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Tout le monde pleure, chante et rit (Par Madiambal Diagne)


Rédigé par leral.net le Lundi 6 Mars 2017 à 17:00 | | 0 commentaire(s)|

Tout le monde pleure, chante et rit  (Par Madiambal Diagne)

On ne souhaite même pas à son pire ennemi d’aller en prison encore moins à une personne avec qui on a un commerce cordial. C’est dire que la perspective qui s’offre devant le maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, ne manque pas de susciter une certaine compassion. Les infractions relevées par le procureur de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, à l’encontre de Khalifa Ababacar Sall ne laissent aucune autre alternative au juge d’instruction que de placer le maire de Dakar en détention.

Les dispositions de la loi pénale imposent le mandat de dépôt contre toute personne inculpée de détournement de deniers publics si elle ne cautionne pas l’intégralité des sommes dont le détournement est allégué, mais aussi que ce cautionnement soit accompagné des «contestations sérieuses» de l’infraction.

 

Dans le cas d’espèce, Khalifa Ababacar Sall ne conteste nullement pas les faits. Et chacune de ses sorties semble l’enfoncer davantage. C’est à croire que Khalifa Ababacar Sall, pris de court par la tournure des faits, se révèle être une âme en perdition. Il a craqué d’émotion au cours de sa conférence de presse d’hier et cette faiblesse psychologique est assez révélatrice d’un état d’esprit et d’un manque d’épaisseur. Quelle est l’idée de faire venir Serigne Moustapha Sy à la conférence de presse de Khalifa Sall et surtout d’offrir au guide des Moustarchidines une tribune pour accabler l’ancien Président Abdou Diouf avec qui il aurait de gros comptes à régler ?

 

Sur un autre registre, la ligne de défense de Khalifa Ababacar Sall selon laquelle l’Inspection générale d’Etat (Ige) n’a pas stigmatisé ou relevé un faux ou un détournement de deniers publics est on ne peut plus absurde. Il n’appartient pas à ce grand corps de contrôle de l’Etat de caractériser les infractions ou de les qualifier. Ce rôle est dévolu au procureur de la République qui a eu à le faire et a décidé de l’ouverture d’une information judiciaire.

 

Une caisse d’avance utilisée comme bamboula


Par ailleurs, les révélations parues dans la presse ainsi que les propres déclarations de Khalifa Ababacar Sall dans les médias confortent le réquisitoire du procureur Serigne Bassirou Guèye. En effet, Khalifa Ababacar Sall reconnaît avoir distribué de l’argent à de nombreuses personnes qu’il refuse de citer et il admet dans le même temps que pour sortir ces sommes d’argent des caisses du Trésor public, il avait présenté des factures pour l’achat de riz et de mil. De telles factures sont donc fictives. Il faut dire qu’il existe des rubriques qui permettraient à un édile de porter des secours à des indigents et autres nécessiteux sous forme de numéraires, mais de tels fonds sont alloués directement aux ayants droit par un système de mandatement et non par un procédé détourné de faire payer de manière fictive des denrées.

 

Le maire des Parcelles Assainies, Moussa Sy, lieutenant de Khalifa Ababacar Sall et adjoint à la mairie de la ville de Dakar, compromet davantage son mentor quand il avance, avec aplomb, que les sommes ont été distribuées à des avocats, des notabilités et des journalistes, entre autres. Quid des indigents qui devraient être bénéficiaires de tels secours ? La caisse d’avance a donc été utilisée comme une bamboula de pontes de la haute société dakaroise.

 

Une telle ligne de défense est assez spécieuse comme celle qui consiste à dire que la pratique de pomper les fonds de la mairie par le truchement d’un régime de caisse d’avance avait cours depuis toujours. Il convient de préciser que la caisse d’avance à la mairie de Dakar n’avait jamais dépassé la somme de 30 millions de francs Cfa par exercice budgétaire et que l’utilisation des sommes devait être dûment justifiée. C’était seulement à partir de l’année 2003, sous la gouvernance «gabegique» et prédatrice de Abdoulaye Wade avec un maire de Dakar nommé Pape Diop, que la caisse d’avance avait été portée à 30 millions de francs par mois. Tout porte aujourd’hui à croire que les fonds, tirés par ce procédé, n’étaient pas licites.

