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Jean Félix Paganon: "La France n'a pas de candidat"

La France n'a pas de candidat pour la succession d'Abdou Diouf à la tête de la Francophonie. Elle est plutôt dans une posture d'écoute. C'est ce qu'a déclaré Jean Félix Paganon, Ambassadeur de France au Sénégal, au cours de l'émission Perspective de Sud Fm. Dans l'entretien réalisé par Baye Omar Guèye, Aliou Diarra et Bacary Domingo Mané, le diplomate parle aussi du soutien de la France au président Macky Sall dans son combat pour la bonne gouvernance.

Concernant les accords de défense, Jean Félix Paganon pense que «c'est une affaire qui est maintenant derrière nous». Il déclare que ces accords sont modernisés et que le processus de ratification est maintenant achevé. Ces «accords modernisés, clarifient toute une série de situations, notamment sur le plan foncier. Mais ça ne change pas fondamentalement la nature de la relation dans le domaine de la défense entre la France et le Sénégal», dit-il.

En attendant de revenir dans cette partie où le diplomate a aussi abordé le problème de visas et de la francophonie, nous publions un premier jet ce lundi où Jean Félix Paganon revient sur le virus Ebola et son traitement dans les médias français, la coopération bilatérale, «l'ambition monopoliste» supposée de la France dans l'économie du Sénégal entre autres sujets.


Rédigé par leral.net le Lundi 22 Septembre 2014 à 11:37 | | 0 commentaire(s)|

Jean Félix Paganon: "La France n'a pas de candidat"
Le Sénégal abrite le XVème sommet de la Francophonie. Les préparatifs vont bon train. Quel est le niveau d'implication de la France pour la réussite de cet événement ?

D'abord, c'est un événement sénégalais. La responsabilité principale c'est le Sénégal et l'Oif. La France est un partenaire du Sénégal, nous sommes prêts à apporter un concours dans un cadre bilatéral, mais pas dans un cadre multilatéral. L'Oif n'est pas une organisation française. C'est une organisation multinationale où chacun des membres a son mot à dire. Donc, nous avons eu là, Madame Gérardin. Il y a eu des échanges sur le déroulement du sommet, son organisation matérielle. Nous avons constaté l'état d'avancement, d'achèvement de la construction du Centre de Conférence de Diamniadio. C'est un tour de force qui a été réalisé en dix mois. Le centre est pratiquement fini. C'est tout à fait impressionnant. C'est un bâtiment, un très bel outil pour le Sénégal. On parlait de tourisme tout à l'heure. Un tourisme de congrès est aussi quelque chose de très important qui marche très bien au Sénégal.
Alors sur le plan bilatéral, on a des coopérations dans le domaine de la sécurité, du protocole qui se déroule très bien.

Y a-t-il de risques de report avec la propagation du virus Ebola ?

Pour moi, c'est un non sujet, un non question. Elle est agitée dans le contexte de cette psychose, de cette terreur que fait régner cette maladie. Mais c'est un non sujet. Le sommet est prévu et se tiendra à la date prévue.

La France a-t-elle un candidat pour la succession d'Abdou Diouf ?

La France est pour l'instant dans une attitude d'écoute de ses amis et partenaires africains. La Francophonie ce n'est pas que l'Afrique, mais très largement l'Afrique. Je pense qu'il est essentiel que les pays africains se sentent à l'aise avec le nouveau secrétaire. Nous écoutons les uns et les autres et puis, le moment venu, on fera savoir quel est son choix.

Vous dites que la France est pour le moment dans une posture d'écoute. A quel moment va-t-elle agir ?

Ça, je ne peux pas vous le dire. Il y a quelque chose qui est certain : c'est qu'il y a eu des échanges entre Madame Gérardin et le Président de la République la semaine dernière. Et je crois qu'on est absolument d'accord pour que cette question soit réglée avant le sommet. Il n'est pas souhaitable que le sommet soit le lieu de tractations de dernières minutes pour déterminer le prochain secrétaire général de l'Oif. Je crois que les autorités françaises sont pleinement dans ce calendrier et l'idée est qu'un consensus soit dégagé avant le sommet qui ne fera qu'entériner un choix.

