“Monnaie, Souveraineté et Avenir : L’audace de voir loin”, Par Talla Sylla

“Il y a beaucoup de débats aujourd'hui sur la question de la monnaie au Sénégal et dans la sous-région. La question du franc Cfa est agitée depuis longtemps, tout comme celle de l’Eco ou, plus récemment, des cryptomonnaies. C’est sain, car une nation qui ne s'interroge pas sur sa monnaie, est une nation qui dort.

Cependant, l'émotion ne saurait tenir lieu de stratégie. La souveraineté reste au centre de ces échanges parfois populistes, souvent passionnés, et quelques fois, déconnectés des vrais enjeux. Je crois qu'il est temps de ramener ce débat à l'essentiel : non pas la couleur du billet, mais la fonction de l'outil. L'enjeu ne consiste pas à regarder dans le rétroviseur de l'histoire pour y chercher des coupables, mais à utiliser la longue-vue de la politique, pour tracer un chemin.

Du slogan à la responsabilité : Le refus de l'ordinaire

On oppose souvent "servitude" et "liberté". Mais en économie comme en politique, la vraie liberté, c'est la capacité d'agir. La souveraineté monétaire ne se décrète pas en coupant des liens ; elle se construit par la solidité de nos économies.

Une nation peut-elle éternellement déléguer la gestion de sa propre valeur ? La réponse se trouve dans cette pensée lumineuse de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy : « Se contenter de ce que l’on a, est bien trop ordinaire pour se justifier devant l’admirable principe de ce que l’on veut. »

Ce que nous voulons, c'est définir nous-mêmes notre "cahier des charges" national. Voulons-nous une monnaie forte pour acheter à l'étranger, ou une monnaie flexible pour vendre nos produits ? C'est ce choix politique qui doit précéder le choix technique.

L'avenir est aux grands ensembles et l'Eco est une promesse magnifique d'intégration africaine. Mais ici, le panafricanisme doit rimer avec pragmatisme. On ne marie pas des économies aussi disparates, sans règles strictes de convergence. La précipitation serait fatale. Il nous faut bâtir une monnaie commune qui soit un bouclier pour nos peuples, et non une source d'inflation qui rongerait le panier de la ménagère.

L'impératif de modernité : Ne pas mener la guerre du futur avec les armes du passé

Le monde ne nous attendra pas. Pendant que nous débattons encore des structures héritées du XXe siècle, la finance mondiale bascule dans le virtuel. La jeunesse, connectée et agile, explore déjà les cryptomonnaies et la monnaie se dématérialise.

Le Sénégal doit-il rester spectateur de cette révolution ? Non. Ignorer cette dimension, c'est se préparer à mener la guerre du futur avec les armes du passé. Notre réflexion doit intégrer les Monnaies Numériques de Banque Centrale (MNBC), pour garantir que notre souveraineté s'exerce aussi dans le cyberespace. C'est cela, envisager les choses du point de vue de l'avenir.

La traversée nécessaire : L'Humain au centre

Au fond, la monnaie n'est qu'une clé. Ce qui compte, c'est la porte qu'elle ouvre. Cette porte doit mener vers plus de dignité humaine, vers le financement de nos agriculteurs, de nos entrepreneurs, de nos créateurs. Il nous faut "délocaliser" ce débat des cercles d'experts, pour le "gérer" au niveau des enjeux humains.

Pour que notre monnaie serve, enfin, notre destin.

Bien sûr, la route vers une autonomie monétaire réelle est semée d'embûches. Mais la peur ne doit pas paralyser l'action. Comme le disait Michel le Saint : « Il n’est pas de désert si vaste que ne puisse traverser celui que porte la musique des étoiles ».

Notre "musique des étoiles", c'est cette vision d'un Sénégal et d'une Afrique maîtres de leur destin. Si nous gardons les yeux fixés sur cet horizon, sur cet "admirable principe de ce que l’on veut", alors aucun désert technique ou politique ne sera infranchissable.

Il est temps de clore le cycle des polémiques, pour engager celui de la construction stratégique. À la hauteur de ce que l’histoire attend de nous.





Talla Sylla