se vexerait, Samba Fall, si jamais on lui demandait de faire vivre Tialki dans un palace, entouré de filles de rêve, à écluser bouteille de champagne après bouteille de champagne loin de son Dakar interlope que hantent Boy Mélakh et autres tristes malfrats.
Quant à feu Joop, paix à son âme, créateur de Weex Dunx, sosie de l’opposant Laye Wade, créé au plus fort de la tourmente de Février 88, il aurait eu la possibilité de l’assassiner toutes les semaines par des supplices à faire se pâmer les meilleurs spécialistes de la question, il n’aurait pas hésité. Dieu merci, feu Joop n’est pas l’inspirateur du jeu politique sénégalais et n’en détient alors aucune ficelle. Rien qu’à suivre assidument le «Feuilleton autour d’un fauteuil» entre l’opposant Laye Wade et le président de l’époque, Abdou Diouf, qui nous tient en haleine près d’une décennie, on devine à quel niveau il cantonnerait nos joutes politiques. Encore que, comparé à la réalité, le feuilleton de Joop était dès fois bien moins caricatural… Et pour ce qui est de ses dessins, au moins, on se marre de bon cœur, parce que c’est fait pour. Tandis que nos personnages en chair et en os, ils donnent plus envie de pleurer qu’autre chose…
Je ne m’attarde pas sur Odia, dont la cruauté congénitale n’a plus de borne. Il découvre les plaisirs sado-masos par la création suivie de tortures de ses propres personnages : Tonton Thiop, Issa Koor, son épouse et son immortel mouton, Mor Alternoce, personnage hors du commun… Il n’en a jamais assez, faut que ça saigne !
Personnellement, ce n’est pas que je me plaigne de mon sort ; je parviens même à être béat d’autosatisfaction ou rigoler franchement de l’existence, parce que je me sens bien dans ma peau. Seulement, y’a des jours où il m’arrive de regarder vers le ciel avec une envie d’y… Bon, non. Rien. Tout va bien.
lequotidien.sn