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Sénégal – Un système démocratique à reconstruire.


Rédigé par leral.net le Mardi 12 Août 2008 à 13:36 | | 0 commentaire(s)|

Alea Jacta Est1

Ainsi donc le PDS et son Secrétaire général, Maître Abdoulaye WADE, ont osé modifier l’article 27 de la Constitution, faisant passer le mandat présidentiel de cinq à sept ans, sans soumettre le projet au référendum comme l’indique pourtant clairement la loi.

La loi n ° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution de la République du Sénégal promulguée et publiée dans le journal officiel n° spécial 5963 du lundi 22 janvier 2001, stipule dans son article 27 « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ».

Le sort en est jeté !

Pour quel motif officiel ? « Une durée si courte laisse à peine le temps au chef de l’Etat nouvellement élu de trouver ses marques et de commencer à mettre en œuvre son programme avant de se retrouver dans la pré-campagne électorale pour le scrutin présidentiel suivant » dixit le Ministre de la Justice.

Naturellement cette affirmation ne résiste à aucun argument sérieux et crédible : le Sénégal serait-il plus compliqué à gérer que les Etats-Unis d’Amérique ou la France, où les mandats présidentiels sont respectivement de quatre ans et de cinq ans ?

Les constitutionnalistes sérieux de ce pays ont dit et expliqué la loi : «Hors de la voie référendaire, les Députés violeront la loi», affirme l’éminent professeur de Droit constitutionnel, Ismaïla Madior Fall. C’est d’une clarté limpide, sans aucune équivoque. Il faut rendre hommage à ces juristes lucides et honnêtes, à la hauteur de leur réputation, pour le service qu’ils rendent au peuple malmené.

Mais, la simple analyse des raisons invoquées par les tenants du pouvoir nous édifie encore sur la faiblesse de l’argumentaire.

Avant tout, évacuons l’argument qui consiste à dire « le PS l’a fait avant nous », contre l’avis de son principal opposant d’alors : Me Abdoulaye WADE ! Cet argument ne signifie rien du tout. L’alternance avait justement pour objectif de ne pas répéter les mêmes erreurs, de ne pas renouveler les actes qui avaient été décriés !

D’abord, un mandat présidentiel de cinq ans pourrait avoir comme conséquence positive une saine émulation entre tous les partis politiques qui aspirent à diriger notre pays, en les obligeant à mieux se préparer à l’exercice du pouvoir, et à ne pas attendre d’être aux responsabilités « pour trouver leurs marques ».

Ensuite, c’est une drôle de conception que de considérer l’Etat comme un lieu d’apprentissage pour des dirigeants politiques ! Ce n’est pas le rôle de l’Etat. Ceux qui, une fois élus, n’auront pas fait les résultats escomptés, arrivés à l’échéance fixée, seraient démocratiquement sanctionnés : le peuple, alors, choisirait de nouveaux dirigeants, mieux préparés et moins bavards. Quoi de plus naturel en démocratie ?

De surcroît, accepter cet argument voudrait dire que les vingt-six années d’opposition de Me Wade, ponctuées par des entrées successives dans des gouvernements socialistes, n’ont pas été judicieusement utilisées pour lui permettre d’asseoir une connaissance suffisante de l’Etat ! Ce serait, de la part de ses partisans zélés, lui faire offense, lui « le Président le plus diplômé d’Afrique ».

Enfin, une dernière chose sur cet argument officiel : un Président est-il élu pour trouver des solutions aux problèmes qui assaillent le peuple, ou alors doit-il consacrer une partie de son mandat à la préparation d’une pré-campagne électorale ? La réponse coule de source.

A l’évidence, les arguments officiellement avancés ne semblent pas être les véritables motifs de ce tripatouillage constitutionnel.

Au-delà du fait de constituer une violation flagrante de la loi fondamentale de notre pays, cette modification de l’article 27 de la Constitution est un acte honteux, qui tord le cou à l’éthique et à la morale républicaine.

En effet, le quinquennat a été un engagement de la coalition qui a porté Me Wade au pouvoir en 2000 ; il a, en outre, été inscrit dans la Constitution votée massivement lors du référendum de 2001. Qu’est-ce qui a changé, en l’espace de huit ans pour ce peuple qui l’avait approuvé, et qui justifie ce revirement ? Absolument rien !

Ensuite, le Sénégal vient allonger la liste peu honorable des rares pays au monde qui ont choisi de rallonger leurs mandats présidentiels jusqu’à sept ans : le Gabon, le Cameroun et…le Sénégal. Les patriotes jugeront de la pertinence de rejoindre cette liste !

Enfin, le monde a changé ; les nouvelles technologies sont devenues partie intégrante de la gestion d’un Etat moderne. Il est curieux qu’Abdoulaye Wade qui gère le volet NTIC, dans le cadre du NEPAD, soit celui qui nous ramène à des modes de gouvernance à l’ancienne, alors que les progrès énormes des technologies permettent aujourd’hui de gagner en rapidité et en performance.

