Après condamnation de leur client, les avocats de Karim Wade décide de se pourvoir en Cassation. Que peut-on attendre de ce pourvoi ?
C’est leur droit, c’est la voie de recours qui leur est ouverte. Mais le pourvoi en Cassation n’as pas d’effet suspensif. Ce serait même absurde qu’un pourvoi en Cassation ait un caractère suspensif. La seule hypothèse où le pourvoi en Cassation, et ça c’est du passé, pouvait être suspensif, c’est dans le cas d’une condamnation à une peine de mort. Lorsque l’on condamne une personne à la mort, si elle introduit un pourvoi en Cassation, ce pourvoi là devient suspensif de l’exécution de la peine de mort, mais la personne reste en prison. Autrement, ce serait un paradoxe car si on tue la personne et qu’après la Cour de cassation casse la décision, vous voyez ce que cela donne.
Donc, si une personne condamnée introduit un pourvoi en Cassation, son pourvoi n’est pas suspensif. Et, la Cour de cassation ne juge pas les faits. Elle juge de la légalité de la décision querellée. Donc, à supposer que la Cour de cassation estime que la décision de la Crei n’est pas conforme au droit, elle va casser, annuler cette décision. Mais, ce n’est pas pour se substituer à la Crei, elle va renvoyer à la même Crei autrement composée, donc ce sera d’autres juges, pour statuer à nouveau.
Le juge a rendu une décision motivée. Quelle analyse faites-vous de cette décision ?
Je n'ai pas vu la décision de justice rendue. Le verdict, je ne fais pas de commentaire là-dessus en ce sens que le juge, suivant son intime conviction, lorsqu’il estime que la personne poursuivie est coupable, rend une décision motivée. Il fixe la peine en fonction du degré de culpabilité, il y a donc une proportionnalité entre la peine prononcée et le degré de culpabilité de la personne poursuivie. Mais ce n’est pas ça le plus important.
C’est quoi alors le plus important ?
Le plus important à mes yeux, ce sont les propos tenus à l’encontre de la juridiction elle-même à savoir la Crei notamment sur deux questions: la première étant relative au prétendu renversement de la charge de la preuve et la seconde question portant sur l’inexistence du principe de double degré de juridiction. Alors sur le premier point, je voudrais d’abord préciser que, et ça c’est important, la question de la charge de la preuve est une question résiduelle en ce sens qu’elle ne se pose que dans l’hypothèse où la conviction du juge n’est ni dans un sens ni dans un autre. Il ne sait pas qui a raison, qui a tort. C’est en ce moment qu’il va se demander alors qui avait la charge de la preuve pour lui faire perdre le procès.
Lorsqu’on interroge le fondement de la charge de la preuve, on dit généralement qu’elle incombe au demandeur et donc, en matière pénale, au procureur de la République, pour la Crei au procureur spécial parce que c’est lui qui est demandeur à l’action. Mais si on interroge le fondement, c’est que la charge de la preuve repose sur l’idée que, lorsqu’il y a une situation d’apparence, on doit considérer que cette apparence là correspond à la réalité. Par exemple, en apparence, je ne vous dois rien, vous ne me devez rien. On doit considérer que cette apparence là correspond à la réalité. Si vous soutenez que moi je vous dois quelque chose, vous allez à l’encontre de l’apparence, il vous appartient à vous d’apporter la preuve, la réalité, elle est autre.
En matière d’enrichissement illicite, il y a d’abord une enquête de patrimoine qui établit que votre patrimoine ou votre train de vie est sans commune mesure avec les revenus légaux que l’on vous connait. Donc il y a une apparence d’enrichissement. Alors, si on doit donc faire une preuve, c’est à celui qui conteste l’enrichissement illicite de rapporter la preuve de l’origine licite du patrimoine ou du train de vie.
Donc dans ce cas ce sera au prévenu de prouver ?
Oui ! Et il s’y ajoute, si on analyse la dénomination même légale de l’infraction d’enrichissement illicite, vous avez-là un adjectif qualificatif illicite qui comporte un préfixe privatif «il». En grammaire, la fonction du préfixe privatif est de rendre négatif l’acte ou le fait qu’il qualifie. Dans l’enrichissement illicite, le préfixe «il» a pour fonction grammaticale de rendre négatif le fait qu’il qualifie: l’enrichissement. C’est le grammairien qui parle.
Quant au logicien, il sait qu’on ne peut pas rapporter la preuve directe d’un fait négatif. La preuve d’un fait négatif ne peut résulter que de la preuve d’un fait positif contraire. Exemple: je ne peux pas prouver que je ne suis pas à Thiès (fait négatif), mais je peux prouver que je suis à Dakar, fait positif d’où l’on déduira que je ne suis pas à Thiès.