Est-ce que la France pèsera de tout son poids pour le choix du prochain patron de la Francophonie ?

Non, la France écoutera et en fonction de ce qu'elle aura entendu, elle fera savoir ou connaitre sa position. On ne peut pas, quelque fois nous reprocher de trop peser, ensuite nous demander d'apposer notre point de vu. Donc, nous écoutons et personne ne nous reprochera cette attitude d'écoute.

Il y a l'usage de la langue française dans ce sommet. On est à l'ère du multilinguisme. De ce point de vue, on constate que des pays comme le Gabon ont privilégié maintenant la langue anglaise. Quelle réflexion cela vous inspire ?

Je pense que vous soulevez une question qui est récurrente. J'ai le sentiment que parmi beaucoup de pays membres de la francophonie, il y a cette prise de conscience, c'est-à-dire de façon légitime, on a ces derniers temps mis beaucoup de valeur sur la communauté de valeur et sur des aspects qui n'étaient pas forcément liés à la langue. Je crois que la question de la langue française va revenir au cœur des préoccupations de l'Organisation internationale de la Francophonie. C'est une question centrale. La francophonie au départ était une question linguistique qui, après a pris d'autres dimensions. L'intitulé même de la francophonie définit même son périmètre et son objectif principal. Donc, je pense que cette question de l'utilisation de la langue française, de la volonté de promouvoir, défendre, enseigner la langue française dans chacun des pays membre va devenir un sujet important au sein de la francophonie. Ça me parait une évolution inévitable.

M. l'ambassadeur, des pays se sont réunis tout dernièrement à Paris pour soutenir le gouvernement Irakien face à la menace de l'Etat Islamique. Es-ce une réponse efficace, à la hauteur des enjeux?

D'abord, c'est le signe d'une prise de conscience très large. Donc personne n'avait pressenti l'émergence de ce type de menace et de ce groupe qui, au départ était plus un groupuscule irakien qu'une véritable force organisée. Ils ont pu bénéficier de l'affaiblissement de deux pays de la région, l'Irak et la Syrie et contrôlaient une partie substantielle du territoire de ces pays. C'est une menace à la fois régionale et globale puisque leur objectif est de déstabiliser l'ensemble de la région. C'est une région extrêmement sensible pour les équilibres du monde.
A une menace qui est à la fois régionale et globale, je crois qu'il faut une réponse qui combine à la fois un engagement des pays de la région et des grandes puissances. La réunion de Paris est le signe que cet engagement est là. On est au début d'un processus. C'est claire que nous en sommes au moment où chacun exprime ce qu'il est prêt à faire et nous verrons sur le terrain les résultats. Mais je n'ai pas de doute, nous verrons des résultats sur le terrain.

Beaucoup de pays restent prudents sur une participation militaire. Quelle voie faut-il privilégier ? Militaire ou diplomatique?

Non, il faudra une combinaison d'une action politique et militaire. On ne fera pas l'économie d'une action militaire. Ce qu'il y a, c'est qu'il existe un gouvernement irakien. Il existe aussi dans la Provence Autonome du Kurdistan des forces armées qui sont significatives. Donc ce sont ces forces qui devront assumer la tâche militaire principalement. Après, elles ont besoin de concours. Elles peuvent avoir besoin de conseils. Et je comprends que ça n'a pas été exclu de la part des Etats Unies sur le terrain. Donc la dimension militaire est évidente, incontournable. Je dis que l'Etat Islamique ne disparaitra pas simplement parce qu'on a réuni des conférences. Mais aussi les conférences sont des préalables indispensables pour l'action sur le terrain.

Ne craignez-vous pas une généralisation du conflit dans l'ensemble de la région?

L'Etat Islamique est une menace importante. Mais ce n'est pas une menace mondiale. Ce sont des gens extrêmement déterminés, très violents. Mais ce n'est pas encore une menace à l'ensemble de la région. Donc, il me semble que la réponse envisagée est tout à fait proportionnelle à l'ampleur de la menace.

