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Moussa Dieng, Directeur de la Microfinance: «L’encours de crédit est passé de 253 milliards en 2012 à 497 milliards FCfa en 2021»

Malgré quelques difficultés liées notamment à la pandémie de Covid-19, au Sénégal, le secteur de la Microfinance progresse. C’est du moins la conviction de Moussa Dieng, Directeur de la Microfinance au ministère de la Microfinance et de l’Economie sociale et solidaire. En témoigne, selon lui, l’encours de crédit qui a connu une évolution de près de 97% entre 2012 et 2021. Dans cet entretien, il est également revenu largement sur les taux d’intérêt jugés « élevés », les défis de la digitalisation et l’encadrement des Systèmes financiers décentralisés (Sfd), entre autres questions.


Rédigé par leral.net le Mercredi 5 Janvier 2022 à 16:33 | | 0 commentaire(s)|

Quelles sont les missions de la Direction de la Microfinance ?

La Direction de la Microfinance est rattachée au Ministère de la Microfinance et de l’Economie sociale et solidaire dirigé par Madame le Ministre Zahra Iyane Thiam Diop, avec comme mission de promouvoir et de développer le secteur de la Microfinance au Sénégal. A ce titre, la Direction de la Microfinance assure la coordination de la politique générale du Gouvernement en matière de Microfinance, le suivi des activités et des opérations des intervenants du secteur ainsi que l’évaluation des performances des projets/programmes.

De façon spécifique, elle est chargée d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie de développement de la Microfinance ; de participer à l’encadrement des Systèmes financiers décentralisés (SFD) ; de participer à la coordination et à l’harmonisation des procédures d’intervention des SFD ; de créer un environnement favorable à l’accès des populations défavorisées à des services financiers de qualité ; de favoriser l’intégration des SFD dans le secteur financier global.

Comment se porte la Microfinance au Sénégal ?

Tout d’abord, il est important de préciser qu’il y a une lettre de politique sectorielle de développement de la microfinance et de l‘économie sociale et solidaire, qui a été adoptée par le Gouvernement. Ce document, qui couvre la période 2021-2025, a défini, avec la contribution de tous les acteurs de l’écosystème, la vision, les objectifs et les stratégies de l’État en matière de de développement de ce sous-secteur. En fait, il faut rappeler que plusieurs lettres de politiques sectorielles de développement de la microfinance se sont succédé depuis 2004.

La mise en œuvre de ces politiques, par l’État, avec l’accompagnement des partenaires techniques et financiers, a permis d’avoir un secteur de la microfinance structuré, mieux professionnalisé et moderne mais également,, de se positionner comme un maillon important du secteur financier. Il faut signaler par ailleurs que la lettre de politique sectorielle en vigueur présente une particularité en ce sens qu’elle intègre dans un document unique, la microfinance et l’économie sociale et solidaire.

Donc pour revenir à la question, on peut dire que le secteur de la microfinance continue à progresser. Il poursuit ses performances dans le financement de l’économie comme le montre les principaux agrégats. Si nous prenons par exemple l’encours de crédit, il est passé de 253 milliards en 2012 à 497 FCfa milliards en 2021, soit une évolution de presque 97%, ce qui est énorme.

Donc, vu sous cet angle, on peut clairement dire que le secteur de la Microfinance se porte bien.

Quel est le niveau de connexion, d’interaction entre la microfinance et l’économie sociale et solidaire ?

Comme je l’ai indiqué, la lettre de politique sectorielle en vigueur présente une particularité puisqu’elle associe la microfinance et l’économie sociale et solidaire. Vous savez, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, ce sont des acteurs économiques. A ce titre, ils ont besoin de développer des activités économiques lucratives ou non, donc ils ont besoin d’être accompagnés financièrement et je pense que la microfinance constitue le moyen le plus approprié pour répondre à leurs besoins de financement.