Donc rien, du point de vue de la gestion moderne de l’Etat du Sénégal, compris à la fois comme entité politique et administrative, ne justifie l’allongement de la durée du mandat présidentiel. Les gouvernants tirent leur légitimité du peuple et les fonctionnaires sont soumis à la règle de la continuité de l’Etat. A la fin de chaque échéance, le peuple renouvelle en toute connaissance de cause ses dirigeants, mais les fonctionnaires continuent de faire leur travail, conformément à leur statut. Où est donc est le problème pour un Président élu, censé être au service exclusif du peuple, sur la base connue d’avance d’un mandat de 5 ans ?

A supposer que des situations exceptionnelles que le peuple ne percevrait pas de prime abord, justifient cette modification, l’humilité aurait été de s’en remettre à son appréciation souveraine par référendum. Pourquoi donc, ces hommes censés nous gouverner sont-ils si allergiques à l’idée de s’en référer au peuple souverain qui leur a délégué son pouvoir et dont ils ont à charge de défendre les intérêts ? Sans aucun doute ont-ils à l’avance une connaissance du sort qui serait réservé à ce funeste projet.

Peut-être aussi que l’explication se trouverait dans cette phrase de SÉNÈQUE qui disait : « Il n'y a plus guère de remède au mal, quand les vices d'hier sont devenus les moeurs d'aujourd'hui ». Lorsque le reniement de ses propres engagements devient un mode de gouvernement d’un pays, il y a lieu de s’inquiéter.

Avec la modification de l’article 27 de la Constitution, c’est un vrai défi et un test majeur qui sont lancés au peuple sénégalais et à sa démocratie : le défi est sa capacité à défendre ses acquis démocratiques ; le test son aptitude à comprendre les enjeux et à s’approprier les textes de loi qui déterminent son présent et son avenir. Comment comprendre un seul instant que, huit années seulement après le référendum, les gouvernants, qui représentent le peuple et sont les initiateurs de la loi, et les rédacteurs de cette même loi soient en désaccord dans l’interprétation de l’article 27 de la Constitution ?

Quelle est la finalité politique de cette loi ? A qui profite t-elle ?

Assurément cette modification constitutionnelle n’est pas faite pour le seul bénéfice du peuple sénégalais qui, à ce jour, survit difficilement, faisant face à des préoccupations plus urgentes avec un chômage massif, un pouvoir d’achat malmené, une hausse généralisée des prix des denrées, une crise énergétique récurrente, un monde rural sinistré et un système éducatif et de santé aux abois.

Elle n’est pas faite non plus pour renforcer la bonne gouvernance dans un contexte d’instrumentalisation du législatif par l’exécutif (pétition contre le Président de l’Assemblée nationale), de déficit de transparence dans la gestion des affaires publiques (marchés de gré à gré décelés par le Ministre du budget, cas des 350 milliards de l’ANOCI non encore audités), des routes construites à 5 milliards le kilomètre (Corniche), des avances de trésorerie sans couverture budgétaire, de dérapage de la dette intérieure (150 milliards dus aux entreprises) et de menaces multiples sur les libertés de la presse (agressions sur les journalistes et menaces sur les sociétés de médias).

Enfin, elle ne serait pas faite pour servir les intérêts politiques du Président actuel, puisque le texte voté indique clairement que : « la présente modification ne s’applique pas au mandat du président de la République en exercice au moment de son adoption ». Mais cela, sous réserve d’une non-annulation future de cette clause.

Mais donc, à qui profite cette modification de l’article 27 de la Constitution ?

S’il s’avérait qu’en définitive toute cette agitation est le fait d’hommes et de femmes qui se cachent derrière les atours de la République et n’ont jamais affronté le suffrage universel, ceux-la devraient savoir que cette pratique n’est ni courageuse, ni vertueuse, ni digne. Or le courage, la vertu et la dignité sont des critères essentiels pour tout homme qui aspire à la gestion des affaires de la cité. Si cette hypothèse se vérifiait, la République aura été bafouée et flouée ! L’avenir nous édifiera.

Donc, si par le hasard de l’Histoire, notre système démocratique permettait ce type de manipulation, il s’agirait alors d’un échec collectif de tous les Sénégalais, car cela voudrait dire que notre démocratie permet d’élire des dirigeants qui nous gouvernent par procuration. Or, rappelons simplement que « la démocratie c'est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », pour reprendre le mot de Périclès.

La modification de l’article 27 de la Constitution pose donc un problème de solidité de notre système démocratique.

La modification de l’article 27 de la Constitution signale, au fond, la fragilité de nos fondements démocratiques : qu’un régime élu puisse violer de manière aussi flagrante la loi fondamentale du pays, en reniant ses propres engagements pris devant le peuple, sans se soucier ni du jugement de ses concitoyens ni de l’image qu’il laissera à la postérité, pose un vrai problème d’éthique, de morale républicaine.