Quel est le pays qui vous a le plus marqué durant votre longue et riche carrière diplomatique qui se poursuit au Sénégal ?

Je mettrais le Sénégal de côté, puisque vous me parlez du passé, des postes que j'ai occupés. Je dirais que je garde un souvenir tout particulier de l'Egypte, du Caire.

Pourquoi, l'Egypte ?

Parce que c'est un pays fascinant, et c'est en pensant à l'Egypte que j'ai commencé à apprendre l'Arabe. Parce que quand on est arabisant, le rêve que l'on a, c'est d'être un jour ambassadeur en Egypte. J'ai réalisé ce rêve. Quand on réalise un rêve, et qu'on n'est pas déçu, ça reste quelque chose de très particulier. C'est un pays tout à fait fascinant, extraordinaire.

Vous avez vécu le ''Printemps Arabe''. Quels enseignements?

J'ai vécu le ''Printemps arabe'', la révolution égyptienne, absolument, du premier jour jusqu'à l'élection de Morsi.
Et puis j'ai un attachement très fort pour la ville de New York. J'ai servi au Nations Unies pendant 4 ans. Ensuite, j'ai été Directeur des Nations Unies et j'allais souvent à New York. C'est vrai que New York est une ville tout à fait extraordinaire, qu'on ne peut pas oublier. On a des pincements au cœur le jour qu'on quitte New York.

Le Sénégal entretient de bonnes relations avec la France dans divers domaines. Quel est aujourd'hui l'état de la coopération bilatérale entre les deux pays ?

J'aurais tendance à vous contredire. Le Sénégal et la France n'entretiennent pas de bonnes relations. Ils entretiennent d'excellentes relations. Ils entretiennent, je crois, une relation singulière. Je pense pour la France, une relation unique, j'ai le sentiment pour le Sénégal qui a cette dimension de singularité dans la relation. Quand on arrive diplomate français ou fonctionnaire français ici au Sénégal, on ne se sent pas complètement étranger. On est un peu en famille. Et je pense que les Sénégalais en France se sentent un peu chez eux.
D'ailleurs, de façon très significative, me semble-t-il, quand on regarde les chiffres, la communauté sénégalaise en France est l'une des moins nombreuses d'Afrique de l'Ouest. C'est parce que l'immense partie des Sénégalais qui vivent en France sont des Franco-Sénégalais, et ont la nationalité française. Je crois que c'est un symbole fort de cette relation.
Je pense que ce qu'il y a de plus profond dans la relation entre nos deux pays, c'est sa dimension humaine. Je dirais à tous les niveaux, des élites, des intellectuels, des artistes. Il est clair, qu'il y a un attachement réciproque extrêmement fort.
Après, je dirais tout les domaines d'activité sont riches entre nos deux pays. C'est vrai sur le plan politique où les relations entre nos deux Chefs d'Etat sont excellentes, amicales. Les contacts sont très fréquents entre nos administrations. Dans le domaine des affaires, nous restons un partenaire essentiel pour le Sénégal aussi bien sur le plan commercial que sur le plan des investissements directs. Sur le plan culturel, elles sont évidemment très fortes, aussi bien du fait de l'action des Institutions françaises, de l'Institution française de Dakar en particulier, que de la renommée des créateurs et artistes sénégalais en France. Donc, je crois qu'on a un panorama qui est extrêmement positif. J'aurai du mal à trouver un point noir.

La France est dans le secteur stratégique comme les télécom, l'énergie, l'agro alimentaire, l'eau et surtout la construction des infrastructures routières avec Eiffage. Il y a aussi la Css, les Institutions Bancaires etc. N'est-ce pas une mainmise de votre pays sur notre économie nationale ?

Ecoutez, dans ce que vous avez cité, il y a beaucoup d'activités qui ne sont pas françaises ou qui sont franco-sénégalaises.

Mais vous détenez la majorité du capital, pour l'essentiel ?

