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Pommes de terre invendues, champs saturés : la colère gronde dans les Niayes


Rédigé par leral.net le Vendredi 2 Mai 2025 à 12:24 | | 0 commentaire(s)|

Pommes de terre invendues, champs saturés : la colère gronde dans les Niayes
Pendant que le pays célébrait la fête du Travail, la terre des Niayes, elle, ne travaillait plus. Deux jours durant, les producteurs ont suspendu toute activité pour dénoncer une mévente chronique qui menace leur survie.

Ce 30 avril 2025, Notto Gouye Diama s’est réveillée dans un calme étrange. Les marchés de légumes sont restés vides. Les champs, eux, débordaient de récoltes invendues. Aucun camion n’a quitté les champs. Aucun sac de légumes n’est sorti des entrepôts. À l’appel du Collectif des producteurs horticoles des Niayes, les maraîchers de la zone ont décidé de faire silence pour mieux se faire entendre. C’est ainsi qu’une grève totale de 48 heures a été décrétée pour alerter sur une crise qu’ils jugent à la fois économique et sociale, transformant leurs localités en villes mortes. Un cri de détresse face à une réalité de plus en plus pesante : la mévente massive de la pomme de terre et de l’oignon.

Selon L’Observateur, repris par Senenews, les producteurs sont à bout de souffle, brassards rouges autour du bras, colère au cœur, jeunes, vieux, hommes et femmes, ont quitté le lieu-dit « Carrefour » en procession jusqu’au marché local de légumes. En tête de cortège, des pancartes aux slogans et messages sans détour : « Libérez la pomme de terre ! » ou encore « Pomme de terre bi da bagna dem (La pomme de terre ne se vend pas) ». L’humour ne masque plus le désarroi. Tout pour montrer à quel point ils peinent à écouler leurs produits. La récolte stagne, les sacs s’empilent, les champs débordent, les débouchés manquent.

Pourtant, depuis début avril, l’État a suspendu les importations d’oignons et de pommes de terre pour protéger la production locale. Mais sur le terrain, rien ne bouge. La mévente persiste. D’après une enquête publiée dans L’Observateur, le collectif des producteurs horticoles des Niayes pointe du doigt la politique agricole de l’État, l’absence de régulation efficace, la prolifération d’agrobusiness puissants et un système de commercialisation chaotique. « Nos produits restent invendus ou bradés à vil prix. C’est à cause d’un système de commercialisation non structuré et non soutenu. Les producteurs croulent sous les pertes. Des familles entières, vivant exclusivement de la terre, voient partir en fumée le fruit de mois de travail. Le silence ou l’indifférence des autorités face à cette situation intenable est inacceptable. Il en va de la survie économique de la filière horticole, mais aussi de la sécurité alimentaire de notre pays », déplore le collectif.

La grève est silencieuse, mais l’inquiétude, elle, est bruyante.

Stocks pleins, marchés vides

Ils ont ainsi suspendu la sortie et la distribution des produits maraîchers pour exiger l’arrêt immédiat des ventes par les agrobusiness jusqu’à l’écoulement de leurs propres produits. Ils réclament aussi une régulation stricte de ces grandes entreprises et la limitation de la prolifération des sociétés étrangères dans les filières pomme de terre, oignons, choux et carottes. Le collectif exige également le respect strict des périodes de gel entre petits producteurs et agrobusiness, la construction urgente de chambres froides, la création d’un fonds de soutien aux producteurs en détresse, ainsi qu’une réforme en profondeur de l’Agence de régulation des marchés (ARM) pour garantir une régulation transparente et équitable.

« Durant ces deux jours, les marchés ne bougeront pas, les légumes ne sortiront pas. Pour trouver une solution à cette situation, nous demandons l’organisation d’un forum exceptionnel des marchés maraîchers, réunissant tous les acteurs de la chaîne », propose le collectif, dans des propos relayés par L’Observateur.

Dans les villages maraîchers, la détresse est palpable. À Notto Gouye Diama, les stocks s’entassent. Dans les champs comme dans les hangars, des tonnes de légumes s’accumulent. Depuis la fin de la Korité, les produits peinent à s’écouler. Les prix chutent. Il n’y a pas d’acheteurs. L’Observateur note que des milliers de tonnes sont stockées, et qu’une bonne partie reste encore dans les champs, sans solution de conservation adéquate. Le sac de pomme de terre ou d’oignons se vend à peine à 5 000 FCFA, parfois beaucoup moins.

Dans son entrepôt, Souleymane contemple son tas de pommes de terre avec impuissance. Depuis la Korité, il n’arrive plus à vendre. Sa voix trahit l’épuisement. À ses côtés, son collègue Bara reconnaît les efforts du gouvernement, notamment la suspension des importations, mais fustige l’inaction persistante de l’ARM et les promesses non tenues du ministère du Commerce.

Dans un reportage de terrain, L’Observateur a recueilli les propos de plusieurs producteurs qui alertent depuis plusieurs mois sur les conséquences désastreuses de cette mévente chronique. « Sans une intervention rapide du président de la République et du Premier ministre, cette situation peut détruire des milliers d’emplois agricoles, provoquer l’effondrement du secteur horticole sénégalais et augmenter la pauvreté dans la zone rurale », s’inquiète Bara.

Même son de cloche chez Ibra Ndiaye, pour qui la solution passe par une restructuration du secteur : construction de chambres froides, mise en place d’unités de transformation et création d’un système d’achat public similaire à celui du marché de l’arachide. L’Observateur, qui s’est rendu sur place, conclut que la crise actuelle pourrait bien être le révélateur d’un malaise agricole plus profond, nécessitant des réponses urgentes et structurelles.

Mame Fatou Kébé