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Dimanche 14 Septembre 2008

Chapitre 7 :Un crime sur commande


Au regard des enquêtes conduites, hier, comme aujourd’hui, tout porte à confirmer que la mort de Babacar Sèye, intervenue le 15 mai 1995, n’a été possible que grâce à la conjugaison de facteurs politiques, de conditions et de circonstances qui ont été consciemment déterminées par certains responsables politiques nationaux.



Leur appui logistique, leurs moyens financiers et leur détermination l’ont, en effet, rendue irréversible. C’est ce sentiment que traduit, si éloquemment, en mai 1993, le texte de Sidy Dieng cité dans le chapitre précédent. C’est ce que confirme, en des termes plus précis, Pape Ibrahima Diakhaté, en révélant, sans détours, les noms de leurs commanditaires.
« Tout le pays s‘en doutait, depuis cet après-midi du samedi 15 mai 1993 : les assassins n’ont été, en réalité, que le bras armé d’un système, en particulier, celui d’un homme, dont les ambitions démesurées pour l’accession au pouvoir, ont pu conduire à tous les excès avant son sacre. C’est le moment ou jamais d’édifier, définitivement, la nation en démontrant de façon irréfutable l’implication des responsables du Pds, celle de son chef et de son épouse dans l’assassinat de Me Babacar Sèye. »

Après les événements de 1988 et l’emprisonnement de certains camarades de Pape Ibrahima Diakhaté, la bande n’a pas, pour autant, rompu ses relations avec les leaders du Pds. La participation des Libéraux au gouvernement entre 1991 et 1993 avait, comme refroidi ces relations, soutient aujourd’hui Diakhaté. Il explique avoir été, particulièrement, choqué par cette entrée :
« Elle m’était insupportable car j’estimais qu’elle était en contradiction flagrante avec le combat auquel nous appelait Me Wade et dans lequel je m’étais activement engagé deux ans auparavant. Les autres camarades, Clédor Sène, en particulier, communiquaient avec Me Wade parfois directement mais le plus souvent indirectement par l’entremise de certaines personnes comme Mody Sy. Nous avons renoué les contacts, de façon plus assidue, dès la sortie de Me Wade et de ses ministres du gouvernement de majorité présidentielle élargie (Groc), constitué le 7 avril 1991. Ce fut au moment où les libéraux s’apprêtaient à aller en campagne électorale, pour le scrutin présidentiel de février 1993. A la veille du lancement officiel de cette campagne électorale, Me Wade nous fit appeler et nous fit savoir lui et son épouse, qu’il souhaitait nous avoir avec eux dans leurs tournées politiques programmées à l’intérieur du pays. »

Les jeunes contactés marquent immédiatement leur accord. Me Wade a besoin de leurs services pour renforcer sa sécurité. Après leur rencontre, c’est son épouse qui, selon pape Ibrahima Diakhaté leur remet une somme d’argent d‘un montant de cinq cent mille, sur les ordres du « Vieux ». Cet argent doit servir à l’achat d’armes. « C’était pour nous permettre, disaient les époux Wade, de mieux assurer leur défense. «
Clédor Sène et Pape Ibrahima Diakhaté décident alors, explique ce dernier, de se rendre à Touba pour acheter deux pistolets. Ils ont finalement renoncé à ce voyage car ils estiment que les sommes prévues ne sont pas suffisantes pour avoir les armes de qualité dont ils ont besoin. C’est la première fois que l’épouse de Mme Wade remet, en sa présence et à sa connaissance, soutient Diakhaté, de l’argent à un de ses camarades avec qui, il a été accusé et jugé, pour l’assassinat de Me Sèye.

Après le voyage avorté de Touba, Clédor Sène, explique Pape Ibrahima Diakhaté, entre en contact avec quelqu’un dont il oublie le nom, pour acheter des armes. Leur contact officie à « Keur Sérigne-bi ». C’est un haut lieu de trafic de toutes sortes, situé sur l’Avenue Blaise Diagne à Dakar. Selon Pape Ibrahima Diakhaté, c’est là où Clédor a pu se procurer un pistolet.

