Leral vous propose, ici, les bonnes feuilles du livre de Ibrahima Thiam, « Un nouveau souffle pour le Sénégal »…
Un autre avenir pour un nouveau souffle
« L’Afrique produit toujours quelque chose de nouveau. » « Out of Africa always something new. »
En février 2019, les électeurs sénégalais auront à choisir leur futur président de la République. Le chef d’État actuel, Macky Sall, est candidat à sa propre succession, mais outre que le pays éprouve un besoin de changement, en particulier au niveau de ses dirigeants, je considère que sa réélection serait une mauvaise chose pour le Sénégal. J’aurai l’occasion de m’en expliquer largement dans les pages qui suivent.
C’est pour cette raison qu’en septembre 2017, avec des compatriotes, j’ai décidé de créer un mouvement, et non un énième parti politique, dénommé Un Autre Avenir. Le choix de ce titre en dit long sur notre objectif et ma volonté d’offrir aux Sénégalaises et aux Sénégalais un futur différent de celui auquel ils sont promis avec l’équipe actuellement au pouvoir. Il n’a pas été choisi à la légère, car il porte en lui les germes de l’espérance pour notre peuple et en particulier les plus jeunes d’entre nous. La génération des quinze, vingt ans, voit son horizon bouché, sans perspectives personnelle et professionnelle. Elle est désenchantée, frustrée, ne voyant aucune solution réelle se dessiner pour les prochaines décennies. Mais à la différence de leurs aînés, les jeunes des années 2020 n’entendent pas se résigner, ne veulent pas sombrer dans le fatalisme.
La télévision, internet, les réseaux sociaux, les voyages, leur permettent aujourd’hui d’être connectés quotidiennement, heure par heure, avec l’ensemble des pays qui composent la planète. Ils n’ignorent rien des difficultés politiques, économiques, sociales, climatiques, auxquelles sont confrontées de nombreuses nations. Ils voient sur les écrans de leur tablette, de leur smartphone, de leur portable les images terribles engendrées par la guerre, la famine, les catastrophes naturelles. Et comme beaucoup ils compatissent aux malheurs du monde, car la jeunesse est naturellement, je dirai instinctivement, généreuse. L’égoïsme sera pour plus tard, s’il survient un jour.
Mais constater qu’autour de soi, à proximité ou de façon éloignée, des gens souffrent n’a jamais été d’un grand réconfort. Mes compatriotes sénégalais sont des gens dignes et n’exposent pas au grand jour les misères dont ils sont victimes. Ils les dissimulent soigneusement. C’est leur richesse que de savoir cacher la pauvreté, de masquer la dureté des épreuves qu’ils rencontrent et s’efforcent de surmonter au jour le jour. Mais ce n’est pas pour autant qu’intérieurement ils ne ressentent pas un profond désarroi.
Dans le chapitre précédent, je faisais allusion à cette vie qui ressemble parfois à la jungle, mais il ne faut jamais oublier que dans cette jungle tous n’ont pas vocation à être des lions, et il faut donc être attentif aux personnes les plus fragiles de la société, à celles qui vivent dans la misère ou la précarité.
Lorsqu’on est soucieux du bien-être de son peuple on ne doit négliger personne, et encore moins ceux que la vie n’a pas favorisés. Personne ne doit être oublié sur le bord de la route. Tous les êtres humains, en particulier les plus pauvres, se valent et méritent notre soutien et notre bienveillance.
La vraie richesse est celle du cœur et de l’esprit, et non pas celle de son compte en banque.
Car si nous n’y prenons garde, les désillusions peuvent nourrir la révolte. L’histoire est pleine d’exemples et je ne souhaite pas que mon pays y succombe un jour. Un peuple sans espérance est un peuple qui se meurt, même s’il meurt debout.
Nous assistons déjà depuis quelques années à des soubresauts inquiétants avec l’exil d’une partie de notre jeunesse désireuse d’accéder à un avenir meilleur. Combien de nos jeunes ont tragiquement trouvé la mort en traversant le Sahel ?
Le problème de l’émigration d’une partie de nos concitoyens est devenu de plus en plus aigu au fil des années, pour devenir dramatique ces derniers temps. Les candidats au départ sont de plus en plus nombreux, même s’ils ne constituent pas ces hordes que l’Occident, l’Europe en particulier, se plaît à décrire à longueur de journaux télévisés.
Qui sont-ils, ces compatriotes attirés par la promesse de lendemains qui chantent, de jours meilleurs, d’un nouvel Eldorado ? Principalement des hommes, plus rarement des femmes. La plupart sont audacieux, car il leur faut du courage pour tout laisser derrière eux, abandonner les leurs et affronter les dangers de la route et de la traversée en mer. Ils sont ambitieux, car c’est parce qu’ils sentent qu’en restant au pays leur ambition est brimée qu’ils décident un beau jour de franchir le Rubicon, de sauter le pas.
Certains sont désespérés, sachant qu’ils n’ont plus rien à perdre, que la vie ne leur offre aucun avenir, ni familial, ni professionnel, ni patrimonial. Ils se sentent bannis, exclus dans leur propre patrie. Ils aspirent à plus de liberté. Il y a aussi des rêveurs qui imaginent leur existence comme un conte de fées et la vivent par procuration dans leur tête.
