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La révocation du Maire de la Ville de Dakar, une décision bien légale. ( Ababacar NDIAYE, Chercheur en droit public )

Sans me réjouir du sort de Monsieur Khalifa Ababacar SALL, je suis obligé de noter que certains juristes, polémistes, pourfendeurs, comme à l’accoutumé, se sont encore illustrés avec cette fois ci, des arguments aisément rejetables.


Rédigé par leral.net le Dimanche 2 Septembre 2018 à 21:48 | | 0 commentaire(s)|

La plupart des contributions ou commentaires sur les réseaux sociaux ou sorties médiatiques, vont dans le sens de démontrer avec beaucoup de difficultés et de confusions, le caractère illégal du décret n°2018-1701 du 31 Aout 2018 portant révocation du Maire de la Ville de Dakar. L’affirmation du professeur M. GADIAGA selon laquelle, le droit avant d’être un impératif obligatoire, est un impératif hypothétique, trouve tout son sens dans ce débat juridique en l’espèce. Autrement dit, la vérité juridique est dialectique, une vérité au V n’existe généralement pas en droit. Pas de vérité biblique. C’est ce qui fait d’ailleurs tout son charme.
Les pourfendeurs ont mobilisé des raisonnement basés sur les articles 36 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n°2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême, et les articles 135 et 140 de la loi organique 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités territoriales sans pourtant saisir le sens des dispositions. Mais, une lecture combinée de ces différents articles permet de démontrer à notre sens avec pertinence le caractère légal de la décision de révocation.
D’emblée, il convient de lever l’équivoque qui consiste pour certains juristes, d’apprécier, maladroitement les dispositions de l’article 36 qui pose non pas le principe du caractère suspensif du recours ou du délai du recours mais plutôt énumère les exceptions dans lesquelles, la suspension est de mise. Je le cite « le délai du recours et le recours ne sont suspensifs que dans les cas suivants :
1. en matière d’état ;
2. quand il y a faux incident ;
3. en matière de vente immobilière ;
4. en matière pénale, sauf, d’une part, l’existence de dispositions législatives contraires ;
5. dans les cas prévus à l’article 74-2 de la présente loi organique ».
J’ai ici, volontairement, mis en gras le « NE » de la négation pour attirer l’attention de ceux que j’appelle les nos voyants par circonstance. De surcroit, l’article 36, bien vrai que nous sommes évidemment en matière pénale, soulève une autre exception de taille. Il s’agit, de l’existence de dispositions législatives contraires, que sont dans le cas en l’espèce les dispositions de l’article 140 que je cite « sans que la liste soit limitative, les fautes énumérées ci -dessous peuvent entraîner l’application des dispositions de l’article 135 du présent code :
1. fait prévu et puni par la loi instituant la Cour des comptes ;
2. utilisation des deniers publics de la commune à des fins personnelles ou privées ;
3. prêts d’argent effectués sur les recettes de la commune ;
4. faux en écriture publique authentique visés au Code pénal ;
5. faux commis dans certains documents administratifs, dans les feuilles de route et certificats visés au Code pénal ;
6. concussion ;
7. spéculation sur l’affectation des terrains publics, les permis de construire ou de lotir ;
8. refus de signer ou de transmettre au représentant de l ’ Etat une délibération du conseil municipal .

