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Oumar Sarr : «Comment le décès de Tanor Dieng a poussé Wade à remanier le Pds»

Au Pds, l’homme a toujours bénéficié des égards réservés aux premiers de cordée. Premier militant libéral à gagner une bataille municipale qui l’a porté à la tête de la mairie de Dagana, en 1996, Oumar Sarr a toujours vécu dans l’ombre du Pape du Sopi qui, en partance pour la France, après sa chute du Pouvoir en 2012, en avait fait son dauphin. Sept ans après, un réaménagement du Secrétariat national du Pds, intervenu le 9 août 2019, est venu tout remettre en cause : les positions et les postures. Ouvrant du coup la voie de la rébellion à Oumar Sarr & Cie contre la volonté prêtée à Me Wade de vouloir (re)mettre le parti entre les mains de son fils, Karim, en exil à Doha. Ainsi est né le nouveau courant libéral : Alliance Suqali Soppi. Un nom révélateur de la crise profonde qui secoue le Pds, dont Oumar Sarr explique, via mail, pour L’Observateur, les ressorts insondables par le grand public.


Rédigé par leral.net le Mardi 27 Août 2019 à 16:54 | | 0 commentaire(s)|

Lors du lancement de votre alliance, l’on a l’impression que vous avez un problème plus avec Karim qu’avec son père. Qu’est-ce qui vous oppose ?

Les problèmes avec Karim Wade viennent de son refus de venir à Dakar, alors qu’il était notre candidat. Ces problèmes se sont prolongés avec l’insistance de son père pour qu’aucune instance de notre parti ne se tienne depuis des mois et des mois et ont atteint le summum avec le Dialogue national convoqué par le Président Macky Sall.

Ce serait intéressant que vous nous expliquiez chaque point de divergence avec Karim Wade et la position de son père. Commençons par son absence de Dakar !

Vous le savez. Nous avions désigné Karim Wade comme candidat à l’élection présidentielle, principalement pour deux raisons : il était en prison et nous voulions à travers son choix, rendre un dernier hommage à notre leader.

A plusieurs reprises, le retour de Karim a été annoncé, était-il dans les dispositions de revenir au Sénégal et faire face au régime ?

Karim Wade, dans une déclaration publique, à la Korité 2018, nous avait dit : «Je suis en route pour faire face à mes devoirs et mériter la confiance de ceux qui m’ont investi et de tous ceux qui sont décidés à m’accompagner.» Nous l’avions cru. Nous l’attendions et préparions sa venue. Nous l’attendons encore. Il préfèrera envoyer son père au front, malgré l’âge avancé de ce dernier. Et, par milliers, nous avions accueilli ce dernier et démontré, aux yeux de tous, notre disposition au combat. Comme l’avait prévu la majorité présidentielle, comme elle l’avait déclaré dans les journaux et dans les radios, Karim Wade n’a pas osé se présenter à Dakar. Puis, l’ex-candidat est devenu en même temps, inaudible et aphone jusqu’à ces derniers jours, et a montré, pour moi, son incapacité à diriger qui que ce soit, et quoi que ce soit. Il a conjugué, lui-même, sa carrière politique au passé. En même temps, irascible, Karim Wade commença à attaquer tout le monde et à dénigrer responsables du parti et «karimistes» désillusionnés, comme si ceux-ci étaient responsables de son absence de Dakar. Il déclara à qui veut l’entendre qu’il a des dossiers-bombes contre Macky Sall auxquels il est le seul à croire. Il téléphona par Whats’App aux uns et aux autres, glana des informations par-ci, par-là et fit croire qu’il était informé de tout, alors qu’il n’est au courant de rien. La preuve, d’ailleurs, est faite avec certains éléments proposés au Secrétariat national.

Pourquoi devait-il prendre le risque de revenir, alors que l’Etat l’a menacé d’emprisonnement ?

Un homme politique ne doit pas avoir peur de la prison. Il doit avoir de l’audace.

Et sur le Dialogue national ?

Karim Wade nous avait fait savoir qu’il était contre notre participation au Dialogue national de 2019, pour des raisons que j’estime politico-personnelles. Je m’étais réuni longuement avec son père qui avait donné son accord sur notre présence à l’ouverture du Dialogue national et même aux discussions sur le processus électoral avec le ministre de l’Intérieur, et nous nous étions même entendus sur la déclaration liminaire. Karim Wade, au dernier moment et à deux reprises, l’avait fait changer d’avis et comme explication, le père m’a répété, devant témoins, que «seuls les imbéciles ne changent pas d’avis». Dans ces conditions où les réunions du parti sont interdites, le débat interdit, le parti en hibernation jusqu’à nouvel ordre de Karim Wade, j’avais décidé de participer au Dialogue national, en vue du renforcement du parti et d’une meilleure préparation aux élections à venir.