Oui, une petite majorité. Ça veut dire que le management est largement assuré par Orange, mais le personnel est fondamentalement sénégalais. Je parle là de la Sonatel. Il se trouve être le premier employeur, la première capitalisation et la première société en termes de fiscalité pour le gouvernement sénégalais. Vous me dites que c'est une mauvaise chose. Je pense que c'est une excellente chose pour le Sénégal et pour l'économie sénégalaise. Je prendrais, de manière plus globale, les perspectives ouvertes par le Plan Sénégal Emergent (Pse).
Le Pse comporte deux volets, notamment un volet d'investissement en infrastructures et de financements par des bailleurs bilatéraux et multilatéraux. Ça été un grand succès, la réunion de Paris. Effectivement les annonces faites par les bailleurs couvrent très largement, voir même excèdent les besoins exprimés par le gouvernement sénégalais. Donc cette partie, qui est très classique, très traditionnelle dans les projets de développement, c'est-à-dire l'Apd et les plans d'investissement public, est en principe couverte pour le Pse.
En revanche, le vrai défi du Pse, c'est les investissements directs de l'étranger et la capacité de générer de la croissance à la fois par les investissements sénégalais. Mais le marché sénégalais est relativement étroit. Il n'y a pas de grands groupes capitalistes. Il n'y a pas beaucoup d'épargne locale. Donc fondamentalement cette croissance se fera à travers des investissements directs de l'étranger. C'est toute la problématique de l'attractivité.
Je suis relativement confiant. Encore, faut-t-il que ces investissements soient les bienvenus. On ne peut pas avoir le gouvernement sénégalais qui plaide avec compétence et succès l'attrait du Sénégal et essaie d'attirer les investisseurs et puis certains secteurs de l'opinion qui se plaignent de la présence d'intérêts étrangers au Sénégal.

Ce n'est pas la présence, mais la forte présence qui est en cause?

Ecoutez, quand on regarde les chiffres, ils montrent des croissances régulières de la part de la France dans l'économie sénégalaise. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi. Cela démontre que l'économie sénégalaise se diversifie, se trouve de nouveaux partenariats avec des pays. Dans un monde globalisé, c'est inévitable. Nous sommes sortis de la relation qui était quasi exclusive de l'époque poste coloniale. Personne ne peut s'en plaindre.
Je dirais que la France, les opérateurs français souhaitent accroître leur présence en Afrique et au Sénégal en particulier, qui est considéré comme le continent d'avenir. Bien sûr que nous souhaitons être présents, être le plus présents possible. Mais, il y a, comme vous le disiez, l'effet de la mondialisation, un certain nombre de pays qui ne connaissaient pas l'Afrique, qui s'intéressaient très peu à ce continent, qui sont de grandes puissances émergentes, sont de plus en plus actifs en Afrique. Avec un effet presque mécanique, ils prennent leur place et le gâteau n'est pas extensible. Donc, s'ils prennent leur part du gâteau, ceux qui avaient quasiment tout le gâteau voient leurs parts se réduire. Ce n'est pas parce qu'il y a un désintérêt de la France de l'Afrique ou du Sénégal. C'est parce que simplement il y a un certain intérêt, pour l'Afrique et le Sénégal, exprimé par certains pays qui ont des milliards.
Je crois qu'on n'a jamais eu l'ambition monopoliste avec le Sénégal. Mais je pense que les circonstances d'une certaine époque ont créé une situation qui faisait que cette relation était non exclusive, mais extrêmement dominante.

L'aide publique au développement, l'Afd, est le principal instrument de développement de la France au Sénégal. Mais plutôt que d'octroyer de l'aide, l'Afd, en réalité, accorde des prêts à taux d'intérêts jugés élevés comparativement à ceux de Bretton Woods. Qu'en pensez-vous?