Alors un beau jour, nantis de leur baluchon et d’un pactole qu’ils ont laborieusement accumulé durant des mois, voire des années, en sollicitant la famille, des amis, ils partent pour l’aventure. Ils savent que le chemin sera long, difficile, semé d’embûches, qu’ils risquent leur vie à tout moment lors de la traversée de certains pays, victimes de pillards, de bandes qui les rançonneront. Nombre d’entre eux n’atteindront jamais la terre promise et leur cadavre, dépouillé de tout, finira dans quelque décharge, parmi les chiens errants à la carcasse famélique, avec les ordures pour seule sépulture.
D’autres connaîtront un sort comparable un peu plus loin, victimes de brigands qui les vendront pour quelques centaines d’euros à des marchands sans scrupule qui les réduiront à l’état d’esclave. Les plus chanceux parviendront peut-être à se libérer de leur chaîne au bout de plusieurs semaines, de quelques mois. Ce sera alors pour mieux se faire rançonner par des mafias de passeurs qui leur extorqueront leur maigre écot pour une traversée de la Méditerranée, mer de tous les dangers. Des dizaines de milliards sont générés par ce trafic négrier pour des milliers de morts noyés en Méditerranée.
Combien d’embarcations de fortune atteindront le rivage italien ? Avec combien de survivants à bord ? Pour nombre d’entre eux, la mer sera leur tombeau. Restera alors les autres, les survivants d’une épopée inhumaine aux allures parfois dantesques.
Stefan Zweig a écrit : « Rien peut-être ne rend plus sensible le formidable recul qu’a subi le monde depuis la Première Guerre mondiale que les restrictions apportées à la liberté […] des hommes. […] Avant 1914, la terre avait appartenu à tous les hommes. Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu’il lui plaisait. » L’humanité vivait alors sans passeport, un papier que les hommes ont inventé à l’occasion de la Première Guerre mondiale en s’engageant à le supprimer sitôt la paix revenue.
Cette promesse fut longtemps débattue, à la Société des Nations puis à l’ONU, avant d’être définitivement enterrée dans les années soixante. La libre circulation des hommes, ce droit fondamental, historique, millénaire, est devenue depuis une cinquantaine d’années une utopie. Et pourtant le nombre de migrants sur la planète est relativement stable, environ 3 % de la population mondiale, soit trois fois moins qu’au xixe siècle.
Paradoxalement, à l’heure où, dans une société mondialisée, tout circule plus vite et plus loin, l’argent, l’information, l’énergie, la culture, etc., l’homme seul connaît un frein à la circulation.
Ce problème de l’émigration sera à n’en pas douter un des grands enjeux du xxie siècle, et son traitement ne sera possible que si tous les acteurs se réunissent autour d’une table et unissent leur action, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, faute de quoi nous assisterons, impuissants, à la multiplication de drames insoutenables.
Comment peut-on rester insensible face à une telle situation, à un spectacle aussi inhumain, douloureux ? Comment peut-on accepter que nos enfants, privés d’espoir, paient un aussi lourd tribut à l’échec des politiques conduites depuis des années par des dirigeants cupides, corrompus, plus soucieux de « se servir » que de servir le pays ?
Leur sang, qui est le nôtre, a trop irrigué les routes, les fleuves, la mer avant que leur cadavre ne se dessèche au soleil ou soit immergé dans les profondeurs bleutées de la Méditerranée.
Le Sénégal, longtemps présenté comme le phare démocratique et la réussite économique de l’Afrique, a vu progressivement au fil des années sa lumière pâlir et son développement se ralentir. Et pourtant, le pays dispose d’énormes richesses naturelles qui, exploitées intelligemment, pourraient garantir un niveau de vie, un pouvoir d’achat à la population sénégalaise. Nos jeunes ont en effet démontré leur capacité d’adaptation, d’imagination, de créativité dans de nombreux domaines : culturels, industriels, artisanaux pour ne citer que ceux-là. D’autres, après de brillantes études dans des universités africaines, européennes et américaines, ont été admis au sein de l’élite intellectuelle internationale et occupent aujourd’hui des emplois prometteurs dans les domaines scientifiques, diplomatiques, financiers, économiques.
Autant dire que le Sénégal possède en lui toutes les qualités et les ressources pour offrir à ses enfants l’avenir qu’ils méritent. Et pourtant, que voyons-nous autour de nous ? De l’anxiété, des doutes, de la colère qui monte. Les personnes les plus fragiles de la société ont le sentiment d’avoir été oubliées, délaissées, abandonnées au bord du chemin. D’autres souffrent cruellement d’inégalité, de discrimination, d’absence de toute solidarité. Or, une nation est « une et indivisible » et chacun doit pouvoir bénéficier des mêmes droits, au même titre qu’il a des devoirs envers la collectivité. Les uns et les autres doivent aussi prétendre vivre en sécurité.
Le Sénégal est l’héritier d’une longue histoire. Nos prédécesseurs ont, au cours des siècles précédents, façonné le pays sous l’influence de Cheikh Ahmadou Bamba et de Maodo Malick, deux illustres guides religieux. Ils ont ouvert la voie et nous ont laissé le pays ; à charge pour nous de faire fructifier cet héritage pour les générations suivantes. Il en va du devoir des hommes politiques qui prétendent le diriger. Parmi les grands chantiers auxquels le futur chef de l’État sera confronté il y a, au-delà de la moralisation de notre vie politique et publique, de la reconnaissance du pluralisme, signe de vitalité démocratique, l’administration résolue des grands dossiers que sont l’éducation, la santé, la justice, la culture, l’environnement, la révolution numérique, les transports, pour n’en citer que quelques-uns.