Après quoi, ils peuvent partir en campagne, avec le Secrétaire général du Pds. Viviane Wade tient, manifestement, à leur faire porter des armes au cours des tournées politiques. Diakhaté soutient que celle-ci a, finalement, convaincu son époux de leur prêter une arme personnelle. Clédor Sène la porte en permanence durant toute la campagne. Il s’agit, en fait, d’un pistolet 9mm long.

Abdoulaye Wade et les jeunes futurs criminels entament, dès l’ouverture de la campagne, les tournées par la région de Tambacounda. Clédor et ses amis prennent place dans un véhicule appartenant à feu Boubacar Sall. Une 405 conduite par un chauffeur du nom de Saourou : le conducteur attitré de Boubacar Sall. Ousmane Sène dit « Tenace », Clédor Sène, Ahmed Guèye et lui-même voyagent toujours à bord de ce véhicule et restent toujours ensemble. Et ce, jusqu’à la fin de la campagne. Diakhaté se souvient de certains détails :
« Je me rappelle encore la superbe nuit que nous avons passée à Kédougou. Le séjour était à la fois gai et plaisant. C’était la première fois que je rencontrais Kader Sow, l’actuel directeur de cabinet du Chef de l’Etat. Nous étions, en effet, avec lui ce jour-là et avions dîné ensemble. Je me rappelle que nous avions mangé un couscous à la sauce viande, au domicile d’un responsable local du parti où nous avions également passé la nuit.
Depuis la région de Tambacounda, nous avons suivi le cortège du Pds durant toute la campagne menée dans l’ensemble du pays. Nous avons sillonné toute la Casamance. J’avais particulièrement aimé cette étape de la tournée. Le « Vieux » avait peur de cette région. Contrairement à ce qu’il voulait faire croire, il ne se sentait, nullement, en sécurité dans cette région en rébellion et très peu sûre à l’époque, surtout. Je le sentais dans son attitude. Il affichait une prudence extrême et se montrait très regardant concernant les mesures de sécurité arrêtées. ».

Après le crime du 15 mai, certains responsables du Pds tentent de minimiser, vaille que vaille, la présence de la bande à Clédor aux côtés de Me Wade. Certains vont jusqu’à dire que ceux-ci sont des agents doubles du Ps qui ont travaillé pour un court instant dans l’entourage immédiat de leur chef. Rien n’est moins faux que de telles affirmations, déclare Diakhaté :

« Nous n’avons jamais joué ce double rôle. Nous étions et travaillions avec le « Vieux » car nous étions convaincus que son combat était juste, légitime et nécessaire. Il nous l’avait dit et nous avait convaincus de le suivre. Nous l’avons fait, jusqu’à la limite de l’inacceptable. Et nous en avons payé le prix fort. Ce fut injuste et malhonnête de la part de ces responsables libéraux qui prétendaient que nous étions des éléments introduits dans leur rang dans le dessein de nous faire jouer un double jeu. »

Aujourd’hui, Pape Ibrahima Diakhaté parle de leurs relations avec Abdoulaye Wade et son parti d’une façon presque dépitée. Il fait défiler le film de ses souvenirs avec un certain pincement au cœur. Il croit que tout était fait et organisé pour embrigader des consciences de jeunes trop fragiles car peu mûres. Il se souvient :

« Nous travaillions en symbiose avec le Pds et son premier responsable. Nous communions et nous étions dans le même combat. Nous devrions tous nous montrer solidaires dans les épreuves comme nous avions décidé ensemble d’emprunter le chemin ayant conduit aux dérives qui expliquent la mort de Me Sèye. Pour ce qui nous concerne nous avons été, d’une certaine manière, solidaires car nous avons, lors de notre procès, comme pendant les enquêtes de police et l’instruction de cette affaire Me Sèye, menti au pays et à la justice pour protéger Me Wade. Si nous n’avions pas été solidaires Me Abdoulaye Wade n’aurait jamais été élu ce 19 mars 2000, Président de la République du Sénégal. »

