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ATTEINTES AUX LIBERTÉS PUBLIQUES AU SÉNÉGAL : Badara Gadiaga, 2 mois ; Abdou Nguer, 5 mois d’injustice, pour avoir défié Ousmane Sonko

Rédigé par leral.net le Mercredi 10 Septembre 2025 à 14:39 | | 0 commentaire(s)|

ATTEINTES AUX LIBERTÉS PUBLIQUES AU SÉNÉGAL : Badara Gadiaga 2 mois, Abdou Nguer, 5 mois d’injustice pour avoir défié Ousmane Sonko

 
 
 
Depuis avril et juillet 2025, Abdou Nguer et Badara Gadiaga, deux figures familières des plateaux de télévision, sont maintenus derrière les barreaux. Officiellement, il leur est reproché la «diffusion de fausses nouvelles» et des «discours contraires aux bonnes mœurs». En réalité, ils payent le prix fort de leurs critiques contre le Premier ministre Ousmane Sonko et sa majorité. À l’heure où le Sénégal se targue d’être l’un des bastions démocratiques de l’Afrique, leur détention prolongée soulève une inquiétude profonde : celle d’une République qui vacille sous les coups de boutoir de l’intolérance politique.
 
 
 
Rebeuss, un nom qui évoque, pour les Sénégalais, le poids de la privation de liberté. Depuis bientôt cinq mois pour l’un, près de deux mois pour l’autre, deux voix familières des débats publics sont enfermées dans ces lieux devenus synonymes de silence imposé. Abdou Nguer, interpellé le 15 avril et placé sous mandat de dépôt le 17 avril 2025, compte à ce jour 145 jours de détention. Badara Gadiaga, chroniqueur populaire de Tfm, a été inculpé et emprisonné le 9 juillet 2025, soit depuis deux mois. Leur crime ? Non pas d’avoir pris les armes ni d’avoir menacé la République, mais d’avoir usé de leur droit à la parole dans un pays qui se présente comme une démocratie.
 
 
 
Des procédures judiciaires alourdies à dessein
 
 
 
L’affaire Abdou Nguer a commencé presque banalement : une «fausse nouvelle» relayée sur les réseaux sociaux autour du décès présumé de Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel. Un délit prévu et puni par l’article 255 du Code pénal, une disposition régulièrement utilisée pour réduire au silence des voix critiques. Arrêté le 15 avril par la Section de recherches de la gendarmerie, Nguer est placé en détention préventive dès le 17 avril. Mais l’affaire prend rapidement une tournure politique : un mois plus tard, le 20 mai, de nouvelles charges s’ajoutent — offense au chef de l’État et apologie de crime ou de délit. Le juge d’instruction lui notifie un second mandat de dépôt, et sa demande de liberté provisoire est sèchement rejetée en première instance comme en appel.
 
 
 
La main lourde de la justice
 
 
 
Du côté de Badara Gadiaga, le scénario est tout aussi inquiétant. Interpellé dans la nuit du 9 au 10 juillet par la Division spéciale de la Cybercriminalité, il est d’abord entendu pour «discours contraires aux bonnes mœurs», une incrimination fourre-tout aux contours flous. Mais les choses s’accélèrent : le 12 juillet, le parquet ajoute à la liste des accusations la « diffusion de fausses nouvelles» et «l’offense à une personne exerçant tout ou partie des prérogatives du président». Deux jours plus tard, le 14 juillet, le doyen des juges d’instruction signe son mandat de dépôt. Il croupit depuis à la prison de Rebeuss, chambre 18, sans aucune perspective immédiate de procès.
Dans les deux cas, la machine judiciaire s’est montrée implacable. Pas de présomption d’innocence respectée, pas de recours efficaces : juste une logique de punition exemplaire. Les juges invoquent la gravité des faits, mais comment justifier qu’un chroniqueur qui se trompe ou qui offense par ses mots puisse être privé de liberté pendant des mois ? Les démocraties matures connaissent d’autres outils : le droit de réponse, l’amende, la sanction civile. Au Sénégal, c’est la prison qui attend ceux qui osent franchir la ligne rouge tracée par le pouvoir.
 
 
 
Un symbole qui transcende les clivages
 
 
 
Pour Badara Gadiaga déjà, la liste des personnalités qui ont franchi les murs de Rebeuss pour lui rendre visite en dit long sur la petitesse de la décision qui l’a envoyé en prison. Car rares sont les détenus qui, en si peu de temps, ont suscité une telle mobilisation de hautes figures de la nation. On y retrouve un ancien ministre de la Justice, l’éminent professeur Serigne Diop, l’actuel bâtonnier de l’Ordre des avocats, mais aussi presque toute la classe politique issue de l’opposition, venue marquer sa solidarité.
Et ce n’est pas tout. Des autorités religieuses, réputées pour leur prudence et leur sens de la mesure, ont, elles aussi, jugé nécessaire d’apporter leur soutien. Ce mélange de soutiens politiques, juridiques et spirituels révèle une vérité implacable : l’incarcération de Gadiaga n’a convaincu personne de sa culpabilité, mais a au contraire renforcé son statut de victime d’une décision injuste et disproportionnée.
En réalité, plus les visites s’accumulent, plus l’isolement recherché par le pouvoir se retourne contre lui. L’emprisonnement de Gadiaga a transformé un chroniqueur de télévision en symbole national, fédérant autour de lui des voix que tout oppose d’ordinaire, mais qui trouvent ici un terrain d’entente : la défense de la liberté d’expression.
 