Tout cela ne sera pas le fait d’un homme seul, fut-il président de la République, pas plus que de son gouvernement. Les Sénégalais dans leur ensemble doivent contribuer à ce nouveau souffle que j’appelle de mes vœux. Avec eux tout est possible, sans eux rien n’est envisageable. Pour cela nos compatriotes, hommes et femmes, jeunes comme adultes, doivent renouer avec l’optimisme, se rassembler de façon déterminée en dehors des clivages partisans et dans un souci humaniste.
Pour ma part je serai au service de tous, j’agirai avec détermination, humilité et dévouement, dans le respect de chacun, et je ne me laisserai arrêter par aucun obstacle et intimider par personne. J’en prends ici l’engagement, car je n’ai d’autre désir que d’être utile à mon pays et d’agir pour que chacun et chacune d’entre vous ait foi demain dans sa vie personnelle, familiale et professionnelle. C’est pourquoi je ne vous ferai pas de promesses, trop souvent fallacieuses, car chacun sait qu’elles n’engagent que ceux et celles qui les écoutent. Elles représentent trop souvent un catalogue d’espoirs déçus. Je me contenterai de vous proposer un chemin et de vous inviter à voyager ensemble durant le temps du quinquennat.
Et si, parce qu’il s’agira d’une décision issue du suffrage universel, vous m’élisez en février prochain, je prends d’ores et déjà l’engagement de m’interdire d’effectuer plus de deux mandats si les urnes m’étaient de nouveau favorables en 2024.
Sans chercher par un subterfuge quelconque, par exemple une modification de la constitution, à revenir sur cet engagement.
Nos dirigeants passés et actuels ont en effet eu trop tendance à confisquer le pouvoir, à vouloir se maintenir coûte que coûte aux responsabilités. Je soupçonne même certains d’avoir rêvé d’être « président à vie ». La tentation est grande en effet pour certains autocrates de vouloir « régner » plus que de « gérer » les affaires d’un pays.
Ce sont là des mœurs, des pratiques, d’un autre âge.
On a vu en effet trop de chefs d’État, à peine élus, avoir comme obsession leur réélection. Cela nuit gravement à une bonne gouvernance et aux règles d’alternance indispensables dans toute bonne démocratie.
L’émergence en question
Peu après son élection en 2012, Macky Sall a lancé son « Plan Sénégal émergent » avec un objectif : atteindre cette émergence d’ici 2035. On est loin d’atteindre ce but. La croissance est loin d’être suffisante pour faire reculer la pauvreté : plus de 54 % de nos compatriotes vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ; l’emploi, telle l’Arlésienne, se fait attendre alors que chaque année, ce sont plus de deux cent mille nouveaux arrivants qui sont enregistrés sur le marché du travail.
Or, ce n’est pas le rôle du secteur public de pourvoir à l’essentiel des embauches, mais force est de constater que le secteur privé, sur ces deux cent mille, n’en recrute que le tiers. Ainsi les PME, qui constituent 90 % de nos entreprises, ne contribuent qu’à hauteur de 30 % en matière de création d’emplois. C’est très largement insuffisant.
Certes la croissance sénégalaise a, au cours des trois dernières années, dépassé annuellement 6 %, mais le compte n’y est pas et pour créer les emplois correspondant à l’afflux des jeunes sur le marché du travail, il faudrait que celle-ci soit entre 7 et 8 %. J’ai le regret de dire que nous faisons moins bien que les pays subsahariens comparables. Rappelons aussi que 45 % de notre population a moins de quatorze ans, ce qui est un facteur d’espoir mais aussi une lourde responsabilité.
Récemment vingt-cinq chercheurs, venus de tous horizons académiques et politiques, ont passé au crible le fameux « Plan Sénégal émergent », et leur constat est loin d’être positif. Pour leur rapport, intitulé « La course à la nouvelle frontière des revenus », ils ont systématiquement comparé les données sénégalaises avec celles des champions africains que sont notamment le Kenya, qui a massivement investi dans l’énergie et l’agroalimentaire, l’île Maurice, dont on ne compte plus les innovations dans divers domaines, le Nigeria, le Cap-Vert, mais aussi l’Angola, qui a révolutionné le commerce de proximité, l’Éthiopie, le Ghana, le Mozambique, le Rwanda ou encore les Seychelles. Et les chercheurs de mettre le doigt sur les faiblesses de la politique industrielle, agricole. Ils indiquent aussi que le climat des affaires n’est pas propice à une diversification de l’économie dans les domaines du tourisme, de la pêche et de l’horticulture.
Plus grave, selon eux si le Sénégal continue à emprunter au rythme actuel, son taux d’endettement, qui atteint 59,3 % de son produit intérieur brut (PIB), dépassera les 107 % en 2020, c’est-à-dire dans deux ans.
Résultat, les chercheurs en arrivent à préconiser des mesures qui ressemblent beaucoup aux recommandations du FMI et de la Banque mondiale, ce qui est pour le moins inquiétant.