Donc, vous voyez clairement le lien, et je pense que l’économie sociale et solidaire, pour se développer, a besoin de la microfinance. De même, les institutions de microfinance ont besoin des acteurs de l’économie sociale et solidaire, qui vont leur apporter des ressources. Donc, vous voyez le niveau d’imbrication de ces deux sous-secteurs qui polarisent une bonne partie de l’activité économique du pays. Tout ceci confirme la pertinence de la décision du président de la République, d’avoir mis ensemble la microfinance et l’économie sociale et solidaire, dans un même département ministériel.

A fin mars 2021, le nombre de sociétaires / clients a connu une hausse de 1,3% en s’établissant à 3 413 260 ,ce qui correspond à un taux d’inclusion financière du secteur de la microfinance de 16,8%. Au même moment, le volume de dépôts a progressé de 3%, représentant 1,3% du PIB et 7,9% des dépôts bancaires.

Selon vous, qu’est-ce qui explique cette évolution du sous-secteur de la Microfinance ?

Le secteur de la microfinance ne cesse d’évoluer et c’est le lieu de féliciter et d’encourager tous les acteurs pour les efforts consentis. Je veux nommer, les SFD, les organes de supervision et de promotion, les partenaires techniques et financiers, mais surtout les usagers qui se sont appropriés du secteur. J’ai donné tantôt l’exemple de l’encours du crédit qui a fait un bond extraordinaire. En outre, les dernières statistiques montrent que l’encours des dépôts a atteint 412 milliards en 2021 contre 299 milliards en 2012. C’est la même tendance haussière qui est constatée pour ce qui concerne le nombre de membres/clients, qui a atteint plus de 3,5 millions en 2021 contre 2,8 millions de sociétaires/clients en 2012, ce qui a presque doublé.

Par ailleurs, il est important de souligner que le Sénégal compte le plus grand nombre de SFD au sein des pays de l’Uemoa, avec 295 structures recensées et un réseau de 936 points de service répartis sur le territoire national. Ce qui montre que c’est un secteur accessible du point de vue géographique.

Ces résultats très appréciables sont le fruit de l’encadrement que ce secteur a toujours bénéficié de la part de l’État, à travers différents projets et programmes d’accompagnement mais également, à travers un niveau de supervision très élevé. Il s’y ajoute l’engouement noté, dès le départ, au niveau des populations, accompagné par d’importantes actions de promotion et de sensibilisation, ce qui a été un facteur catalyseur pour ces types d’institutions de proximité et d’accès simplifié.

Quels sont les critères de sélection des sociétaires ?

Nous avons des institutions de plusieurs types en termes de statuts juridiques. Il y a des institutions de type mutualiste, où la gouvernance est basée sur les principes mutualistes coopératifs et on a également des institutions créées sous forme de société anonyme, avec des actionnaires.

Mais, en termes de critères, chaque institution définit ses propres critères d’adhésion, ses politiques et procédures de crédit et d’épargne qu’elle applique. C’est pour dire que c’est très ouvert, car ce sont des structures privées. Mais, il faut noter que l’État assure la surveillance et le suivi, à travers ses différents démembrements dédiés à cela. Il y a le Ministère des finances et la BCEAO et même la Commission bancaire, qui veillent à l’application de la réglementation des SFD, qui est une loi communautaire regroupant les huit pays de l’UMOA. C’est donc un sous-secteur très organisé et très surveillé en termes de pratiques et de services proposés aux populations.

Ne rencontrez-vous pas des soucis au niveau des remboursements des microcrédits ?

Pour ce qui est de l’octroi des crédits, ce sont les institutions de microfinance qui définissent les modalités d’octroi et de remboursement. Il faut rappeler que les ressources des SFD proviennent de l’épargne du public et des emprunts qui sont transformés en crédits. En termes plus clairs, les institutions prennent de l’argent des populations à travers les épargnes ou bien à travers des emprunts et c’est cet argent qu’elles prêtent aux bénéficiaires.

