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«LA VRAIE HISTOIRE DES SIGNARES ET DES MANNEQUINS POUR LA LIBYE»

Rédigé par leral.net le Samedi 18 Janvier 2020 à 11:38 | | 0 commentaire(s)|

«LA VRAIE HISTOIRE DES SIGNARES ET DES MANNEQUINS POUR LA LIBYE»
La célèbre styliste et costumière, Oumou Sy, aime surprendre son monde. Cette frêle dame de soixante- sept printemps continue d’émerveiller par des créations hardies. Elle a encore frappé un grand coup avec l’organisation d’un grand spectacle dénommé « Le Bal des Signares ». La grande première a eu lieu hier jeudi au Grand théâtre. Quarante-huit heures avant cette sortie nous l’avons rencontrée pour échanger sur ce concept inédit tout en revenant sur son parcours et ses projets.

Madame, vous êtes l’initiatrice du spectacle « Bal des Signares » Pourquoi ce choix sur les Signares?

Depuis trente ans je travaille sur les Signares et les colons. Il est arrivé un moment où je voulais tout laisser tomber. Je suis issue d’une famille religieuse et d’obédience chérifienne. Je suis aussi liée aux familles de Ndiassane, de Tivaouane et de Casamance. Je le dis parce que personne ne m’a jamais interrogée sur mes origines. On m’a toujours questionné sur mon travail. De l’autre côté, je suis apparentée à Maba Diakhou Ba parce que la fille ainée de l’Almamy du Rip était mariée à Cherif Younouss et son fils ainé est le père de ma mère. Cela veut dire que je suis vraiment une vraie sénégalaise avec de nombreuses origines. Je suis chérif, peule, sérère, arabe etc. J’ai vraiment des parents partout. Je suis issue du métissage qui ne signifie pas toujours une peau claire. Je disais tantôt qu’il est arrivé un moment où je voulais vraiment tout laisser tomber. Il y a quelques années, j’avais même arrêté de travailler durant trois mois. Mais un jour, en allumant la radio, j’ai entendu Moussa Ngom chanter le titre : « artiste du danu. Artiste bou Fonk ligéyama artiste du danu ». Je l’ai écouté attentivement. a dire vrai, les chanteurs ne sont pas souvent conscients de la portée réelle de leurs messages. Ils peuvent conseiller les gens rien que par la force du verbe. Et ça, c’est vraiment très louable.

Quand j’ai fini d’écouter Moussa Ngom, je me suis levée pour aller au marché et retrouver mes parents vendeurs de tissus. C’était à Saint-Louis. J’ai réalisé une fresque.

Après avoir fini mon travail, j’ai cherché Jacob Yacouba pour le valider. Parce que moi, j’avais treize ans quand j’ai ouvert mes ateliers. Je ne savais pas où irait mon métier. Je ne savais pas également, à quel niveau je me trouvais. Ce qui fait que j’avais toujours recours à Jacob pour recueillir ses conseils. Quand je l’ai trouvé à la chambre de commerce, il m’a fait savoir que ce jour-là, on célébrait les journées culturelles de saint- louis. Il y avait sur place toutes les autorités de l’ambassade de France et ils n’avaient rien à exposer. Ce qui veut- dire que j’avais sauvé la manifestation. Par la suite, Jacob m’a demandé ce que je faisais le soir car il y avait un grand défilé avec l’ensemble des ASC. et on était en train d’aller vers l’année de la célébration du bicentenaire. Je lui ai alors répondu que je n’avais rien à proposer, mais qu’une fois à la maison, j’allais créée quelque chose. Une fois chez moi, j’ai pris une vieille robe que j’avais et je l’ai transformée en habit de Signares. J’ai appelé ma fille maria qui avait 14 ans à l’époque et je lui ai fait porter la robe d’Anne pépin. Elle était seule ainsi habillée parmi tous les autres participants. Finalement, j’ai gagné le marché de la confection des tenus du bicentenaire. J’ai aussi voulu démontrer que les Signares avaient joué un rôle important dans notre histoire. Il n’était nullement question de la fameuse maxime : « sois belle et tais toi ». Pourquoi on a commencé à Joal ? Parce que tout le monde pense que l’histoire des Signares a démarré là-bas, or leur histoire a débuté à Gorée. Cependant la première Signares est Cathy Louet de Rufisque. C’est vraiment elle qui est la mère de toutes les autres Signares. Il y a aussi le fait que l’on parle toujours des Signares sans jamais mentionner les garçons.