Alors, enrichissement illicite c’est un fait négatif, on ne peut pas en rapporter la preuve directe. Ce qui est possible, c’est de faire la preuve du fait positif contraire: l’enrichissement licite, l’origine licite des biens. Et, celui qui peut faire cette preuve là de l’origine licite, c’est l’auteur de l’enrichissement. Ce n’est pas compliqué, c’est à lui d’en rapporter la preuve. Donc on ne peut pas dire qu’il y a un renversement de la charge de la preuve. Cela n’est pas vrai. Si l’on connait le fondement logique de l’attribution de la charge de la preuve, on ne peut pas dire qu’il y a, dans le cas de l’enrichissement illicite, un renversement de la charge de la preuve. C’est faux.
La seconde question c’est l’absence du principe de double degré de juridiction considérée par certains comme une atteinte aux droits de la défense…
Sur l’absence du principe du double degré de juridiction interdisant donc la voie de l’Appel, je voudrais d’abord faire observer qu’il y a plein de juridictions, jusqu’au Tribunal départemental qui est la juridiction la plus inférieure, qui peuvent, en certaines matières, statuer en premier et dernier ressort, sans possibilité d’Appel, la seule voie de recours étant le pourvoi en Cassation. Mais le plus important sur cette question, c’est que le principe du double degré de juridiction n’est pas un principe constitutionnel. Vous allez lire la Constitution, vous n’allez jamais voire là-dans le principe du double degré de juridiction. Ce principe est posé par une loi ordinaire, en l’occurrence, le Code de procédure pénale. Et, ce qu’une loi ordinaire a fait, une autre loi ordinaire peut le défaire. Non seulement ce n’est pas une particularité de la Crei qu’il n’y ait pas le double degré de juridiction mais encore, et c’est cela le plus important, c’est que le principe du double degré de juridiction n’est pas un principe constitutionnel. Donc il n’y a pas d’atteinte aux droits de la défense.
Et, pour terminer, je voudrais dire que la Cour de répression de l’enrichissement illicite qui a été perçue comme étant une juridiction spéciale n’est pas une juridiction spéciale. Elle n’est spéciale ni dans sa création, ni dans sa formation, ni dans les règles de procédure applicable devant elle. C’est seulement une juridiction spécialisée sur une matière donnée, mais elle n’a rien de spécial. C’est une juridiction qui fonctionne exactement comme fonctionne le Tribunal correctionnel ou la Cour d’appel ou la Cour d’assises. Il n’y a rien de spécial dans cette juridiction, elle est seulement spécialisée dans une matière à savoir la répression de l’enrichissement illicite et des délits connexes.
Sud Quotidien
C’est leur droit, c’est la voie de recours qui leur est ouverte. Mais le pourvoi en Cassation n’as pas d’effet suspensif. Ce serait même absurde qu’un pourvoi en Cassation ait un caractère suspensif. La seule hypothèse où le pourvoi en Cassation, et ça c’est du passé, pouvait être suspensif, c’est dans le cas d’une condamnation à une peine de mort. Lorsque l’on condamne une personne à la mort, si elle introduit un pourvoi en Cassation, ce pourvoi là devient suspensif de l’exécution de la peine de mort, mais la personne reste en prison. Autrement, ce serait un paradoxe car si on tue la personne et qu’après la Cour de cassation casse la décision, vous voyez ce que cela donne.
Donc, si une personne condamnée introduit un pourvoi en Cassation, son pourvoi n’est pas suspensif. Et, la Cour de cassation ne juge pas les faits. Elle juge de la légalité de la décision querellée. Donc, à supposer que la Cour de cassation estime que la décision de la Crei n’est pas conforme au droit, elle va casser, annuler cette décision. Mais, ce n’est pas pour se substituer à la Crei, elle va renvoyer à la même Crei autrement composée, donc ce sera d’autres juges, pour statuer à nouveau.
Le juge a rendu une décision motivée. Quelle analyse faites-vous de cette décision ?
Je n'ai pas vu la décision de justice rendue. Le verdict, je ne fais pas de commentaire là-dessus en ce sens que le juge, suivant son intime conviction, lorsqu’il estime que la personne poursuivie est coupable, rend une décision motivée. Il fixe la peine en fonction du degré de culpabilité, il y a donc une proportionnalité entre la peine prononcée et le degré de culpabilité de la personne poursuivie. Mais ce n’est pas ça le plus important.
C’est quoi alors le plus important ?
Le plus important à mes yeux, ce sont les propos tenus à l’encontre de la juridiction elle-même à savoir la Crei notamment sur deux questions: la première étant relative au prétendu renversement de la charge de la preuve et la seconde question portant sur l’inexistence du principe de double degré de juridiction. Alors sur le premier point, je voudrais d’abord préciser que, et ça c’est important, la question de la charge de la preuve est une question résiduelle en ce sens qu’elle ne se pose que dans l’hypothèse où la conviction du juge n’est ni dans un sens ni dans un autre. Il ne sait pas qui a raison, qui a tort. C’est en ce moment qu’il va se demander alors qui avait la charge de la preuve pour lui faire perdre le procès.
