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Thierno Seydou Nourou Sy, Banquier : « La crise que traverse notre cher Sénégal, n'est pas une singularité… »


Rédigé par leral.net le Lundi 24 Novembre 2025 à 16:06 | | 0 commentaire(s)|

« Dans la continuité de ma précédente contribution sur la dégradation de notre notation souveraine, je souhaite aujourd'hui approfondir la réflexion, en tirant les leçons concrètes de l'histoire économique mondiale. La crise que traverse notre cher Sénégal, n'est pas une singularité ; elle s'inscrit dans une cyclicité que d'autres nations ont connue.

Leur expérience est un guide précieux, une boussole, qui peut nous éviter de sombrer et nous montrer la voie de la résilience. En tant que citoyen et acteur économique, mon ambition ici, est d'apporter une modeste contribution à la réflexion collective, pour aider notre pays à traverser cette phase économique difficile avec clairvoyance et détermination.

I. Rappel des deux voies historiques : Leçons à méditer

Comme je l'évoquais précédemment, l'histoire récente offre deux trajectoires opposées aux pays confrontés à une crise de dette.

La voie de la résilience : Le courage de l'action rapide

Le Ghana et l'Irlande ont choisi la voie de la réaction immédiate et structurée. En s'engageant sans délai dans des programmes d'ajustement et en mettant en œuvre des réformes budgétaires courageuses, ils ont certes encaissé un choc social à court terme. Mais cette douleur a été un investissement. En quelques années, ils ont rétabli la confiance, stabilisé leur économie et retrouvé le chemin d'une croissance saine et durable.

La leçon est claire : l'action décisive, bien que difficile, paie.

La voie de la dépression chronique : Le piège du déni et des demi-mesures

À l'inverse, la Grèce et l'Argentine nous servent de mises en garde tragiques. Le déni de l'ampleur de la crise, l'instabilité politique et l'adoption de solutions incohérentes ou tardives, ont transformé une récession en dépression économique durable. Le coût social a été catastrophique : appauvrissement massif, effondrement des services publics et perte de décennies de développement potentiel. Temporiser, c'est risquer d'aggraver le remède.

II. Approfondissement : La troisième voie de l'Éthiopie et le bouclier du Franc CFA. Au-delà de ce dualisme, des voies alternatives existent.

L'Éthiopie : Le pragmatisme intelligent

L'Éthiopie a récemment montré qu'il était possible de négocier une crise de dette, sans nécessairement recourir à un plan d'austérité classique du FMI. En utilisant le "Cadre Commun du G20" pour une restructuration inclusive de sa dette et en offrant en contrepartie des réformes structurelles ciblées (ouverture de secteurs stratégiques), elle a obtenu un répit financier, tout en préservant partiellement le tissu social. Cette voie, exigeante en diplomatie et en volonté politique, mérite notre attention.

Le Franc CFA : Notre atout stratégique dans la tempête

Il est crucial de réaffirmer le rôle du Franc CFA comme un bouclier anticrise. Son arrimage à l'Euro nous protège d'une dépréciation incontrôlable, qui aggraverait exponentiellement le fardeau de notre dette. La garantie de la BCEAO en fait un rempart contre la panique bancaire. C'est un avantage stabilisateur considérable que nous devons préserver par une gestion vertueuse, malgré la contrainte de compétitivité qu'il impose.

III. Vers une feuille de route opérationnelle et consensuelle

Fort de ces enseignements, je me permets de proposer une feuille de route articulée autour de quatre piliers concrets pour une sortie de crise réussie.

L'urgence d'une action crédibilisante : Poursuivre et finaliser rapidement les discussions avec le FMI, pour un accord crédible. Cet accord doit être présenté non comme une capitulation, mais comme la preuve de notre sérieux à redresser les finances publiques, ce qui rassurera nos partenaires et créanciers.

Instaurer un dialogue économique et social national transparent, incluant secteur privé, syndicats et société civile, pour expliquer les enjeux et bâtir un consensus autour des sacrifices nécessaires.

L'Impératif d'un ajustement budgétaire juste et intelligent :Rationaliser les dépenses, en ciblant prioritairement les postes les moins efficaces et les moins sociaux, tout en préservant les investissements d'avenir dans l'éducation, la santé et les infrastructures critiques.

Élargir l'assiette fiscale par une lutte résolue contre l'évasion fiscale et les exonérations abusives, plutôt que par une pression fiscale accrue sur le secteur formel existant.

Intégrer des filets de sécurité sociale robustes dans la conception même des réformes, pour protéger les ménages les plus vulnérables et maintenir la cohésion sociale.

L'accélération des réformes structurelles pour l'avenir : Améliorer radicalement le climat des affaires en simplifiant les procédures, en renforçant la sécurité juridique et en luttant avec une détermination sans faille contre la corruption.

Favoriser les partenariats public-privé dans les secteurs porteurs (énergie, numérique, logistique), pour attirer les capitaux et l'expertise sans alourdir la dette publique.

Accélérer la diversification économique, en soutenant l'émergence de chaînes de valeur locales dans l'agro-industrie, les services et l'économie numérique.

Le renforcement de la solidarité et de la discipline régionale : Respecter scrupuleusement les critères de convergence de l'UEMOA, non comme une contrainte, mais comme le cap d'une saine gestion macroéconomique.

Œuvrer avec la BCEAO et nos partenaires régionaux, pour des solutions coordonnées et bénéficier de la force du cadre monétaire commun.

Cette réflexion personnelle, nourrie par l'observation des succès et des échecs ailleurs dans le monde, se veut une contribution à l'effort national. La situation est sévère, mais l'espoir est permis si l'action est à la hauteur. Le Sénégal possède les atouts et les ressources humaines pour surmonter cette épreuve. Le choix nous appartient : soit nous empruntons le chemin périlleux du déni, au risque de léguer une crise durable aux générations futures ; soit nous saisissons collectivement cette occasion, pour opérer les réformes courageuses qui libéreront le potentiel de notre économie et bâtiront une prospérité plus saine et plus partagée.

Le temps n'est plus à la délibération, mais à l'action résolue et concertée. C'est le sens de l'Histoire et le vœu le plus cher de tous les Sénégalais patriotes. »






 

Ousseynou Wade