Comme les experts de l’Union africaine, je considère que nous devons être prudents en matière d’endettement, car ce sont les générations suivantes qui en supporteront le coût. La lutte contre la pauvreté ne pourra d’ailleurs se faire sans un assainissement de nos finances publiques et du système bancaire et par une meilleure collecte des impôts.
Il faudra bien aussi parler un jour de la croissance démographique, qui au Sénégal se situe à environ 3 % annuellement. C’est un sujet tabou dont personne ne veut parler, car le contrôle des naissances est politiquement incorrect dans de nombreux pays subsahariens.
En clair, plutôt que vingt-sept projets d’investissement retenus par le « Plan Sénégal émergent », il aurait été préférable d’en limiter le nombre au profit de certains, plus pertinents. Cela aurait sans doute donné plus de lisibilité aux onze réformes, depuis la gouvernance jusqu’à la protection sociale, qui ont été conduites depuis 2012.
Diamniadio, le miroir aux alouettes ?
Ne dit-on pas que l’enfer est peuplé de bonnes intentions ? Le pôle urbain de Diamniadio est une de celles-là. Il s’agit là d’un des projets phares du PSE établi à partir du constat que le développement de Dakar était arrivé au bord de l’explosion. Et aussi que la capitale enregistrait un sérieux déficit de logements, environ cent cinquante mille selon le ministère du Renouveau urbain.
L’idée était donc louable, la réalisation l’est moins. À l’origine, le projet consistait à créer quarante mille logements, maisons et appartements, pouvant accueillir trois cent mille habitants.
En visitant le vaste chantier, l’étranger a presque le sentiment de se retrouver à Dubaï, mais très vite on s’aperçoit qu’on est plus proche du village Potemkine, du nom de ce ministre russe qui, en 1787, avait érigé des façades en carton-pâte afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée.
Certes, certains ouvrages sont somptueux, mais on a très vite le sentiment que ce pôle urbain a été pensé au mépris des populations autochtones. Ce qui fait qu’à côté d’une ville de haut standing, avec des hôtels 5 étoiles, des terrains de golf et des bâtiments administratifs, on trouve une ville pauvre avec ses rues en latérite et ses maisons en zinc.
Plus grave est le choix de l’emplacement de ce pôle urbain. Sa proximité avec Dakar donne le sentiment qu’il n’est qu’une excroissance de la capitale. Il n’y a pratiquement pas de rupture de continuité urbaine entre le centre-ville de Dakar et Diamniadio. On aurait voulu étouffer davantage la capitale qu’on n’aurait pas pu faire mieux.
On dirait que les promoteurs de ce projet ont oublié qu’avec Dakar, un quart de la population sénégalaise vit sur seulement 0,57 % du territoire national.
On peut d’ores et déjà s’attendre à de gigantesques embouteillages à la sortie de Dakar, et ce n’est là qu’un inconvénient mineur, mais qui posera pourtant bien des tracas aux automobilistes.
Il me faudrait aussi parler de la qualité du sol, jugé instable, qui exige des équipements particuliers et une technicité complexe, donc coûteuse, pour ériger des bâtiments en hauteur en toute sécurité.
Par ailleurs, du fait même du caractère pharaonique du projet, qu’on pourrait qualifier de folie des grandeurs, on risque de faire demain de Diamniadio un ghetto réservé aux riches. Loin de la mixité sociale qui aurait été souhaitable, on a, au contraire, provoqué une forme de ségrégation, les pauvres s’en trouvant de facto exclus en raison des prix pratiqués.
En raison de leur coût, les logements sont en effet inaccessibles à la population moyenne, et ne parlons pas des couches défavorisées, ce qui est socialement profondément injuste.
Quand on connaît le revenu moyen au Sénégal, il y a quelque part de la démesure dans ces gratte-ciels, ces équipements de dernière génération, je dirais même de la provocation.
Il reste à espérer que Diamniadio ne se révélera pas à l’avenir un de ces « éléphants blancs » dont notre continent est familier, à savoir des projets sans lendemain, non aboutis.
Certes, il était urgent et essentiel de trouver une solution à la métropolisation grandissante de Dakar, à la disparition de ses espaces verts, à l’avancement de la mer. La capitale n’en peut plus de sa centrale à charbon, de sa cimenterie et de certaines industries polluantes néfastes à l’environnement qui font que la ville connaît le plus fort taux de tuberculeux au Sénégal.
Malheureusement, non loin de Diamniadio les règles ne sont pas davantage respectées, qu’il s’agisse de la forêt de Sebikotane ou de la zone maraîchère de Lendeng, de la cité Tobago ou encore du littoral et de la bande des Filaos.
Il y a tout lieu de craindre que ce nouveau pôle urbain soit le miroir aux alouettes de Macky Sall et, plutôt que de se lancer dans une telle aventure peut-être aurait-il mieux valu renforcer le rôle des villes secondaires, mais c’est là une autre histoire. Celle d’une véritable politique d’aménagement du territoire, une planification nationale où Diamniadio n’aurait pas eu sa place.
Il y a eu trop souvent par le passé des opérations, destinées à satisfaire l’ego de dirigeants en mal de laisser leur nom à la postérité, qui se sont révélées de véritables fiascos. Des opérations qui, au final, ont été une véritable gabegie pour le trésor et l’économie sénégalais.
Le chef de l’État, mais aussi les ministres ainsi que les hauts fonctionnaires, a le devoir d’être scrupuleux quant à l’emploi de l’argent des contribuables.
