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ASSANE DIOP, VICE-PRESIDENT DU BIT« J’ai les atouts pour entreprendre les réformes »

Rédigé par leral.net le Mercredi 23 Mai 2012 à 17:21 | | 0 commentaire(s)|

Directeur Exécutif du BIT responsable du Secteur de la protection sociale dix années durant, Assane Diop ancien ministre de la Santé du Sénégal brigue le siège de la présidence de l’Organisation International du Travail (OIT). Le soutien du gouvernement sénégalais et de l’Afrique lui est acquis. Il se dit prêt à relever tous les défis qui assaillent cette organisation confrontée à la crise mondiale.


ASSANE DIOP, VICE-PRESIDENT DU BIT« J’ai les atouts pour entreprendre les réformes »
La Gazette : Que pensez-vous pouvoir apporter au BIT en briguant ce mandat ?

Assane Diop : Lorsqu’il m’avait appelé à ses côtés immédiatement après son élection, Juan Somavia, Directeur général actuel du BIT avec qui j’avais eu l’occasion de travailler en tant que Ministre lors du Comité préparatoire du Sommet mondial de Copenhague pour le développement social en 1995, souhaitait mettre à la disposition de l’Organisation internationale du Travail les compétences entre autres d’un leader africain de haut niveau connaissant parfaitement les enjeux du monde du travail tant au plan national qu’à l’échelle internationale, et ayant exercé des responsabilités gouvernementales. J’ai répondu à cet appel en acceptant le poste clef de Directeur Exécutif du BIT responsable du Secteur de la protection sociale. J’ai exercé cette fonction pendant plus de dix années au siège du Bureau international du Travail à Genève.

Il me semble que ma longue expérience au sein de la haute équipe de direction du BIT, la connaissance profonde que j’ai acquise du fonctionnement du BIT sur ses formidables potentialités, ainsi que ma vision des enjeux et des adaptations qu’il faut entreprendre maintenant pour renforcer le rôle et l’efficacité de l’Organisation internationale du Travail dans le monde, font partie des principaux atouts dont cette organisation a besoin aujourd’hui pour agir avec plus de pertinence et d’impacts dans les prochaines années.

Il est difficile de parler de soi-même et de ses aptitudes en toute objectivité. Mais, permettez-moi de vous dire que j’estime avoir renforcé mes compétences managériales, acquis un certain savoir-faire dans la conduite des affaires d’une grande organisation internationale, et noué des contacts utiles au sein et à l’extérieur du BIT, avec les principaux acteurs du monde du travail. Je crois en effet, en toute humilité, posséder les expériences idoines, les aptitudes et le profil politique dont un Directeur général du BIT pourrait avoir besoin pour opérer un certain nombre de réformes et d’orientations stratégiques qui, de l’avis des principaux Etats membres, sont indispensables aujourd’hui pour préparer l’OIT à mieux affronter les nouveaux défis que la mondialisation, les crises économiques et financières font peser sur les questions de justice sociale, de protection sociale, d’emploi et d’application universelle des normes internationales du travail.

Comme vous le savez, en raison des ratées de la mondialisation et de la répétition des crises économiques et financières, le monde se dirige vers une zone de grandes turbulences sociales et économiques qui préoccupent gravement non seulement les gouvernements, mais aussi les partenaires sociaux. Or, c’est en ce moment-là que le BIT, la principale institution des Nations Unies chargée d’assurer la paix et de la justice sociale dans le monde, va changer de capitaine.

Ce contexte implique qu’il faille offrir à cette prestigieuse Organisation les moyens de se renforcer et de se préparer à des réformes profondes, tout en assurant la continuité dans la poursuite des objectifs du travail décent, ainsi que la préservation des ses capacités techniques qui lui ont valu les succès salués dans le passé. En dépit des multiples encouragements que j’ai reçus de la part de dirigeants politiques et syndicaux en Afrique, en Europe et en Asie, y compris au sein même du BIT, je n’aurais jamais décidé de présenter ma candidature à cette fonction si je n’avais pas l’intime conviction de posséder les meilleurs atouts dont le BIT a besoin pour entreprendre les réformes qui lui permettront de continuer à être pertinente et efficace plus de 90 ans après sa création.

