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« Le piège de Thucydide ? », Par Daouda Bouré Gnilan Diouf

Le Premier Ministre du Sénégal, lors de son passage à l’Assemblée nationale, le 14 avril 2025, a fait référence au piège de Thucydide, pour illustrer la situation géopolitique mondiale, principalement entre la Chine et les USA, afin d’appuyer sa thèse de la souveraineté. Je prends ce prétexte pour faire le texte suivant, afin d’enrichir la réflexion sur le positionnement de nos Etats, dans ce probable choc des titans.


Rédigé par leral.net le Mardi 6 Mai 2025 à 21:28 | | 0 commentaire(s)|

« Dans son livre Graham Allison, qui a conduit le groupe de travail ‘Piège de Thucydide’ à l’université de Harvard, expose 16 cas historiques qui se sont posés depuis le Grèce antique, avec l’affrontement ultime et inévitable entre la Grèce puissance montante et Sparte puissance établie. Parmi les 16 cas étudiés, 12 ont abouti à un affrontement armé ; la rivalité a donc conduit à la guerre, 3 fois sur 4.

Le groupe de travail a choisi une approche occident centrée, sinon il aurait pu aller au-delà de la Grèce et remonter jusqu’en Egypte antique. Une approche afro centrée serait très intéressante à étudier et pourrait révéler des résultats surprenants, sur la logique sous-tendant les rivalités entre les puissances de l’époque, mais c’est une autre histoire.

Les cas les plus emblématiques, ayant abouti à l’affrontement direct, furent précipités par le jeu complexe des alliances, avec des « petits Etats ». Ce fut La célèbre guerre du Péloponnèse, au 5e siècle avant JC et de la première guerre mondiale, résultant de la montée en puissance de l’Allemagne face au Royaume-uni. Nous n’analyserons pas ici les facteurs ayant désamorcé l’affrontement direct.

Pourquoi le PM a fait référence à ce piège ?

L’affrontement sino-américain actuel, résumé par la notion de « no limit war » ou « guerre sans limite », est un cas complexe aux vues des avancées technologiques modernes. C’est une des raisons pour laquelle, l’affrontement direct reste hypothétique (c’est la survie de l’espèce humaine qui est en jeu en cas d’affrontement direct. Ce cas est beaucoup plus complexe que la guerre froide où la dissuasion nucléaire a évité le pire).

Les tensions géopolitiques actuelles : au Proche et Moyen orient, dans le détroit de Taiwan, au Cachemire, en mer de Chine méridionale, en Amérique du nord, en Europe et en Afrique subsaharienne, nous interrogent naturellement sur notre capacité souveraine à faire face à notre destin, en cas de conflit majeur résultant du piège de Thucydide auquel la Chine et les USA font face.

L’ambiguïté stratégique, fondement de la géopolitique américaine en Asie, fait face à la philosophie du Tsu Zu développée par la Chine. Tous les analystes avisés parient, à juste titre, sur l’essoufflement de l’ambiguïté stratégique au fur et à mesure que la Chine va monter en puissance ; les derniers exercices dans le détroit de Taiwan le montrent clairement, si besoin en était. L’Amérique n’a jamais réussi son pivot vers l’Asie initié depuis Obama, car le front du Moyen orient (alliance entre Etats) persiste et pis encore, s’intensifie avec une escalade très dangereuse. Mieux, ce front contribue à la déperdition de la puissance américaine (hard comme soft) et par conséquent, accroît le risque « piège de Thycidide » à résultante négative, par perception fondée ou non, d’une perte d’influence face à la montée en puissance fulgurante de la Chine, qui est passée maitre dans l’art de la « guerre sans limite ».

La question de la souveraineté se pose à deux niveaux :

- D’abord notre capacité endogène à absorber des chocs exogènes, en cas de confit de grande intensité entre la Chine et les USA (piège de Thucydide à résultante négative)
- Ensuite, notre capacité réactive, c’est-à-dire notre résilience à absorber des chocs ponctuels dans la situation de « guerre sans limite » que se livre ses deux grandes puissances : affrontements par proxy, guerre commerciale, cyberguerre, course aux armements, confrontation technologique par dissuasion, etc.
-
Il s’agit donc d’un rapport avec soi-même en tant que Etat-Nation, ensuite des rapports avec les autres Etats. Ces deux rapports doivent être fondés sur l’innovation technologique au sens large, dans tous les secteurs, car la maîtrise et le développement technologiques influencent la trajectoire d’un pays, ses capacités de défense, son modèle économique et social, etc. La question de la centralité de la technologie dans le développement de l’humanit,é ne sera pas traitée ici. Retenons simplement que c’est l’un des facteurs déterminants du rapport de force entre les nations et que les empires de tout temps, se sont hissés au sommet de leur époque, grâce à la maîtrise et au développement technologique.

Que risque nos pays en cas de choc externe ?

- inflation généralisée : eau, électricité, denrées de première nécessité, électroménager, intrants agricoles, etc.
- effondrement des systèmes de santé : pénurie de médicaments et d’appareils médicaux, interruption des collaborations internationales sur les systèmes de santé, accès limité aux vaccins, etc.
- paralysie des administrations,
- rupture dans la chaîne d’approvisionnement (pénurie de navires, désorganisation des transports mondiaux, etc.)
- effondrement des stock de pièces détachées, la pénurie de céréales, etc.
- instabilité politique, des émeutes de la faim,
- fragilisation de l’économie dans sa globalité,
- paralysie du secteur bancaire mondial,
- inaccessibilité d’internet,
- famine,
- etc.

Aucun pays ne peut absorber de telles répliques, sans bâtir une base de souveraineté minimale, l’enjeu est existentiel. Cette base doit reposer sur une stratégie claire.

Il est donc primordial pour nos Etats, face à la probabilité de plus en plus grande d’une confrontation majeure, de poser tout de suite et maintenant, les bases d’une souveraineté minimale. Il ne s’agit pas de s’élever en puissance concurrente des pôles existants, mais plutôt de poser les bases claires d’une stratégie géopolitique d’existence et non de survie, à partir de la philosophie du « penser Africain, vivre Africain », qui sera développé dans un autre texte.

Et c’est tout le sens de l’appel du PM à la souveraineté, à la vue de la situation de piège de Thucydide auquel le 21e siècle est confronté.

Mais alors, sur quels leviers le Sénégal peut jouer pour bâtir cette base de souveraineté minimale ? »

A suivre.





Daouda Bouré Gnilan Diouf, PHD candidate en géopolitique de la Technologie

Ousseynou Wade