C’est pourquoi, afin de s’assurer que la chaîne tourne correctement, il faudra que ceux qui empruntent, puissent également rembourser, et conformément échéances convenues. C’est extrêmement important que les crédits consentis puissent faire l’objet de remboursement.

Selon la BCEAO, en décembre 2020, le portefeuille à risque (PAR 90 jours) s’établit à 4,59%, ce qui n’est pas une situation très inquiétante. Nous espérons qu’à la fin de l’exercice 2021, ce taux sera en-deçà de la norme qui est fixée à 3%.

Je pense que c’est un taux qu’il faut apprécier au regard de la nature des activités qui sont financées et surtout, des difficultés économiques actuelles liées au contexte de la pandémie de la Covid-19. En réalité, ce sont généralement les acteurs économiques du secteur informel qui sont les principaux bénéficiaires de ces services de financement. Et pour lutter contre les impayés, il y a un certain nombre de mesures qui ont été prises, notamment la création en 2016 du Bureau d’information sur le crédit. Il permet d’atténuer les risques de crédit. Quand la demande est introduite, l’institution a la possibilité de consulter le bureau d’information, qui lui fait un rapport sur l’emprunteur et c’est sur la base duquel, elle va voir dans quelle mesure elle pourrait lui accorder le crédit.

Y-a-t-il un plafond pour les crédits ?

Dans notre zone, nous avons opté pour de déplafonner le montant des crédits alloués par les SFD. On peut voir parfois des institutions qui octroient de gros montants, portant sur des centaines de millions FCfa. Mais c’est souvent le cas où un emprunteur est accompagné par le SFD avec un petit montant au départ, jusqu’à ce qu’il développe des activités nécessitant de gros montants.

Maintenant, si le SFD ne dispose pas de suffisamment de ressources, les banques peuvent prendre le relai. Ce qui est clair, c’est que les gros crédits comportent quand même de gros risques, mais il y a des normes qui sont édictées en la matière.

Les taux d’intérêt sont parfois jugés très élevés. Qu’en est-il réellement ?

Oui, ce qui est clair, c’est que l’accès aux SFD est très ouvert. Mais il faut dire que la problématique du taux d’intérêt revient avec persistance. C’est une forte préoccupation du président de la République, qui a demandé une baisse des taux d’intérêt appliqués par les institutions. Et nous travaillons avec les acteurs pour arriver à cela. Cependant, il est important de rappeler que les institutions de microfinance empruntent de l’argent, et que c’est cet argent-là qu’elles utilisent pour donner du crédit. Donc, si le coût de ces ressources est élevé, cela se répercute sur le taux de sortie.

D’ailleurs, parmi les recommandations faites lors de la dernière rencontre de concertation initiée par Madame le Ministre Zahra Iyane Thiam Diop, avec les acteurs sur cette problématique, il a été proposé parmi les mesures issues de la rencontre, la création d’un dispositif financier pour apporter suffisamment de ressources financières aux SFD, à moindre coût. C’est ce qui est à l’origine de la création par le président de la République, du Fonds national de la Microfinance qui dispose de plusieurs mécanismes d’intervention, comme un fonds de bonification, un fonds de garantie, un fonds de crédit, afin de permettre aux acteurs d’avoir non seulement des ressources financières, mais également d’atténuer les risques.

Donc les taux d’intérêt peuvent changer d’une institution de microfinance à une autre ?

Chaque institution fixe son taux d’intérêt. Mais la réglementation a fixé un taux plafond égal à 24% qu’on ne peut pas dépasser.

La pandémie de la Covid-19 a-t-elle impacté le sous-secteur de la Microfinance ?

