Omar Ba est contre les régularisations massives des sans-papiers, qui vont pousser de nombreux autres Africains à quitter leurs pays d’origine pour l’Europe en leur donnant de l’espoir, mais qui vont aussi priver les pays d’Afrique de leurs ressortissants. Au sujet des expulsions, il s’agit d’une sanction juridiquement approuvée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cela ne devrait pas provoquer autant de remous. Pour Omar Ba,l’opinion publique choisit l’émotion (cas du renvoi des Afghans en décembre 2009). « Parfois il est salutaire de raccompagner l’étranger dans son pays », selon lui. Les conditions socio-économiques se dégradent dans les pays du Nord, qui ne peuvent donc plus accueillir. Mais selon Omar Ba, l’immigration ne doit pas être associée au racisme, c’est un problème socio-économique, à ne pas « racialiser » (ex : la chasse aux Camerounais exercée en Guinée Equatoriale en mars 2004, où on a vu « des Noirs s’en prendre à d’autres »)… Un texte à contre-courant des idées « bien-pensantes » sur l’immigration, le point de vue surprenant d’un immigré africain".
Bonnes feuilles et extraits:
"La publication de mon dernier livre "Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois" plus a soulevé beaucoup de questions au sein de l’opinion française et internationale. J’ai été invité un peu partout pour en parler. Mon personnage tout comme le titre choisi ont semblé tellement énigmatiques que les lecteurs réels ou potentiels ont voulu en savoir plus. Lors de ces rencontres, la phrase qui m’était sans cesse adressée est celle-ci: « Si vous n’y croyez plus, rentrez chez vous alors ! » Position somme toute très logique. Telle fut la réaction de ceux qui pensaient, en lisant le titre du livre, que je crachais dans la soupe en ne reconnaissant pas la « chance » que l’Europe m’a donnée.
Les plus subtils se sont intéressés à mon statut même, se demandant si le discours que je porte est légitime puisque je réside encore en France. Ma réponse est simple : c’est justement ce statut qui me permet cette lecture de l’immigration. C’est parce que je suis venu et que j’ai vu que je peux déclarer ne plus y croire. Un jeune qui n’a jamais quitté l’Afrique pour une aventure migratoire n’a pas cette expérience qui ouvre les yeux et dissipe les illusions. Faut-il pour autant laisser tous ces «inexpérimentés migratoires » entreprendre le voyage, parfois au péril de leurs vies ? Je ne souscris pas à cette irresponsabilité.
Quant à la question de savoir si j’ai la légitimité nécessaire, en tant qu’immigré, pour porter un discours de dissuasion et de raison j’y réponds par une autre : qui, plus que moi, peut s’y atteler ? Je suis un immigré sénégalais qui a été porté par ses rêves d’une vie meilleure, pour ne pas dire paradisiaque. J’ai grandi dans un environnement où l’exil vers les pays du Nord a toujours été assimilé à la réussite si bien que rester sans pouvoir prendre le relais de ses parents est un échec cuisant. Partir sonne comme un rite de passage qui ouvre la porte de la reconnaissance sociale. Je suis allé jusqu’à la limite du raisonnable pour embrasser cette vie dans les pays « riches » qui fait rêver tant de jeunes de mon continent. Après des pérégrinations périlleuses, j’y suis parvenu. Mais je n’oublie pas que des milliers d’autres y ont laissé la vie, et que c’est toujours le cas aujourd’hui.
C’est un fait : le delta est grand entre l’exil rêvé et la réalité des pays du Nord, où combats, difficultés et impasses récurrentes sont le lot quotidien de tout immigré. Bref, j’ai appris que s’exiler, c’est simplement aller vivre. Une vie différente mais une vie tout de même, loin des promesses qu’on m’a longtemps faites. J’en veux aux images télévisées qui, des années durant, m’ont présenté cette partie du monde comme la seule qui garantit un avenir. Cette idée est si ancrée qu’elle est devenue fixe chez une majorité de jeunes qui n’ont d’yeux que pour les pays du Nord. Le problème ne concerne d’ailleurs pas uniquement les Africains.
Selon une récente étude de Gallup réalisée dans 135 pays, « 700 millions d’hommes et de femmes dans le monde veulent quitter leurs pays pour émigrer vers l’Europe ou l’Amérique du Nord 2 ». C’est 16 % des plus de 18 ans. Des chiffres alarmants qui témoignent du problème grandissant que constituent les migrations aujourd’hui. On ne peut rester sans rien faire. Voilà ce qui fonde mon engagement.
