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Pr. Seydi A. Dieng, Directeur du Laboratoire de recherches économiques et monétaires: « L’Etat doit chercher de nouveaux fonds »

Les premiers résultats d’une étude d’impact de la Covid-19 réalisée par le Bureau opérationnel de suivi (Bos) du Pse et le Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem), prévoient une récession économique au Sénégal. Les auteurs de cette enquête appellent à la mise en place d’une politique économique qui promeut une production conséquente de biens de première nécessité, pour parer à une éventualité fort probable de pénurie de certains produits importés, en cas d’enlisement de la crise sanitaire.


Rédigé par leral.net le Vendredi 5 Juin 2020 à 17:02 | | 0 commentaire(s)|

Pr. Seydi A. Dieng, Directeur du Laboratoire de recherches économiques et monétaires: « L’Etat doit chercher de nouveaux fonds »
Vous venez de faire une évaluation de l’évolution de la pandémie de Covid-19 au Sénégal et une analyse de ses conséquences économiques. Quels sont les résultats auxquels vous avez abouti ?

Après avoir apprécié la pertinence du modèle Seqndr (sains (S), exposés (E), infectés mis en quarantaine (Q), infectés non mis en quarantaine (N) et décédés (D) et remis (R)), en confrontant le nombre de cas positifs observés au nombre de cas obtenus par simulation, nous avons réalisé des simulations de l’évolution du nombre de cas infectés selon cinq scenarii qu’il importe d’analyser.

Le premier scénario se fonde sur la tendance actuelle avant la date du 27 avril 2020. La courbe correspondante révèle une forme exponentielle du nombre de cas infectés. La mise en place de mesures plus restrictives à partir du 27 avril visant à réduire le nombre de contacts entre les individus, a eu des effets significatifs sur la transmission du virus. En effet, une baisse des contacts par individu de 11 à 9 individus (scénario 2) entraînerait une réduction des cas répertoriés de 62,3 % au bout de 100 jours à partir du 2 mars 2020.

Le scénario 3, tablant sur une baisse des contacts de 11 à 8 individus par personne infectée, permettrait de diminuer le nombre de cas de 77,7 % au bout de 100 jours.

Dans le scénario 4, avec seulement 2 contacts par individu, la baisse serait de 99,6 % au bout de 100 jours. Ce scénario serait idéal, mais n’est possible que si le gouvernement arrive à réduire très fortement le nombre de personnes infectées, non mises en quarantaine. Lorsque l’on s’intéresse à l’impact des mesures prises par le gouvernement, nous constatons qu’elles sont salvatrices, car ayant permis d’éviter 8.860 cas de personnes infectées.

En effet, si le gouvernement n’avait pas pris de mesures strictes pour freiner l’épidémie, 97 460 personnes seraient mises en quarantaine, soit des économies de 73,1 milliards de FCfa répartis en frais de prise en charge hôteliers de 68,2 milliards FCfa et de coûts des tests de dépistage de 4,9 milliards de FCfa. Aussi, le pic serait atteint très rapidement et serait monté très haut.

En revanche, avec son intervention, la courbe est beaucoup plus aplatie, avec une vague d’infectés beaucoup plus réduite. Rappelons que le gouvernement avait mobilisé un Fonds de riposte et de solidarité de 1.000 milliards de FCfa pour amortir le choc occasionné par la pandémie de la Covid-19, dont 64,4 milliards destinés au soutien du secteur de la santé.
Les conséquences économiques de l’évolution de cette épidémie peuvent être appréhendées sous deux angles. D’abord, les mesures sanitaires et de précaution mises en œuvre, bien qu’indispensables, demeurent très coûteuses. Ensuite, si la crise sanitaire perdure encore plusieurs semaines, sans réelle reprise de l’activité économique dans les pays partenaires, le Programme de résilience économique et sociale consistant, entre autres, à assurer l’approvisionnement en produits essentiels – hydrocarbures, médicaments, denrées de première nécessité –, risque de connaître de sérieuses difficultés.
En effet, pour des raisons de sécurité de leurs approvisionnements internes, ces partenaires seront contraints de limiter très drastiquement, voire d’arrêter leurs exportations de produits essentiels. Cette situation amplifierait davantage les effets néfastes de la crise sanitaire sur l’économie sénégalaise.

