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Nouvelle forme de dépigmentation au Sénégal : De l’injection de glutathion pour piquer la mort

Rédigé par leral.net le Jeudi 16 Avril 2015 à 17:46 | | 0 commentaire(s)|

L’OBS – Exit les crèmes, savons ou autres produits à composants chimiques (gaz, lasers). De nos jours, la dépigmentation se met dans l’air du temps et se veut résolument moderne. Désormais, les adeptes du «Xessal» voient plus loin, plus efficace et plus rapide. Ils ou elles optent maintenant pour la méthode radicale qu’est l’injection. Une nouvelle forme pour se «procurer un teint clair en un temps record. Et cela, qu’importe le coût. L’Obs vous fait découvrir la face hideuse de cette nouvelle forme de dépigmentation par injection.


Nouvelle forme de dépigmentation au Sénégal : De l’injection de glutathion pour piquer la mort
Son regard plein de tendresse cache mal les cernes autour de ses yeux. De loin, Amy* renvoie à ces bimbos noires Américaines au teint caramélisé. Mais il suffit de l’approcher pour décanter : Amy fait peur. Aux autres, mais aussi à elle-même. Les yeux inlassablement dissimulé derrière des lunettes de soleil, elle cache, à grand-peine, sa gêne. Sur sa peau, les stigmates de la dépigmentation outrancière chahutent son épiderme. Boutons, taches noires, acnés, pullulent, comme des scarabées sur son écorce malmenée. Et pourtant, cela n’altère en rien la beauté naturelle de ses traits. Bien moulée dans un jean bleu déchiré, devant sa boutique de prêt-à-porter, Amy n’hésite pas à se prononcer sur le sujet. «J’ai entendu parler de cette nouvelle méthode d’injection, mais honnêtement, je n’ai jamais vu une personne s’en procurer. Par contre, il y a une boutique à côté qui vend un mélange de lait à 50.000 FCfa et qui éclaircit la peau au bout de 3 jours», renseigne-t-elle. Puis, comme mue par le désir de justifier son teint incertain (timpi-tampa), Amy débite, telle une mitrailleuse : «Je me dépigmente, mais je ne me vois jamais utiliser ces mélanges, encore moins me faire des injections pour être toute blanche. Il fut un temps, j’étais toute blanche, mais ce n’était pas le résultat d’une injection, mais plutôt parce que j’avais utilisé une gamme complète de lait de corps que j’utilisais. Mais, vu les problèmes dermatologiques que je commençais à avoir, j’ai cessé d’utiliser ces produits. Mon teint me va bien et je sais que je ne suis pas exposée à certaines maladies causées par la dépigmentation. Je ne ferai jamais ces choses, parce que ces produits dépigmentants créent plus de problèmes qu’ils n’en règlent.»

Autre endroit, autre ambiance. Entre les artères encombrées de Tilène, Fatou Sarr étale ses légumes, dans l’espoir de les écouler. La dame revendique, comme bon nombre de ses congénères, sa place sur le banc des victimes de la dépigmentation artificielle. Surnommée mère «gaïndé», du fait des plaques pigmentaires qui chahutent son visage, elle se lâche : «Comme vous le voyez, ma peau est trahie par des signes nets de dépigmentation. La faute à une dépigmentation prolongée, que je pratique depuis mon plus jeune âge.» Aujourd’hui, la quarantaine,Fatou regrette amèrement l’utilisation de ses «mauvais produits», qui ont fini par abimer sa peau. Auprès d’elle, l’opération de charme de la nouvelle méthode de dépigmentation ne fonctionne point. «C’est dangereux et le plus grave dans tout cela, c’est que les jeunes suivent les artistes-chanteuses et autres personnalités qui le font. On se lève un beau jour et on ne reconnaît plus les personnes qu’on a eu à croiser dans la rue il y a à peine quelques mois. Elles deviennent méconnaissables et c’est comme si elles s’étaient métamorphosées». S’inquiétant des méfaits de ces injections à la mode, elle conclut, dans un soliloque aux allures de mise en garde à ceux qui affectionnent ces méthodes révolutionnaires de dépigmentation. «Si les produits que j’utilisais m’ont transformée à ce point, je me demande quels seront les effets secondaires de cette nouvelle tendance sur le long terme.» Au temps de l’édifier…

DITES-NOUS DOCTEUR… HADI HAKIM, DERMATOLOGUE, PRATICIEN HOSPITALIER

«Une personne sur quatre meurt 15 jours après une piqure»

Avez-vous reçu des cas concernant des injections ? Si oui, comment se manifeste la maladie qu’ils encourent ?

