leral.net | S'informer en temps réel

“Monnaie: Changer de symbole ne suffit pas à changer de destin ?”, Par Cheikh SENE Essayiste, Économiste

Le débat sur le franc CFA revient avec force au Sénégal, porté par les nouveaux dirigeants qui se définissent comme souverainistes et anti-CFA. Le Premier ministre, en présentant le plan de redressement national, a réaffirmé que cette monnaie héritée de la colonisation ne pouvait plus être l’avenir.


Rédigé par leral.net le Mardi 19 Août 2025 à 22:27 | | 0 commentaire(s)|

“Monnaie: Changer de symbole ne suffit pas à changer de destin ?”, Par Cheikh SENE Essayiste, Économiste
“L’argument est simple l’arrimage du franc CFA à l’euro prive nos États d’une politique monétaire indépendante et limite nos marges face aux marchés financiers. Pour beaucoup d’Africains, sortir du CFA. Le « CFAxit » apparaît donc comme un pas décisif vers la souveraineté économique.

Mais attention il serait injuste de faire du franc CFA le bouc émissaire de tous nos maux. Les faibles performances de l’UEMOA s’expliquent aussi par le manque de gouvernance, la dépendance extérieure et l’absence d’une véritable union budgétaire et fiscale. L’expérience mondiale montre qu’aucune union monétaire ne réussit sans discipline budgétaire ni convergence économique.

Oui, il faut rompre avec le CFA. Mais le succès du CFAxit dépendra surtout de notre capacité à bâtir une monnaie adossée à des politiques économiques solides, à une gouvernance crédible et à une volonté d’intégration régionale réelle. Sans cela, nous risquons seulement de changer de symbole sans changer de destin.

Souveraineté monétaire un outil, pas une solution miracle

Si les pays de l’UEMOA décidaient de changer de monnaie, cela ne nous rendrait pas automatiquement plus forts économiquement. Au contraire, cela pourrait nous exposer davantage aux turbulences des marchés financiers et à la spéculation internationale, surtout en l’absence de solides réserves monétaires et d’une économie diversifiée.
Il est crucial de comprendre qu’un changement de monnaie ne constitue pas une solution miracle pour enrichir un pays. La monnaie, avant tout, est un outil économique, un instrument au service d’une stratégie de développement. Ce n’est ni une fin en soi, ni une garantie de prospérité.

Certes, avoir sa propre monnaie est un symbole fort de souveraineté, un marqueur d’indépendance nationale et un moyen de consolider son identité économique. Cependant, cette souveraineté monétaire doit s’appuyer sur des institutions robustes, une gestion rigoureuse, et un leadership visionnaire. Sans ces prérequis, l’instauration d’une nouvelle monnaie pourrait générer des instabilités majeures, telles que l’hyperinflation, la dépréciation rapide de la monnaie ou des déficits budgétaires incontrôlés.

L’exemple de nombreux pays africains ayant leur propre monnaie illustre bien cette réalité. Beaucoup demeurent confrontés à des défis structurels majeurs, sans que la souveraineté monétaire ne leur ait permis de les surmonter. Le véritable enjeu réside donc dans la création de richesses, le renforcement des bases économiques et le développement d’une gouvernance efficace.

Changer de monnaie, oui, mais pas sans une vision claire, une économie résiliente, et des institutions solides pour en garantir la viabilité. Ce n’est qu’à ces conditions que la souveraineté monétaire peut être un levier, et non un fardeau.

Une souveraineté monétaire pourrait améliorer notre compétitivité, mais à quel prix ?

Acquérir la capacité de dévaluer ou d’ajuster librement notre monnaie offrirait effectivement un levier pour stimuler notre compétitivité. Une monnaie nationale ajustable permettrait d’encourager les exportations en rendant nos produits et services plus attractifs sur le marché international. Toutefois, cette autonomie s’accompagnerait de défis considérables.

Nous ne serions pas les seuls en Afrique à adopter cette stratégie. D’autres pays chercheront également à relancer leur économie en jouant sur leur taux de change. Ce scénario pourrait déclencher une véritable guerre des monnaies, où chaque nation chercherait à dévaluer pour renforcer ses exportations. Les conséquences seraient désastreuses : une instabilité généralisée des devises, une érosion de la confiance des investisseurs, et une inflation galopante dans de nombreux pays.

Par ailleurs, cette course à la dévaluation risque de détourner l’attention des vrais leviers du développement économique, tels que l’industrialisation, la diversification des économies, l’amélioration de la productivité, ou encore la construction d’infrastructures solides. La souveraineté monétaire, bien que précieuse, ne peut être exploitée efficacement que dans un cadre économique et institutionnel stable, avec des politiques coordonnées à l’échelle régionale.

L’histoire montre que la dévaluation compétitive, si elle n’est pas accompagnée de réformes structurelles, est une solution temporaire qui peut fragiliser les économies à long terme. Pour éviter un tel piège, les pays africains doivent privilégier la coopération régionale et travailler à harmoniser leurs stratégies monétaires et économiques. Cela permettrait de renforcer collectivement leur résilience et leur attractivité, plutôt que de s’engager dans une concurrence destructrice.

Mais que peut-on faire alors ?

Le salut de Sénégal réside dans l’émergence de leaderships éclairés, porteurs d’une vision ambitieuse et structurée. Aucun pays africain ne se développera uniquement en abandonnant le franc CFA. Avoir sa propre monnaie est une étape importante pour affirmer sa souveraineté monétaire et nationale. Cependant, le véritable moteur du développement réside dans un leadership visionnaire, pragmatique et courageux, capable de redéfinir les fondements d’une société.

Il s’agit avant tout de transformer la base ; l’éducation. Une vision claire permet de former des citoyens en adéquation avec les ambitions à long terme d’un pays. En effet, la ressource la plus précieuse d’une nation demeure son capital humain. Investir dans une éducation de qualité et insuffler une idéologie tournée vers le progrès, comme l’ont fait la Chine et l’Allemagne, est indispensable pour espérer un véritable renouveau.

À titre de comparaison, de nombreux pays économiquement faibles possèdent déjà leur propre monnaie : la Somalie, Madagascar, le Mozambique, le Soudan du Sud, la Gambie ou encore la Mauritanie. Pourtant, leur développement reste freiné par des défis structurels, un manque de vision et des gouvernances fragiles. Cela démontre que la possession d’une monnaie nationale n’est pas une panacée.

Le développement exige une transformation profonde, portée par des dirigeants capables de mobiliser des ressources, de fédérer des énergies et de bâtir une société inclusive, résiliente et tournée vers l’avenir.

Au fond, le retard de l’Afrique ne vient pas seulement du franc CFA. Nos vrais défis sont ailleurs produire davantage, transformer nos richesses sur place, renforcer la gouvernance et bâtir une intégration régionale solide. Le CFA, malgré ses limites, reste une monnaie stable qui peut servir de tremplin si nous savons l’utiliser intelligemment.

Pour le Sénégal, l’essentiel n’est pas de sortir d’une monnaie mais d’entrer dans une nouvelle ère de développement productif et souverain. Le prochain sommet de l’UEMOA doit être l’occasion, non de slogans, mais de décisions courageuses pour avancer vers une monnaie unique africaine crédible, au service de la prospérité de nos peuples.”

Cheikh SENE, Essayiste, Économiste
Auteur de « Économie verte au Sénégal et dans le monde : un levier pour un avenir durable »


Ousseynou Wade