Un autre avenir pour un nouveau souffle
« L’Afrique produit toujours quelque chose de nouveau. » « Out of Africa always something new. »
En février 2019, les électeurs sénégalais auront à choisir leur futur président de la République. Le chef d’État actuel, Macky Sall, est candidat à sa propre succession, mais outre que le pays éprouve un besoin de changement, en particulier au niveau de ses dirigeants, je considère que sa réélection serait une mauvaise chose pour le Sénégal. J’aurai l’occasion de m’en expliquer largement dans les pages qui suivent.
C’est pour cette raison qu’en septembre 2017, avec des compatriotes, j’ai décidé de créer un mouvement, et non un énième parti politique, dénommé Un Autre Avenir. Le choix de ce titre en dit long sur notre objectif et ma volonté d’offrir aux Sénégalaises et aux Sénégalais un futur différent de celui auquel ils sont promis avec l’équipe actuellement au pouvoir. Il n’a pas été choisi à la légère, car il porte en lui les germes de l’espérance pour notre peuple et en particulier les plus jeunes d’entre nous. La génération des quinze, vingt ans, voit son horizon bouché, sans perspectives personnelle et professionnelle. Elle est désenchantée, frustrée, ne voyant aucune solution réelle se dessiner pour les prochaines décennies. Mais à la différence de leurs aînés, les jeunes des années 2020 n’entendent pas se résigner, ne veulent pas sombrer dans le fatalisme.
La télévision, internet, les réseaux sociaux, les voyages, leur permettent aujourd’hui d’être connectés quotidiennement, heure par heure, avec l’ensemble des pays qui composent la planète. Ils n’ignorent rien des difficultés politiques, économiques, sociales, climatiques, auxquelles sont confrontées de nombreuses nations. Ils voient sur les écrans de leur tablette, de leur smartphone, de leur portable les images terribles engendrées par la guerre, la famine, les catastrophes naturelles. Et comme beaucoup ils compatissent aux malheurs du monde, car la jeunesse est naturellement, je dirai instinctivement, généreuse. L’égoïsme sera pour plus tard, s’il survient un jour.
Mais constater qu’autour de soi, à proximité ou de façon éloignée, des gens souffrent n’a jamais été d’un grand réconfort. Mes compatriotes sénégalais sont des gens dignes et n’exposent pas au grand jour les misères dont ils sont victimes. Ils les dissimulent soigneusement. C’est leur richesse que de savoir cacher la pauvreté, de masquer la dureté des épreuves qu’ils rencontrent et s’efforcent de surmonter au jour le jour. Mais ce n’est pas pour autant qu’intérieurement ils ne ressentent pas un profond désarroi.
Dans le chapitre précédent, je faisais allusion à cette vie qui ressemble parfois à la jungle, mais il ne faut jamais oublier que dans cette jungle tous n’ont pas vocation à être des lions, et il faut donc être attentif aux personnes les plus fragiles de la société, à celles qui vivent dans la misère ou la précarité.
Lorsqu’on est soucieux du bien-être de son peuple on ne doit négliger personne, et encore moins ceux que la vie n’a pas favorisés. Personne ne doit être oublié sur le bord de la route. Tous les êtres humains, en particulier les plus pauvres, se valent et méritent notre soutien et notre bienveillance.
La vraie richesse est celle du cœur et de l’esprit, et non pas celle de son compte en banque.
Car si nous n’y prenons garde, les désillusions peuvent nourrir la révolte. L’histoire est pleine d’exemples et je ne souhaite pas que mon pays y succombe un jour. Un peuple sans espérance est un peuple qui se meurt, même s’il meurt debout.
Nous assistons déjà depuis quelques années à des soubresauts inquiétants avec l’exil d’une partie de notre jeunesse désireuse d’accéder à un avenir meilleur. Combien de nos jeunes ont tragiquement trouvé la mort en traversant le Sahel ?
Le problème de l’émigration d’une partie de nos concitoyens est devenu de plus en plus aigu au fil des années, pour devenir dramatique ces derniers temps. Les candidats au départ sont de plus en plus nombreux, même s’ils ne constituent pas ces hordes que l’Occident, l’Europe en particulier, se plaît à décrire à longueur de journaux télévisés.
Qui sont-ils, ces compatriotes attirés par la promesse de lendemains qui chantent, de jours meilleurs, d’un nouvel Eldorado ? Principalement des hommes, plus rarement des femmes. La plupart sont audacieux, car il leur faut du courage pour tout laisser derrière eux, abandonner les leurs et affronter les dangers de la route et de la traversée en mer. Ils sont ambitieux, car c’est parce qu’ils sentent qu’en restant au pays leur ambition est brimée qu’ils décident un beau jour de franchir le Rubicon, de sauter le pas.
Certains sont désespérés, sachant qu’ils n’ont plus rien à perdre, que la vie ne leur offre aucun avenir, ni familial, ni professionnel, ni patrimonial. Ils se sentent bannis, exclus dans leur propre patrie. Ils aspirent à plus de liberté. Il y a aussi des rêveurs qui imaginent leur existence comme un conte de fées et la vivent par procuration dans leur tête.