 

«Gestion vertueuse et mains propres»

 

Il reste qu’on peut considérer que de telles infractions ont dû être prescrites. De toute façon, la lettre de mission de l’Inspection générale d’Etat qui contrôlait la gestion de la ville de Dakar avait été enfermée, comme c’est toujours le cas d’ailleurs dans une période calendaire que l’autorité ordonnatrice de la mission détermine de manière discrétionnaire.

 

On doit souligner que quand le Président Macky Sall ordonnait à l’Ige de fouiller les gestions des grandes villes du Sénégal pour les périodes allant de 2011 à 2015, personne ne pouvait songer que de pareils cafards seraient trouvés dans les placards de la gestion de Khalifa Ababacar Sall d’autant que le maire de Dakar disait, à qui voulait l’entendre, que sa gestion était vertueuse et qu’il avait les mains propres. D’ailleurs, on se rappelle combien le même Khalifa Ababacar était courroucé et se montrait indigné quand des accusations avaient été portées contre sa personne pour des opérations de distribution de produits laitiers aux élèves de certains quartiers de Dakar pour leur fournir des compléments alimentaires.

 

L’autre argument qui prospère difficilement pour le camp du maire de Dakar est celui qui voudrait que, par le biais de poursuites pénales, le Président Macky Sall travaillerait à éliminer des adversaires politiques. Si cela a pu être possible, force est de dire que ce sont ces personnalités politiques qui ont prêté le flanc ou qui ont donné le bâton pour se faire battre. Khalifa Ababacar Sall n’aurait pas commis des indélicatesses dans sa gestion que nul ne pourrait le traduire devant les juges.

 

L’actualité politique en France semble faire un clin d’œil à celle du Sénégal. Deux candidats à l’élection présidentielle, prévue dans moins de deux mois, en l’occurrence François Fillon et Marine Le Pen, font l’objet de poursuites pénales pour des faits de prévarication de deniers publics. Le Sénégal ne saurait prétendre être un Etat de droit ou une démocratie mieux affirmée que la France et pourtant, les magistrats français n’ont pas hésité à ouvrir des poursuites contre des candidats qui avaient pourtant le vent en poupe.

 

Qui pourra raisonnablement dire que les magistrats du Parquet financier de Paris et les juges d’instruction saisis pour mettre en examen François Fillon ou Marine Le Pen auraient obéi à des instructions ou des consignes d’un gouvernement ? Pourquoi diantre voudrait-on que le procureur Serigne Bassirou Guèye ait été manipulé ?

 

Traduire en justice les autres responsables des mêmes mauvaises pratiques

On devra cependant ne pas perdre de vue que Khalifa Ababacar Sall n’est pas le seul édile à avoir été épinglé par l’Ige pour avoir mis les mains dans le cambouis de la gestion des deniers publics. Les poursuites intentées contre lui ne seraient encore davantage légitimes que si d’autres responsables qui ont été pris pour les mêmes mauvaises pratiques soient eux aussi traduits en justice dans les mêmes formes et avec la même diligence.

 

 Le régime de Macky Sall devra veiller à ne pas donner l’impression que les poursuites judiciaires pour des faits de détournement de deniers publics et de mal gouvernance sont sélectives. D’ailleurs, on peut bien éprouver un sentiment de scepticisme quant à la neutralité dans les poursuites. En effet, ils sont nombreux à avoir cherché refuge sous le parapluie de l’Alliance pour la République, des responsables politiques dont la gestion n’avait point été vertueuse et qui continuent de jouir d’une impunité. Il faudra éviter d’accréditer l’idée que pour être sauf il faut être avec le pouvoir politique.

 

mdiagne@lequotidien.sn