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G20 : Johannesburg doit être un tournant pour l’Afrique, pas une simple séance photo", Par Désiré Assogbavi

Rédigé par leral.net le Vendredi 21 Novembre 2025 à 09:47 | | 0 commentaire(s)|

Cette semaine, le G20 se tient pour la première fois en Afrique. Les dirigeants du monde entier se réunissent à Johannesburg, sous le slogan « Solidarité, Égalité, Durabilité », alors même que le sommet est éclipsé par le boycott du gouvernement américain et par les doutes croissants sur la capacité du multilatéralisme à produire encore des résultats concrets.


L’Afrique ne s’est pas battue pour obtenir un siège à la table du G20, afin de figurer dans une photo de famille de plus. Avec l’Union africaine, désormais membre permanent du G20 et l’Afrique du Sud à la présidence, ce sommet est un test : la gouvernance mondiale est-elle enfin prête à refléter les réalités et les droits de 1,3 milliard d’Africains ?

Depuis trop longtemps, l’Afrique est traitée comme un problème à gérer plutôt que comme un partenaire à écouter. Pourtant, sur les grands enjeux de ce siècle – la dette, le climat et les minerais critiques – le continent n’est pas une victime passive. Il est, de fait, créditeur net du reste du monde : en matière de résilience climatique, de richesses volées ou illicitement transférées, de travail et de ressources sous-évalués. La vraie question à Johannesburg est simple : le monde va-t-il continuer à extraire de la valeur de l’avenir de l’Afrique, ou enfin, investir dans cet avenir ?

Afrique : payer pour hier au lieu de construire demain

L’Afrique est en première ligne d’une urgence mondiale en matière de dette. Dans de nombreux pays, le service de la dette dépasse désormais les dépenses publiques de santé, d’éducation ou d’adaptation au climat. Le service de la dette absorbe déjà une part énorme des recettes publiques et des revenus d’exportation. Au moins 30 pays africains dépensent davantage en paiements d’intérêts qu’en santé publique. Concrètement, cela signifie des enfants qui apprennent sous des abris de fortune, faute de moyens pour construire des salles de classe ; des femmes qui marchent plus loin pour aller chercher de l’eau, faute d’infrastructures ; des paysans qui perdent leurs récoltes, faute d’investissements dans l’adaptation climatique.

Ce n’est pas de la « discipline budgétaire ». C’est un transfert de chances de vie des citoyens africains vers les créanciers mondiaux. Cela enferme les gouvernements dans la gestion des dettes d’hier, au lieu d’investir dans les capacités de demain.

L’Afrique du Sud a eu raison de placer « la soutenabilité de la dette des pays à faible revenu » au cœur de son agenda pour le G20, aux côtés de la résilience face aux catastrophes, du financement d’une transition énergétique juste et de la mobilisation des minerais critiques pour une croissance inclusive. Mais les belles formules et les communiqués ne suffiront pas. L’Afrique a besoin de mesures concrètes, assorties d’échéances claires, qui transforment l’architecture de la finance mondiale, et pas seulement, son discours.

Minerais critiques : du statut de carrière à celui de puissance

L’Afrique détient une part significative des réserves mondiales de nombreux minerais critiques qui sous-tendent les transitions verte et numérique : lithium, cobalt, manganèse, nickel, terres rares, entre autres. Pourtant, le continent ne capte qu’environ 5 % de la valeur créée par l’exportation de ces matières premières, alors qu’elles génèrent des milliards de dollars pour le reste du monde.

Une grande partie de cette valeur quitte encore le continent sous forme de minerai brut, pour revenir ensuite sous forme de batteries, de composants et de technologies, vendus à un prix multiplié. C’est le vieux schéma colonial, habillé de vert.

De plus en plus de gouvernements africains réagissent. Près de la moitié ont introduit une forme de restriction sur les exportations de produits non transformés, en recourant à des politiques telles que des interdictions d’exportation, des obligations de contenu local et des stratégies de valorisation pour sécuriser l’emploi, les capacités industrielles et l’apprentissage technologique sur le continent. Ce n’est pas du « nationalisme des ressources », c’est du bon sens.

Si l’Afrique continue d’exporter des matières premières et d’importer des produits finis, elle finance la prospérité des autres avec son propre futur. Le G20 ne peut pas parler de « transition énergétique juste », tout en s’attendant à ce que l’Afrique reste une simple carrière pour la croissance verte des autres. La course aux minerais critiques ne doit pas se transformer en nouvelle ruée vers l’Afrique.