Dans les sept premiers cas, la sanction administrative ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires ».
La cour d’appel ayant retenu le délit de faux en écriture publique authentique visés au code pénal, prévu par l’article 140, qui est une disposition législative contraire, je me répète, le caractère suspensif du recours est dès lors écarté.
L’application de l’article 135 concerne ici, la possibilité de prendre la décision de révocation, si l’un des éléments cité par la disposition législative contraire à savoir l’article 140 se présentait et non la condamnation a une peine criminelle. Puisque nous sommes en matière délictuelle, l’application de l’article 135 concerne uniquement la possibilité de révocation par décret. Même si toujours ledit article ne précise pas la nature de la condamnation. Par conséquent, la simple condamnation prononcée en première instance pouvait servir de fondement à l’autorité administrative de prendre sa décision. Et, plus la décision de révocation indépendamment des poursuites judiciaires, pouvait intervenir depuis le rapport de l’Inspection générale d’Etat car il s’agit de protéger l’autorité morale de la municipalité. Ailleurs, dès lors que l’autorité morale du maire est en cause, la procédure de révocation peut être enclenchée. La procédure pénale ne fait pas obstacle à l’application de la révocation.
Pour plus de précisions, je cite l’article en question « lorsque le maire ou tout autre conseiller municipal est condamné pour crime, sa révocation est de droit.
Les Maires et adjoints, après avoir été entendus ou invités à fourni r des explications écrites sur l es faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par un arrêté du Ministre chargé des Collectivités locales pour un temps qui n’ ex cède pas un mois et qui ne peut être porté à trois mois que par décret.
Il s ne peuvent être révoqués que par décret. L’ arrêté de suspension et l e décret de révocation doivent être motivés ».
Les pourfendeurs ont aussi avancé l’absence de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la Cour d’appel et la violation du principe constitutionnel de la présomption d’innocence. Nous rappelons que l’autorité de la chose jugée est définitive sur le plan des faits car le fond du dossier est clôturé. La Cour suprême, est gardienne de la légalité et elle n’a pas vocation à revenir sur les faits déjà jugés. Par conséquent, elle va apprécier si la juridiction de fond a fait une bonne application du droit. Ainsi l’article premier, alinéa in fine, de la loi organique 2017-09 précitée, le précise avec clarté «…la Cour suprême, statuant sur les pourvois en cassation, ne connaît pas du fond des affaires ».
Pour davantage, balayer ces positions, nous convoquons des cas similaires de révocation des Maires des communes de Lavelade d’Ardèche et d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), pour montrer que l’autorité de la chose jugée peut être acquise sans l’épuisement de toutes les voies de recours et sans porter atteintes au principe de la présomption d’innocence, contrairement à ce que pensent certains juristes.
Le Conseil d’Etat Français a d’abord dans sa décision n°78114 du 12 juin 1987 rejeté la requête de M. RAYMOND tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 6 mars 1986 par lequel le Président de la République l’a révoqué de ses fonctions de maire de la commune de Lavelade d’Ardèche, en considérant que « l’arrêt du 29 novembre 1985 de la Cour d’Appel de Nîmes, condamnant le requérant à la peine de 2 ans de prison, bien qu’il ait fait l’objet d’un pourvoi en cassation à l’autorité de la chose jugée ; qu’il pouvait dès lors légalement servir de fondement à la mesure de révocation prononcée à l’égard du requérant, lequel ne saurait utilement se prévaloir, dans ces conditions, de ce que cette mesure méconnaîtrait le principe de la présomption d’innocence dont doivent bénéficier les prévenus ; la requête est rejetée… ».
Toujours dans la même perspective, le 2 mars 2010, M. Dalongeville, n°328843, le Conseil d’Etat a encore rejeté la requête du sieur M. GERARD A en considérant que « le maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) s’est bien rendu responsable de l’importante dégradation de la situation financière de la commune et qu’ainsi, le décret attaqué a fait une exacte application des dispositions de l’article L. 2122-16 du Code général des collectivités territoriales ».
Il ya lieu de rappeler que l’acte administratif jouit d’une autorité en vertu d’un certain nombre de privilèges. Il bénéficie d’une présomption de légalité, on se soumet même s’il est illégal, en attendant bien sure de saisir le juge de l’excès de pouvoir pour obtenir son annulation. Le juriste doit avoir comme matière brute la norme et non les sentiments. Un grand maitre du droit public sénégalais soulignait que « le plus grand danger d’un juriste est celui qui fait du droit tout en ayant des arrières pensées politiques ».
Dura lex, sed lex. Dure est la loi, mais c’est la loi.

Ababacar NDIAYE, Chercheur en droit public.
ababacar100@gmail.com

Ndèye Fatou Kébé