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Le patriotisme circonstanciel du Maire de Dakar Plateau ! », Par Abdou Khadre Gaye, AKG


Rédigé par leral.net le Dimanche 12 Octobre 2025 à 21:44 | | 0 commentaire(s)|

Le patriotisme circonstanciel du Maire de Dakar Plateau ! », Par Abdou Khadre Gaye, AKG
"Une alternance politique est toujours porteuse de prodiges. De toutes les sortes, hélas ! Il est vrai aussi que le vocable patriotisme, de nos jours, au Sénégal, a perdu du sens. Il ne renvoie plus au désir de servir la patrie par un engagement citoyen volontaire et un comportement exemplaire, mais à un slogan, un sigle, une couleur, comme un teeshirt, un pin’s, une casquette qu’on enfile au gré des humeurs. Et le terrain politique prend des allures de cirque...

L’art du mensonge, du maquillage et de la roublardise

Et la politique, aujourd’hui plus qu’hier, pour bon nombre d’acteurs, est devenue l’art du mensonge, du maquillage et de la roublardise. Les politiciens des politicards, les militants des supporters, les citoyens des pions à jouer. Ainsi donc, après seize années passées à la tête de la commune du Plateau (pendant lesquelles il a occupé les postes de ministre de l’Environnement et de ministre de la Pêche), voici le maire qui pleure sur l’anarchie qui règne dans le centre-ville, à travers une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur, où il sollicite la mise en place d’une police municipale, non sans blâmer les prédécesseurs du ministre susnommés, ses ex-collègues, qui, ose-t-il écrire, « n’ont jamais répondu à mes interpellations ».

N’est-ce pas surprenant de la part de celui qui a donné à louer toutes les portions de trottoir disponibles du centre-ville, contribué à l’encombrement de ses rues et ruelles, favorisé sa « cantinisation », sa transformation en marché ? N’est-ce pas surprenant de la part de celui qui a tourné le dos aux quartiers démunis, négligé la sécurité et la qualité de vie des habitants, privilégiant la réfection de mosquées, la construction de soi-disant logements sociaux, les voyages à la Mecque et à Fez1, etc. ? Le voici, après s’être procuré chez les tabliers de Petersen un vivier électoral, au grand dam des riverains de Valmy, Escarfait, Grasland et L’Yser, qui s’en prend à ceux de Lat Dior, oubliant qu’il ne s’agit pas d'une bataille contre quiconque, mais d’engagement pour la ville. Mais d’amour de la cité.

Le voici, après seize années passées à la tête de la commune, incapable de mettre à profit l’attractivité culturelle de la municipalité la mieux dotée par l’État central en infrastructures et espaces de diffusion de la culture (des galeries, des musées, des théâtres, etc.) Le casseur du marché Sandaga contre l’avis des experts2 ne sait que faire de ce potentiel. Il ne sait que faire des plages du Plateau, que faire de sa façade maritime. Il ne sait guère comment redorer le blason de « la capitale de la capitale » ni comment « débalafrer » ses rues et réinventer ses penths, pas même comment réinstaller sur le trône l’avenue George Pompidou, la reine des rues dakaroises, défigurée, méconnaissable, abandonnée.

Le voici ndeysaan ! qui use de subterfuges, s’applique un fond de teint trop marqué, enfile un masque trop grossier, balbutiant un chant oublié, gigotant des pas de danse trop longtemps négligés. Le voici, après avoir donné le nom de l’avenue Faidherbe au président Macky Sall, pour seulement lui plaire, qui poursuit son œuvre de renommage des rues sans concertation avec les populations, sans vision claire, sans maîtrise, et de façon trop massive. Un seul objectif l’anime : surfer sur une idée du nouveau régime, pas mal en soi, mais qui demande prudence et intelligence : la décolonisation des noms des rues. Car, faudrait-il savoir : quelle rue rebaptiser ? Pourquoi ? Quel parrain choisir ? Pourquoi ? Quels équilibres respecter ? Quelles redondances éviter ? Etc.