Beaucoup d’immigrés préfèrent se taire plutôt que de parler de la vraie nature, parfois difficile, de leurs parcours migratoires. Je trouve particulièrement ridicule de continuer à populariser et exagérer le mythe des soi-disant très bonnes conditions de vie dans les pays du Nord que tout le monde sait difficiles.
Les vrais menteurs sur l’immigration sont ceux qui, au lieu d’avouer leur précarité, s’endettent pour
envoyer des sommes faramineuses à leurs familles restées au pays. Pendant ce temps, ils comptent sur l’aide d’assistantes sociales pour joindre les deux bouts dans le pays d’accueil. Se perpétue ainsi le mythe de l’Eldorado qui, comme chacun le sait, n’existe pas.
Les vrais imposteurs sont tous ces migrants qui se pavanent au pays d’origine dans des voitures étincelantes, vivent, le temps des vacances, dans de somptueuses villas sans révéler qu’ils ont des prêts à rembourser sur vingt ou trente ans. Quel jeune va croire, en assistant à ce spectacle, qu’il a quelque avenir sur le continent africain ?
J’estime qu’on doit sortir d’une situation dans laquelle tout le monde est perdant sauf les marchands d’illusions. J’ai envie que mon expérience serve à quelque chose. Non pas uniquement pour moi, mais pour tous ces jeunes que le rêve d’une vie meilleure pousse à prendre des risques inconsidérés. L’immigration n’est pas pour moi un simple sujet de polémique. Il me concerne au premier plan. En tant qu’Africain, je suis profondément choqué quand je vois des familles immigrées obligées d’occuper la rue de la Banque à Paris pour quémander des logements. Aussi, mon sang ne fait qu’un tour quand les médias font état de manifestations de sans-papiers pour la régularisation. Il y a comme un goût de déjà-vu, et cette ritournelle sans fin me met hors de moi.
Je n’ai pas échappé à la clandestinité pour me taire face à cette situation accablante. Sur ce sujet, je n’ai pas voulu laisser à des militants ou des politiques l’exclusivité des prises de positions. Je voudrais que le discours des immigrés ne soit pas qu’un discours de victimes.
Dès qu’il est question de l’immigration, la sincérité semble interdite. On pèse chaque mot prononcé pour ne pas blesser ou s’attirer les foudres d’autres partis. Telle est une des raisons pour lesquelles la question ne connaît pas d’avancée significative depuis plusieurs décennies. Le tabou et l’évitement servent
toujours le statu quo.
Sur le terrain politique, on a laissé à l’extrême droite tirer dangereusement profit du discours sur l’immigration. Cette erreur a conféré au nationalisme une aura inespérée dont l’apothéose a eu lieu un certain 21 avril 2002. Patrick Weil analysait déjà ce danger dans un entretien daté de janvier 1996. À la question « Comment démonter le discours de l’extrême droite ? », il n’y est pas allé par quatre chemins. « La gauche comme la droite, dit-il, ont ouvert deux boulevards au Front National. D’abord, aucun responsable politique n’a osé dire la vérité sur la politique de la France dans ce domaine. […] Ensuite, faute d’avoir le courage de dire la vérité, tous les gouvernements ont essayé de stopper l’immigration par tous les moyens» (sans y arriver). Du coup, poursuit-il, « les habitants de cités populaires qui voient arriver de nouveaux immigrés peuvent donc légitimement penser : ils nous mentent, seul le FN dit la vérité ».
Plus le discours sur l’immigration est clair, plus les extrêmes se portent mal. Malheureusement, la mise hors d’état de nuire des nationalistes ne s’accompagne pas d’une vraie prise de responsabilités de la part de la classe politique « républicaine ». Celle-ci porte un discours fuyant, subterfuge pour ne pas attaquer le problème de front. Au lieu de considérer la question migratoire comme un sérieux problème à résoudre, on fait semblant d’y voir un phénomène normal. Du coup, je pense qu’il ne faut pas exclure une résurgence des idées nationalistes dans les années à venir.
En tant qu’immigré, je mesure les dégâts énormes causés par l’absence d’un vrai débat à ce sujet, loin de l’idéologie. Je vacille entre l’infantilisme de la gauche et l’extrémisme d’une certaine droite. Pour les uns, je suis une pauvre victime à cajoler ; pour les autres, je fais peur. Il y a dans les deux postures quelque chose d’insupportable pour moi.
Si j’ai décidé d’écrire sur l’immigration, c’est pour sortir d’un cadre dans lequel voudraient me voir ceux qui se déclarent mes « sentinelles» : j’ai voulu porter un discours qui s’écarte de celui qu’on attend de moi en tant qu’immigré africain. Je veux dire enfin le fond de ma pensée et celui de beaucoup d’immigrés. Le statut de victime est confortable un certain temps mais il cesse de l’être quand on veut prendre la parole.
