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France: Les députés adoptent à une voix près, un texte du RN contre l'accord franco-algérien de 1968

Rédigé par leral.net le Jeudi 30 Octobre 2025 à 11:28 | | 0 commentaire(s)|

Coup de tonnerre à l'Assemblée : les députés ont adopté, jeudi 30 octobre 2025, par 185 voix contre 184, une proposition de résolution du Rassemblement national visant à « dénoncer » l'accord franco-algérien de 1968, avec l'appui des groupes LR et Horizons. « C'est une journée que l'on peut qualifier d'historique pour le RN », s'est aussitôt félicitée la cheffe des députés d'extrême droite, Marine Le Pen, soulignant qu'il s'agissait du premier texte de son parti approuvé par l'Assemblée, en dépit des oppositions de la gauche, des macronistes et du gouvernement.


France: Les députés adoptent à une voix près, un texte du RN contre l'accord franco-algérien de 1968
Si la résolution n'a pas de valeur législative, Marine Le Pen a demandé au gouvernement de tenir « compte » du vote du Parlement sur son texte, qui appelle à dénoncer l'accord qui offre aux Algériens des clauses spécifiques en matière d'immigration et de séjour en France. « Nous considérons qu'il n'y a plus rien qui justifie le maintien de cette convention », a-t-elle insisté.

« Honte au RN » qui « continue sans fin les guerres du passé », a grondé en retour le leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon, sur X. Le texte a été soutenu par l'alliance RN-UDR, la moitié du groupe les Républicains et la moitié du groupe Horizons, parti d'Edouard Philippe.

Le patron du PS Olivier Faure a lui fustigé le groupe macroniste. « Ils étaient où les macronistes ? Gabriel Attal absent », a-t-il écrit sur X, à propos de l'ancien Premier ministre, à la fois patron du parti macroniste et du groupe à l'Assemblée. « Il nous a manqué une voix. Cette voix qui nous a manqué pour faire face au RN, c'est celle de Gabriel Attal », a abondé devant les journalistes Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste.

Des voix manquantes dans tous les groupes

Gabriel Attal a toutefois lui-même appelé à dénoncer l'accord de 1968, en janvier, pour « poser les limites et assumer le rapport de force avec l'Algérie », notamment à l'aune de l'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Mais son groupe était contre le texte du RN.

Le macroniste Charles Rodwell, auteur d'un récent rapport accablant contre ce même accord de 1968, avait justifié par avance un refus, au prétexte d'un supposé vide juridique qui risquerait de « provoquer un déferlement migratoire » dans l'Hexagone, analyse dénoncée par le RN. Toutefois, seuls 30 députés du groupe macroniste sur 92 étaient présents pour voter contre et trois se sont abstenus. Gabriel Attal était présent jeudi matin à un forum sur la transformation durable du tourisme.

Il a cependant manqué des voix dans tous les groupes, y compris à gauche (52 députés LFI sur 72 ont participé au vote, 53 socialistes sur 69, 32 écologistes sur 38, six députés du groupe communiste et ultramarin sur 17). Douze députés MoDem ont pris part au scrutin (10 contre, deux abstentions) et trois députés Liot sur 22 (deux pour, un contre).

L'accord-cadre franco-algérien de 1968 et ses avenants

Les relations entre la France et l’Algérie sont dans un moment de fort tension au point que le dossier migratoire, pourtant en veilleuse, est revenu sur le tapis. Il a été remis sous le feu des projecteurs en 2023 à la faveur d'un rapport à charge pour l'Algérie de l'ancien ambassadeur Xavier Driencourt. Un rapport destiné au centre de réflexions Fondapol, très marqué à droite, et publié peu après la sortie en librairie de ses mémoires algériennes (L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, aux Éditions de l’Observatoire, 2022) qu'il conclut en ces termes : « Nous avons trop souvent tendu l’autre joue après avoir reçu une gifle. » Un rapport venu nourrir la volonté exprimée depuis plusieurs mois par des responsables politiques de droite (l'ex-ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau mais aussi les ex-Premiers ministres Edouard Philippe et Gabriel Attal, ou encore Marine Le Pen) de dénoncer l'accord-cadre de 1968.

