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"Le procès des Absents" : Il faudrait être naïf pour y voir une catharsis, alors qu'avec un peu de lucidité, l'on s'apercevrait très vite qu'il manque un élément essentiel au tableau

Rédigé par leral.net le Jeudi 20 Novembre 2025 à 20:45 | | 0 commentaire(s)|

On persiste à parler de « procès », alors qu'il s'agit, en réalité, d'un exercice d'équilibrisme institutionnel où les vrais accusés sont absents, les témoins essentiels invisibles et les spectateurs priés de croire qu'une révolution judiciaire est en cours au Gabon. Il faudrait être naïf pour y voir une catharsis, alors qu'avec un peu de lucidité, l'on s'apercevrait très vite qu'il manque un élément essentiel au tableau.
Le narratif du « procès » nous conte la débâcle financière de (...)

- LIBRE PROPOS /

On persiste à parler de « procès », alors qu'il s'agit, en réalité, d'un exercice d'équilibrisme institutionnel où les vrais accusés sont absents, les témoins essentiels invisibles et les spectateurs priés de croire qu'une révolution judiciaire est en cours au Gabon. Il faudrait être naïf pour y voir une catharsis, alors qu'avec un peu de lucidité, l'on s'apercevrait très vite qu'il manque un élément essentiel au tableau.

Le narratif du « procès » nous conte la débâcle financière de l'ère Bongo-Valentin comme on raconterait un roman déjà lu mille fois : la Young Team, les réseaux, les dépenses infinies, les circuits parallèles. On décrit les sorties de fonds, les transferts, les comptes spéciaux. Mais on évite soigneusement de nommer la structure sans laquelle rien n'aurait existé : la banque. Le cœur. L'ingénierie. Le système nerveux du scandale.

BGFI Bank, pour ne pas la citer, reste hors champ. Ce simple fait mériterait déjà une thèse. Car toute affaire financière, dans n'importe quel pays qui prend l'économie et la transparence au sérieux, commence et finit par la banque qui a hébergé les flux. Ici, elle se tient derrière le rideau, silencieuse, immobile, immaculée comme un temple que personne n'ose profaner.

Et au centre de ce temple, il y a un grand prêtre dont la discrétion frise le surnaturel : Henri-Claude Oyima. PDG de BGFI. Ministre de l'Économie. Gardien des fonds publics et gardien des comptes privés. Deux fonctions qui, partout ailleurs, s'annulent absolument — ici, elles s'ajoutent harmonieusement.

Cette anomalie ne choque pas seulement à Libreville. Même au sein de la CEMAC, où les réunions ministérielles se déroulent d'ordinaire dans un calme feutré, l'agacement est désormais perceptible. Lors d'une récente séance, le ministre tchadien des Finances, Tahir Hamid Nguilin, a publiquement exprimé son étonnement devant la double casquette d'Oyima. Quant à la Banque des États de l'Afrique Centrale, elle avait, il y a quelques mois, envoyé aux autorités gabonaises une note parfaitement explicite confirmant l'incompatibilité totale entre les deux fonctions. Le document a été reçu, et soigneusement ignoré.

Pendant ce temps, les finances gabonaises inquiètent jusqu'au FMI. Avec un endettement qui tutoie les 80% du PIB, bien au-dessus du seuil de convergence régional, et un déficit de change qui plombe les réserves de la zone, le Gabon menace de compromettre les programmes d'appui accordés au Tchad et à la Centrafrique. Lors des assemblées annuelles du FMI à Washington, Oyima n'a pas daigné se déplacer. Une absence remarquée, commentée et peu appréciée par ses pairs. Pendant que la région encaissait les secousses, celui qui cumule les rôles de superviseur et de dirigeant financier au Gabon restait à distance. Rien de tout cela n'a trouvé place dans le récit judiciaire actuel.

Et, c'est peut-être là, l'aspect le plus comique, si l'on ose dire. Un conflit d'intérêts d'une telle ampleur qui devrait, en théorie, s'autodétruire par simple contact avec la logique. On connaissait la fission nucléaire. Désormais, grâce à la Ve République du Général-Président, on découvre la fission éthique au Gabon. Le ministre chargé de surveiller l'intégrité financière de l'État est également le dirigeant de l'institution privée qui a accueilli les mouvements de fonds les plus controversés de l'histoire du pays. On ne peut imaginer cumul plus éclatant, ni paradoxe plus parfait.

Dans n'importe quel pays normal, une telle combinaison déclencherait au moins deux commissions d'enquête, trois actions parlementaires, un éditorial outré dans chaque journal. Ici, elle provoque à peine un haussement d'épaules, voire une admiration polie.

Pendant que cette dualité spectaculaire reste intouchée, un autre nom circule dans les documents, celui de Franck Yann Koubdjé. La précieuse signature de cet ancien employé de la BGFI Bank, par ailleurs ex-Trésorier Payeur Général du Gabon, semble avoir été le sésame magique permettant aux fonds publics de quitter les caisses de l'État avec une régularité remarquable. Dans une démocratie fonctionnelle, un haut fonctionnaire impliqué à ce point serait immédiatement appelé à témoigner. Or, dans ce procès, son nom flotte comme une simple note de bas de page, parfois citée, jamais examinée.

Moralité : tant que le Gabon du Général-Président n'acceptera pas d'interroger non pas les noms, mais les fonctions ; non pas les acteurs, mais les systèmes ; non pas les profiteurs, mais les institutions qui ont rendu possible leur profit, il ne s'agira pas d'un procès. Tout au plus, d'une répétition générale ou, comme le disent certains, d'une « honteuse et pathétique mascarade ».

Michel ONGOUNDOU LOUNDAH



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...