Pourtant, l’on rapporte que votre problème avec Wade est venu de votre décision de participer à l’ouverture du Dialogue national…

Je ne le pense pas. Je n’ai aucun problème particulier avec Wade. Les rares comités directeurs qu’il a présidés depuis des années ont tous commencé par ses félicitations pour mon travail et un standing ovation des membres. Vous avez certainement les images.

Est-ce que le Président Wade était informé de votre présence au Dialogue national ?

Non. J’ai pris mes responsabilités en ma qualité de militant et responsable. J’aurais même pu parler au nom du parti, celui-ci ne pouvant pas se réunir sur des questions d’importance. J’ai préféré parler en mon nom, mais pour tous. Le Président Wade a, par la suite, fait savoir dans une des réunions fermées dans lesquelles il invitait les personnes de confiance de Karim Wade, qu’il se pourrait qu’il contacte le Président Macky Sall et que le Pds aille au Dialogue national et, c’est certainement avec l’aval de Karim Wade.

Dans votre conférence de presse, vous avez évoqué la libération de Karim, sans tout dire. Y avait-il accord entre le pouvoir et la famille à l’époque? Comment le voyage de Karim a été organisé ?

J’avais abordé cette question en rapport aux positions sur le Dialogue national. Comme j’ai eu à le dire, à l’ouverture du dialogue national, le Sénégal est plus grand que nous tous, que tous les partis. Je voulais expliquer que notre position sur le dialogue ne doit pas être dégagée à partir d’avantages personnels qu’on peut avoir sur la tenue d’un tel événement. On ne peut pas être pour le premier dialogue, parce qu’il va permettre son élargissement de la prison et être contre le second, parce qu’il ne traite pas de l’organisation d’un second procès qu’on souhaiterait que l’Etat organise pour soi. Le Sénégal est plus grand que ça. C’était uniquement pour cette raison-là, par souci pédagogique, que j’ai abordé le sujet. Je peux ajouter qu’il n’y a pas eu d’accord politique scellé entre le pouvoir et la famille et que le voyage a été organisé, en tenant compte des spécificités de la sortie.

Mais, le voyage a été préparé, car un avion l’attendait déjà pour le conduire à Doha…

Je suppose que la libération a été envisagée avant et que Doha avait offert son hospitalité à Karim Wade. C’est tout ce que j’en sais.

D’aucuns pensent que la non-participation du Pds à la Présidentielle fait partie du deal ?

Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu’il y ait même un deal quelconque.

Quel est l’enjeu du renouvellement du Secrétariat national ?

Le seul enjeu véritable de ce renouvellement, c’est le remplacement du Secrétaire général national en cas d’absence. On me dit que le décès de Tanor Dieng a été un facteur déclenchant.

En quel sens, le décès de Tanor a déclenché le renouvellement du Secrétariat général ?

Je pense que c’est plutôt l’effet créé au niveau du Parti socialiste avec une guerre des chefs qui aurait pu avoir lieu. Ils ont certainement dû faire des projections sur le Pds, en cas d’absence ou d’incapacité du Secrétaire général national.

Avez-vous été informé de ce projet de remaniement ?

Oui et non. J’ai vu, pour la dernière fois, le Secrétaire général national, à sa demande, il y a un peu plus de deux mois, exactement le lundi 17 juin 2019. Il m’avait informé d’un projet de remaniement, qui ne correspond pas du tout, à ce qu’il a publié par la suite. Il m’avait promis de m’appeler à nouveau avant publication. Il ne l’a pas fait. Il ne m’a pas appelé non plus depuis cette date. J’ai su qu’il avait procédé à un «remaniement» à travers la presse et j’ai vu évidemment la main de Karim.

Etes-vous déçu de votre compagnonnage avec Me Wade ?

Non. Je suis un homme politique. Dans la période 2000-2012, le Président Wade m’a associé à la gestion du pouvoir et je ne l’en remercierai jamais assez. Dans la période qui a suivi notre défaite de 2012, dans des conditions difficiles, j’ai maintenu vaille que vaille le drapeau du parti et tout le monde a pu apprécier l’engagement continu et la combativité de notre parti. Je fais partie en 2015, des responsables qui ont porté la candidature de Karim Wade comme réponse politique à l’incarcération injustifiée et injustifiable du fils du Président Wade. En 2016, Karim Wade fut libéré de prison suite au combat ininterrompu du parti et à des actions diverses menées. Jusqu’en 2019, avec des fortunes diverses, le parti s’est mobilisé en défense de Karim Wade, son candidat, jusqu’au dépôt de la candidature au Conseil constitutionnel et ses listes de parrainages furent validées sans contestation aucune.

L’on a noté que des responsables du Pds ont décliné les postes proposés par Wade. Est-ce une action concertée ?

Non. Certains ont préféré tout de suite ne pas être cités dans cette mise en scène tragi-comique. En réalité, comme je vous l’ai dit plus tôt, le Secrétariat national n’a aucune espèce d’importance. C’est un machin. Ils l’ont remanié pour placer Karim Wade aux commandes du Pds en cas d’incapacité du Secrétaire général national.

Vous restez donc au Pds ?