Les prévisions ont montré que le Sénégal connaîtrait une récession économique, quel que soit le scénario envisagé. Pour l’année 2020, le scénario le moins défavorable correspondrait à une diminution de 1,4 % du Produit intérieur brut (Pib) du Sénégal (Dieng, Guèye et Ndoye, 2020). Il s’agirait de la pire performance économique du pays depuis son indépendance.

Au regard de ce tableau peu reluisant que vous venez d’établir, quelles recommandations avez-vous formulées pour faire face à cette situation ?

Les résultats suggèrent aux autorités de rechercher de nouveaux fonds ou de revoir la répartition de l’enveloppe globale du Fonds de riposte et de solidarité, pour anticiper les dépenses supplémentaires requises par le maintien de la stratégie actuelle de gestion de la crise sanitaire.
Le confinement total constitue une stratégie plus optimale, car favorisant une vague d’infectés plus faibles, mais serait très coûteux sur les plans économique et surtout social. Le contexte socioculturel actuel ne semble pas propice à sa mise en œuvre effective. Une autre implication consiste à mettre promptement en branle, une politique économique qui promeut une production conséquente de biens de première nécessité pour parer à une éventualité fort probable de pénurie de certains produits importés, en cas d’enlisement de la crise sanitaire.

Qu’en est-il de la situation au 25 mai 2020 ?

Le Sénégal a enregistré son premier cas de la maladie de Covid-19 le 02 mars 2020. Depuis cette date, le nombre de cas recensés ne cesse de progresser. La construction de ce graphique se fonde sur les statistiques fournies chaque jour par le ministère de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal.
D’une manière générale, la forme de la courbe des cas confirmés cumulés révèle le caractère exponentiel de la propagation de la Covid-19. Plus précisément, c’est à partir de la mi-avril que l’accroissement journalier des cas devient exponentiel, l’évolution du nombre de cas par jour correspondant à un même facteur multiplicatif près.

Les deux courbes des cas actifs et guéris connaissent trois phases d’évolution. Dans la première, la courbe des cas actifs cumulés se situe au-dessus de celle des cas guéris. Cette première phase comprend deux temps : un premier où le rythme de croissance des cas confirmés est plus rapide que celui des cas guéris, engendrant une évolution presque similaire des cas actifs.

Un second temps, entre le 2 et le 11 avril, où le taux croissance des cas guéris devient plus élevé que celui des cas confirmés, provoquant une croissance plus faible des cas actifs dont la courbe semble se stabiliser. Dans la deuxième phase, la courbe des cas guéris est au-dessus de celle des cas actifs ; le taux de croissance des cas guéris étant supérieur à celui des cas confirmés.
Dans la troisième phase, le rythme de croissance des cas guéris devient plus faible que celui des cas confirmés. La forme de la courbe des cas confirmés devient exponentielle, tout comme celle des cas actifs. Le gouvernement a pris l’engagement de traiter tous les cas confirmés. Cependant, compte tenu de la forme exponentielle de l’accroissement des cas confirmés et des ressources humaines et financières limitées, la problématique de la maîtrise de la situation se pose si le pic de l’épidémie ne serait pas atteint rapidement.
Retenons qu’à la date du 25 mai 2020, le Sénégal compte 3.130 cas confirmés, 1.515 cas guéris et 36 décès de la Covid-19 ; le nombre de cas actifs et donc sous traitement étant de 1.579. Le taux de létalité – proportion de décès par rapport au nombre total de personnes atteintes par la Covid-19 – se situe à 11,5 pour mille ; ce qui est très faible, comparé au taux de décès du paludisme.

Qu’est ce qui avait motivé cet exercice d’évaluation de la Covid-19 au Sénégal ?