J’assume le fait de dire à mes frères africains qui seraient tentés par une aventure migratoire que leur avenir est sur le continent noir. Tout comme le mien. Je peux le dire en vertu d’une expérience forte. Je les invite à faire fi des bonnes consciences qui leur promettent une sainte protection une fois qu’ils seront en Europe.
Évidemment, rien ne pouvait laisser présager un tel discours de ma part, moi l’immigré africain. Je le livre car j’estime qu’il faut quitter cette posture qui diabolise la question de l’immigration et empêche tout discours réaliste sur le sujet. J’aimerais qu’on sorte enfin de ce débat sclérosé et répétitif.
Il est difficilement concevable qu’un Africain exhorte ses « frères » à ne pas céder aux sirènes d’un monde qui reste pour la plupart d’entre eux un idéal de vie. Cet idéal qui prive l’Afrique de ces forces vives et crée dans les pays d’accueil une situation chaotique qui alimente bien des crispations. On semble ne comprendre l’immigré que s’il reste dans son rôle de doudou, d’objet transitionnel grâce auquel les bonnes âmes ont bonne conscience. Vouloir sortir de ce discours convenu, c’est prendre un gros risque.
Dénoncer ces hypocrisies est tout le sens du discours que je porte. J’enjoins les jeunes d’Afrique, sans leur donner de leçons, de considérer leur avenir sur le continent noir. Pour avoir dit cela, j’ai conscience d’avoir défié ouvertement l’idéologie dominante. Un militant d’extrême gauche m’a glissé des mots très prémonitoires : « Faites attention à vous, m’a-t-il dit, vos écrits sont pertinents mais je ne vais sûrement pas vous laisser remettre en cause mes trente ans d’engagement militant. » Et de poursuivre : « C’est trente ans de ma vie tout de même ! »
Je n’ai pas porté une grande attention à ce type de mise en garde car, dans la foulée, un autre participant du même bord idéologique a su me rassurer. C’était un membre de l’association « Frères des hommes », connue pour son culte d’un humanisme internationaliste. «Chaque mot que vous avez prononcé, m’a-t-il dit, a remis en cause les convictions qui sont les miennes depuis des années au sujet de l’immigration. C’était désagréable mais je me suis prêté au jeu, merci ! » Ces mots m’ont donné confiance bien que ce ne soit pas précisément mon objectif.
Au lieu d’asséner des principes, j’ai fait le choix du réalisme pour continuer à dire le fond
de ma pensée sur un phénomène aussi important que l’immigration...."
Omar Ba, "N'émigrez pas ! L'Europe est un mythe", Editions JC Gawsewitch, mai 2010
Bonnes feuilles et extraits:
"La publication de mon dernier livre "Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois" plus a soulevé beaucoup de questions au sein de l’opinion française et internationale. J’ai été invité un peu partout pour en parler. Mon personnage tout comme le titre choisi ont semblé tellement énigmatiques que les lecteurs réels ou potentiels ont voulu en savoir plus. Lors de ces rencontres, la phrase qui m’était sans cesse adressée est celle-ci: « Si vous n’y croyez plus, rentrez chez vous alors ! » Position somme toute très logique. Telle fut la réaction de ceux qui pensaient, en lisant le titre du livre, que je crachais dans la soupe en ne reconnaissant pas la « chance » que l’Europe m’a donnée.
Les plus subtils se sont intéressés à mon statut même, se demandant si le discours que je porte est légitime puisque je réside encore en France. Ma réponse est simple : c’est justement ce statut qui me permet cette lecture de l’immigration. C’est parce que je suis venu et que j’ai vu que je peux déclarer ne plus y croire. Un jeune qui n’a jamais quitté l’Afrique pour une aventure migratoire n’a pas cette expérience qui ouvre les yeux et dissipe les illusions. Faut-il pour autant laisser tous ces «inexpérimentés migratoires » entreprendre le voyage, parfois au péril de leurs vies ? Je ne souscris pas à cette irresponsabilité.