 
 
Le spectre des propos du Premier ministre
 
 
 
Mais ces affaires ne sauraient être comprises sans rappeler les mots prononcés par Ousmane Sonko lors de son dernier passage à l’Assemblée nationale. En effet ce 14 avril 2025 restera comme une date lourde de sens dans cette affaire. Ce jour-là, devant des débuts qui lui sont acquis, le Premier ministre Ousmane Sonko, répondait aux questions des députés. Dans un élan de colère, il a lancé une menace qui résonne encore dans les esprits : «On va effacer tous ces petits chroniqueurs, comme ça les opposants de salon qui les financent seront obligés de sortir de leur cachette pour nous faire face.»
Dans la bouche d’un chef de gouvernement, une telle déclaration ne pouvait pas passer inaperçue. Elle sonnait comme une feuille de route donnée aux forces de l’ordre et à la justice : neutraliser ceux qui, par leurs critiques acerbes, dérangent le pouvoir. Depuis, chaque arrestation de chroniqueur apparaît, aux yeux de l’opinion, comme une traduction judiciaire de cette menace politique.
Car ce ne sont pas seulement Badara Gadiaga et Abdou Nguer qui sont visés, mais bien l’ensemble des voix dissidentes. À travers eux, c’est un avertissement adressé à tous les éditorialistes, chroniqueurs et activistes qui se risqueraient à défier la ligne officielle. Le pouvoir actuel a beau s’en défendre, le lien entre la sortie du Premier ministre et l’incarcération de ces deux figures médiatiques est trop évident pour être balayé d’un revers de main.
En réalité, ce spectre pèse désormais sur tout l’espace public sénégalais. Chaque mot prononcé dans une émission, chaque publication sur les réseaux sociaux, chaque critique d’une décision gouvernementale est susceptible d’être interprété comme une provocation, donc punissable. C’est l’ombre inquiétante d’un pouvoir qui confond la critique avec la subversion, et qui oublie que la démocratie vit de la pluralité des opinions, pas de leur étouffement.
 
 
 
La démocratie sénégalaise en question
 
 
 
Le Sénégal s’est longtemps enorgueilli de son statut de «vitrine démocratique» de l’Afrique de l’Ouest. Depuis l’alternance de 2000, puis celle de 2012, le pays a cultivé l’image d’un espace où l’opposition pouvait s’exprimer librement. Mais la détention de Nguer et Gadiaga ternit ce tableau. Elle montre un État prompt à protéger le pouvoir contre ses critiques, quitte à sacrifier les principes de liberté d’expression.
Les organisations de la société civile ne s’y trompent pas. Plusieurs collectifs demandent la réforme urgente de l’article 255 du Code pénal. Cet article, qui punit la «diffusion de fausses nouvelles», est devenu l’arme favorite des procureurs pour museler les voix discordantes. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a déjà rappelé que de telles dispositions sont incompatibles avec l’article 9 de la Charte africaine, qui garantit le droit à l’information et à la liberté d’expression.
 
 
 
Des vies brisées pour des opinions
 
 
 
Derrière ces procédures, il y a des hommes. Abdou Nguer, chroniqueur connu pour son ton tranchant, n’a pas vu sa famille depuis des mois. Ses avocats dénoncent un «acharnement judiciaire» et rappellent qu’aucune preuve solide n’étaye les accusations les plus graves. Badara Gadiaga, figure des plateaux de Tfm, passe ses journées dans une cellule surpeuplée, attendant un procès dont personne ne sait quand il viendra.
Ces deux détenus ne sont pas des criminels de droit commun. Ils ne sont coupables que d’avoir exprimé, parfois de façon excessive, une opinion critique du régime. Leur détention n’honore pas le Sénégal, et elle envoie un signal désastreux à tous ceux qui croyaient encore que ce pays restait un modèle.
 
 
 
Un double standard insupportable
 
 
 
Le contraste est frappant : dans le même pays, des scandales de corruption d’ampleur nationale traînent dans les tiroirs des juges, alors que des chroniqueurs sont incarcérés sans délai pour des mots jugés offensants. Le Sénégal n’est pas le seul pays africain confronté à ce double standard, mais il est sans doute le plus scruté. Parce qu’il a bâti sa réputation sur la liberté et le pluralisme, chaque atteinte aux droits fondamentaux y résonne comme une trahison.
Il n’est pas trop tard pour corriger cette dérive. Les juges peuvent ordonner la mise en liberté provisoire de Nguer et Gadiaga. Le gouvernement peut cesser d’instrumentaliser des lois liberticides. Les parlementaires peuvent abroger ou réformer l’article 255. Le Sénégal doit se rappeler que la démocratie n’est pas seulement un mot inscrit dans la Constitution : elle se mesure à la façon dont l’État traite ses critiques.
58 jours pour Badara Gadiaga. 146 jours pour Abdou Nguer. Deux chroniqueurs derrière les barreaux pour avoir défié, par leurs mots, l’autorité du moment. Leur sort devrait scandaliser chaque citoyen attaché à la liberté. Car si aujourd’hui ce sont eux, demain ce pourrait être n’importe quel autre. La démocratie sénégalaise ne peut pas survivre si elle accepte qu’on emprisonne des innocents pour avoir osé parler.
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
 
 



Source : https://www.jotaay.net/ATTEINTES-AUX-LIBERTES-PUBL...