► L'accord-cadre de décembre 1968

Signé par Jean Basdevant, haut représentant envoyé par de Gaulle en Algérie, et Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, cet accord à la négociation duquel a activement participé le diplomate et ancien résistant Stéphane Hessel, alors ministre-conseiller à Alger, restreint les dispositions des accords d'Évian de 1962 qui prévoyaient la libre circulation et installation des personnes d'Algérie vers la France, Algériens comme Français. La libre circulation entre les deux pays avait déjà été freinée avant cette date en raison de l'entrée importante d'Algériens sur le sol français en 1962 : la clause de libre circulation des Accords d'Évian est suspendue en 1964 (accords Nekkache-Grandval). Et dans l'accord-cadre de 1968 un certificat de résidence est imposé aux Algériens. Ce certificat est l'équivalent des cartes de séjour destinées aux étrangers du régime général. Ils peuvent l'obtenir après trois ans de résidence (et non cinq pour les autres ressortissants hors UE) et il est valable dix ans. En cas de regroupement familial, les membres de la famille reçoivent une carte de résident de la même durée que le titre de la personne qu’ils rejoignent. En outre, les Algériens peuvent s’installer à leur compte dans une activité libérale sans autre formalité.

Mais les Algériens subissent des contraintes spécifiques. Ainsi, les étudiants peuvent moins travailler (à mi-temps, au lieu de 60 % du temps de travail pour les autres nationalités) et doivent obtenir une autorisation de travail.

► Plusieurs avenants

Au cours des années suivantes, cet accord-cadre de 1968 a été amendé à trois reprises : en 1985, 1994 et 2001. Ces trois modifications ont rapproché la situation des ressortissants algériens des dispositions de droit commun. Après l’amendement de 1985, les Algériens sont soumis à l’obtention d’un visa pour entrer sur le territoire français. Après celui de 1994, le certificat de résidence d’un ressortissant algérien périme si ce dernier passe plus de trois ans consécutifs hors du territoire français, disposition qui s’applique aussi dans le droit commun. Enfin, en 2001, un dernier accord instaure des passe-droits en particulier hospitaliers – destinés à l'élite algérienne.

En 2007, un aménagement (de niche) signé par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, et par Mourad Medelci, son homologue algérien, et destiné à faciliter la circulation de détenteurs de passeports diplomatiques en les exemptant de visa, a été « suspendu » par le ministre de l'Intérieur le 17 mars dans le cadre de la « réponse graduée » aux autorités algériennes, répliquant à leur refus d'accueillir leurs ressortissants expulsés du sol français.

Par ailleurs, comme l'accord-cadre de 1968 relève du droit international qui prime sur le droit français, les Algériens vivant en France ne sont pas soumis aux dernières lois (qu'elles soient favorables ou défavorables pour les migrants) votées sur l'immigration depuis 2001. Ils sont ainsi exclus de dispositifs tels que le « passeport talents », qui répond au concept vanté par Nicolas Sarkozy d'une « immigration choisie », ou encore à la régularisation par le travail qui doit passer par le seul exercice d’un métier dit « en tension » ou pour raison humanitaire. « Quand vous mettez tout dans la balance, les ressortissants algériens perdent plus qu'ils ne gagnent et ils auraient intérêt à renégocier ce traité », juge le professeur de droit public Serge Slama.

► Alger prié de « réexaminer » les accords

La question de l'immigration de travail doit être replacée dans le contexte plus général des relations franco-algériennes. Entre l'affaire Boualem Sansal, le dossier du Sahara occidental, les arrestations récentes d'influenceurs, l'attaque mortelle perpétrée à Mulhouse fin février 2025 par un ressortissant Algérien sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), a été le détonateur de la résurgence du débat sur l’accord franco-algérien de 1968. À l’issue d’un comité interministériel mercredi 26 février 2025, le gouvernement français annonce demander à Alger de « réexaminer » la totalité des accords sur l’immigration et ce, dans un délai de quatre à six semaines.

► Que se passerait-il en cas de dénonciation de l'accord-cadre ?

En droit international, seul le président peut dénoncer ou ratifier des traités. « Quand on dénonce un accord international, on n’est pas tout seul à interpréter ses conséquences, explique le politologue Patrick Weil, pour qui une dénonciation serait une erreur. En France, le sénat affirme que les Algériens seraient soumis au droit commun, mais les Algériens, eux, estiment que l’on reviendrait aux accords d’Évian. Dans une situation de tension et de crise, l’Algérie pourrait décider de se replacer immédiatement dans l’esprit des accords d’Évian, et inciter ses ressortissants à se rendre massivement en France. Que ferait la France ? Elle n’a pas intérêt à se placer dans une situation d’incertitude dont la sortie dépendra moins d’elle encore qu’aujourd’hui. »

► Pour aller plus loin

« Les instruments internationaux en matière migratoire » (rapport du Sénat de février 2025)

L'Histoire secrète des accords d'Alger, François-Guillaume Lorrain, Le Point du 17 avril 2025

« Dénoncer l'accord franco-algérien de 1968 serait une surenchère malvenue dans une conjoncture politique déjà abîmée » (Tribune de Hocine Zeghbib dans Le Monde du 16 janvier 2025)

RFI avec AFP