Avez-vous le soutien des autorités sénégalaises et qu’attendez-vous d’elles ? Bien entendu ma candidature a été présentée officiellement à l’OIT par le Gouvernement sénégalais. Comme je vous l’ai dit, après avoir reçu plusieurs encouragements à postuler, et après avoir lucidement évalué mes chances de succès, j’ai constitué un dossier que j’ai soumis au Gouvernement. J’ai été reçu par le Président Wade qui a soutenu ma candidature qui devait être déposée avant le 9 mars 2012, date limite de dépôt des candidatures. Après les élections du 25 mars, j’ai été reçu par le Président Macky Sall qui m’a assuré de son soutien personnel et confirmé la mobilisation des autorités sénégalaises pour travailler au succès de ma candidature. J’ai également été reçu par le Ministre des Affaires étrangères que je remercie très sincèrement pour sa disponibilité malgré les dossiers urgents et importants dont il a la charge, et par le Ministre du Travail, particulièrement actif dans le suivi du dossier. Les principaux leaders syndicalistes et le patronat sénégalais appuient également ma candidature.

Je peux vous confirmer que le Sénégal a mobilisé sans restriction tous ses moyens diplomatiques, stratégiques et logistiques nécessaires pour appuyer ma candidature et en assurer la promotion en Afrique et dans le monde. Les Ambassadeurs du Sénégal à Addis-Abeba, Genève, Brasilia, New Delhi et ailleurs à l’étranger n’ont épargné aucun effort et s’activent quotidiennement pour mener cette campagne qui nous honore tous. Je suis non seulement profondément reconnaissant à mon pays d’avoir déployé toutes ces ressources, mais je suis fier du savoir-faire des diplomates sénégalais. Le Ministre des Affaires étrangères Alioune Badara Cissé est particulièrement actif sur le dossier et je le remercie très sincèrement de sa disponibilité malgré les dossiers urgents et importants dont il a la charge.

L’élection au poste de Directeur général du BIT donne lieu à une vaste campagne diplomatique qui se déroule sur le plan mondial. Cette fois-ci, neuf candidats originaires des diverses régions du monde se sont officiellement déclarés. Curieusement, c’est la première fois dans l’histoire de l’OIT qu’il y a autant de candidats de très hauts niveaux, et c’est la première fois l’Afrique a autant de chances de remporter cette élection au BIT.

Etes-vous juste le candidat de l’Afrique ou pensez-vous pouvoir compter sur d’autres appuis ?

L’Afrique n’est pas parvenue à s’unir autour d’un seul candidat, c’est pourquoi l’Union Africaine a préféré entériner les trois candidatures qui ont été introduites par leurs gouvernements respectifs : le Sénégal, le Bénin et le Niger. Du reste, l’Europe se trouve un peu dans la même situation puisqu’elle a quatre candidats officiels. Cependant, la multiplicité des candidatures n’a pas que des inconvénients.

L’Europe a déjà détenu ce poste plusieurs fois, et l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine une fois. Il se trouve que parmi les trois candidatures africaines, c’est celle du Sénégal qui semble recueillir le plus grand nombre d’opinions favorables auprès des autres continents, en raison notamment d’un profil combinant les compétences en matière de négociations acquises au gouvernement sur les questions du monde du travail, avec la pratique du dialogue social et de l’action syndicale au niveau continental, et une longue expérience dans l’équipe de direction générale du BIT.

J’ai le sentiment que le Sénégal peut compter sur le soutien des gouvernements en Afrique mais aussi, sur les organisations d’employeurs et de travailleurs africains qui ont compris les enjeux stratégiques de cette élection. Au-delà du continent africain, le Sénégal peut se féliciter aussi de ce qu’un certain nombre de pays lui ont d’ores et déjà exprimé leur appui politique. Mais, rien n’est encore acquis, comme vous le savez, en matière d’élection politique à l’échelon mondial ; il faut rester mobilisé et vigilant jusqu’à la proclamation des résultats.

Quelles seraient les priorités de votre programme si vous étiez élu ?

Comme tous les autres candidats au poste de Directeur général, j’ai présenté récemment au collège électoral du Conseil d’administration du BIT, une Déclaration écrite sur la façon dont je conçois l’avenir de l’OIT et les priorités stratégiques que je poursuivrais si j’étais élu.

