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Talla Sylla : "Le Sénégal n'a pas un problème de chiffres, il a un problème de gouvernance"

Alors que le Sénégal traverse sa pire crise financière depuis l'Indépendance, marquée par la dégradation de sa note souveraine à CCC+ par S&P, nous avons rencontré Talla Sylla, président du parti Jëf Jël / Jàmm ak Naatange, pour décortiquer la situation. L'ancien parlementaire et acteur politique propose un Plan de Reprise Économique en trois phases, appelant le Chef de l'État à un "choc de confiance" immédiat.


Rédigé par leral.net le Mercredi 19 Novembre 2025 à 16:20 | | 2 commentaire(s)|

Le Diagnostic Implacable : De B- à CCC+

Talla Sylla : "Le Sénégal n'a pas un problème de chiffres, il a un problème de gouvernance"
Sursaut Républicain (SR) : Monsieur Sylla, vous qualifiez la situation actuelle d'effondrement. Comment expliquez-vous cette dégringolade financière historique ?

Talla Sylla (TS) : Il est temps d'arrêter le récit de la 'dette cachée'. L'agence S&P n'est pas un tribunal politique. Sa notation CCC+ est une sanction technique de la gouvernance actuelle. Elle ne sanctionne pas un passif ancien, mais l'incapacité du nouveau régime à présenter des comptes publics stables et un cap crédible. Le Sénégal est entré dans la "Zone Rouge" pour quatre raisons claires : une dette publique à 119\% du PIB, un déficit au-dessus de 8\%, des besoins de refinancement énormes, et des taux d'emprunt devenus usuraires.
« Ce n'est pas le passé qui a dégradé la note, c'est la gouvernance actuelle.»

SR : Vous pointez la "gestion erratique". Quels sont les signes concrets qui ont alarmé les marchés ?

TS : Les signaux sont politiques et budgétaires. La suspension du programme FMI est une conséquence directe d'erreurs dans les déclarations du nouveau régime. L'opacité sur les comptes, la gestion chaotique de la fiscalité (taxation mobile money, annulation d'exonérations) et, surtout, la discorde publique au sommet de l'État — y compris les attaques contre la Justice et les appels à la désobéissance fiscale – ont créé un climat de peur. Le chaos politique se paie en intérêts financiers.

Le danger de la discorde : Un État décrédibilisé

SR : Le gouvernement défend que ces tensions sont des ajustements normaux d'un nouveau régime et que l'avenir est assuré par le pétrole. Que répondez-vous à l'argument du "boom imminent" ?


TS : C'est le paradoxe du gouvernail. Notre bateau (la Maison Sénégal) va recevoir une cargaison d'or (pétrole et gaz), mais les capitaines se disputent la barre et le bateau est jugé inapte à naviguer par les assureurs. L'argent arrive, mais l'incompétence et le manque d'unité font que cette richesse servira à payer une dette surtaxée, contractée dans l'urgence. Le silence du Président face aux dérives de son Premier ministre, notamment l'appel à la sédition fiscale, est interprété comme une perte de commandement et mine la stabilité. « Le Président Diomaye Faye doit choisir : soit il est le Chef de Famille, garant de l'État, soit il est le témoin silencieux et finalement, le responsable de la dérive. »

Le plan de sauvetage : Trois phases pour la Souveraineté

SR : Face à cette urgence, vous proposez un Plan de reprise. Quelle est la première étape concrète que le Président doit prendre ?

TS : La priorité, c'est le Choc de Confiance (Phase 1). Le Président doit faire un discours solennel, pour reprendre la main et imposer une ligne économique unique. Finies les diversions politiques. Il doit ensuite publier l'audit complet de la dette. Sans cette transparence totale, nous n'aurons pas la crédibilité nécessaire pour demander le "waiver" (la dérogation) au FMI.

SR : Et sur le plan budgétaire, comment peut-on dégager des marges ?

TS : Par l'exemplarité. Il faut amender immédiatement le budget, pour imposer des coupes drastiques dans le train de vie de l'État et les dépenses de prestige. L'effort doit commencer au sommet. Cette crédibilité retrouvée nous permettra d'entamer la Stabilisation Négociée (Phase 2) : restructurer la dette externe et, surtout, apurer les arriérés dus à nos entreprises locales pour relancer l'activité.

SR : Votre plan insiste sur la relance agricole comme pilier de la Relance Souveraine (Phase 3). Pourquoi ?

TS : On ne peut pas être un pays souverain si l'on dépend de l'étranger pour son bol de riz quotidien. La relance agricole, dans la Vallée du Fleuve, le Bassin Arachidier et la Casamance, n'est pas une option, c'est le fondement de notre liberté économique. L'argent économisé sur le service de la dette, doit être fléché par la loi vers l'école, l'hôpital et l'investissement agricole. « Le Sénégal n'a pas seulement un problème de dette, il a un problème de gouvernance. Il est temps que le gouvernement travaille, au lieu de se justifier. »

Ousseynou Wade