Le coronavirus 2019 (Covid-19) est une maladie infectieuse provoquée par un nouveau virus qui n’avait encore jamais été identifié chez l’être humain. Ce virus provoque une maladie respiratoire, analogue à la grippe, avec des symptômes comme la toux, la fièvre et, dans les cas les plus sévères, une pneumonie.

Apparue à Wuhan, dans le centre de la Chine, en décembre 2019, l’épidémie de Covid-19 s’est depuis transformée en pandémie. Au mois de mars 2020, à la date du 13, des mesures de restriction sont prises dans le pays, par le Chef de l’Etat, dont notamment la fermeture des écoles, universités et centres de formation, des mesures de distanciation sociale dans les transports en commun, la fermeture de plusieurs marchés.

Actuellement, avec des moyens financiers et humains – professionnels de la santé – assez limités, il serait pertinent d’étudier comment évaluer l’évolution de l’épidémie de la Covid-19 au Sénégal et analyser ses conséquences économiques, en essayant de prévoir le pic de transmission.

L’objectif de cette contribution est d’évaluer l’évolution de cette épidémie au Sénégal et d’analyser les conséquences économiques de cette évolution. L’explicitation de l’évolution de l’épidémie et l’analyse de ses conséquences économiques permettront aux autorités de prendre les mesures idoines. Pour y parvenir, nous utilisons un modèle Seqndr – sains (S), exposés (E), infectés mis en quarantaine (Q), infectés non mis en quarantaine (N) et décédés (D) et remis (R) –, pour prendre en compte la spécificité de la stratégie du Sénégal.

Expliquez-nous l’approche méthodologique utilisée dans la réalisation de cette étude d’impact ?

A la différence des maladies chroniques non transmissibles – obésité, diabète, cancer –, les maladies infectieuses sont causées par un agent pathogène tel qu’un virus, une bactérie, un parasite ou un champignon. La propagation de cet agent est un phénomène dynamique et complexe puisqu’elle dépend de paramètres complexes et difficiles à contrôler tels que les stades cliniques possibles – infectés asymptomatique, infecté symptomatique, malade –, le déplacement des individus, les sources de la maladie.

Pour suivre l’évolution de la transmission de ces maladies, des modèles compartimentaux ont été proposés pour faciliter le calcul de la probabilité de contagion des individus. Développés au début du XXème siècle, ces modèles décomposent la population en groupes d’individus appelés compartiments. Ces compartiments sont déterminés selon le risque d’infection des individus ou leur statut infectieux. À la base de ceux-ci, se trouve un système d’équations différentielles décrivant les règles de passage des individus d’un compartiment à un autre et le nombre de personnes dans chaque catégorie au fil du temps (figure 2). Le nombre de compartiments varie selon la nature de la maladie étudiée.

En effet, une maladie sans période d’incubation est représentée par un modèle Sir (Susceptible-Infected-Recovred). Dans ce cas, les individus infectés présentent automatiquement les symptômes de la maladie. Toutefois, s’il existe un délai d’incubation, il est plus réaliste de séparer les personnes infectées mais ne présentant pas les symptômes et celles présentant les symptômes. On parle alors de modèle Seir (Susceptible-Exposed-Infected-Recovred).

Compte tenu de la stratégie mise en place au Sénégal, le modèle Seir est modifié pour devenir Seqndr. En effet, tous les individus contacts directs des personnes testées positives sont mis en quarantaine et testés eux aussi pendant 14 jours. Cette stratégie permet de réduire la transmission du virus dans la mesure où les contaminés sont a priori mis en quarantaine avant qu’ils ne transmettent la maladie lorsqu’ils deviennent infectieux.

Toutefois, l’apparition des cas communautaires montre qu’il existe de personnes contaminées échappant au dispositif de surveillance. En outre, le Sénégal a signalé à la date du 28 avril 9 décès liés à la Covid-19 ; ce qui impose la prise en compte de la mortalité.





Entretien réalisé par Abdou DIAW