leral.net | S'informer en temps réel

Sale temps pour le tourisme - Par Oumou Wone

Ce n’est pas la diversité des destinations qui manquent, ni les attraits naturels et culturels, mais plutôt une grande prise de conscience et une forte volonté politique


Rédigé par leral.net le Dimanche 25 Octobre 2015 à 12:52 | | 0 commentaire(s)|

Quoi que l’on lise et quoi que l’on entende de nos dirigeants, le sujet de la rentrée ou plutôt le mot d’ordre établi au plus haut niveau, semble être la relance de notre tourisme, national et international. Réalité ou fiction ?

Le tourisme, on en parle toujours comme d’un marronnier, dans les creux de l’actualité chaude. On se réveille, on s’agite, on en fait une tartine et puis elle ne dégouline même pas.

Je blague mais enfin imaginons un peu, si c’était vraiment cela la priorité, si la clé était là, sous nos yeux : un Sénégal paisible et accueillant, une enclave de paix en Afrique, un berceau de l’humanité moderne et démocratique. Un Sénégal réconcilié qui ouvrirait au monde entier sa nature, ses cultures, sa gastronomie, ses rythmes et ses couleurs.

Non, excusez-moi, je rêve. Je délire, même. Il nous faudrait un peu plus de volonté et surtout une organisation des structures et des personnels pour un tourisme digne de ce nom… Un ministre qui boude le plus grand salon du tourisme du monde pour des détails de prise en charge et autres sornettes : je ne peux que m’en accabler tant c’est abracadabrantesque.

Pas besoin de beaucoup voyager pour s’apercevoir que le tourisme est un métier. Et c’est aussi une industrie, une grosse industrie qui peut générer des richesses pour tous et des milliers d’emplois durables pour notre pays. Des Sénégalais dans le tourisme, vous en voyez à l’étranger et ils font partie des meilleurs. Demandez à nos frères marocains pourquoi tant de nos compatriotes excellent dans leur métier chez eux ou ailleurs dans le monde, et jusqu’aux Etats-Unis.

Pour réussir la relance du secteur touristique chez nous, le Président Macky Sall en appelle à son «excellence», par «l’adaptation aux normes internationales de nos réceptifs touristiques et hôteliers, la professionnalisation des personnels en activité ainsi que l’accélération du développement de nouveaux sites et zones touristiques». Il demande également la contribution de notre réseau diplomatique et consulaire. Mais, n’était-ce pas déjà le cas ? Pourquoi pas tant que l’on y est, demander à la classe politique d’arrêter la violence verbale et ces cirques qui donnent une image déplorable de notre pays autant à l’interne qu’à l’international ?

Mais revenons à nos moutons, où plutôt à notre ciel d’azur que nous envie le monde entier. Allez disons-le, le Sénégal est un pays merveilleux, avec une diversité culturelle et géographique extraordinaire. Mais que faisons-nous de ce trésor ? Nos produits touristiques sont raplapla et mornes… Ils restent peu diversifiés et n’ont guère évolué depuis des années.

Dans la plupart des zones, on peine à inculquer une culture touristique entreprenante, afin de réduire la forte saisonnalité du tourisme mais aussi pour ne pas, exclusivement, miser sur les arrivées de touristes étrangers.

Voilà entre autres pourquoi le secteur du tourisme sénégalais, qui dispose pourtant de toutes les qualités des destinations recherchées, est en berne au lieu d’être au beau fixe. Manque de professionnalisme ou de professionnels reconnus, manque d’idées, de folie, de créativité, de renouvellement de l’offre et de véritable volonté politique, au-delà des mots vides de sens et d’action d’éclat sans lendemain.

La volonté politique ? Parlons-en. Certes des mesures ont été prises et c’est une bonne chose, comme celle de la suppression de ce stupide visa payant pour l’entrée au Sénégal. Mais est-ce suffisant quand il est temps de dépasser la mesure pour bâtir un vrai plan de relance globale du tourisme ?

Parlons de «relance globale» et par le détail. Commençons par notre capitale, car le tourisme, c’est d’abord une capitale. Que fait-on à Dakar pour recevoir les touristes ? Dakar est sale ! Et pire depuis la fête de la Tabaski, c’est un doux euphémisme que de le dire. La gérante de l'hôtel la Madrague à Ngor est assaillie par les poubelles à même les chambres des touristes. Quand pourra-t-on enfin faire comprendre à nos compatriotes qui jettent tous ces abats dans les caniveaux que ça les bouche, qu’un caniveau n’est pas un dévidoir ? Que les poubelles se trient, qu’il s’agit de civisme et de santé publique ?

En dehors de cet aspect repoussant et en attendant une véritable opération citoyenne «Dakar la ville propre», que fait Dakar pour les touristes ? Y-trouve-t-on en nombre suffisant des bureaux, des offices de tourisme, des hôtesses, des agents spécialisés, des événements et des activités attractives ? Je n’ai pas en mémoire un seul événement international qui ferait de Dakar la ville phare de l’Afrique de l’Ouest.

Il est certain en revanche que «Dès l’aéroport, j’ai senti le choc». Alors là, c’est folklorique ! À la place d’agents assermentés, de zones marchandes ou de files de taxi, en guise de comité d’accueil, vous voici entouré d’une horde de gens hagards, de petits vendeurs et bidouilleurs à la sauvette, qui insistent pour vous changer votre argent, vous harcèlent et ne vous laissent plus respirer si vous n’achetez pas en outre l’une de leurs breloques, même si vous venez d’arriver.