Pape Ibrahima Diakhaté dit garder et gardera, à jamais, un amer souvenir de son compagnonnage avec le « Vieux ». Il l’admirait. Il ne se lassait jamais de se laisser prendre en photo avec Abdoulaye Wade, pendant les campagnes électorales, de février et de mai 1993. Il avait confectionné un album photo très riche qui retraçait et immortalisait, pour ainsi dire, les moments vécus pendant la campagne pour les scrutins présidentiel et législatifs, en particulier, lors des tournées effectuées dans les trois régions de Tambacounda de Kolda et de Ziguinchor.

Seulement, dès que Babacar Sèye a été assassiné, des responsables du Parti démocratique sénégalais, en particulier Abdoulaye Faye, leur ont suggéré de détruire toutes les photos qu’ils avaient par devers eux et qui étaient susceptibles de compromettre le Pds et ses responsables. Celles-ci ont été toutes détruites, à en croire Pape Ibrahima Diakhaté. Il regrette d’avoir suivi leurs conseils. Des archives parlantes existent pour expliquer leurs rapports avec les responsables du Pds. Des perquisitions intelligemment menées auraient permis, affirme Pape Ibrahima Diakhaté, aux enquêteurs de la gendarmerie nationale qui avaient en charge le dossier Me Sèye, d’établir la connexion entre leur bande et l’équipe de Maître Wade, d’alors.

En revanche, Diakhaté détient encore une seule photo qui reste des campagnes de 1993. Il s’agit d’une photo prise à Sédhiou à la maison des jeunes de cette localité. Le « Vieux » y figure. C’est d’ailleurs à cette étape de Sédhiou que Clédor Sène a pris contact avec Assane Diop pour lui demander de les rejoindre en campagne. Il marque sans accord. Diakhaté indique à ce propos :
« Nous l’avons embarqué à Rufisque, alors que nous venions de Diourbel. Lui prenait souvent place au cours de la tournée à bord d’un véhicule 4x4 conduit par un certain Moussa Bâ. Pendant pratiquement toute la campagne, nous étions ensemble, sauf à Saint-Louis. Nous ne sommes pas allés dans cette ville. Nous étions, par contre, avec Me Wade dans les régions de Kaolack et de Fatick et de Diourbel. Je me souviens que quand le cortège de Me Wade séjournait à Diourbel, celui de l’ancien président de la république, Abdou Diouf, y était aussi. Il y avait un brin de tension dans la ville. Abdou Diouf était dans l’Hôtel de Ville quand nous traversions la ville et nous dirigions vers le stade. Nous apercevions les militants socialistes à l’intérieur de la cour de l’hôtel de ville. Jacques Baudin était à l’époque le maire de cette localité. Tous ces militants jetaient un regard curieux vers nous alors que nous nous rallions le stade de la ville. »

Après le meeting de Diourbel le convoi de Maître Wade descend sur Thiès.

« Ousmane Ngom est omniprésent au meeting au point d’éclipser Boubacar Sall qui paraît moins actif que d’habitude, ce jour-là, selon les constations de Diakhaté. Ousmane Ngom, a toujours manifesté beaucoup d’égards à l’endroit de notre bande.
«Je me souviens d’un petit incident, en fait, un détail, comme il s’en produit souvent dans les rassemblements politiques : Clédor a eu une violente prise de gueule avec un militant qui voulait monter à la tribune ou devait prendre place Me Wade et la délégation du parti. C’est Ousmane Ngom qui les a calmés. L’insistance de ce militant qui tentait de forcer le barrage de sécurité que nous constituons le rendait, à nos yeux, quelque peu suspect. Nous étions vigilants nous étions convaincus que le Ps était capable d’un coup fourré en retournant les armes de certains proches ou militants contre le Secrétaire général du Pds. On nous l’avait dit et fait croire. Le doute n’était pas possible. »