Les Sénégalais sont-ils maintenant résignés, face aux multiples agressions qu’ils subissent, au premier rang desquels le coût de la vie ? Sont-ils sans mot pour qualifier leurs maux ? S’approprient-ils la belle citation du philosophe Sénèque (que je cite encore), qui disait « On a des mots pour dire une peine légère, mais les grandes douleurs ne savent que se taire ».

Fondamentalement, notre système démocratique a besoin d’être réformé, voire reconstruit, au regard des différents dysfonctionnements qu’il a connus : aucun pays démocratique crédible ne peut se permettre l’absence de plus de 46% de son peuple là où, justement, celui-ci est légalement et légitimement représenté, c’est-à-dire l’Assemblée nationale. Un processus électoral, non consensuel et qui est rejeté par l’opposition la plus représentative du pays, n’est pas crédible. Un Sénat où la moitié des membres est désignée, alors qu’elle est la seconde institution du pays. C’est le triste sort du Sénégal qui, pourtant, avait fait des pas de géant sur le long chemin de sa construction démocratique.

Qui pensons-nous tromper avec autant d’incohérences politiques et institutionnelles ? Peut-être nous même.

Ne pas moderniser notre système démocratique en l’adaptant aux réalités démographiques du Sénégal, pays ouvert sur le monde ayant l’ambition d’être émergent, serait faire preuve d’une cécité politique collective que nous finirions tôt ou tard par payer au prix fort.

Il y va du choix de ceux qui, demain, auront la charge de décider de l’éducation de nos enfants, de notre système de santé, des impôts que nous payerons, de l’usage qui sera fait de notre argent, des dettes qui seront contractées en notre nom et que nous payerons nécessairement, etc.

Penser un seul instant qu’il ne s’agit que d’un combat de coqs entre politiciens, serait une grave erreur d’appréciation que nos concitoyens ne devraient commettre.

Certes les politiques et notamment ceux qui sont aux responsabilités, mais aussi ceux de l’opposition démocratique doivent en prendre l’initiative dans la seule perspective de faire du peuple le garant de notre modernité démocratique. C’est une exigence citoyenne.

Un système démocratique fiable est un ensemble de principes et de règles consensuelles stables, (comme celles de tenir les élections a date échue), qui doit permettre au peuple de déceler et de choisir, en son sein, ses meilleurs représentants qui aspirent à le servir. Ceux-ci devraient surtout se distinguer par leur attachement à l’éthique, leur humilité pour s’en remettre au peuple chaque fois que de besoin, et par leur sens élevé de l’intérêt général. Tous les Sénégalais devront mener le combat pour l’avènement d’un tel système, seul gage d’une société qui assure la sécurité et le bien-être de sa population, où les richesses sont équitablement partagées, et les efforts objectivement récompensés.

Une fois construit, ce système devra assurer au peuple des avancées démocratiques irréversibles, sur lesquelles aucun autre régime politique ne pourra revenir et les remettre en cause. Le peuple, à qui il appartient, devra donc être aux aguets en permanence.

En réalité, lorsque, dans un pays, la tenue d’élections aux dates fixées devient une exception, la création de nouvelles institutions budgétivores, comme le Sénat (9 milliards) ou le Conseil économique et social, est le fait du Prince ; où une agence nationale (ANOCI) peut engloutir 350 milliards de Fcfa (1/4 du budget national !), sans que la représentation nationale puisse se saisir du dossier et éclairer le peuple, peut-on, dès lors, être surpris de constater des violations aussi flagrantes de la loi fondamentale ? Cela pose un vrai problème de valeurs et de responsabilités.

Sous ce regard, il serait important que tous les républicains et les démocrates de ce pays réfléchissent à cette question de la préservation de la République comme un bien commun, de la fiabilisation, de la sécurisation et de la modernisation de notre système démocratique, si tant est que nous voulons laisser à nos enfants un pays stable qui leur offre les mêmes chances quelle que soit leur origine, leur ligne de départ; un pays qui récompense leurs mérites, par opposition à un pays où la dévolution du pouvoir et la propriété se font sur le mode héréditaire.

Il ne s’agit plus de l’affaire des hommes politiques. C’est l’affaire de tous.

Si rien n’est fait, alors la voie est ouverte à tous les abus, et la question de savoir quelle sera la prochaine étape ne sera pas superflue.

Pour conclure, méditons cette phrase de l’ardent défenseur de la République qu’est Platon : « L'un des préjudices d'avoir refusé de prendre part à la vie politique est que vous finissez par être gouverné par vos subordonnés »

Que Dieu sauve la Sénégal !

Alioune SARR

NOTTO

THIES

SENEGAL

alioune_xtx_sarr@yahoo.fr

1 - « Alea jacta est », signifie « Le sort en est jeté » avait dit Jules César lorsqu’il traversa le fleuve Rubicon a la poursuite de Pompée.

2 – Résultats de l’élection présidentielle de février 2007

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