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Joachim Holden, Fondation Friedrich Naumann: « La floraison des innovations au Sénégal renforce le secteur privé »

Installée à Dakar depuis plusieurs années, la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté promeut l’entrepreneuriat et l’initiative privée au Sénégal. Dans cette interview, le Directeur Afrique de l’Ouest de cette structure allemande affirme que la diversification des initiatives individuelles concourt inéluctablement, au renforcement du secteur privé très dynamique et innovant.


Rédigé par leral.net le Dimanche 7 Juin 2020 à 17:33 | | 0 commentaire(s)|

Vous soutenez l’entrepreneuriat au Sénégal, pensez-vous qu’il est temps de structurer toutes ces initiatives ?

Personnellement, je ne le pense pas. Je ne suis pas un grand fan des structures centralisées qui, à mon avis, ne font que renforcer la bureaucratie et la paperasserie.

Au Sénégal, la diversification des initiatives individuelles concourt inéluctablement au renforcement du secteur privé très dynamique et innovant. Cet esprit d’entreprise et d’initiative privée au Sénégal doit, à mon avis, être salué. Il repose sur une concurrence saine pour satisfaire la forte demande du marché. Devons-nous tout unifier et centraliser en permanence ? Mon pays, l’Allemagne, est connu pour être l’un des systèmes les plus décentralisés d’Europe et du monde.

À la différence des États unitaires d’Afrique, l’Allemagne est un système fédéral composé de 16 États fédérés (les Bundesländer). Il s’agit d’un système à deux niveaux de décision, précisément fédéral et régional, avec comme objectif principal d’éviter l’omnipotence d’un pouvoir central. Les Länder ont leur souveraineté, des exécutifs régionaux et des domaines de compétences spécifiques. Ils définissent leurs politiques, prennent des initiatives parfois différentes d’un État à l’autre, surtout quand il s’agit de soutenir les Pme et les jeunes entrepreneurs.

Évidemment, cela peut être parfois cause de doublon, mais permet de créer une relation très étroite entre l’entrepreneur et son partenaire dans la région concernée. Cette approche raccourcit les délais, facilite la communication et crée une proximité entre eux. Cette flexibilité inégalée constitue un indicateur de performance qui booste l’économie. Il est erroné de croire que la centralisation est efficace et conduit toujours à des résultats meilleurs.
Je suppose que c’est en raison de l’héritage colonial que l’idée de « centralisation » ou de « décentralisation » apparaît toujours dans les discussions politiques au Sénégal. Dans le domaine complexe de la création d’entreprise et de la promotion de l’entrepreneuriat, ce n’est certainement pas un bon modèle. Je pense que toutes ces initiatives se côtoient ou se concurrencent. Certaines prospéreront avec le temps, d’autres pas. Mais actuellement, la demande est si forte qu’il y a de la place pour les acteurs. La floraison des innovations au Sénégal renforce le secteur privé.

Quelles sont les grandes contraintes de l’entrepreneuriat au Sénégal ?

Dans l’Index Doing Business 2019 de la Banque mondiale, le Sénégal est classé à la 123ème place sur 190, juste avant le Brésil. À première vue, c’est frappant et peut être apprécié positivement. Cela montre aussi les énormes progrès que le pays a réalisés ces dernières années. Cependant, si j’examine le document de plus près, il montre également qu’en matière de fiscalité, le Sénégal est classé 166ème. Parlant de l’indicateur sur la possibilité de faire du commerce transfrontalier, le pays n’occupe que la 142ème place, malgré l’existence de l’organisme communautaire, à savoir la Cedeao.

Pour un investisseur étranger qui prend en compte ces indicateurs qui signalent un niveau élevé de taxation et les limites d’utiliser le Sénégal comme plaque tournante pour exporter vers d’autres pays, il faut avouer que ce n’est pas très encourageant. Donc, si le commerce interrégional et une fiscalité trop élevée sont deux problèmes majeurs pour les entrepreneurs, d’autres défis ne doivent pas être pris à la légère non plus.
Au niveau local, nous sommes au regret de constater que de nombreux petits entrepreneurs fortement motivés sont souvent confrontés à une bureaucratie municipale débordante, à un manque de ressources humaines compétentes dans les collectivités locales mais aussi à la corruption. Et même si le Sénégal est, à juste titre, considéré comme un pays où l’État de droit existe et fonctionne, le système judiciaire montre parfois une lenteur si incroyable qu’aucun futur entrepreneur n’est encouragé à s’en inspirer.

Comment assurer un passage de start-up à une unité de production à l’échelle semi industrielle ?

En général, cela dépend de la demande pour votre produit. Et c’est une décision qui doit être prise par chaque entrepreneur. Malgré l’existence d’autres voies, je ne pense pas que l’apport de capitaux soit encore le problème majeur pour une éventuelle expansion des entreprises au Sénégal, même pas pour les petits entrepreneurs, encore moins les jeunes pousses.

Le Sénégal a mis en place, ces dernières années, une très bonne infrastructure de soutien au capital qui n’est pas seulement fournie par le Gouvernement à travers la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide (Der), mais aussi par des capitaux privés et des agences de coopération étrangère. Il est certain que le financement ne tombe pas du ciel et si votre idée d’entreprise n’est pas convaincante, il sera difficile de trouver quelqu’un pour la financer.

Dans le cas contraire, il est, bien sûr, conseillé d’avancer en régime permanent, c’est-à-dire pas à pas. J’ai vu que cette idée d’expansion « modeste » est parfois problématique pour les jeunes entrepreneurs qui ont eu un certain succès avec leur produit et qui veulent maintenant passer à la phase suivante. Certains ont tendance à mordre plus qu’ils ne peuvent mâcher et à penser trop grand. Les histoires d’expansion rapide d’une start-up de garage dans l’arrière-cour à une usine d’un milliard de dollars doivent être prises trop au sérieux. Chaque expansion d’entreprise est progressive et, à partir de la création de votre garage, vous pouvez vous installer dans un petit bâtiment pour développer votre entreprise. De là, vous développer lentement et, si les affaires le permettent, étendre vos activités. De cette façon, vous maintenez des gains stables et vous protégez des actifs valables, même si votre entreprise ne fonctionne pas toujours bien.