Les Signares n’ont pas fait que des filles. Elles ont aussi fait des garçons. C’est pour cela que l’on retrouve certains noms européens ici au Sénégal. Il faut savoir que la Signares Cathy, la reine Ndatté Yalla et le papa de Senghor ont empêché la vente de nombreuses personnes. Parce que c’est la Signare Cathy qui achetait une partie des esclaves qui arrivaient de la sous-région. L’autre partie était achetée par la reine Ndatté Yalla et le père de Senghor. Après les avoir achetés, ils les laissaient alors libres dans leurs maisons. a l’occasion, ils leur donnaient en mariage à des personnes de passage. C’est ainsi que le Sénégal est devenu un melting pot des peuples et le métissage est très répandu chez nous. Il y a aussi le fait qu’il y a eu de nombreux livres qui ont été écrits sur les Signares, mais il y a très peu d’images. C’est pour combler ce gap que j’ai eu à reconstituer tous ces mulâtres et toutes ces Signares de partout pour faire un livre avec de très belles images. Nous allons également produire un film de cinquante-deux minutes qui va aborder l’histoire de ces Signares, des mulâtres et l’arrivée des colons. Le premier fort qui a été construit en Afrique est celui de Podor. Et moi, je suis née à Podor et c’est pourquoi j’ai tenu à parler à Aba Maal dans cette capsule. Faidherbe a habité à Podor avant que la Gouvernance de saint louis ne soit terminée. et il avait une femme bambara qui s’appelait Dionkounda. Cela veut dire que Faidherbe s’était bien intégré et il allait dans les mariages et les baptêmes. Certains même affirment qu’il s’était converti à l’Islam. Mais sur ce point, les avis divergent car cela n’a pas été écrit. Peut-être que dans le livre, ce point sera éclairci. L’autre célèbre colon, William Ponty, qui a donné son nom à l’école et aussi à la rue, était basé à Sédhiou. C’est un disciple de mon grand-père Cherif Younouss qui était le marabout qui formulait des prières pour William Ponty et il lui a offert sa première femme qui était sénégalaise. Malheureusement, William Ponty n’a eu que des filles. C’est pour cela que le nom de Ponty n’a pas pu s’étendre ici. Voilà en résumé toute l’essence de cet intérêt pour les Signares que je retrace dans le livre et le film à venir.

Avez-vous des partenaires pour mener cet ambitieux projet ?

Je n’en ai presque pas. Mes premiers et uniques partenaires sont le Grand théâtre et le musée des civilisations. Je remercie aussi le ministère de la culture avec la direction de la cinématographie. Il y a également, le ministère de l ’Intérieur qui nous a livrés des autorisations pour pouvoir tourner.

Pouvez- vous nous parler du contenu de ce spectacle ?

Et la chorégraphie sera assurée par Jean tamba. pour le contenu, il faut savoir que j’ai eu à reconstituer les costumes d’époque. le but est de retenir que l’arrivée de tous ces colons n’a pas fait tilt au premier coup. Il a fallu l’arrivée du chevalier de boufflers pour faire tourner la tête à toutes les signares. chaque signare voulait être l’épouse du chevalier de boufflers. mais finalement, c’est anne pépin qui a raflé la mise. auparavant, anne pépin était mariée. mais avec l’arrivée du chevalier, elle a demandé la permission à son ami en lui demandant de la libérer pour qu’elle puisse convoler avec le chevalier. Imaginez-vous cela ? ce qui est sûr c’est qu’aucun sénégalais n’aurait accepté cela de nos jours. C’était une pratique que toléraient certains peuples africains. Il faut donc relativiser tout cela et redorer le blason des Signares. C’est aussi le sens que je donne à cette création. Aujourd’hui, personne ne veut se réclamer Signares car elles avaient une très mauvaise réputation. Pourtant, il faut gommer tout cela et replacer toutes ces pratiques dans un contexte bien particulier

Pourquoi pensez- vous que notre histoire n’est pas toujours bien racontée

Je suis convaincue que notre histoire n’est pas racontée à nos enfants. Dès le départ, tout a été biaisé. on nous parlait de nos ancêtres les Gaulois. Ensuite, on nous a enseignés les parcours de charlemagne, Faidherbe, Victor Hugo et tous ces blancs- là. on ne nous enseigne pas dans nos écoles les véritables raisons de l’exil d’Albouy, les motivations du Jihad de Maba Diakhou. on ne nous dit pas qu’avant de partir, Albouy avait empoisonné les marigots et lacs pour retarder ses poursuivants c’est à l’arrivée de Bouna Albouy que le Walo a pu étancher sa soif. Il faut que nos enfants soient bien imprégnés de tout cela.

Quel apport cette création pourrait apporter à la mode ?