Alors un beau jour, nantis de leur baluchon et d’un pactole qu’ils ont laborieusement accumulé durant des mois, voire des années, en sollicitant la famille, des amis, ils partent pour l’aventure. Ils savent que le chemin sera long, difficile, semé d’embûches, qu’ils risquent leur vie à tout moment lors de la traversée de certains pays, victimes de pillards, de bandes qui les rançonneront. Nombre d’entre eux n’atteindront jamais la terre promise et leur cadavre, dépouillé de tout, finira dans quelque décharge, parmi les chiens errants à la carcasse famélique, avec les ordures pour seule sépulture.
D’autres connaîtront un sort comparable un peu plus loin, victimes de brigands qui les vendront pour quelques centaines d’euros à des marchands sans scrupule qui les réduiront à l’état d’esclave. Les plus chanceux parviendront peut-être à se libérer de leur chaîne au bout de plusieurs semaines, de quelques mois. Ce sera alors pour mieux se faire rançonner par des mafias de passeurs qui leur extorqueront leur maigre écot pour une traversée de la Méditerranée, mer de tous les dangers. Des dizaines de milliards sont générés par ce trafic négrier pour des milliers de morts noyés en Méditerranée.
Combien d’embarcations de fortune atteindront le rivage italien ? Avec combien de survivants à bord ? Pour nombre d’entre eux, la mer sera leur tombeau. Restera alors les autres, les survivants d’une épopée inhumaine aux allures parfois dantesques.
Stefan Zweig a écrit : « Rien peut-être ne rend plus sensible le formidable recul qu’a subi le monde depuis la Première Guerre mondiale que les restrictions apportées à la liberté […] des hommes. […] Avant 1914, la terre avait appartenu à tous les hommes. Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu’il lui plaisait. » L’humanité vivait alors sans passeport, un papier que les hommes ont inventé à l’occasion de la Première Guerre mondiale en s’engageant à le supprimer sitôt la paix revenue.
Cette promesse fut longtemps débattue, à la Société des Nations puis à l’ONU, avant d’être définitivement enterrée dans les années soixante. La libre circulation des hommes, ce droit fondamental, historique, millénaire, est devenue depuis une cinquantaine d’années une utopie. Et pourtant le nombre de migrants sur la planète est relativement stable, environ 3 % de la population mondiale, soit trois fois moins qu’au xixe siècle.
Paradoxalement, à l’heure où, dans une société mondialisée, tout circule plus vite et plus loin, l’argent, l’information, l’énergie, la culture, etc., l’homme seul connaît un frein à la circulation.
Ce problème de l’émigration sera à n’en pas douter un des grands enjeux du xxie siècle, et son traitement ne sera possible que si tous les acteurs se réunissent autour d’une table et unissent leur action, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, faute de quoi nous assisterons, impuissants, à la multiplication de drames insoutenables.
Comment peut-on rester insensible face à une telle situation, à un spectacle aussi inhumain, douloureux ? Comment peut-on accepter que nos enfants, privés d’espoir, paient un aussi lourd tribut à l’échec des politiques conduites depuis des années par des dirigeants cupides, corrompus, plus soucieux de « se servir » que de servir le pays ?
Leur sang, qui est le nôtre, a trop irrigué les routes, les fleuves, la mer avant que leur cadavre ne se dessèche au soleil ou soit immergé dans les profondeurs bleutées de la Méditerranée.
Le Sénégal, longtemps présenté comme le phare démocratique et la réussite économique de l’Afrique, a vu progressivement au fil des années sa lumière pâlir et son développement se ralentir. Et pourtant, le pays dispose d’énormes richesses naturelles qui, exploitées intelligemment, pourraient garantir un niveau de vie, un pouvoir d’achat à la population sénégalaise. Nos jeunes ont en effet démontré leur capacité d’adaptation, d’imagination, de créativité dans de nombreux domaines : culturels, industriels, artisanaux pour ne citer que ceux-là. D’autres, après de brillantes études dans des universités africaines, européennes et américaines, ont été admis au sein de l’élite intellectuelle internationale et occupent aujourd’hui des emplois prometteurs dans les domaines scientifiques, diplomatiques, financiers, économiques.
Autant dire que le Sénégal possède en lui toutes les qualités et les ressources pour offrir à ses enfants l’avenir qu’ils méritent. Et pourtant, que voyons-nous autour de nous ? De l’anxiété, des doutes, de la colère qui monte. Les personnes les plus fragiles de la société ont le sentiment d’avoir été oubliées, délaissées, abandonnées au bord du chemin. D’autres souffrent cruellement d’inégalité, de discrimination, d’absence de toute solidarité. Or, une nation est « une et indivisible » et chacun doit pouvoir bénéficier des mêmes droits, au même titre qu’il a des devoirs envers la collectivité. Les uns et les autres doivent aussi prétendre vivre en sécurité.
Le Sénégal est l’héritier d’une longue histoire. Nos prédécesseurs ont, au cours des siècles précédents, façonné le pays sous l’influence de Cheikh Ahmadou Bamba et de Maodo Malick, deux illustres guides religieux. Ils ont ouvert la voie et nous ont laissé le pays ; à charge pour nous de faire fructifier cet héritage pour les générations suivantes. Il en va du devoir des hommes politiques qui prétendent le diriger. Parmi les grands chantiers auxquels le futur chef de l’État sera confronté il y a, au-delà de la moralisation de notre vie politique et publique, de la reconnaissance du pluralisme, signe de vitalité démocratique, l’administration résolue des grands dossiers que sont l’éducation, la santé, la justice, la culture, l’environnement, la révolution numérique, les transports, pour n’en citer que quelques-uns.