Oui, comme tous les autres secteurs de l’économie. L’impact est surtout lié aux difficultés de remboursement. Parce qu’il y a un moment où les activités étaient à l’arrêt à cause de la pandémie de la Covid-19. Les institutions de microfinance ont subi ses effets. Car, elles ne pouvaient plus donner du crédit, les demandeurs de crédit étaient devenus rares, les remboursements étaient presque à l’arrêt pour certains secteurs d’activité, comme l’hôtellerie, la restauration, les activités culturelles, par exemple.

Toutefois, durant cette période, l’État a fait beaucoup d’efforts pour accompagner les services de finances décentralisés (Sfd). Je peux citer par exemple, le dispositif d’appui au secteur informel par le canal des institutions de microfinance, avec un fonds de cinq (5) milliards FCfa logé au FONGIP, sous forme de ligne de refinancement pour les SFD ainsi que la mise en place du Programme d’Appui sectoriel Microfinance et Économie sociale et solidaire (PASMFESS) mis en œuvre par le Ministère, d’une enveloppe d’un (1) milliard FCfa pour soutenir les SFD de petite taille.

Cet accompagnement a permis aux SFD et même aux acteurs économiques de redémarrer leurs activités et d’assurer la couverture de certaines charges.

C’est vrai que les effets de la pandémie se font toujours sentir mais nous sommes en train de travailler avec toutes les parties prenantes, pour faire remonter la pente, et on y est presque.

Depuis quelques semaines, on constate une baisse drastique des tarifs des transfert d’argent, notamment Orange et Wave. Cela a-t-il un impact sur le secteur de la Microfinance ?

Les institutions de microfinance utilisent ces services financiers digitaux, car nous avons noté, depuis quelques années, une forte poussée des activités de transfert d’argent. Je pense que la baisse des tarifs est une bonne chose pour les usagers.

Les institutions de microfinance s’activent dans le transfert d’argent via les institutions bancaires et c’est vrai que la baisse de la tarifications impactera sur les commissions.

Quelles sont les perspectives pour le sous-secteur de la microfinance ?

En termes de perspectives, il y a d’abord l’accompagnement des SFD vers la digitalisation qui est en enjeu important en matière de contribution à la réduction des coûts d’exploitation. L’allégement du dispositif prudentiel constitue également un enjeu, notamment pour les institutions de petite taille.

C’est le lieu de rappeler qu’il y a une nouvelle réglementation en cours d’élaboration par la Banque centrale, et je pense qu’en tant que structure chargée de la promotion, nous appelons à ce que les aspects liés à la promotion y soient mieux pris en compte.

L’autre aspect, c’est la formation du personnel et des dirigeants des Sfd. Cela permet surtout d’atténuer les difficultés souvent notées dans la gouvernance de ces institutions, notamment de type mutualiste.

L’autre élément qu’on peut ajouter, c’est l’insuffisance de ressources financières. Il y a encore beaucoup de difficultés pour les SFD d’accéder aux ressources, surtout celles à moindre coût. C’est un enjeu important et le FONAMIF peut y jouer un grand rôle.

Il ne faut pas oublier aussi l’éducation financière, qui est un défi important pour tout le monde. Il faut renforcer l’éducation financière des populations. Sur ce plan, la Direction de la microfinance y est très active. Nous avons mis en œuvre le premier programme national d’éducation financière, qui a permis de certifier plusieurs formateurs en éducation financière sur les modules développés par le CGAPP, avec une base de données des bénéficiaires de ces formations.

Enfin, nous intervenons également, en partenariat avec le PADAER II, dans les régions de Tambacounda, de Kédougou, de Kolda et de Matam, en organisant des sessions de formation et de sensibilisation au profit d’organisations communautaires de base, de services déconcentrés de l’État et de structures partenaires sur les modules « Budgétisation », « Épargne », « Gestion des dettes », « Services financiers » et « Négociations financières ».

Le développement de la microfinance islamique constitue également une perspective importante et on note actuellement un engouement très fort de la part des acteurs et des populations.
leSoleil

Ndèye Fatou Kébé