Effectivement, l'Afd, dans son modèle économique, se trouve de facto dans une situation où elle n'agit pratiquement plus par subventions. Je dirais que cela ne veut pas dire que la France a renoncé à intervenir sous forme de subvention. La France a été un contributeur important au Fed, je dirais le deuxième contributeur. Elle a été longtemps le premier contributeur avec une part qui était d'ailleurs supérieur à l'accepter.
Le gouvernement français pendant de très nombreuses années a accepté de prendre une contribution au Fed, supérieure à ce qui aurait découlé de l'application mécanique des contributions des différents pays de l'Union Européenne. Nous sommes un contributeur important du Fed. C'est de l'aide européenne, certes, mais une partie importante de l'aide européenne, pas loin de 20%, vient de la poche du contribuable français, donc, via l'Union Européenne. Il y a une contribution importante de la France au développement sous forme de subvention.
En ce qui concerne l'Afd, elle est une banque de développement. Donc, elle a une ressource financière qui est celle des marchés. Elle emprunte sur les marchés et elle prête à des pays partenaires. Je crois que la signature de l'Afd est excellente. Elle peut emprunter à des taux extrêmement attractifs. C'est ce qui lui permet, je crois, d'être concurrentielle et en tout cas, de faire des prêts qui sont tout à fait concessionnels. Alors, peut-être avec des taux légèrement supérieurs.
Mais là, vous parlez de fraction, donc légèrement supérieur à ceux des autres bailleurs. Mais tout le monde, vous le savez, intervient dans le cadre de tour de table. Il n'y a pratiquement plus de bailleurs qui assument seuls la responsabilité. Sur la plupart des projets, l'Afd se retrouve aux côtés de la Bid, de la Bad, de la Banque mondiale ou de partenaires européens. Donc, ce qu'il faut voir, c'est le taux global qui ressort de ce tour de table. C'est un model économique et je dirais que c'est une contrainte qui pèse sur l'Afd et à laquelle nous ne pouvons pas grand-chose. Mais je le répète, ce serait une présentation erronée des choses que d'affirmer que l'Afd s'aligne aux taux du marché. L'Afd prête aux taux concessionnels.

L'on se demande si l'Afd n'est pas devenue un moyen de placement de capitaux?

Non ! (Rire). L'Afd est une banque de développement. Ce n'est pas une banque dont l'objectif est de faire des profits maximaux. Donc, il ne s'agit pas de placement, il s'agit plutôt d'une contribution au développement de nos partenaires. Maintenant, si vous estimez que cette aide n'est pas souhaitée, n'est pas la bienvenue, je suppose que nous saurions en tirer les conséquences et puis voir si d'autres pays sont intéressés. Nous nous pensons que nous apportons une contribution très positive au développement du Sénégal. Nos partenaires sénégalais ne se plaignent pas du tout de l'intervention de l'Afd, bien au contraire. Je crois que celle-ci est reconnue et saluée. Je m'en félicite.

Pourquoi alors, dans ce cas, ne pas l'aligner au même taux que les autres?

Je vous ai expliqué que ce qui pesait sur l'Afd, c'est son modèle économique qui est de chercher une ressource sur le marché. L'Afd a une signature à des taux très compétitifs et peut prêter à des taux concessionnels. Mais, il y a des limites à ce qu'on peut faire avec ce modèle économique.

Le Sénégal comptait beaucoup sur le tourisme pour améliorer son Pib. Une perspective contrariée par Ebola, puisque beaucoup d'agences de voyage ont vu leurs réservations supprimées. Quelle est l'attitude de la France par rapport à tout cela?

D'abord, l'attitude de la France est celle d'une vraie préoccupation face à cette situation. Grâce à Dieu, elle n'affecte pas le Sénégal, mais un certain nombre de pays de la région. Certaines perspectives peuvent être tout à fait alarmantes quant à l'impacte de cette épidémie sur l'ensemble de la sous région.
Vous parlez effectivement d'annulation, moi aussi je constate qu'un certain nombre de missions, de déplacements sont annulées ou reportées parce que les gens en Europe ont des appréhensions face à la situation sanitaire. Ce sont des appréhensions qui ne sont pas fondées, malheureusement. Mais nous n'y pouvons rien. Nous sommes dans un domaine où la réalité de la maladie devient un épiphénomène, où c'est la perception de la maladie qui devient la réalité.
Le président de la République, Monsieur Macky Sall, recevait notre ministre du Développement la semaine dernière. Il y a une formule que j'ai trouvée très heureuse. Il a dit que c'est aussi la maladie de la peur. C'est une épidémie, mais c'est aussi une maladie qui provoque une forme de peur, de psychose ici au Sénégal et en Europe. Qu'est-ce que vous voulez ? La France n'y peut rien. Nous pouvons juste apporter notre contribution. Nous avons envoyé des équipes médicales en Guinée. Nous sommes prêts à aider en fonction des demandes qui nous seront présentées. Mais évidemment, face à cette situation, le gouvernement français ne peut, malheureusement pas, grand-chose pour convaincre des touristes de ne pas annuler leurs voyages.

