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INTEROPERABILITE FINANCIERE : Ce n’est plus une option


Rédigé par leral.net le Lundi 4 Août 2025 à 00:00 | | 0 commentaire(s)|

La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) procédera, le mardi 30 septembre 2025, au lancement officiel de la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI SPI). Au-delà du défi technologique, c’est un enjeu de souveraineté monétaire, d’inclusion financière et de compétitivité régionale qui se joue.
INTEROPERABILITE FINANCIERE : Ce n’est plus une option
Dans une Afrique de l’Ouest où les transactions numériques explosent, la BCEAO se retrouve face à un défi majeur : rendre interopérables les systèmes de paiement des banques, fintechs et opérateurs de mobile money. Ce n’est pas qu’un défi technique, c’est un projet politique et économique qui vise à accélérer l’inclusion financière, renforcer la souveraineté monétaire et faire de l’UEMOA, un marché digital intégré. Après une étape importante franchie avec le lancement, le 5 juin 2025, des tests en conditions réelles d’utilisation, la BCEAO lancera officiellement, le mardi 30 septembre 2025, la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI‑SPI). Les enjeux sont de taille et en s’appuyant sur des systèmes comme SICA-UEMOA pour les virements interbancaires et STAR-UEMOA pour les paiements de gros montants, c’est depuis 2022 que la BCEAO a démarré le Projet d’interopérabilité qui est encore en phase de montée en charge. Le caractère stratégique de ce projet est à la dimension du paysage financier de l’UEMOA qui est en mutation accélérée.

Révolution dans l’écosystème  

En moins de dix ans, les paiements en Afrique de l’Ouest ont basculé dans le numérique avec plus de 130 millions de comptes mobile money (2024), hors mobile money, enregistrés dans l’UEMOA, dont environ 40 % actifs ( GSMA – State of the Industry Report 2023). Plus de 80 % des transactions électroniques passent par des opérateurs télécoms (BCEAO & GSMA – Tendances UEMOA), reléguant les banques traditionnelles à l’arrière-plan pour les paiements de masse. Le problème, c’est la fragmentation du système et chaque réseau ou banque a longtemps fonctionné en silo. Conséquence directe : Un client d’Orange Money ne peut pas forcément payer un commerçant utilisant Wave ou recevoir un transfert d’un compte bancaire en temps réel ; de plus, les entreprises subissent des coûts de transaction élevés et une perte de fluidité dans le commerce intra-UEMOA. Dès lors, il est question de créer une infrastructure de paiement centralisée et harmonisée, capable de garantir des transactions instantanées et sécurisées entre tous les acteurs, mais aussi réduire les coûts de transfert pour stimuler l’inclusion financière ; il s’agit également de soutenir la dématérialisation des paiements publics et privés.
 
Dans un contexte où le taux de bancarisation tourne autour de 25 % contre plus de 60 % des adultes qui possèdent un compte mobile money, l’interopérabilité semble être la clé pour relier banques et mobile money, avec l’objectif de permettre à un commerçant à Abidjan ou un tailleur à Diourbel, de recevoir des paiements depuis n’importe quel réseau mobile ou compte bancaire, sans obstacle technique. Cet enjeu d’inclusion financière rencontre celui du contrôle monétaire par la Bceao, qui devrait non seulement éviter une dépendance excessive aux solutions privées qui captent aujourd’hui, parfois hors du radar de la banque centrale, l’essentiel des flux digitaux, mais en centralisant les transactions via une plateforme interopérable, la banque centrale se donne les moyens de renforcer sa capacité de supervision, de lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme et de faciliter la traçabilité fiscale des paiements. Il s’y ajoute que l’interopérabilité représente un levier de commerce intra-UEMOA et de compétitivité face à la CEDEAO anglophone, tout en préparant aussi le terrain pour la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), où les paiements digitaux inter-pays seront cruciaux.
 
Sous ce rapport, c’est une réduction de -30% des coûts de transfert intra-UEMOA qui est visé (BCEAO – Stratégie d’inclusion financière 2021-2025).
 
Cependant, pour transformer l’essai, la Bceao devra bien combiner infrastructure technique robuste mais aussi adhésion des acteurs privés.
 
Challenges technologique, sécuritaire, économique

La mise en œuvre de l’interopérabilité bute encore sur les défis technologiques qui consistent d’abord à harmoniser les API (application programming interface), ces ponts informatiques qui permettent de connecter les banques aux fintechs. C’est le serveur dans un restaurant : vous (l’application A) passez votre commande, le serveur (l’API) transmet la demande à la cuisine (l’application B), le serveur vous rapporte le plat (la donnée ou le service). Dans la finance et les paiements, quand un client Wave transfère de l’argent à un client Orange Money, une API interbancaire ou interopérable va transporter l’information et valider la transaction entre les deux systèmes. Pour l’écosystème financier, c’est la base technique de l’interopérabilité. Les API offrent ainsi de nombreuses possibilités, comme la portabilité des données, la mise en place de campagnes de courriels publicitaires, des programmes d’affiliation, entre autres.

Seulement, cette ouverture indispensable à l’innovation expose les données sensibles à des risques de cybersécurité inédits. Dans le contexte de l’interopérabilité, chaque passerelle entre systèmes devient une porte d’entrée potentielle pour des cyberattaques. Ainsi, un système interopérable crée plus de points de vulnérabilité et si un acteur est compromis, toute la chaîne peut être exposée. Avec la centralisation des données clients, un piratage peut compromettre des millions d’identités numériques et dans un contexte africain, où les législations sur la protection des données (inspirées du RGPD) restent jeunes, le risque est accentué.
Par ailleurs, il faudra surtout à la BCEAO de gérer la Complexité de la conformité réglementaire, d’autant plus que chaque acteur (banque, assureur, opérateur) devra assurer le chiffrement, la traçabilité et l’authentification en termes données.

A ces défis technologiques, s’ajoute le challenge économique qui consiste pour la BCEAO à définir un modèle tarifaire équitable pour les banques et opérateurs mobiles. Ce n’est pas une mince affaire, tout comme l’adhésion des acteurs privés car, il faudra bien convaincre ces derniers, surtout les plus puissants, de partager leurs réseaux et de jouer collectif sous la supervision de la BCEAO. Last but least, celle-ci devra aussi éviter que chaque pays UEMOA développe sa propre solution fermée.

En somme, l’interopérabilité n’est plus une option pour la BCEAO mais plutôt une « marche forcée » qui représente à la fois la clé de l’inclusion financière massive, un outil de souveraineté monétaire face à des acteurs globaux ou régionaux dominants et un atout compétitif pour faire de l’UEMOA un marché digital cohérent. Mais la réussite dépendra de la capacité de la BCEAO à fédérer banques, fintechs et opérateurs télécoms, tout en maintenant la confiance des usagers dans un écosystème de paiement sécurisé.
Malick NDAW
 
Sources : Rapport (2022-2023) sur les services financiers numériques et les systèmes de paiement ; GSMA Mobile Money State of the Industry Report ; BCEAO – Rapport annuel 2023 ; BCEAO – Stratégie d’inclusion financière 2021-2025 ; Communiqués BCEAO – Projet interopérabilité monétique



Source : https://www.lejecos.com/INTEROPERABILITE-FINANCIER...

La rédaction