Lorsqu’on interroge le fondement de la charge de la preuve, on dit généralement qu’elle incombe au demandeur et donc, en matière pénale, au procureur de la République, pour la Crei au procureur spécial parce que c’est lui qui est demandeur à l’action. Mais si on interroge le fondement, c’est que la charge de la preuve repose sur l’idée que, lorsqu’il y a une situation d’apparence, on doit considérer que cette apparence là correspond à la réalité. Par exemple, en apparence, je ne vous dois rien, vous ne me devez rien. On doit considérer que cette apparence là correspond à la réalité. Si vous soutenez que moi je vous dois quelque chose, vous allez à l’encontre de l’apparence, il vous appartient à vous d’apporter la preuve, la réalité, elle est autre.
En matière d’enrichissement illicite, il y a d’abord une enquête de patrimoine qui établit que votre patrimoine ou votre train de vie est sans commune mesure avec les revenus légaux que l’on vous connait. Donc il y a une apparence d’enrichissement. Alors, si on doit donc faire une preuve, c’est à celui qui conteste l’enrichissement illicite de rapporter la preuve de l’origine licite du patrimoine ou du train de vie.
Donc dans ce cas ce sera au prévenu de prouver ?
Oui ! Et il s’y ajoute, si on analyse la dénomination même légale de l’infraction d’enrichissement illicite, vous avez-là un adjectif qualificatif illicite qui comporte un préfixe privatif «il». En grammaire, la fonction du préfixe privatif est de rendre négatif l’acte ou le fait qu’il qualifie. Dans l’enrichissement illicite, le préfixe «il» a pour fonction grammaticale de rendre négatif le fait qu’il qualifie: l’enrichissement. C’est le grammairien qui parle.
Quant au logicien, il sait qu’on ne peut pas rapporter la preuve directe d’un fait négatif. La preuve d’un fait négatif ne peut résulter que de la preuve d’un fait positif contraire. Exemple: je ne peux pas prouver que je ne suis pas à Thiès (fait négatif), mais je peux prouver que je suis à Dakar, fait positif d’où l’on déduira que je ne suis pas à Thiès.
Alors, enrichissement illicite c’est un fait négatif, on ne peut pas en rapporter la preuve directe. Ce qui est possible, c’est de faire la preuve du fait positif contraire: l’enrichissement licite, l’origine licite des biens. Et, celui qui peut faire cette preuve là de l’origine licite, c’est l’auteur de l’enrichissement. Ce n’est pas compliqué, c’est à lui d’en rapporter la preuve. Donc on ne peut pas dire qu’il y a un renversement de la charge de la preuve. Cela n’est pas vrai. Si l’on connait le fondement logique de l’attribution de la charge de la preuve, on ne peut pas dire qu’il y a, dans le cas de l’enrichissement illicite, un renversement de la charge de la preuve. C’est faux.
La seconde question c’est l’absence du principe de double degré de juridiction considérée par certains comme une atteinte aux droits de la défense…
Sur l’absence du principe du double degré de juridiction interdisant donc la voie de l’Appel, je voudrais d’abord faire observer qu’il y a plein de juridictions, jusqu’au Tribunal départemental qui est la juridiction la plus inférieure, qui peuvent, en certaines matières, statuer en premier et dernier ressort, sans possibilité d’Appel, la seule voie de recours étant le pourvoi en Cassation. Mais le plus important sur cette question, c’est que le principe du double degré de juridiction n’est pas un principe constitutionnel. Vous allez lire la Constitution, vous n’allez jamais voire là-dans le principe du double degré de juridiction. Ce principe est posé par une loi ordinaire, en l’occurrence, le Code de procédure pénale. Et, ce qu’une loi ordinaire a fait, une autre loi ordinaire peut le défaire. Non seulement ce n’est pas une particularité de la Crei qu’il n’y ait pas le double degré de juridiction mais encore, et c’est cela le plus important, c’est que le principe du double degré de juridiction n’est pas un principe constitutionnel. Donc il n’y a pas d’atteinte aux droits de la défense.
Et, pour terminer, je voudrais dire que la Cour de répression de l’enrichissement illicite qui a été perçue comme étant une juridiction spéciale n’est pas une juridiction spéciale. Elle n’est spéciale ni dans sa création, ni dans sa formation, ni dans les règles de procédure applicable devant elle. C’est seulement une juridiction spécialisée sur une matière donnée, mais elle n’a rien de spécial. C’est une juridiction qui fonctionne exactement comme fonctionne le Tribunal correctionnel ou la Cour d’appel ou la Cour d’assises. Il n’y a rien de spécial dans cette juridiction, elle est seulement spécialisée dans une matière à savoir la répression de l’enrichissement illicite et des délits connexes.
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