Un sommet marqué par les absences, mais l’Afrique ne peut pas attendre

Le symbole est fort. Au moment même où le monde a désespérément besoin de davantage de coopération, les États-Unis ont choisi de boycotter purement et simplement le sommet. D’autres dirigeants ont réduit leur niveau de participation. Ces absences fragilisent l’image du rendez-vous de Johannesburg, mais elles n’en diminuent pas les enjeux pour l’Afrique.

Si celles et ceux qui ont conçu et profité du système actuel se retirent de leurs responsabilités, alors celles et ceux qui en ont payé le prix,, doivent avancer avec des solutions. C’est précisément pourquoi le statut de membre permanent de l’Union africaine au sein du G20 est essentiel : il confère une légitimité politique et une autorité morale pour exiger des changements plus ambitieux.

Ce que le G20 doit accomplir à Johannesburg

Pour que ce sommet soit à la hauteur de son hôte africain, les dirigeants du G20 devraient quitter Johannesburg, après s’être mis d’accord sur au moins trois engagements concrets :
1. Créer un cadre de traitement de la dette équitable et prévisible
Le G20 doit mandater la conception d’un mécanisme de traitement de la dette souveraine plus juste, plus transparent et limité dans le temps, incluant l’ensemble des créanciers : bilatéraux, multilatéraux et privés. Ce mécanisme doit permettre une restructuration complète là où elle est nécessaire et déclencher automatiquement un moratoire en cas de chocs majeurs, climatiques ou sanitaires. Le patchwork actuel de « cadres communs » ad hoc, a échoué.

2. Adopter un « Pacte de Johannesburg » sur les minerais critiques et la valeur ajoutée

Le sommet devrait reconnaître le droit des pays africains à recourir à des politiques industrielles – restrictions à l’exportation, règles de contenu local, stratégies de chaînes de valeur régionales – pour gravir l’échelle de la valeur minière. Le G20 devrait soutenir un « Fonds pour les minerais verts et la valeur ajoutée » dédié, afin de réduire les risques liés aux investissements dans le traitement, le raffinage et la fabrication en Afrique, en lien avec la Zone de libre-échange continentale africaine et la Vision africaine des mines. Chaque tonne extraite doit contribuer à bâtir des industries, des emplois et des capacités technologiques africaines.

3. Placer l’Union africaine au centre de la prise de décision du G20

L’adhésion de l’UA doit se traduire par un réel pouvoir de définition de l’agenda, et pas seulement, par un siège supplémentaire dans la salle. Les dirigeants devraient s’engager à une coprésidence formalisée de l’UA dans les groupes de travail clés sur la dette, le développement et le climat, appuyée par un mécanisme permanent de liaison UA-G20. L’UA doit être impliquée dès la conception de l’agenda jusqu’à la mise en œuvre et au suivi.

Ces propositions ne sont pas radicales. Elles constituent le minimum nécessaire pour aligner les décisions du G20 sur ses principes affichés de solidarité, d’égalité et de durabilité.

Passer du symbole au changement structurel

Johannesburg offre une convergence rare : l’Afrique accueille le principal forum économique mondial ; l’Union africaine y siège comme membre à part entière ; et la présidence met explicitement l’accent sur la justice en matière de dette, le financement climatique et les minerais critiques au service du développement. L’Histoire ne jugera pas ce sommet à l’aune de celles et ceux qui manquaient sur la photo de famille. Elle jugera si, sur le sol africain, les plus grandes économies du monde ont reconnu que la poursuite du « business as usual », n’est plus compatible avec la vie de 1,3 milliard d’Africains.

Si Johannesburg ne produit que des déclarations vagues et des promesses recyclées, le message adressé aux Africains sera clair : lorsque nous accueillons le monde, il vient pour le symbole, pas pour le fond. Mais si le sommet débouche sur de véritables engagements en matière de dette, de minerais et de justice climatique, il pourra marquer le début d’un nouveau contrat entre l’Afrique et le reste du monde, un contrat dans lequel les Africains ne sont pas seulement une ligne dans un communiqué, mais les auteurs de leur propre avenir économique.

L’Afrique apporte sa voix, sa vision et ses preuves à ce G20. La charge de la preuve repose désormais sur les dirigeants réunis à Johannesburg. Vont-ils continuer à traiter l’Afrique comme un fournisseur périphérique de matières premières et de paiements d’intérêts, ou comme un partenaire à part entière pour bâtir une économie mondiale plus juste ?

Ce qui se passera à Johannesburg cette semaine, répondra à cette question – non seulement pour l’Afrique, mais aussi pour la crédibilité du G20 lui-même.



Désiré Assogbavi est conseiller en plaidoyer à Open Society Foundations