Tout cela ne sera pas le fait d’un homme seul, fut-il président de la République, pas plus que de son gouvernement. Les Sénégalais dans leur ensemble doivent contribuer à ce nouveau souffle que j’appelle de mes vœux. Avec eux tout est possible, sans eux rien n’est envisageable. Pour cela nos compatriotes, hommes et femmes, jeunes comme adultes, doivent renouer avec l’optimisme, se rassembler de façon déterminée en dehors des clivages partisans et dans un souci humaniste.
Pour ma part je serai au service de tous, j’agirai avec détermination, humilité et dévouement, dans le respect de chacun, et je ne me laisserai arrêter par aucun obstacle et intimider par personne. J’en prends ici l’engagement, car je n’ai d’autre désir que d’être utile à mon pays et d’agir pour que chacun et chacune d’entre vous ait foi demain dans sa vie personnelle, familiale et professionnelle. C’est pourquoi je ne vous ferai pas de promesses, trop souvent fallacieuses, car chacun sait qu’elles n’engagent que ceux et celles qui les écoutent. Elles représentent trop souvent un catalogue d’espoirs déçus. Je me contenterai de vous proposer un chemin et de vous inviter à voyager ensemble durant le temps du quinquennat.
Et si, parce qu’il s’agira d’une décision issue du suffrage universel, vous m’élisez en février prochain, je prends d’ores et déjà l’engagement de m’interdire d’effectuer plus de deux mandats si les urnes m’étaient de nouveau favorables en 2024.
Sans chercher par un subterfuge quelconque, par exemple une modification de la constitution, à revenir sur cet engagement.
Nos dirigeants passés et actuels ont en effet eu trop tendance à confisquer le pouvoir, à vouloir se maintenir coûte que coûte aux responsabilités. Je soupçonne même certains d’avoir rêvé d’être « président à vie ». La tentation est grande en effet pour certains autocrates de vouloir « régner » plus que de « gérer » les affaires d’un pays.
Ce sont là des mœurs, des pratiques, d’un autre âge.
On a vu en effet trop de chefs d’État, à peine élus, avoir comme obsession leur réélection. Cela nuit gravement à une bonne gouvernance et aux règles d’alternance indispensables dans toute bonne démocratie.
L’émergence en question
Peu après son élection en 2012, Macky Sall a lancé son « Plan Sénégal émergent » avec un objectif : atteindre cette émergence d’ici 2035. On est loin d’atteindre ce but. La croissance est loin d’être suffisante pour faire reculer la pauvreté : plus de 54 % de nos compatriotes vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ; l’emploi, telle l’Arlésienne, se fait attendre alors que chaque année, ce sont plus de deux cent mille nouveaux arrivants qui sont enregistrés sur le marché du travail.
Or, ce n’est pas le rôle du secteur public de pourvoir à l’essentiel des embauches, mais force est de constater que le secteur privé, sur ces deux cent mille, n’en recrute que le tiers. Ainsi les PME, qui constituent 90 % de nos entreprises, ne contribuent qu’à hauteur de 30 % en matière de création d’emplois. C’est très largement insuffisant.
Certes la croissance sénégalaise a, au cours des trois dernières années, dépassé annuellement 6 %, mais le compte n’y est pas et pour créer les emplois correspondant à l’afflux des jeunes sur le marché du travail, il faudrait que celle-ci soit entre 7 et 8 %. J’ai le regret de dire que nous faisons moins bien que les pays subsahariens comparables. Rappelons aussi que 45 % de notre population a moins de quatorze ans, ce qui est un facteur d’espoir mais aussi une lourde responsabilité.
Récemment vingt-cinq chercheurs, venus de tous horizons académiques et politiques, ont passé au crible le fameux « Plan Sénégal émergent », et leur constat est loin d’être positif. Pour leur rapport, intitulé « La course à la nouvelle frontière des revenus », ils ont systématiquement comparé les données sénégalaises avec celles des champions africains que sont notamment le Kenya, qui a massivement investi dans l’énergie et l’agroalimentaire, l’île Maurice, dont on ne compte plus les innovations dans divers domaines, le Nigeria, le Cap-Vert, mais aussi l’Angola, qui a révolutionné le commerce de proximité, l’Éthiopie, le Ghana, le Mozambique, le Rwanda ou encore les Seychelles. Et les chercheurs de mettre le doigt sur les faiblesses de la politique industrielle, agricole. Ils indiquent aussi que le climat des affaires n’est pas propice à une diversification de l’économie dans les domaines du tourisme, de la pêche et de l’horticulture.
Plus grave, selon eux si le Sénégal continue à emprunter au rythme actuel, son taux d’endettement, qui atteint 59,3 % de son produit intérieur brut (PIB), dépassera les 107 % en 2020, c’est-à-dire dans deux ans.
Résultat, les chercheurs en arrivent à préconiser des mesures qui ressemblent beaucoup aux recommandations du FMI et de la Banque mondiale, ce qui est pour le moins inquiétant.
Comme les experts de l’Union africaine, je considère que nous devons être prudents en matière d’endettement, car ce sont les générations suivantes qui en supporteront le coût. La lutte contre la pauvreté ne pourra d’ailleurs se faire sans un assainissement de nos finances publiques et du système bancaire et par une meilleure collecte des impôts.