L’Alliance «Suqali Soppi» s’est définie comme un courant dans le Pds. Nous sommes aujourd’hui indéniablement la majorité du Pds. Nous allons, dans les prochains jours, échanger avec les responsables, nous renforcer et définir les meilleures voies pour continuer avec succès notre combat.

Récemment, une méditation avait été annoncée. Avez-vous été approché dans ce sens ?

Oui, il y a eu des bonnes volontés, des responsables du parti, des amis de la famille Wade, qui se désolaient de la situation créée. Ils m’ont contacté ainsi que d’autres responsables, mais le mal est là, persévérant.

Qui sont-elles ?

Elles sont nombreuses, mais permettez-moi de ne pas les citer. C’est leurs initiatives. Peut-être qu’un jour, elles s’exprimeront sur le sujet.

N’allez-vous pas finir par quitter le parti ?

L’Alliance a décidé de rester dans le parti, de se battre et de démontrer sa majorité. Nous verrons dans les prochains jours, les prochaines semaines, s’il n’y a pas d’entrave à notre progression. Je rappelle que les Karimistes se réunissent, ont des sièges, adhérent même à des fronts politiques. Je suppose que l’Alliance aura ses prérogatives-là dans le parti.

Pensez-vous vraiment gagner votre combat contre Wade, si l’on sait qu’il fait du Pds une propriété?

Primo : nous ne menons pas un combat contre Wade qui demeure, un père et un mentor. Secundo : contrairement à ce que vous pensez, le Pds n’est pas et ne saurait être une propriété personnelle. Tertio : le combat politique de l’alliance est un combat de principes basé sur les textes constitutifs du Pds ainsi que sa doctrine, si vous voulez, sa pratique. Nous pensons gagner ce combat avec Wade et non contre Wade.

N’avez-vous pas peur que l’alliance Suqali Sopi finisse comme les autres structures qui se sont créées dans le passé des flancs du Pds?

Non, je ne le pense. Nous connaissons bien notre parti, ses hommes et ses femmes. Je ne suis pas le seul responsable embarqué dans ce combat. Nous connaissons parfaitement le terrain. Nous n’avons peur ni de marées ni de marécages.

Avez-vous des alliés dans votre combat, des contacts avec Macky Sall ou son entourage proche?

Aujourd’hui, nous menons un combat de principes à l’intérieur du Pds, un combat pour la refondation de celui-ci. Ce n’est pas un combat qui se mène à partir de l’extérieur ou avec l’extérieur. Nous avons bien entendu des relations avec tous les partis de l’opposition, connaissons bien le Président Macky Sall et ses collaborateurs, pour avoir été avec certains d’entre eux dans le même parti, dans les mêmes écoles ou les mêmes gouvernements. Mais là aussi, je me dis : à chaque jour suffit sa peine. Demain est un autre jour. Nous nous organisons pour gagner notre combat d’aujourd’hui. Et encore une fois, nous sommes un groupe de responsables politiques aguerris, qui sait se battre sans perdre son âme.

Le Sénégal vient de perdre simultanément, cette semaine, deux grandes personnalités, Jacques Diouf et Amath Dansokho. Que retenez-vous d’eux ?

Je m’incline devant ces deux grands noms de votre pays. Jacques Diouf, j’ai eu à le connaître quand j’étais ministre en charge de la Pêche. J’ai eu à le rencontrer à Rome quand il était Directeur général de la Fao (Fonds mondial pour l’alimentation) émérite, qui a su résister à bien des assauts contre la gestion d’un haut intellectuel africain. Il nous a aidés à mieux comprendre l’état de l’art sur les politiques de pêche mais aussi à développer la pêche artisanale et l’aquaculture. J’ai eu à le rencontrer par la suite à différentes occasions. Une fois, nous nous sommes trouvés dans le même avion. A ce moment, j’ai compris qu’il était très pieux. Il récitait ses versets coraniques avant le vol, et pendant tout le vol, nous avions pu échanger de sa vision de la vie. Ce fut un grand moment d’échange qui m’a permis d’apprécier l’homme. Amath Dansokho, lui, c’est le militant. Je l’ai connu avant 2000, quand nous étions tous deux dans l’opposition, au début des années 2000 quand nous étions ensemble au gouvernement, et après cette période. Ce fut un homme exceptionnel. J’ai gardé nos moments de débats intenses, un bonheur d’échanger avec lui, même si l’on ne partageait pas les mêmes points de vue. On apprend toujours. Je me rappelle, une fois, il m’avait invité à diner ensemble, je ne sais plus quand, dans une dibiterie de Ngor en bordure de mer. Je ne sais pas si celle-ci existe encore. Je présente mes condoléances, au delà du Parti de l’indépendante et du travail (Pit), au peuple sénégalais et africain, au peuple militant. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il est un personnage tellement attrayant, tellement vrai, un monument de notre histoire politique, indépendamment de ses compagnonnages politiques.

Igfm

Ndèye Fatou Kébé