En dépit de son amertume légitime, Pape Ibrahima Diakhaté se rappelle avec beaucoup de plaisir des campagnes électorales de février et mai 1993 :

« Nous avons passé avec les responsables du Pds une extraordinaire campagne électorale pour le scrutin présidentiel de février 1993. Nous étions convaincus que la campagne était pleine et réussie. Nous pensions qu’elle serait décisive pour l’issue du scrutin. Le candidat Wade avait déjà perdu la bataille de la présidentielle. Il misait sur les législatives pour forcer une cohabitation qui aurait forcé la démission du candidat du Ps qui, de toutes les façons, était mal, selon les analyses que Me nous en avait présentée. Nous avions mené campagne avec la conviction que c’est maître qui allait gagner. Il ne pouvait, à nos yeux, perdre cette élection. Pour nous, la victoire était certaine. Nous avions tous acquis cette conviction. La désillusion fut grande. L’amertume était d’autant plus forte que nous avions le sentiment profond que la victoire nous a été volée. Les élections législatives se présentaient alors comme un ultime rendez-vous qu’il ne fallait, en aucun cas, rater. »

La bande à Clédor Sène, était finalement devenue centrale dans le dispositif de campagne d Pds. Elle se voyait confier des missions spéciales, y compris de jour de vote. Ce dimanche 9 mai 1993, ils ont été sollicités par Me Wade, pour transporter un marabout qui était un de ses alliés principaux.

Pape Ibrahima Diakhaté raconte :

« Pendant cette campagne nous faisions partie du groupe des hommes de confiance de Wade. Je peux même dire des mots à propos de ses relations avec le guide religieux, Moustapha Sy qui, à l’époque n’était pas du tout en bons termes avec le régime socialiste. Il le détestait, je crois, au plus haut point. Je me souviens avoir écouté à plusieurs reprises la fameuse cassette dans laquelle il parlait de l’ancien chef de l’Etat, Abdou Diouf. J’avais beaucoup apprécie sa sortie. Je respecte beaucoup cette personne-là. J’avais énormément apprécié le soutien qu’il apportait à Wade. Je me rappelle, lors du vote aux élections législatives du 9 mai 1993. Nous l’avons transporté à Tivaouane pour qu’il y effectue son de voir de citoyen. »

Pourquoi, eux, Pape Ibrahima Diakhaté, Ameth Guèye, et Clédor Sène ont-ils transporté le marabout ? Pape Ibrahima Diakhaté explique :

« Le jour des élections là, il avait un petit problème. Il devait aller voter à Tivaouane, mais n’avait pas d’autorisation pour s’y rendre. Il appelle le Vieux, qui lui prête une voiture du Pds. Je ne sais plus ce qu’on faisait chez le Vieux. Nous étions là, par hasard, et aucun chauffeur n’était disponible. Le Vieux désigne Ameth Guèye, pour qu’il conduise Serigne Moustapha Sy à Tivaouane. Nous sommes allés le chercher chez lui. Nous l’avons conduit à Tivaouane et nous l’avons ramené à Dakar. Au retour, à Diamniadio, nous avons été arrêtés par un gendarme qui voulait vérifier notre autorisation. En reconnaissant le marabout, il a plutôt sollicité des prières et nous a laissé partir. »

La proclamation des résultats de l’élection présidentielle de février avait profondément choqué Abdoulaye Wade. Diakhaté se souvient des entrées et sorties de certains ténors de l’opposition qui venaient rendre visite à Wade à son domicile :

« Je voyais des gens comme Landing Savané, Abdoulaye Bathily et autres dirigeants de l’opposition de l’époque, au domicile du « Vieux ». Personnellement, je ne savais pas de quoi ils parlaient avec leur hôte. Il me semble qu’ils discutaient de la mise en place d’un gouvernement parallèle. Il y avait des rumeurs et eux ils venaient au domicile du Vieux pour se concerter. »

