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Pierre-René Lemas, un préfet à l'Elysée

C'est un gaulliste de gauche, plutôt qu'un socialiste, que François Hollande a choisi comme secrétaire général de la présidence de la République et qui succède, dans cette fonction, à Xavier Musca. Un camarade de la fameuse promotion Voltaire, aussi, cette petite troupe d'anciens de l'ENA qui s'est mobilisée pour la victoire du candidat du PS.


Rédigé par leral.net le Mardi 15 Mai 2012 à 13:16 | | 0 commentaire(s)|

Pierre-René Lemas, un préfet à l'Elysée
A 61 ans, le préfet Pierre-René Lemas va donc quitter la direction du cabinet du président du Sénat, Jean-Pierre Bel, pour devenir, à l'Elysée, le chef de la tour de contrôle présidentielle.

Né à Alger dans une famille de "liberaux d'Algérie", où son père, avocat, fut candidat aux élections dans la Casbah d'Alger, M. Lemas suit des études de droit, puis intègre Sciences Po. A l'ENA, il croise M. Hollande, le "chef de classe", comme il dit, mais il se tient un peu à l'écart : il est vrai que, contrairement à ses condisciples, il est déjà marié, et père. Il y participe à l'aventure du "Carena", le Comité d'action pour une réforme démocratique de l'ENA, éphémère syndicat proche de la CFDT, hostile au classement des élèves à la sortie de l'école.

CALME, CHALEUREUX ET TOUJOURS SOURIANT

Le jeune "énarque" hésite avant de trouver sa voie. Le journalisme le tente : son oncle, André Lemas, était l'une des voix de l'info de France Inter, et le jeune homme commence par faire des piges à Radio France Internationale (RFI). Il tâte aussi de la production culturelle, celle du Cuarteto Cedron, un groupe de musiciens argentins. Plus tard, il s'occupera d'une association luttant contre la fermeture des salles de cinéma.

"Je ne suis pas socialiste, mais ça ne me dérange pas de bosser avec des socialistes", sourit Pierre-René Lemas, qui a travaillé avec Charles Pasqua, le radical Jean-Michel Baylet ou le communiste Jean-Claude Gayssot.

Calme, chaleureux et toujours souriant, M. Lemas est d'abord un grand décentralisateur. Au cabinet de Gaston Defferre, il s'occupe pendant trois ans, de 1983 à 1986, de la décentralisation, et poursuit au cabinet de Pierre Joxe. C'est simple : des lois de transfert de compétences aux décrets d'application du statut de la Corse, ce préfet a mis la main à toutes les grandes lois de décentralisation existantes, "sauf celle du 2 mars 1982".

MONSIEUR "DÉCENTRALISATION"

Comme directeur de l'urbanisme et de l'habitat au ministère de l'équipement, il travaille surtout à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 et notamment à "son fameux article 55", qui impose aux villes de disposer d'au moins 20% de logements sociaux. "C'est l'article dont je suis le plus fier", souligne-t-il.

Monsieur "décentralisation" a une autre qualité, si l'on peut dire, pour le poste que François Hollande vient de lui confier : il a été par deux fois, en Corse puis en Lorraine, en délicatesse avec Nicolas Sarkozy. Ce président qui a fait valser tant de préfets avait commencé par garder près de lui, en arrivant en 2002 Place Beauvau, le directeur général de l'administration, ce "patron des préfets" que M.Lemas était depuis deux ans.

DE LA CORSE A PARIS EN PASSANT PAR LA LORRAINE

Le ministre de droite et le préfet de gauche travaillent ensemble. Et c'est M. Lemas qui apportera à Nicolas Sarkozy et à Claude Guéant, son directeur du cabinet, le petit papier annonçant que les Corses ont voté "non" au référendum sur la réforme des statuts de l'île, deux jours après l'arrestation d'Yvan Colonna.

En cet été 2003, M. Lemas est d'ailleurs nommé préfet de région, à Ajaccio, pour tenter d'apaiser le lourd climat qui prévaut localement et mettre en place le plan exceptionnel d'investissements (PEI) qui avait été voté sous Lionel Jospin.

Un jour, le ministre de l'intérieur lui demande : "J'ai un ami acteur. Si vous pouvez le voir, il a un souci avec le terrain qu'il vient d'acheter." Il s'agit de Jean Reno, auquel le préfet de Corse explique que sa parcelle, à Bonifacio, est située en zone protégée et donc inconstructible. Deuxième tentative du comédien, en vain.

En 2005 survient l'affaire du Pascal-Paoli, ce ferry que des marins nationalistes ont détourné de Marseille vers Bastia pour protester contre la privatisation de leur compagnie. M. Lemas préfère parlementer plutôt que d'utiliser la force. Les hommes du GIGN finissent toutefois par investir le navire lors d'une spectaculaire opération hélitreuillée. "Aucun regret", tranche aujourd'hui le préfet dans son large sourire.

Mais Paris n'est pas content, et les nationalistes non plus. Le lendemain, le préfet est pris à partie, à l'Assemblée de Corse, par Edmond Simeoni, qui l'accuse de "trahison". M. Lemas prend son téléphone : "Je viens de vous entendre sur France 3..." Le soir, une roquette vise la préfecture. Jacques Chirac dit son émotion. "Qu'est-ce qui t'arrive ?", téléphone aussi M. Hollande, inquiet, à son copain de promo.

Il est muté en Lorraine, en février 2006. Puis brutalement "viré", deux jours après les législatives du 17 juin 2007, où la gauche prend deux circonscriptions à la droite dans cette région. Quand il apprend, à quelques heures du conseil des ministres, qu'il est placé hors cadre, il passe un coup de fil nocturne à M. Guéant. "Je suis désolé, ce n'est pas moi", balaie alors le nouveau secrétaire général.

Sans affectation, M. Lemas passe un mois en Chine avec sa femme avant de prendre la direction des Journaux officiels. Quelques mois plus tard, il rejoint l'équipe Delanoë à la tête de Paris Habitat, l'ex-OPAC de la capitale. Et quand, en novembre 2011, M. Hollande lui demande d'aller aider M. Bel au Sénat, il plaisante : "Je lâche un CDI pour un CDD..." Et d'accepter illico.

Ariane Chemin