Pour préciser la raison d’être de mes propositions, je voudrais tout d’abord rappeler que le monde a considérablement changé depuis les deux dernières décennies. La plupart des grands problèmes du monde du travail se sont aggravés tandis que d’autres sont devenus plus complexes à résoudre. Pour résumer la situation en quelques mots, je prendrais l’exemple de la mondialisation. On sait maintenant qu’elle n’a pas tenu ses promesses de redistribution des ressources à l’échelle planétaire de création d’emplois, ni celles d’améliorer les niveaux de vie et de travail des populations les plus défavorisées. D’une part, les conséquences des crises économiques et financières mondiales se sont traduites dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, par un durcissement du dialogue social face aux menaces qui pèsent sur les acquis sociaux, sur une baisse de l’offre de protection sociale et des droits à la négociation collective, et sur l’aggravation du chômage des jeunes. D’autre part, le ralentissement économique actuel constitue une menace sérieuse pour le financement de la coopération technique. Enfin, en Afrique comme dans les autres pays du Sud, les crises de la mondialisation ont des impacts disproportionnés sur l’emploi, la protection sociale et le développement des entreprises, elles entravent le processus de réduction de la pauvreté et la réalisation de l’ensemble des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Dans ce contexte, l’OIT doit être en mesure de répondre à des défis plus complexes, et d’aider les gouvernements, les Employeurs et le Travailleurs à mieux faire face aux menaces qui pèsent sur la réalisation des objectifs du travail décent. Il paraît donc urgent de s’atteler à des reformes de gestion et de gouvernance internes allant dans le sens des exigences accrues d’efficacité, de performance et de compétence comme l’exigent les mandants de l’Organisation. L’OIT doit pouvoir être plus efficace sur le terrain, notamment dans les régions comme l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie, c’est-à-dire être mieux à l’écoute de ses mandants, se concentrer sur leurs priorités, renforcer leurs propres capacités et moyens d’action afin que les activités de l’Organisation aient plus d’impacts et donnent des résultats plus tangibles.

C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de mener en étroite collaboration avec le Conseil d’administration du BIT, une série de réformes dans quatre directions stratégiques : premièrement, une meilleure gouvernance du Secrétariat de l’OIT (c’est-à-dire le BIT) et de ses structures du terrain ; deuxièmement, un renforcement des capacités techniques de production et de partage des connaissances ; troisièmement, une plus grande efficacité de notre coopération technique dont le succès dépendra du renforcement des capacités des mandants à y participer effectivement ; et enfin quatrièmement, la poursuite de la réforme du corpus normatif de l’OIT pour en accroître à la fois, la pertinence au plan national, et l’universalité en tant qu’instrument de référence.

Vous me permettrez de ne pas trop entrer dans les détails de ce programme. J’ajouterais simplement que l’OIT telle que je la conçois dans les prochaines années, devra rester ancrée dans ses valeurs et principes de justice sociale et de tripartisme, ainsi que ses principaux domaines de compétences que sont : la protection sociale, le dialogue social, les normes internationales du travail, l’emploi, la promotion de l’entreprise, la formation et le développement des compétences.

L’équation des moyens a souvent plombé la démarche des bureaux régionaux, que comptez-vous faire à ce niveau

Les bureaux régionaux sont les bras armés de l’Organisation sur le terrain qui lui permettent d’être au quotidien au plus près des mandants, c’est-à-dire, les gouvernements et les partenaires sociaux. Le BIT ne saurait être efficace sans le dynamisme de ses bureaux régionaux et des bureaux de zone. Mais on ne peut pas dire en toute objectivité que l’action de ces bureaux a été plombée, car ce ne sont pas tant les moyens qui font défaut, que la pertinence des actions menées, la masse critique des ressources techniques mobilisées pour les réaliser et une judicieuse collaboration technique entre les services du siège et du terrain.

Des réformes importantes ont été entreprises depuis plusieurs années, il s’agit d’aller plus loin, et surtout de savoir quels problèmes traiter en priorité, et comment mieux organiser véritablement nos bureaux régionaux et de zone au service des mandants de l’Organisation. Les moyens mis en œuvre devront sans doute être à l’avenir plus consistants, mais c’est en fonction des résultats et des impacts fixés qu’ils devront être déterminés ainsi que l’exige la logique de la gestion axée sur les résultats. L’expérience m’a appris qu’il existe dans notre Organisation plusieurs approches possibles pour relever le défi de l’efficacité, de l’impact et de la pertinence dans les limites des ressources disponibles. J’ai proposé par exemple dans mon programme de réformes, de recentrer les moyens de l’Organisation sur un nombre limité de thèmes et de priorités fondamentales afin d’atteindre une masse critique de capacité d’intervention sans recourir à un recrutement massif qui exigerait des ressources dont l’Organisation ne dispose pas.

Il faut noter pour s’en féliciter, que nos bureaux régionaux à travers le monde ont fait beaucoup de progrès en termes de résultats. Il y a cependant des marges d’amélioration pour encore plus d’efficacités dans les programmes pays pour le travail décent.


SOURCE:Lagazette
Entretien réalisé par Pape Amadou FALL