En désespoir de cause, le « Vieux » abandonne le combat de la présidentielle. Et met en sourdine ses contestations. Il se résigne et repart à l’assaut de la citadelle socialiste. Les législatives sont pour lui une bouée de sauvetage. Quand Me Wade a décidé de battre campagne pour les législatives, Diakhaté se souvient qu’ils les a fait venir pour leur expliquer que :

« Les législatives peuvent faire « tomber l’autre ». Ils sont alors, à nouveau, partis avec lui en campagne.
« Nous savions que le « Vieux » attachait un important prix à ces élections. »

Abdoulaye Wade le souligne avec beaucoup de vigueur dans une déclaration faite le jour même de l’ouverture de la campagne électorale ce 18 avril 1993 :

« J’ai décidé moi-même de conduire la liste de mon parti (…) Si grâce à Dieu j’obtiens 61 des 120 députés de l’Assemblée nationale, il n y aura pas de gouvernement sans mon consentement, si je ne le forme pas moi-même. Donc contrôler l’Assemblée nationale, c’est avoir le pouvoir. »

Dans le même ordre d’idées, certains alliés traditionnels de Me Wade, préconisent le changement, en prenant la citadelle que constitue
l’Assemblée et en lançant à partir de là les réformes qui vont impulser les changements souhaités. Les législatives sont attendues avec beaucoup d’intérêt dans les deux camps qui se font face. Le pouvoir sait qu’en perdant la bataille la tâche du président qu’il vient de faire réélire sera très compliquée.

Les données politiques du pays font craindre le pire à nouveau. Les gens ont peur. Autant le Pds et ses dirigeants font peur, autant, eux aussi, semblent préoccupés par leur sécurité. Abdoulaye Wade et ses amis font circuler le bruit que certains nervis du Ps, sur commande, doivent attaquer les maisons des responsables libéraux. Jouent-ils ainsi à la diversion ou bien les rumeurs en question sont-elles fondées ? Wade veut assurer la sécurité autour de lui et surtout dans sa propre maison. Il commet la bande à Clédor Sène à cette tâche. Pape Ibrahima Diakhaté raconte :

« Il me revient à l’esprit quelques faits. Juste avant les législatives, nous avons passé des nuits chez Wade. Il nous fait venir, un jour, pour demander de passer la nuit à son domicile, parce qu’il avait appris que des nervis du Ps, allaient attaquer son domicile. On y a dormi au moins cinq jours. Quand nous sommes arrivés chez lui, pour prendre y nos quartiers, il a sorti de sa chambre à coucher une arme et nous l’a remise. Il s’agissait d’une chevrotine, un fusil de chasse : un cinq coups. Le 6ème coup est introduit manuellement. C’était un semi-automatique. Quand on dit semi-automatique, c’est quand tu « armes » une fois. Tu « armes » une fois et tire plusieurs coups. Mais ce n’est, pour autant pas une arme à rafales. Un autre jour, il nous a appelé pour qu’on passe la nuit chez lui. Ce jour-là, j’étais avec Clédor. Le « Vieux » nous a dit que les rumeurs persistaient, concernant une attaque éventuelle contre son domicile. Il précisait cependant que « cela ne tenait qu’à nous rester ou de partir. » Je n’avais pas senti la nécessité de rester et je suis allé dormir chez moi. Par contre, Clédor et les autres gars y ont dormi au Point E, chez le « Vieux ».

Les législatives interviennent le 9 février 1993. Le pays attend avec angoisse leurs résultats avait été traumatisé par les péripéties de la longue attente des résultats du scrutin précédent. On se rappelle que le juge Kéba Mbaye avait démissionné de la présidence du Conseil Constitutionnel laissant son fauteuil à un autre magistrat, Youssoupha Ndiaye, actuel ministre d’Etat, ministre des Sports, dans le gouvernement du président Abdoulaye Wade. Curieux retournement de l’histoire ! C’est lui qui a été dans un premier temps ciblé par les tueurs de Me Sèye.

