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NON PUBLICATION DE RAPPORTS D’EXECUTION BUDGETAIRE : Les risques d’un pilotage opaque


Rédigé par leral.net le Lundi 16 Juin 2025 à 00:00 | | 0 commentaire(s)|

Cela fait près de dix (10) mois que le gouvernement sénégalais n’a pas publié de rapport d’exécution budgétaire trimestriel. Cette situation est lourde de conséquences car, sans ce rapport, pas de transparence, pas de redevabilité, pas de pilotage sérieux des politiques publiques.
NON PUBLICATION DE RAPPORTS D’EXECUTION BUDGETAIRE :  Les risques d’un pilotage opaque
Circulez, y a rien à voir ! En violation flagrante de la Loi de finances organique, le gouvernement sénégalais, à travers la Direction Générale du Budget (DGB) n’a pas publié de nouveau rapport d’exécution budgétaire depuis le 3ᵉ trimestre 2024 (T3 2024), soit environ 9 à 10 mois de retard. C’est plus qu’un simple oubli ; c’est une rupture grave du cycle budgétaire, qui fragilise la transparence financière, la gestion publique et la confiance des citoyens et partenaires. Autrement dit, personne ne sait ce que l’État fait réellement de l’argent public depuis trois à quatre trimestres. Or, il ne suffit pas de promettre, encore faut-il prouver que l'on agit, et bien. Ce d’autant plus que l'article 70 de la Loi de finances organique impose au gouvernement une publication trimestrielle. Dès lors, la non-publication du rapport d’exécution budgétaire n’est pas une simple négligence administrative, c’est une faute technique, une fragilité économique, et une atteinte démocratique.

Le rapport d’exécution budgétaire n’est pas un document technique de plus. C’est l’instrument fondamental du suivi de l’action publique et sans ce rapport, pas de transparence, pas de redevabilité, pas de pilotage sérieux des politiques publiques. Dans le cas d’espèce, la Cour des comptes, les inspections internes, mais aussi les partenaires techniques et financiers sont « aveugles » puisqu’ils s’appuient sur ces rapports pour évaluer la gestion publique. En l’absence de nouveaux rapports, les écarts s’installent dans l’opacité.
 

Au nom de la transparence, la redevabilité et la crédibilité

Le rapport d’exécution budgétaire est au budget ce que le bulletin est à l’élève. C’est un document officiel qui rend compte de la manière dont l’État a dépensé les ressources publiques par rapport à ce qui était prévu dans la loi de finances. Il est généralement produit chaque trimestre ou chaque semestre par le ministère des Finances. Le suivi de l’action publique permet de savoir ce qui a réellement été fait : quels projets ont été financés, quelles dépenses ont été engagées, et dans quels secteurs. Si 300 milliards FCFA sont prévus pour la santé, combien ont été effectivement utilisés à mi-parcours ? Concrètement, en 2022, 17 % du budget santé n’a pas été exécuté à temps. Qu’en est-il en 2025 ? Aussi, en tant qu’instrument de contrôle citoyen et au nom de la transparence et de la redevabilité, députés, journalistes, société civile peuvent y détecter les écarts, retards ou anomalies. La gestion efficace des ressources publiques s’appuie sur le rapport d’exécution budgétaire qui lui permet d’ajuster sa stratégie budgétaire en cours d’année : réduire certains budgets sous-utilisés, renforcer des priorités urgentes. C’est ainsi un outil clé pour éviter les gaspillages et améliorer la performance.

Outre le fait d’être un prérequis pour accéder à certains financements internationaux, le rapport d’exécution trimestrielle est une base pour les institutions de contrôle comme la Cour des comptes, les inspections internes, mais aussi les partenaires techniques et financiers, pour évaluer la gestion publique. Dans ce contexte, la publication des rapports rend compte de la crédibilité financière de l’État et cela joue sur la capacité du pays à emprunter à de bons taux.
 
Le coût de l’opacité

Quelles dépenses ont été engagées ? Quels projets ont démarré ou pris du retard ? Quels programmes sont sous-financés ou non exécutés ? Les enjeux et les conséquences techniques de la non publication des rapports sont tels que cela empêche toute gestion efficace ou réajustement en cours d’année. Cette perte de suivi sur la mise en œuvre budgétaire bloque le travail des organes de contrôle. Sans publication, ils travaillent à l’aveugle ou avec retard, ce qui est une atteinte directe à la redevabilité budgétaire et sans données fiables, le Parlement est aveugle.

Selon les estimations basées sur le budget annuel 2024 de 6 411 milliards FCFA, un trimestre sans rapport, c’est potentiellement 200 à 300 milliards FCFA de dépenses sans contrôle, une perte de 2 à 5 milliards en intérêts sur la dette et un silence sur la réalisation de plus de 40 % des projets sociaux.

Sur la base d’une exécution trimestrielle moyenne de 1 600 milliards FCFA, l’absence de trois rapports d’exécution représenterait plus de 2 000 milliards FCFA de dépenses non publiées. Les programmes sociaux potentiellement affectés porteraient sur quelque 400 milliards FCFA (estimatif), sur la base de l’hypothèse de 20 % du budget trimestriel consacré aux secteurs sociaux1. L’impact sur la dette publique serait un surcoût de 10 à 20 milliards FCFA ; en cas de dégradation de la note souveraine, le coût d’emprunt peut augmenter de 0,5 à 1 point sur 2000 milliards de dette émise2. De plus, le délai ou la suspension de décaissements conditionnés par la transparence3 entraînerait des risques sur les financements extérieurs.

On est là en face d’un affaiblissement du cycle budgétaire avec une déconnexion du cycle budgétaire et des arbitrages biaisés et la répétition des erreurs comme corollaires. Pas de cohérence entre la planification, l’exécution et l’évaluation.

Les conséquences économiques sont tout aussi désastreuses avec des décaissements suspendus en rapport avec les bailleurs ; et le classement "non conforme" du pays sur les critères de transparence affecterait l’accès à certains financements concessionnels.
L’absence de rapport donne ainsi l’image d’un État opaque et peut entraîner une dégradation de la note souveraine, ou une hausse du coût de l’endettement. Ce pilotage souterrain contribue à nourrir la défiance, les soupçons de mauvaise gestion, voire de corruption. Les retards ou l’absence de publication traduisent de facto un signal de mauvaise gouvernance. En revanche, publier, c’est rendre des comptes. Et rendre des comptes, c’est gouverner avec responsabilité.
Malick NDAW
 
 
Sources
1 Estimation basée sur les parts historiques du budget à l’éducation, santé, protection sociale (DGB 2022-2023)
2 FMI, Rapport Article IV Sénégal, 2022 ; Agence UMOA-Titres, taux d’emprunt moyen entre 5 % et 7 %
3 Document de partenariat stratégique BM-Sénégal (2020-2025), conditionnalités liées à la transparence budgétaire
 



Source : https://www.lejecos.com/NON-PUBLICATION-DE-RAPPORT...

La rédaction