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Oui, mon cher Ndukur, élevons ensemble le débat !


Rédigé par leral.net le Lundi 15 Mars 2021 à 21:08 | | 0 commentaire(s)|

Autant d’emblée dire que c’est avec beaucoup d’attention que j’ai lu le post de mon frère, un enseignant distingué doublé d’un chercheur authentique avec une fréquentation assidue du terrain : Ndukur Kacc Essiluwa Ndao. Tu viens de publier sur ta page Facebook, un texte intéressant qui me parle à plusieurs titres d’ailleurs. Il est intitulé : « BUZZ ET FAST-FOOD POLITIQUES ?

Il me semble utile de mettre en évidence les observations et interrogations qui ont servi pour introduire ton texte : « Quel projet économique post-Covid pour notre pays (…). Je crois que l’une des limites du Sénégal, c’est l’absence d’un projet de Co-construction au-delà des divergences, voire des oppositions politiques.

Le ministre de l’Economie et des Finances nous avait présenté le Plan d'Actions Prioritaires Ajusté et Accéléré (PAP2A). Un plan de relance de notre économie post-Covid. On attend l'évaluation de ce plan. Macky Sall vient de présenter un plan de financement de 350 milliards de FCfa au profit des jeunes et des femmes
».

Il me plaît de souligner avec l’auteur, le constat ci-dessus établi et les limites qui le caractérise. Je ne suis pas, bien évidemment, d’accord avec tout ce que l’auteur dit. J’admets cependant le fait qu’au-delà de ses prises de positions, il développe des idées et avance une argumentation pour défendre ses opinions, pour asseoir un point de vue éclairé sur des questions majeures qui agitent le débat public.

Autrement dit, M. Ndao propose un débat, au sens propre du terme, pour entretenir sainement la contradiction positive qui est la sève nourricière de tout projet démocratique dans le cheminement de son processus de maturation. Et c’est parce qu’il propose un débat que je me permettrai de lui souligner les limites de sa contradiction et quelques problèmes dans son argumentaire.

Un argumentaire qui, du reste, s’inscrit en toute cohérence dans la ligne d’opposition que son auteur affiche souvent dans son appréciation des politiques publiques en cours. Quand le chercheur écrit : « Je crois que l’une des limites du Sénégal, c’est l’absence d’un projet de Co-construction au-delà des divergences, voire des oppositions politiques ».

Si je ne comprends pas de travers le sens de ses propos, je dirai que Ndao reproche au gouvernement de ne pas avoir proposé aux Sénégalais un document cadre servant de référentiel de base, pour engager la dynamique globale des orientations stratégiques majeures et les lignes opérationnelles marquant la conduite des politiques publiques économiques. C’est une chose d’affirmer que je ne suis pas d’accord avec le cadre de base proposé par le gouvernement, à la fois dans ses options stratégiques et dans leur mise en œuvre. Toutefois, c’en en est une autre de dire que ce cadre n’existe pas au Sénégal, comme le soutient le chercheur dans son post.

Il peut librement considérer qu’il n’est pas d’accord avec le Plan Sénégal Emergent, qui est pourtant bel et bien un projet de Co-construction économique qui va au-delà des divergences, voire des oppositions politiques notées. De même que mon frère Ndukur peut douter de la pertinence des options de base, de la stratégie globale mise en place et même disqualifier les objectifs fixés au PSE. Par contre, il ne peut pas tout de même nier l’existence du PSE. Ni refuser de constater des performances économiques réalisées dans l’exécution des politiques conduites dans son cadre.

Lui-même affirme qu’on ne peut pas dire que rien n’a été fait, s’entend depuis au moins 2012. La négation de l’évidence questionne la méthodologie d’analyse et biaise, par conséquent, les conclusions y afférentes. C’est cette volonté de nier l’évidence qui incline l’auteur à écrire avec un doute manifeste structurant ses énoncés ceci : « Le ministre de l’Economie et des Finances nous avait présenté le Plan d'Actions Prioritaires Ajusté et Accéléré (PAP2A). Un plan de relance de notre économie post-Covid. On attend l'évaluation de ce plan ». On ne peut que s’interroger, pour savoir si l’auteur de ces propos a pris la peine de prendre connaissance d’autres faits marquants qui pourraient pourtant lui servir de boussole, pour disposer d’informations lui permettant d’obtenir un début de réponse par rapport à ses préoccupations.

Mon cher Ndukur, tu demandes une évaluation du Plan de relance de l’économie nationale qui a été adopté du fait des conséquences de la pandémie de la Covid 19. Je peux te comprendre, tu n’as pas eu accès à l’information. Pourtant une évaluation a été faite. Les conclusions qui en sont sorties, ont expliqué de façon claire que c’est grâce à ce plan qui a pu mobiliser 1000 milliards de FCfa que le Sénégal a su éviter une profonde récession économique.