N'avez-vous pas l'impression que les médias occidentaux ont rajouté un peu à la psychose?

Non, je dirais que la psychose est relativement générale. Il y a toute une série de déclarations africaines ou de responsables africains qui contribuent à alimenter ce sentiment de peur. Je me souviens du ministre de la Défense du Libéria qui disait que c'est l'existence même qui était en cause. Alors, il est claire que cette déclaration de ce responsable libérien, je peux vous dire, a été reprise en boucle par toutes les télévisions françaises. Vous pouvez regarder France 24, I TV, Lci, toutes ces télés, pendant une demi-journée, ont repris cette déclaration. Après, on ne peut pas s'étonner qu'il y ait un sentiment de grande inquiétude et de peur qui se développe en Europe. Mais il existe en Afrique. On sent que l'opinion sénégalaise est très mobilisée, très préoccupée par le virus Ebola. Il n'y a qu'à voir la tension qui a été apportée par la presse le moment où une personne a été diagnostiquée et le moment où cette personne a été annoncée guérie. C'était la Une de tous les journaux.

Le Sénégal abrite un nombre important de ressortissants français. Dans quels secteurs d'activités évoluent-ils en général?

D'abord, nous avons une partie importante de nos compatriotes que je qualifierais de Franco-sénégalais. Ce sont des gens dont les racines sont au Sénégal. Certains y ont vécu toute leur vie, d'autres ont un parcours en dehors du Sénégal, mais qui reviennent au Sénégal à la fin de leur parcours professionnel, et y restent toute l'année ou une partie de l'année. Ça représente un nombre non négligeable de nos compatriotes ici au Sénégal.
Ensuite, on a tous nos compatriotes qui sont dans l'économie sénégalaise, des hommes d'affaires ou travaillent dans les entreprises françaises. Et puis un nombre important de fonctionnaires. Nous avons encore un dispositif tout à fait considérable ici au Sénégal. Dakar doit être le cinquième ou le sixième poste diplomatique français en termes de nombre de fonctionnaires. Donc, vous y rajoutez les familles, ça fait un nombre tout à fait considérable de français au Sénégal.

Comment la France compte-t-elle accompagner la réforme du secteur universitaire aujourd'hui en crise?

D'abord la réforme, c'est l'affaire du gouvernement sénégalais. J'ai le sentiment que le gouvernement sénégalais est conscient de la crise et veut y apporter des solutions qui s'inspirent très largement d'expériences faites ailleurs, en particulier dans les pays du Nord. Le passage au système Lmd, c'est une volonté de mettre l'université sénégalaise à des standards internationaux. Puisque maintenant le système Lmd s'est imposé en Europe. Il est très voisin, en tout cas, il y a des passerelles avec le système américain. On a un système qui, progressivement, s'internationalise. Donc, je suis convaincu que c'est une décision pleine de sagesse de la part du gouvernement sénégalais que d'aligner le système sénégalais sur ces standards.
Mais après, il y a toute une série de problèmes structurels, financiers, qui nécessitent une intervention de l'Etat. Je crois que la crise ne date pas d'aujourd'hui. Elle existe avant que le gouvernement ne se saisisse du dossier et essaie d'y apporter une réponse. Alors, évidemment, chaque fois qu'on réforme, ça fait partie des choses qui nous rapprochent français et sénégalais. C'est-à-dire qu'on est intellectuellement tous favorables à la réforme, mais dès que l'on propose des solutions et qu'on modifie des situations acquises ou des habitudes, alors on est contre la réforme, on est pour une autre réforme, pas celle là. Toute réforme est difficile, je le répète, ici comme en France.

Sud Quotidien