Il faudra bien aussi parler un jour de la croissance démographique, qui au Sénégal se situe à environ 3 % annuellement. C’est un sujet tabou dont personne ne veut parler, car le contrôle des naissances est politiquement incorrect dans de nombreux pays subsahariens.
En clair, plutôt que vingt-sept projets d’investissement retenus par le « Plan Sénégal émergent », il aurait été préférable d’en limiter le nombre au profit de certains, plus pertinents. Cela aurait sans doute donné plus de lisibilité aux onze réformes, depuis la gouvernance jusqu’à la protection sociale, qui ont été conduites depuis 2012.
Diamniadio, le miroir aux alouettes ?
Ne dit-on pas que l’enfer est peuplé de bonnes intentions ? Le pôle urbain de Diamniadio est une de celles-là. Il s’agit là d’un des projets phares du PSE établi à partir du constat que le développement de Dakar était arrivé au bord de l’explosion. Et aussi que la capitale enregistrait un sérieux déficit de logements, environ cent cinquante mille selon le ministère du Renouveau urbain.
L’idée était donc louable, la réalisation l’est moins. À l’origine, le projet consistait à créer quarante mille logements, maisons et appartements, pouvant accueillir trois cent mille habitants.
En visitant le vaste chantier, l’étranger a presque le sentiment de se retrouver à Dubaï, mais très vite on s’aperçoit qu’on est plus proche du village Potemkine, du nom de ce ministre russe qui, en 1787, avait érigé des façades en carton-pâte afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée.
Certes, certains ouvrages sont somptueux, mais on a très vite le sentiment que ce pôle urbain a été pensé au mépris des populations autochtones. Ce qui fait qu’à côté d’une ville de haut standing, avec des hôtels 5 étoiles, des terrains de golf et des bâtiments administratifs, on trouve une ville pauvre avec ses rues en latérite et ses maisons en zinc.
Plus grave est le choix de l’emplacement de ce pôle urbain. Sa proximité avec Dakar donne le sentiment qu’il n’est qu’une excroissance de la capitale. Il n’y a pratiquement pas de rupture de continuité urbaine entre le centre-ville de Dakar et Diamniadio. On aurait voulu étouffer davantage la capitale qu’on n’aurait pas pu faire mieux.
On dirait que les promoteurs de ce projet ont oublié qu’avec Dakar, un quart de la population sénégalaise vit sur seulement 0,57 % du territoire national.
On peut d’ores et déjà s’attendre à de gigantesques embouteillages à la sortie de Dakar, et ce n’est là qu’un inconvénient mineur, mais qui posera pourtant bien des tracas aux automobilistes.
Il me faudrait aussi parler de la qualité du sol, jugé instable, qui exige des équipements particuliers et une technicité complexe, donc coûteuse, pour ériger des bâtiments en hauteur en toute sécurité.
Par ailleurs, du fait même du caractère pharaonique du projet, qu’on pourrait qualifier de folie des grandeurs, on risque de faire demain de Diamniadio un ghetto réservé aux riches. Loin de la mixité sociale qui aurait été souhaitable, on a, au contraire, provoqué une forme de ségrégation, les pauvres s’en trouvant de facto exclus en raison des prix pratiqués.
En raison de leur coût, les logements sont en effet inaccessibles à la population moyenne, et ne parlons pas des couches défavorisées, ce qui est socialement profondément injuste.
Quand on connaît le revenu moyen au Sénégal, il y a quelque part de la démesure dans ces gratte-ciels, ces équipements de dernière génération, je dirais même de la provocation.
Il reste à espérer que Diamniadio ne se révélera pas à l’avenir un de ces « éléphants blancs » dont notre continent est familier, à savoir des projets sans lendemain, non aboutis.
Certes, il était urgent et essentiel de trouver une solution à la métropolisation grandissante de Dakar, à la disparition de ses espaces verts, à l’avancement de la mer. La capitale n’en peut plus de sa centrale à charbon, de sa cimenterie et de certaines industries polluantes néfastes à l’environnement qui font que la ville connaît le plus fort taux de tuberculeux au Sénégal.
Malheureusement, non loin de Diamniadio les règles ne sont pas davantage respectées, qu’il s’agisse de la forêt de Sebikotane ou de la zone maraîchère de Lendeng, de la cité Tobago ou encore du littoral et de la bande des Filaos.
Il y a tout lieu de craindre que ce nouveau pôle urbain soit le miroir aux alouettes de Macky Sall et, plutôt que de se lancer dans une telle aventure peut-être aurait-il mieux valu renforcer le rôle des villes secondaires, mais c’est là une autre histoire. Celle d’une véritable politique d’aménagement du territoire, une planification nationale où Diamniadio n’aurait pas eu sa place.
Il y a eu trop souvent par le passé des opérations, destinées à satisfaire l’ego de dirigeants en mal de laisser leur nom à la postérité, qui se sont révélées de véritables fiascos. Des opérations qui, au final, ont été une véritable gabegie pour le trésor et l’économie sénégalais.
Le chef de l’État, mais aussi les ministres ainsi que les hauts fonctionnaires, a le devoir d’être scrupuleux quant à l’emploi de l’argent des contribuables.