« Je me rappelle que quand Kéba Mbaye a démissionné et que Youssou Ndiaye a été nommé, il nous a appelés et nous a dit : Youssou Ndiaye a été nommé pour voler les élections. Lui, je le connais bien, il est programmé pour me liquider avec mon parti. Est-ce que vous êtes capables de vous en prendre à lui. Il a ensuite ajouté, Diouf n’a pas respecté nos accords. On aurait dû se concerter avant que quelqu’un ne soit nommé. Les propos du Vieux sifflent encore dans mes oreilles. Il y a des mots qui sont difficiles à prononcer. Lui-même a eu du mal à sortir ceux par lesquels il nous exprimait ses souhaits. Il réussira, tout de même, à dire : « si vous pouvez éliminer Youssou Ndiaye, faites-le. »
Mieux ou pire, Il est allé plus loin, dans l’explicitation de son désir :

« Il faut l’assassiner, qu’on l’assassine. Il l’a dit en wolof et l’a répété en français. Il a conclu notre entretien avec cette terrible phrase que je n’oublierai jamais de même que je n’oublierai l’entretien au cours duquel elle a été prononcée. Il a eu lieu un dimanche soir à domicile du point E. Nous étions deux avec lui : Clédor Sène et moi-même dans son salon. Quelques instants après, Ousmane Ngom est venu nous rejoindre dans le salon. Nous avions déjà terminé notre entretien. Je suis sorti de là totalement bouleversé. Nous sommes restés silencieux pendant de longues minutes. J’ai quitté avec Clédor Sène le domicile de Me Wade, en cours de route, j’ai exprimé mes craintes à mon camarade. Il a esquivé la question quand je lui’ai dit : est-ce que tu penses cette opération est possible. Nous en avons reparlé trois jours après. La décision était ferme : nous refusions de nous exécuter. J’estimais que nous prenions trop de risques en essayant d’attenter à la vie de Youssoupha Ndiaye. En fait, nous avions louvoyé et tergiversé. Plus d’une semaine après notre entretien et en voyant que nous traînions les pieds, Me est revenu à la charge. C’est là où Clédor Sène et moi-même avons décidé de louer une voiture pour l’exécution de l’opération. »

L’argent de la location du véhicule leur a été remis par Abdoulaye Wade, alors que d’habitude, indique Pape Ibrahima Diakhaté, « c’est Viviane Wade qui donne les sommes d’argent dont nous avons besoin pour conduire nos activités », révèle Diakhaté. La voiture louée est une Ax Citroën. Elle est louée aux abords de la salle des ventes, auprès de la société de location, « Touba Auto ». Après avoir loué la voiture Diakhaté et Sène se sont « immédiatement rendus au domicile du Vieux avec la voiture louée pour lui rendre compte de l’état de nos démarches, en lui indiquant, également, que nous allions mettre en place un plan de filature du véhicule du nouveau président du Conseil constitutionnel. Je le voyais totalement détendu et même souriant. Il était, désormais, moins crispé, alors que quelques jours, auparavant, il se montrait agressif à notre égard. Il nous a remis encore de l’argent, avant qu’on ne sépare. Il nous le remettait en nous demandant d’aller louer des studios en ville pour mieux nous concentrer. Nous ne l’avions pas fait. »

Après le dernier entretien qu’ils ont eu avec Me Wade chez lui, les deux jeunes ont réfléchi. Ensemble, ils ont décidé de renoncer au projet de liquidation de Youssou Ndiaye. C’est Pape Diakhaté qui tente de dissuader ses amis de passer à l’acte :

« J’ai dit alors à mes gars, à Clédor Sène en particulier, qu’on ne pouvait pas faire une telle chose. Ne nous engageons pas là-dedans, c’est le propos que je leur avais tenu. Youssou Ndiaye logeait à l’époque près du Palais. Je me souviens que la porte du garage était peinte en vert. Nous avons décidé de simuler une attaque chez le juge constitutionnel pour faire croire que nous avions tenté et échoué l’opération commanditée par Me Wade. En réalité, il n’en était rien. Il s’agissait d’un bluff destiné à le calmer car il ne supportait plus de nous voir louvoyer avec ses instructions. Nous nous sommes dit, nous-mêmes, que ce n’était pas possible et qu’il fallait faire une revendication : « Attaque chez Youssou Ndiaye ». Des journaux, comme Walf et Sud avaient immédiatement repris à la une de leur édition du lendemain cette revendication factice accréditant l’idée qu’il y avait un attentat manqué chez Youssou Ndiaye. »