Doublons inutiles, interrogations et frustrations légitimes

Hélas, il décolonise, monsieur le maire, qui ne songe guère à remplacer les caïlcédrats morts ou vieillissants du centre-ville plantés par le colonisateur, à débarrasser Reubeuss des rues à flaques d’eau, à délivrer Niaye Thioker de l’insécurité des environs du tribunal, à soulager les souffrances des plus pauvres… Il décolonise, monsieur le maire, sans réfléchir, créant ce faisant, sans s’en rendre compte, des doublons inutiles, des interrogations et des frustrations légitimes. Et de la surenchère. Il ignore qu’il ne s’agit pas de changer de nom pour changer, d’honorer pour honorer, mais de raconter la ville, de lui réinventer un visage sonore, de semer des graines d’avenir. Sûr qu’il ne comprend pas, peut-être ne connaît même pas, ces mots de Mamadou Diop, ancien maire de Dakar, notable lébou, sur sa ville de cœur : « Dakar accueille l’Europe, sourit aux Amériques et exprime la générosité de tout un continent tendu au banquet de l’universel. »

Le maire du Plateau ignore que le Plateau a une histoire imbriquée dans l’histoire de Dakar, du Sénégal, de l’Afrique et du monde. Il ignore que l’enracinement n'exclut pas l’ouverture et qu’il existe des personnalités qui appartiennent à toutes les nations et qui peuvent être célébrées partout. Il ignore qu’en Europe et ailleurs des rues portent des noms d’Africains, de Sénégalais, et qu’il y a des chefs religieux, dignitaires, intellectuels et artistes de ce pays dont les noms peuvent être gravés sur les plus fiers frontons au monde.

Il ignore qu’en matière de toponymie de rue, les plus humbles, parmi lesquels se rencontrent maintes pépites d’or, ont aussi leur place, ainsi que les valeurs de civilisation et événements historiques à promouvoir. Il ignore que donner un nom aux rues c’est bien, renommer ce n’est pas mal, mais améliorer le cadre de vie c’est beaucoup mieux. Parce qu’une rue peut n’avoir pas de nom ou être désignée par un simple numéro ou par une lettre d’alphabet ou autre chose. Parce que les populations s'occupent toujours de nommer les lieux.

Mais un cadre de vie insalubre, c’est impossible à vivre. Un quartier sans assainissement est un supplice. Il ignore surtout que les noms des rues finissent par devenir une sorte de mélodie à jouer avec intelligence, à l’instar des touches d’un piano trop sensible ou d’un tambour sacré. Car réels sont les risques de cacophonie, de confusion, de perdition et de déperdition. Or, s’il avait choisi, dès le début de son mandat, de rebaptiser une rue par année, ou même deux, il en serait présentement à seize, ou trente-deux, et aurait eu le temps, à travers un groupe de travail représentatif et de larges concertations4, de prendre en charge le sens, la pertinence, la portée et la diversité du choix des appellations par une communication appropriée.

Mais rebaptiser aussi massivement en fin de troisième mandat, c’est là une belle preuve d’insincérité. Et un précédent dangereux. Imaginons : si tous les maires du département se lançaient dans le jeu, sans concertation, sans coordination, chacun suivant son bon plaisir, son intérêt propre, quel imbroglio ce serait pour notre ville si assoiffée d’ordre et de discipline ? Mais, qu’est-ce qui fait donc courir monsieur le maire ? Je ne sais pas. Et je ne ferai pas d’hypothèse, pour l’heure. J’attends la tempête. Rappeler seulement, pour finir, cette vieille sagesse léboue : « Lorsque la gestion du bien commun est confiée à une équipe dirigée par un responsable élu, celui-ci doit savoir qu’il n’est pas propriétaire, mais mandataire, et respecter et consulter ses mandants. »

Dakar, le 12 octobre 2025
1/ En fait, le maire a préféré à son accession à la tête de la municipalité, entre autres, supprimer les colonies de vacances et lancer les pèlerinages à Fez.

2/ Des architectes et des artistes (Annie Jouga, Mamadou Berthe, Jean-Charles Tall, Viyé Diba, Moussa Ndiaye, etc.) s’étaient mobilisés pour défendre le bâtiment classé patrimoine historique. Ils avaient appelé à sa restauration, jugée plus avantageuse à tous les points de vue. Car, argumentaient-ils, « c’est une aberration que de casser un monument qui tient debout pour reconstruire du neuf ». Et à quel coût ?

3/ La toponymie traditionnelle nomme les maisons, les quartiers, les arbres, les plages, parfois les rues, les coins de rue, et même les arrêts.

4/ Le maire déclare dans une intervention avoir mis en place une commission depuis 2020 qui a travaillé sur la question, dont personne n’a jamais entendu parler ni ne connaît la composition, que personne n’a jamais vu, ni lu, ni entendu."

Ousseynou Wade