Il faut savoir que la mode est un métier très vaste. Quoiqu’il puisse arriver, les gens vont toujours avoir recours à la mode pour se vêtir. Le fait de s’habiller est intimement lié à la vie de l’homme. Il faut donc savoir que le champ est trop vaste et il faut savoir s’accrocher à la bonne branche de l’arbre. Moi, je suis styliste costumière de cinéma et de théâtre. Pourtant, je ne l’ai appris nulle part. Je n’ai même pas appris à parler français. Parce que je ne suis jamais allée à l’école. Je ne sais ni lire ni écrire. C’est en entendant les gens parler que j’ai pu me former. Quand un mot français sonne mal, il n’est pas beau à entendre. C’est Senghor qui le disait. a force de l’écouter tous les jours à la radio, j’ai vraiment appris à parler français. Je dis souvent que si j’avais été à l’école, Senghor ne serait pas président, ce serait moi qui serais à sa place. Ah, oui car il faut être ambitieux dans la vie. c’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec cette philosophie wolof. en éduquant leurs enfants, ils leur serinent toujours que le parent est une pierre et l’enfant un œuf. ce qui fait que ce dernier est craintif et vraiment limité. or chez nous, on te dit que l’enfant est juste un « nawlé » et qu’il doit prendre très tôt ses responsabilités.

Pouvez-vous revenir sur le contenu et le format du livre ?

Ce sera vraiment un livre d’art avec de très belles images. Ça doit être entre trois cent et cinq cents pages. Il y aura des images et aussi des écrits. Mais les images vont dominer. Je ne fais pas un livre pour les intellectuels, mais surtout pour les illettrés et analphabètes comme moi. De ce fait, les images seront bien appréciées car il faut bien que l’on sache lire les images de manière approfondie. Encore une fois, je sors un vrai livre d’art.

Quid du film que vous avez évoqué tout à l’heure ?

Le film sera un documentaire d’une durée de 52 minutes. Il y aura beaucoup d’interviews, car on a voyagé beaucoup. on a fait Gorée, Joal, Dakar, saint louis etc. le fanal de saint louis vient de se terminer et il y a eu le « rindi ségue » 0n va en parler et tout sera bien expliqué.

Qui en est le réalisateur ?

Mais le film sera réalisé et produit par moi-même. Pardi ! Je suis obligée de tout faire toute seule. Je n’ai aucun sponsor. Je n’ai que dieu et le prophète à mes côtés, et cela me suffit. Il y a juste les membres de mon équipe et des partenaires qui me prêtent les salles comme le Grand théâtre et le musée. Il y a aussi les amis qui viennent travailler gratuitement sans oublier les mannequins à qui l’on remet juste le transport de manière symbolique. Il en est de même pour Jean pierre leurs et Jean Tamba. Je n’ai pas d’argent, mais j’ai des amis et c’est la plus grande des richesses.

Peut-on s’attendre à voir des stylistes invités pour le spectacle ?

Je suis costumière et fière de vous dire que je suis la première en Afrique. Il s’agit de mon livre, de mon film, de mes créations, de ma méthode et de ma vision. Je suis seule dans cette aventure. Il s’agit de restituer une recherche de plus de trente ans. Peut-être, qu’il y a des stylistes qui sont plus âgés que moi, mais je suis vraiment ancrée dans ce milieu. Cela fait cinquante-cinq ans que je suis dans le milieu. J’ai eu soixante-sept ans le 18 décembre dernier et je n’ai fait que cela depuis mes débuts à cinq ans. J’ai ouvert mon premier atelier à treize ans et depuis je n’ai jamais arrêté. J’ai très tôt compris que le temps ne m’attend pas. Je suis obligée de courir derrière ce temps. si les autres viennent, ils ne vont certainement pas comprendre ma démarche. Je me dis que le champ est vaste. Je ne suis pas dérangée par la présence massive des chinois. Je suis convaincue qu’il faut créer, creuser sa tête et produire quelque chose que les chinois ne pourront jamais faire. c‘est aussi simple que cela. Il faut toujours créer et ne jamais baisser les bras.

Quels seront alors les artistes invités ?

Il y aura effectivement de nombreux artistes invités. mais durant ce spectacle, ils vont juste danser au cours du bal. Carlo d va danser. Sanekh et les membres de la troupe soleil levant seront aussi des danseurs. Ils ne seront pas des comédiens ou des chanteurs. Viviane sera de la partie et elle mettra le henné. C’est ma fille qui a toujours été à mes côtés. Dj Boubs sera le cavalier de Viviane. on a contacté Wally Seck, mais comme on n’a pas eu sa réponse, on ne va pas trop nous attarder sur ça. tout cela se fera autour d’un repas. Il s’agit de la prise de l’apéro très prisé par les colons. Au menu, il y aura le thiof braisé qui était le repas préféré du chevalier de boufflers. Il y aura du mafé, le plat préféré de William Ponty à sédhiou. et bien entendu, forcément du tiebou dieune. ce sera une occasion de revenir sur cette belle page de notre histoire vécue par les grandes dames du Wallo et le parcours de la reine Ndatté Yalla. la brave femme qui lui concoctait ses repas s’appelle Penda Mbaye et c’est elle qui a créé le fameux plat national le riz au poisson. C’est parce qu’il y avait beaucoup d’invités. un jour qu’elle a été obligée de rajouter de l’eau et de mettre le riz après. C’est ainsi que le thiébou dieune est né. le daim farci était aussi un plat préféré des colons, mais je ne peux pas le garantir car ce n’est pas la période faste pour les daims. Il y aura aussi du couscous et des jus locaux.