Les informations publiées à cet effet par les journalistes n’étaient pas prudentes ni dubitatives. Ils se reprendront, cependant, deux jours après, pour dire que c’était une fausse alerte. Tout cela tendait à prouver que les jeunes commis à la tâche de tuer Youssou Ndiaye n’étaient pas moralement, ni psychologiquement prêts à exécuter la mission qui leur a été confiée.

« Nous ne le pouvions pas. Nous ne le voulions pas, non plus. Abdoulaye Wade nous y a inlassablement poussés. Le plus grave, quand je le regarde se mouvoir dans l’espace présidentiel et présider aux destinées duj pays, c’est de me dire qu’on a pu en arriver là, à cause de cet homme devenu Président de la République. Abdoulaye Wade nous exhortait au meurtre, en utilisant des termes très féroces qui donnaient froid au dos. Nous résistions et manoeuvrions. Youssou Ndiaye ne pouvait pas mourir. Quelque chose nous interdisait d’envisager sa mort. Je le dis, car avec moins d’insistance nous avons attenté à la vie de Me Babacar Sèye. C’est Dieu qui en a voulu ainsi. Pourquoi ? Je ne sais pas »

C’est ainsi que parle, aujourd’hui, Pape Ibrahima Diakhaté. Concernant maître Sèye, depuis sa nomination au Conseil constitutionnel, Abdoulaye n’a jamais eu de cesse de l’attaquer, à cause de son passé politique de député socialiste. Il l’a souvent ciblé dans ses discours publics. « Celui-là, c’est un ennemi. Pape Ibrahima Diakhaté souligne avoir entendu Abdoulaye Wade répété, devant eux, à plusieurs reprises, cette phrase. Les propos de Me Wade sonnaient comme une sentence exécutoire. C’est du moins ce que soutient Pape Ibrahima Diakhaté :

« Il nous a dit que c’était son ennemi. Je me rappelle, c’était un dimanche. C’est Viviane Wade, elle-même, qui nous a reçus dans le salon, Me Wade s’entretenait en ce moment avec quelqu’un dans ses appartements. Il est venu nous rejoindre dans le salon, avant cela son épouse avait servi, à chacun de nous, un verre bien glacé de bissap. Un soleil de plomb dardait ses rayons sur Dakar, dans cette après de très forte canicule. La maison n’était pas, comme d’habitude remplie de militants. [Je me souviens encore des mots de Wade : « Ah, non, Me Sèye, ce n’est as possible. Je sais pourquoi il est là. C’est sûr qu’il a été nommé, uniquement, pour aider à tout truquer. C’est un scandale. Il doit payer, c’est un ancien militant du Ps ». Abdoulaye Wade précisera davantage sa pensée: »Lui, il ne faut pas le rater ».
Sur ces faits, le « Vieux » s’est levé et a fouillé dans une caisse, pour en sortir un vieil annuaire. Il griffonne sur un bout de papier les coordonnées de Me Babacar Sèye. »

Me Wade signe-t-il ainsi l’arrêt de mort de Babacar Sèye pour donner, ensuite, à ses bourreaux les moyens de dresser sa potence. « Oui » répond Pape Ibrahima Diakhaté quand il souligne que:

« Il nous indiqua aussi l’emplacement de sa villa de Mermoz. Il nous a, également, dit que Me Sèye avait une autre maison à Dieuppeul. Il mentionne sur le papier un numéro de téléphone. C’était celui de sa maison de Saint-Louis. Pour l’atteindre ce sera plus facile, indique-t-il, de l’attendre sur le chemin de la mosquée. Il nous fournit un détail : « tous les matins à l’aube, il va prier à la mosquée, vous pouvez l’attendre sur le chemin de la mosquée ». J’ai frémi quand il a fini de parler. »