En lieu et place de belles plantes dorées, miel et diaphane, aux diadèmes de fleurs, ce sont des gaillards au regard souvent inquiétant qui vous assaillent. Des taxis détraqués ou brinquebalants, avec des chauffeurs pas moins que cela, qui vous hèlent et vous chargent, pas si rassurants du reste, sans tarif officiel clair et ne parlons pas de leurs lacunes langagières… Et vous n’avez encore rien vu puisque vous n’êtes pas encore assis dans le taxi.

Lorsque, enfin, vautré dans ce siège dont le Skaï lacéré par le temps et rabiboché vous aspire le fessier, ses ressorts en ferraille se disputant votre chair tandis que vos oreilles souffrent le martyre avec le tintamarre de l’autoradio et que vos narines sont condamnées à respirer l’odeur nauséabonde qui se dégage des pots d’échappement et d’huile acre. Gorge serrée, marges de réflexion anéanties, vous vous dites bien que vos vacances vont détonner, que le dépaysement sera total, enfin le top quoi.

Prenons garde à notre image en veillant à nos comportements avant de chercher ailleurs le frein au tourisme au pays de la Téranga.

La sécurité ? Il faut une implication de tous les acteurs et une meilleure coordination entre la police touristique, les ASP (Agents de sécurité de proximité) et les agents de sécurité de la Sapco. Car effectivement, si l’on n’ose plus sortir de son hôtel le soir pour aller diner, déguster une langouste grillée, un yassa, un tiéboudieune ou un mafé, même la meilleure cuisine du monde aura du mal à passer. Après tout, les aires de nature sont protégées et les espèces également, alors pourquoi pas les êtres humains ?

La sécurité oui, mais aussi la qualité de l’offre Sénégal. Le niveau de son service et bien sûr, cette part d’immatériel qui fait le charme, pour aller à la conquête de l’Europe et du monde, mais avant tout de nous-mêmes, car un tourisme vivant et permanent, c’est d’abord un tourisme national. Voilà d’abord ce qui ferait du bien au tourisme sénégalais : une classe moyenne qui ait les possibilités de prendre des vacances et qui ait envie de les prendre chez nous.

Ce n’est pas la diversité des destinations qui manquent, ni les attraits naturels et culturels, mais plutôt une grande prise de conscience et une forte volonté politique.

Quand pourra-t-on par exemple déclarer notre verte Casamance zone de paix et de fraternité ? Car même décrétée Zone Touristique d’Intérêt National au travers de mesures d’incitations fiscales et sociales de grande portée et déjà en vigueur, la Casamance attire en même temps qu’elle fait froid dans le dos dans l’esprit du voyageur.

Le Sénégal est sûr et agréable pourtant, la seule chose extrême que l’on peut y rencontrer, c’est la gentillesse. Le seul risque que l’on y prend, c’est de s’en éprendre. Notre pays se visite avec le cœur... L'hospitalité y est profondément ancrée. La Nature luxuriante et généreuse. La Culture incomparable. Le patrimoine magnifique. Le littoral merveilleux. Les découvertes infinies. La démocratie modèle et stable.

Alors pourquoi n’y vient-on pas ? Tout simplement parce qu’on ne le fait pas savoir. Notre Sénégal a décidé de ne pas se montrer. Notre Sénégal refuse de se promouvoir. Notre Sénégal ne lève pas le petit doigt. Notre Sénégal a enfin sciemment choisi d’être le dernier de la classe avec les meilleurs atouts du monde. Notre Sénégal fait de la politique pendant ce temps là, de la mauvaise politique avec ses croyances bruyantes hors du temps et n’a pas de temps pour autre chose. Entre la chèvre et le chou l’on se doit de choisir. Le tourisme, si nous le voulons sérieusement, nous nous devons de respecter les croyances et valeurs des visiteurs. Et d’écouter leurs doléances.

Pour que la Téranga redevienne une terre en vue, il est grand temps de donner un grand coup de pied dans la fourmilière ou plus concrètement d’y injecter massivement des investissements globaux comme la Côte d’Ivoire et le Congo le font avec des centaines de millions d’euros dans ce secteur stratégique, en misant sur des professionnels reconnus et en arrêtant les nominations grotesques.

À commencer par les métiers de l’aviation civile, des aéroports, des transports aériens qui pratiquent des tarifs exorbitants. Les hôtels de manière générale sont trop chers, avec des prix qui détonnent par rapport au niveau de vie du pays. Mais puisque le Sénégal du tourisme a décidé de rester au fond du trou en se contentant d’envoyer des signes étouffés depuis ses administrations pour dire qu’il est là alors qu’il n’en est rien, que peut-on faire, sinon le regarder descendre dans les limbes de l’obscurité et des occasions manquées de sa mauvaise promotion, en attendant de se faire ramasser par plus gourmand et plus pragmatique ? Échappe-t-on à son destin ? Certainement non, mais Tonton Bolloré viendra peut-être nous sauver.

owane@seneplus.com

Oumou Wane est également Présidente d’Africa 7

( Les News )