Pour organiser cet évènement, il faut un budget. Avez-vous eu l’appui de l’Etat…

Je suis une personne très volontaire. Je ne suis pas du genre à courir derrière les autorités. Je prends toujours le soin d’écrire à tout le monde. Il se trouve que je ne reçois même pas de réponse ou bien on me rétorque toujours que le dossier est dans le circuit. Moi je n’attends pas, car je suis persuadée qu’il y a des embouteillages au niveau des circuits ministériels. Je suis très pragmatique et comme je suis la mère du président, je préfère céder la place aux autres. Je fonce et je déroule mon programme avec mes propres moyens. Il est évident que cela engendre un énorme coût, car les tissus coutent cher. Les mannequins reçoivent leurs frais de transport et tout cela coûte les yeux de la tête. Mais cela ne va pas nous décourager. Je n’ai reçu aucune subvention. Même mes amis m’ont soutenu en nature. Toutefois, je n’ai pas encore reçu de sous venant d’eux. Je suis vaccinée car j’ai toujours fonctionné comme cela. Je ne peux pas donner un chiffre, car cela a pris du temps. C’est un travail de plus de trente ans. Je suis sûre que si on me commandait ces tenues, j’allais réclamer plus de cent millions. mais comme je suis la créatrice et l’épine dorsale de ce projet, je marche à mon rythme.

On a beaucoup glosé sur l’épisode du charter libyen. Qu’en est-il réellement ?

C’est très simple ! le Sénégal était invité d’honneur. le président Wade allait être empêché, car il devait être à Durban tout en nous disant qu’il fallait que le pays montre les facettes de sa culture. en ce moment, il y avait un problème très politique entre le Sénégal et les Etats-Unis. Colin Powell (secrétaire d’état de Georges W. bush) avait fait le tour de l’Afrique sans poser le pied au Sénégal. Bush s’est justifié par le fait que c’est Kadhafi, qu’il considérait comme un terroriste, qui avait financé la campagne de Wade (présidentielle 2000). Il fallait un incident diplomatique pour faire les yeux doux aux Etats-Unis et c’est tombé sur moi. J’ai servi de bouc-émissaire et jusqu’à présent, je n’ai été réhabilitée ni moralement ni financièrement.

Une dernière question. Qu’est- ce qui fait courir Oumou Sy ?

Ce qui me fait courir ? Je veux monter l’immense potentiel du Sénégal et de l’Afrique. J’aime dire que je viens toujours en retard car quand Senghor était là pour aider les artistes, j’étais vraiment trop jeune. Je n’ai pas eu la chance de l’approcher. J’aimais aller l’admirer quand il venait à saint louis à la place Faidherbe. Je ne l’ai finalement rencontré qu’une fois. C’était à l’occasion du bicentenaire à la Galerie nationale. J’allais partir et on m’a dit que c’est Senghor qui devait venir présider. Très vite, je me suis rapidement préparée et je suis allée à l’accueil. Quand est venu le moment de lui serrer la main, je l’ai longuement serrée. Je l’ai retournée à deux reprises et je l’ai longuement serrée. Ensuite, j’ai lâché sa main avant de le fixer du regard très longuement. C’était un message. Je voulais lui faire comprendre qu’il m’avait appris beaucoup de choses grâce à son combat pour la négritude. Il s’attendait à ce que je parle, mais je n’ai rien dit. Finalement, j’ai atteint mon objectif, car on m’a fait comprendre que dans la voiture qui l’amenait, il a demandé qui était cette dame très chaleureuse qui m’a salué d’une manière très profonde et affectueuse. on lui a dit que c’est moi qui avais réalisé l’exposition. Il leur a répondu ceci : « Je suis sûr qu’il ira loin, car elle a une profondeur extraordinaire que personne ne peut soupçonner. Mais moi, je l’ai bien saisie. cela me suffit amplement. Il faut savoir qu’après le Métisicana et Internet, j’ai créé le mardi Gras au Sénégal et cela a fini par faire tache d’huile. c’est cela le sens de mon combat.

Fadel LO le temoin