Quant à la question de savoir si j’ai la légitimité nécessaire, en tant qu’immigré, pour porter un discours de dissuasion et de raison j’y réponds par une autre : qui, plus que moi, peut s’y atteler ? Je suis un immigré sénégalais qui a été porté par ses rêves d’une vie meilleure, pour ne pas dire paradisiaque. J’ai grandi dans un environnement où l’exil vers les pays du Nord a toujours été assimilé à la réussite si bien que rester sans pouvoir prendre le relais de ses parents est un échec cuisant. Partir sonne comme un rite de passage qui ouvre la porte de la reconnaissance sociale. Je suis allé jusqu’à la limite du raisonnable pour embrasser cette vie dans les pays « riches » qui fait rêver tant de jeunes de mon continent. Après des pérégrinations périlleuses, j’y suis parvenu. Mais je n’oublie pas que des milliers d’autres y ont laissé la vie, et que c’est toujours le cas aujourd’hui.
C’est un fait : le delta est grand entre l’exil rêvé et la réalité des pays du Nord, où combats, difficultés et impasses récurrentes sont le lot quotidien de tout immigré. Bref, j’ai appris que s’exiler, c’est simplement aller vivre. Une vie différente mais une vie tout de même, loin des promesses qu’on m’a longtemps faites. J’en veux aux images télévisées qui, des années durant, m’ont présenté cette partie du monde comme la seule qui garantit un avenir. Cette idée est si ancrée qu’elle est devenue fixe chez une majorité de jeunes qui n’ont d’yeux que pour les pays du Nord. Le problème ne concerne d’ailleurs pas uniquement les Africains.
Selon une récente étude de Gallup réalisée dans 135 pays, « 700 millions d’hommes et de femmes dans le monde veulent quitter leurs pays pour émigrer vers l’Europe ou l’Amérique du Nord 2 ». C’est 16 % des plus de 18 ans. Des chiffres alarmants qui témoignent du problème grandissant que constituent les migrations aujourd’hui. On ne peut rester sans rien faire. Voilà ce qui fonde mon engagement.
Beaucoup d’immigrés préfèrent se taire plutôt que de parler de la vraie nature, parfois difficile, de leurs parcours migratoires. Je trouve particulièrement ridicule de continuer à populariser et exagérer le mythe des soi-disant très bonnes conditions de vie dans les pays du Nord que tout le monde sait difficiles.
Les vrais menteurs sur l’immigration sont ceux qui, au lieu d’avouer leur précarité, s’endettent pour
envoyer des sommes faramineuses à leurs familles restées au pays. Pendant ce temps, ils comptent sur l’aide d’assistantes sociales pour joindre les deux bouts dans le pays d’accueil. Se perpétue ainsi le mythe de l’Eldorado qui, comme chacun le sait, n’existe pas.
Les vrais imposteurs sont tous ces migrants qui se pavanent au pays d’origine dans des voitures étincelantes, vivent, le temps des vacances, dans de somptueuses villas sans révéler qu’ils ont des prêts à rembourser sur vingt ou trente ans. Quel jeune va croire, en assistant à ce spectacle, qu’il a quelque avenir sur le continent africain ?
J’estime qu’on doit sortir d’une situation dans laquelle tout le monde est perdant sauf les marchands d’illusions. J’ai envie que mon expérience serve à quelque chose. Non pas uniquement pour moi, mais pour tous ces jeunes que le rêve d’une vie meilleure pousse à prendre des risques inconsidérés. L’immigration n’est pas pour moi un simple sujet de polémique. Il me concerne au premier plan. En tant qu’Africain, je suis profondément choqué quand je vois des familles immigrées obligées d’occuper la rue de la Banque à Paris pour quémander des logements. Aussi, mon sang ne fait qu’un tour quand les médias font état de manifestations de sans-papiers pour la régularisation. Il y a comme un goût de déjà-vu, et cette ritournelle sans fin me met hors de moi.
Je n’ai pas échappé à la clandestinité pour me taire face à cette situation accablante. Sur ce sujet, je n’ai pas voulu laisser à des militants ou des politiques l’exclusivité des prises de positions. Je voudrais que le discours des immigrés ne soit pas qu’un discours de victimes.
Dès qu’il est question de l’immigration, la sincérité semble interdite. On pèse chaque mot prononcé pour ne pas blesser ou s’attirer les foudres d’autres partis. Telle est une des raisons pour lesquelles la question ne connaît pas d’avancée significative depuis plusieurs décennies. Le tabou et l’évitement servent
toujours le statu quo.