« On a reçu des patients qui ont ces complications à la polyclinique et le plus souvent, c’est la peau qui s’enlève, comme si on épluchait une pomme de terre, quasiment tout le corps. Les malades n’ont plus aucune peau. C’est la maladie de Lyell. D’aucuns viennent trop tard et meurent chez eux en peu de temps. D’autres, qui ont plus de chance, sont hospitalisés entre la polyclinique et l’hôpital Le Dantec. La tranche d’âge de ces victimes se situe entre 18 ans et 30 ans. Pour le moment, on n’a pas encore reçu d’hommes, mais c’est sûr qu’il en existe». Les statistiques, on ne les a pas encore, pour le moment, mais on va les avoir d’ici au 15 avril, parce que c’est chaque trimestre que cela se fait».

Enlèvement de la peau, mort en 15 jours

«Le produit qui est à l’origine de ces dégâts est le glutathion. Un produit pour soigner les gens atteints des maladies de Parkinson et d’Alzheimer, les personnes du troisième âge, cela marche très bien avec eux. Mais les gens se sont rendu compte que quand on utilisait ce traitement, la peau devenait de plus en plus claire, mais à dose très faible, donc c’est au bout de 2, voire 4 ans, avec un comprimé par jour. Maintenant, des gens qui sont aux Etats Unis, après s’être rendu compte de l’effet du produit, l’ont détourné en augmentant la dose pour se dépigmenter. Ils en ont fait des injections et c’est vendu sur Facebook, malheureusement.

Avec les injections,une personne sur quatre meurt au bout de 15 jours. Le pourcentage est de 25% de décès par piqure, ce qui est énorme, c’est un véritable problème de santé publique. L’on était à un cas de cancer de la peau tous les 5 ans lorsqu’il s’agissait de simple dépigmentation. Mais là où je vous parle, nous enregistrons notre 6e cas de cancer de la peau depuis le début de l’année à cause du Glutathion.

Il est dit que cette forme de dépigmentation peut aussi causer des maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle et autres. Est-ce vrai ?

L’autre injection qui cause les dégâts les plus funestes, s’appelle Kenacort. Un produit utilisé pour traiter certaines maladies, par exemple les Keloïdes (toute en wolof) et aussi les allergies. C’est un médicament très puissant contre l’allergie, mais cela entraîne l’obésité, l’hypertension et bien sûr, ça dépigmente s’il s’agit d’une forte dose. Dès qu’on dépasse deux injections et que celles-ci ne sont pas faites par un médecin, cela entraîne des complications. Un médecin peut même vous faire 20 injections et cela n’entraînera ni hypertension ni diabète, parce que nous connaissons les antidotes qu’on utilise pour cela. Cependant, les femmes ne le comprennent pas ainsi, elles l’utilisent comme elles le sentent. Kenacort c’est un médicament, si les précautions d’usage sont respectées.

Quelles sont les conséquences sanitaires ?

Primo, si tout le monde s’amuse à faire cela, surtout que ces jeunes sont capables de travailler, c’est l’Etat du Sénégal qui va tomber malade. Secundo, l’autre grand problème, c’est normalement, comme on est dans un pays pauvre, on doit s’atteler à soigner des maladies qui sont en train de tuer des personnes. Ce sera une surcharge pour l’Etat. D’ailleurs, on a rencontré les députés le 30 mars dernier et on souhaite que ces produits soient interdits sur le marché. Toutefois, la question qu’on se pose, c’est : qui font ces injections, est-ce que ce sont des personnels de santé, parce qu’un médecin qui se respecte ne le fera jamais.

Coumba Diakhaté*, Représentante de «Glutathion Injection» Sénégal

«L’injection de Glutathion se fait une fois par semaine»

Sur sa page Facebook où elle fait son commerce en ligne, les photos de tablettes d’injections et de gélules éclaircissantes s’affichent en un clic. Mais pour faire marcher son business, d’autres photos montrent les satisfactions des clientes en exposant les transformations avant et après. Les filles très intéressées par cette forme efficace de se dépigmenter commentent les photos avec des questions à n’en plus finir. Interpellée par nos soins, la dame s’exprime : «Honnêtement, je n’utilise pas le produit parce que j’ai choisi de garder la texture naturelle de ma peau. Cependant, mes clientes sont bien satisfaites, elles se retrouvent avec zéro cicatrice sur tout le corps. D’ailleurs, elles reviennent et me mettent en rapport avec leurs amies, parentes et collègues de travail. L’injection de Glutathion que nous vendons se fait une fois par semaine. C’est un produit naturel. Les conséquences dont on parle découlent d’une mauvaise utilisation, alors que chez nous, avant de vous vendre les injections, on vous fait faire des analyses d’abord. Si après analyse, le dermatologue oppose son veto, on ne vend pas le produit à la cliente. Parce qu’une femme qui allaite ne doit pas l’utiliser, celles qui ont le diabète ou l’hypertension artérielle non plus. Maintenant, d’autres distributeurs ne prennent pas cette précaution, ce qui entraîne des complications graves pour la santé de la clientèle.

gfm / PAR AMINATA FAYE (STAGIAIRE)