Mieux, notre pays s’en sort au regard du contexte avec un remarquable taux de croissance, de l’ordre de 1,5%. Les ressources collectées, d’une part, sur la base d’une réallocation de moyens budgétaires et des dons des Sénégalais (personnes morales et physiques), et tirées, d’autre part, d’accords financiers établis avec des partenaires au développement, ont sauvé notre économie. Cela a été attesté par tous les organismes nationaux et internationaux habilités pour faire de telles évaluations. En termes plus concrets, c’est ce même plan qui a permis au gouvernement de juguler, ou d’amoindrir les dégâts de cette pandémie, en aidant à la mise en place d’un plan systémique de lutte contre la Covid 19 qui s’est révélé efficace et cohérent. Ceci a été expliqué, je dirai même validé, par une étude internationale qui a classé le Sénégal en première position en Afrique et en deuxième position dans le monde, derrière la Nouvelle-Zélande durant la première vague de cette pandémie.

Ce classement a insisté sur l’efficacité et la transparence dans la gestion de la pandémie, la rapidité des tests dont les résultats sont connus dans les 24 heures au plus tard, la réquisition des hôtels pour mettre en quarantaine les contacts des patients atteints de Covid-19, la communication précoce et transparente sur les cas infectés par le coronavirus, en un mot, sur les actions qui montrent la rapidité et l’efficacité avec lesquelles le Sénégal a géré la première vague de Covid-19.

Judd Devermont du Centre d’études stratégiques de Washington résume ainsi la situation : « suivre la Science, agir rapidement, travailler sur l’aspect communication de l’équation et ensuite penser à l’innovation ». Rappelons que le Plan de relance dont on parle avait plusieurs composantes, son évaluation a été faite sur l’ensemble de ces composantes : sociale, médicale, et enfin, économique. On peut discuter des termes de cette évaluation, rejeter éventuellement ses conclusions, mais on ne peut pas faire comme si cette évaluation n’a pas été faite. Mon cher frère Ndukur je suis d’accord avec toi sur beaucoup de points développés dans ton texte. C’est le cas quand tu écris, notamment : « On part souvent de l'hypothèse du potentiel de colère, de fatigue et de misère qui se transforme par des incantations et la critique facile en révolte puis révolution. On ne mange pas un potentiel et on ne l'utilise pas pour catalyser une transition que si on accepte de réinterroger nos paradigmes et nos pratiques et qu'on accepte de communiquer à hauteur d'homme avec ceux qu'on regarde de haut et qui nous regardent aussi de haut (ça on l'ignore parfois) ! Cela nous ramène à la discussion sur la nécessité d'élever le débat. Ce qui ne signifie pas intellectualiser le débat ». Je suis tout à fait d’accord avec toi. Je considère pour ma part, tu en conviendras surement avec moi, que cette idée d’élever le débat exige, qu’en toute occurrence, en tout temps et sur tous les sujets, que les termes d’un tel débat soient clairement posés.

C’est la raison pour laquelle je souhaiterais exprimer un désaccord avec toi sur ce point de vue que tu exprimes en ces mots : « Le ministre de l’Economie et des Finances nous avait présenté le Plan d'Actions Prioritaires Ajusté et Accéléré (PAP2A). Un plan de relance de notre économie post-Covid. (…) Je crois que l’une des limites du Sénégal, c’est l’absence d’un projet de Co-construction au-delà des divergences voire des oppositions politiques ». Vous présentez les deux choses comme si elles relevaient du même registre. Sans aucun doute ces deux questions adressent le même sujet. Sauf que le PAP2A transcende totalement le plan de relance ponctuel et contingent. Ce plan de contingence est lui circonscrit dans un court temps (un an au maximum). En revanche, le PAP2A est quant à lui inscrit dans le long terme, vingt ans, avec des séquences de cinq ans et s’inscrivant dans un horizon temporel précis (2014-2035).

C’est pour cette raison qu’il n’est pas juste comme vous semblez le soutenir, d'affirmer que la majorité actuelle ne propose pas aux Sénégalais un projet économique national qui est cohérent, organisé et planifié dans le long terme. Je peux comprendre qu’on ne soit pas d’accord avec le PSE, ce référentiel de base des politiques économiques, sociales et autres, mais nier cette évidence, cette réalité qui commande depuis 2018 toutes les actions et initiatives engagées dans le cadre des politiques économiques serait une entorse grave, mais constituerait surtout une contradiction majeure avec une demande légitime et pertinente que vous adressez aux Sénégalais, en particulier aux hommes politiques et à l’ensemble des forces vives de la Nation : « élever le débat ». Elever le débat, il le faut, mon cher frère, pour une respiration démocratique porteuse de progrès réels pour notre société. Cher ami, je suis toujours séduit par tes réflexions éclairantes, celles d’un brillant intellectuel. Peu importe d’ailleurs que nos désaccords soient parfois béats, je suis toujours heureux de te lire.

Abdou Latif Coulibaly

Ndèye Fatou Kébé