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AU SAHEL, DÉFIANCE CONTRE L'ORDRE MONÉTAIRE FRANÇAIS

Rédigé par leral.net le Mercredi 10 Septembre 2025 à 00:26 | | 0 commentaire(s)|

Le projet de banque confédérale annoncé par le Mali, le Niger et le Burkina Faso pourrait déclencher l'effondrement du franc CFA et redistribuer les cartes géopolitiques de l'Afrique francophone. Décryptage !

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger franchissent une nouvelle étape dans leur quête d'émancipation financière. Après leur sortie fracassante de la CEDEAO en 2023, les trois pays dirigés par des militaires s'apprêtent à créer leur propre banque confédérale d'investissement et de développement, un projet qui pourrait redéfinir l'équilibre monétaire en Afrique de l'Ouest et questionner l'avenir du franc CFA dans la région.

Selon une analyse publiée le 9 septembre 2025 par le journaliste Nadoun Coulibaly dans Jeune Afrique, cette initiative s'inscrit dans une stratégie plus large de reconquête de la souveraineté économique. La Banque confédérale pour l'investissement et le développement (BCID-AES) devrait voir le jour avec un capital initial de 500 milliards de francs CFA, soit environ 890 millions de dollars.

Cette démarche traduit une volonté de s'affranchir des contraintes imposées par l'arrimage du franc CFA à l'euro. "Les pays de l'AES ont des besoins massifs dans le domaine des infrastructures, de l'énergie, de l'agriculture, de la sécurité alimentaire et de l'industrialisation. Or leurs économies subissent des contraintes de financement liées à l'arrimage du franc CFA à l'euro et à l'absence de politique monétaire autonome", explique l'économiste sénégalais Magaye Gaye, cité dans l'article.

L'urgence de cette initiative s'explique également par l'isolement croissant de ces États sur la scène financière internationale. "Depuis les coups d'État militaires, le Mali, le Burkina et le Niger sont frappés par des sanctions internationales, et leur accès aux financements de la CEDEAO ainsi qu'à ceux de certaines institutions multilatérales a été suspendu", souligne Amadou Niang, directeur Afrique du groupe hongkongais SFE.

Le franc CFA à l'épreuve d'une nouvelle géométrie monétaire

Bien que les dirigeants de l'AES continuent d'affirmer leur attachement à la zone franc, leur démarche dessine les contours d'une reconfiguration profonde de l'espace monétaire ouest-africain. Les trois pays représentent des poids lourds de l'Union : 75% du territoire, près de la moitié de la population et environ 30% du PIB régional. Sur le marché financier régional, ils totalisent près de 35% des levées de fonds.

Cette nouvelle architecture pourrait préfigurer une évolution plus radicale du système monétaire. "À moyen terme, sa trajectoire stratégique devrait conduire l'AES à créer sa propre banque centrale, condition d'une autonomie monétaire et d'une pleine maîtrise des réserves", anticipe Magaye Gaye dans les colonnes de JA.

L'économiste malien Modibo Mao Makalou, également cité dans l'article, confirme cette perspective : "La banque de développement de l'AES s'inscrit dans une stratégie d'émancipation, qui vise à financer les pays en fonction de leurs propres priorités et à négocier d'égal à égal avec des partenaires extérieurs."

Le financement de cette institution révèle les nouvelles alliances géopolitiques de ces États sahéliens. Si les bailleurs de fonds traditionnels se montrent réticents, d'autres acteurs pourraient prendre le relais. La banque pourrait "obtenir le soutien d'autres financeurs, comme les pays du Golfe, la Chine, la Russie ou encore les institutions des BRICS", note l'analyse de Jeune Afrique.

Cette réorientation vers de nouveaux partenaires financiers illustre la volonté de ces pays de diversifier leurs sources de financement et de réduire leur dépendance vis-à-vis des institutions occidentales traditionnelles.

Vers un "pluralisme institutionnel" ou un divorce monétaire ?

La coexistence entre cette future banque confédérale et les institutions existantes comme la BCEAO ou la BOAD reste théoriquement possible, mais elle cache des enjeux plus profonds. "C'est a minima une séparation de biens : l'AES se dote de ses propres leviers pour financer ses priorités et protéger ses choix. À moyen terme, si sa politique monétaire devient pleinement autonome, cela ressemblera davantage à un divorce assumé", analyse Magaye Gaye.

Cette évolution pourrait accélérer la fragmentation de l'espace monétaire ouest-africain et remettre en question la viabilité à long terme du franc CFA tel qu'il existe actuellement. Les trois États de l'AES disposent désormais d'une masse critique suffisante pour expérimenter des alternatives monétaires, ouvrant la voie à une recomposition majeure de l'architecture financière régionale.

La réussite de ce projet dépendra néanmoins de la capacité de l'Alliance à maintenir sa stabilité politique et à attirer des capitaux suffisants pour rivaliser avec les institutions établies. Un défi de taille pour des régimes militaires confrontés à de multiples défis sécuritaires et économiques, mais qui témoigne de leur détermination à redéfinir les règles du jeu financier en Afrique de l'Ouest.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/economie/au-sahel-defianc...