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Abbas Jaber, président du groupe Advens Geocoton : « L'image de la France s'est dégradée en Afrique de l'Ouest »

Rédigé par leral.net le Mardi 4 Octobre 2022 à 19:48 | | 0 commentaire(s)|

Abbas Jaber, président du groupe Advens Geocoton, principale firme étrangère dans l'agroalimentaire au Burkina Faso, estime que l'intervention anti-djihadiste française durant dix ans, aurait dû s'accompagner d'un volet de soutien au développement.


Le coup d'Etat de ce week-end au Burkina Faso est-il dirigé contre la France, voire manipulé par Moscou ?

Je suis un industriel, pas un géopoliticien, et je ne peux donc évaluer précisément, les tenants et aboutissants de ce putsch. Mais je constate combien l'image de la France s'est dégradée dans la région. C'est bien beau de mener une opération militaire contre les djihadistes, comme la France l'a fait il y a dix ans. C'était effectivement nécessaire. Mais ensuite, dès lors que l'intervention se prolongeait, il fallait s'occuper de développement économique et d'emplois.

Faute de quoi, on est inévitablement perçu comme une armée d'occupation. Or rien n'a été fait de ce genre, ni même tenté. Le militaire seul ne résout rien. Il est nécessaire, bien sûr. Et nos militaires, d'ailleurs, ont agi avec sagesse et courage. Mais à quoi bon si l'on n'est pas présent, en parallèle, pour apporter des solutions aux problèmes concrets, quotidiens, des gens ?

La France et les bailleurs de fonds n'ont vraiment rien fait ou bien ça a été mal géré ?

Il fallait mettre le paquet sur l'agriculture qui assure ici 80 % des emplois et qui est d'autant plus rentable, que les Burkinabés sont un peuple travailleur et pacifique. Or, on ne l'a pas fait. Ce n'est pas faute, pour nous, Géocoton, qui sommes le premier employeur privé étranger du pays, d'avoir alerté, sonné à toutes les portes des bailleurs de fonds, parlé à la Banque publique d'investissement et à l'Agence française de développement. Mais on ne nous a pas répondu. On a financé des lampadaires solaires à Dakar, pour la sécurité des paysans venus en ville. Mais les « fixer » dans les campagnes, les aider à rester au pays en leur octroyant, par exemple, des microcrédits, on ne l'a pas fait.

Et l'amertume, ici, est d'autant plus vive que les Africains voient l'accueil sans visa, au demeurant légitime, des réfugiés ukrainiens en Europe. Ils voient l'argent dépensé par les Occidentaux dans cette guerre. Et eux, qui parlent français et aiment la France, ont l'impression de rester en rade. L'incendie du service des visas du consulat de France ce week-end, est symptomatique de cela. De même que l'impopularité de l'armée française constatée lors de son transfert ici, au moment de son retrait du Mali vers le Niger. Autre point illustrant la dégradation de la relation entre la France et l'Afrique : jamais, dans l'histoire de cette dernière, il n'y avait eu cinq coups d'Etat en Afrique de l'Ouest en deux ans ! Bref, forte instabilité. Malaise profond. Attention ! Car la nature a horreur du vide. Et, si la France n'est plus appréciée ici, d'autres sont en embuscade…

Comment évaluez-vous la situation sécuritaire et sociale ces derniers mois au Burkina Faso ?

Elle est très délicate en raison de la sécheresse, des ravages des insectes sur les cultures, des effets du confinement instauré à la suite du Covid et, dernièrement, de la hausse des prix du blé et des engrais à cause de la guerre en Ukraine. Tout cela peut devenir très dangereux. Il faut se rappeler qu'ici le terrorisme a, aussi, des racines sociales. Si les gens ont un emploi, s'ils estiment bénéficier d'une certaine dignité, ils ne vont pas se faire recruter par les djihadistes. Sinon… Les entreprises françaises, voire les ressortissants de l'Hexagone, deviendront des cibles. On entend déjà certaines personnes dire : « Chacun d'entre nous doit repérer « son » Français, dont il faudra s'occuper le jour J » . Alors rien n'est perdu, bien sûr. L'aura du président Macron, malgré des incidents épidermiques, reste forte. Mais il faut aller vite. Et il faut des signes tangibles.





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