Sur le terrain politique, on a laissé à l’extrême droite tirer dangereusement profit du discours sur l’immigration. Cette erreur a conféré au nationalisme une aura inespérée dont l’apothéose a eu lieu un certain 21 avril 2002. Patrick Weil analysait déjà ce danger dans un entretien daté de janvier 1996. À la question « Comment démonter le discours de l’extrême droite ? », il n’y est pas allé par quatre chemins. « La gauche comme la droite, dit-il, ont ouvert deux boulevards au Front National. D’abord, aucun responsable politique n’a osé dire la vérité sur la politique de la France dans ce domaine. […] Ensuite, faute d’avoir le courage de dire la vérité, tous les gouvernements ont essayé de stopper l’immigration par tous les moyens» (sans y arriver). Du coup, poursuit-il, « les habitants de cités populaires qui voient arriver de nouveaux immigrés peuvent donc légitimement penser : ils nous mentent, seul le FN dit la vérité ».
Plus le discours sur l’immigration est clair, plus les extrêmes se portent mal. Malheureusement, la mise hors d’état de nuire des nationalistes ne s’accompagne pas d’une vraie prise de responsabilités de la part de la classe politique « républicaine ». Celle-ci porte un discours fuyant, subterfuge pour ne pas attaquer le problème de front. Au lieu de considérer la question migratoire comme un sérieux problème à résoudre, on fait semblant d’y voir un phénomène normal. Du coup, je pense qu’il ne faut pas exclure une résurgence des idées nationalistes dans les années à venir.
En tant qu’immigré, je mesure les dégâts énormes causés par l’absence d’un vrai débat à ce sujet, loin de l’idéologie. Je vacille entre l’infantilisme de la gauche et l’extrémisme d’une certaine droite. Pour les uns, je suis une pauvre victime à cajoler ; pour les autres, je fais peur. Il y a dans les deux postures quelque chose d’insupportable pour moi.
Si j’ai décidé d’écrire sur l’immigration, c’est pour sortir d’un cadre dans lequel voudraient me voir ceux qui se déclarent mes « sentinelles» : j’ai voulu porter un discours qui s’écarte de celui qu’on attend de moi en tant qu’immigré africain. Je veux dire enfin le fond de ma pensée et celui de beaucoup d’immigrés. Le statut de victime est confortable un certain temps mais il cesse de l’être quand on veut prendre la parole.
J’assume le fait de dire à mes frères africains qui seraient tentés par une aventure migratoire que leur avenir est sur le continent noir. Tout comme le mien. Je peux le dire en vertu d’une expérience forte. Je les invite à faire fi des bonnes consciences qui leur promettent une sainte protection une fois qu’ils seront en Europe.
Évidemment, rien ne pouvait laisser présager un tel discours de ma part, moi l’immigré africain. Je le livre car j’estime qu’il faut quitter cette posture qui diabolise la question de l’immigration et empêche tout discours réaliste sur le sujet. J’aimerais qu’on sorte enfin de ce débat sclérosé et répétitif.
Il est difficilement concevable qu’un Africain exhorte ses « frères » à ne pas céder aux sirènes d’un monde qui reste pour la plupart d’entre eux un idéal de vie. Cet idéal qui prive l’Afrique de ces forces vives et crée dans les pays d’accueil une situation chaotique qui alimente bien des crispations. On semble ne comprendre l’immigré que s’il reste dans son rôle de doudou, d’objet transitionnel grâce auquel les bonnes âmes ont bonne conscience. Vouloir sortir de ce discours convenu, c’est prendre un gros risque.
Dénoncer ces hypocrisies est tout le sens du discours que je porte. J’enjoins les jeunes d’Afrique, sans leur donner de leçons, de considérer leur avenir sur le continent noir. Pour avoir dit cela, j’ai conscience d’avoir défié ouvertement l’idéologie dominante. Un militant d’extrême gauche m’a glissé des mots très prémonitoires : « Faites attention à vous, m’a-t-il dit, vos écrits sont pertinents mais je ne vais sûrement pas vous laisser remettre en cause mes trente ans d’engagement militant. » Et de poursuivre : « C’est trente ans de ma vie tout de même ! »
Je n’ai pas porté une grande attention à ce type de mise en garde car, dans la foulée, un autre participant du même bord idéologique a su me rassurer. C’était un membre de l’association « Frères des hommes », connue pour son culte d’un humanisme internationaliste. «Chaque mot que vous avez prononcé, m’a-t-il dit, a remis en cause les convictions qui sont les miennes depuis des années au sujet de l’immigration. C’était désagréable mais je me suis prêté au jeu, merci ! » Ces mots m’ont donné confiance bien que ce ne soit pas précisément mon objectif.
Au lieu d’asséner des principes, j’ai fait le choix du réalisme pour continuer à dire le fond
de ma pensée sur un phénomène aussi important que l’immigration...."
Omar Ba, "N'émigrez pas ! L'Europe est un mythe", Editions JC Gawsewitch, mai 2010