Tuer, qui plus est, sur le chemin de la mosquée, la symbolique est suffisamment forte pour étonner, voire choquer, même de jeunes gens qu’on prépare à assassiner. Pape Ibrahima Diakhaté s’émeut :

« Je me suis demandé comment à son âge pouvait-il organiser l’assassinat d’un homme et recommander aux assassins désignés de l’attendre sur le chemin de la mosquée. Nous avions refusé et notre refus, en ce moment, était catégorique. Le « Vieux » nous amadouait. Il redoublera d’efforts quand il s’est rendu compte de notre détermination à maintenir notre refus. Il nous a alors boudé. Cette attitude a duré au moins une semaine. Au bout il avait décidé de changer de stratégie. Il nous fit appeler. Je me souviens c’est Abdoulaye Faye qui m’en avait informé en me précisant que Clédor Sène et Assane Diop étaient avertis. »

Abdoulaye Wade attend les jeunes à la permanence électorale de son parti. C’est quartier général situé à l’époque en face de l’école nationale de police. Il y attend depuis deux heures. Avant l’arrivée de Clédor Sène et de Pape Ibrahima Diakhaté, il était occupé à régler des problèmes d’intendance. Il réglait avec son staff des problèmes de véhicule et de tickets d’essence, se souvient Pape Ibrahima Diakhaté :

« Quand nous sommes venus le trouver, il ne nous a pas directement parlé de l’opération. Il a repris avec nous les discussions autour d’un vieux projet. Nous avions, en effet, un jour discuté avec lui des possibilités et de la nécessité de lancer une opération insurrectionnelle au Sénégal. Celle-ci devait instaurer un climat de guerre civile et de terreur susceptible de forcer Abdou Diouf à s’asseoir, à nouveau, avec lui pour déterminer les conditions de mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Ces discussions avaient lieu, tout juste avant son entrée dans le gouvernement en avril 1991. Il était question, à l’époque de nous faire voyager en Europe, en vue de rencontrer des partenaires du « Vieux » qui, selon ses propres dires devaient nous aider à acquérir des armes et à les faire convoyer au Sénégal. Le « Vieux » semblait sérieux, à l’époque, sur ce projet. Il avait interrogé chacun de nous pour savoir si nous disposions de passeports. Parmi nous, seul Clédor en possédait. Le « Vieux » expliquait, sans détours, qu’il était convaincu que le Ps ne lâcherai jamais le pouvoir et qu’il pensait qu’une insurrection était nécessaire pour l’en déloger. J’imagine que si le « Vieux » avait les moyens d’une telle aventure, il l’aurait tentée, en essayant de se réfugier derrière des paravents. Notre bande était l’embryon de son hypothèque « armée de libération » et le paravent disponible. »

En faisant miroiter à des jeunes l’idée de voyager en Europe et de se retrouver à la tête d’une structure de combat, disposant d’importants moyens modernes à cet effet, Abdoulaye Wade se donnait-il ainsi les moyens de manipuler des jeunes à la conscience fragile et trop naïve, pour croire et adhérer, sans inventaire, à une vaste supercherie politique ? Une supercherie qui, malheureusement, les a conduits au meurtre de Me Sèye. C’est cela que pense, aujourd’hui, l’un d’entre eux, Pape Ibrahima Diakhaté.

« Aujourd’hui, je mesure toute le subtilité de l’arnaque qui n’avait autre but que de manipuler et de dresser des criminels obéissants. Abdoulaye Wade nous précisait, au cours de nos entretiens de l’époque que tous les détails de nos déplacements en Europe devaient être réglés par Samuel Sarr, à qui il avait, disait-il, confier la conduite de l’opération. »

Dans la perspective de leurs déplacements en Europe Me Wade avait remis un paquet de travellers chèques à Clédor Sène. La contre valeur en Cfa était estimée à un peu plus d’un million. Pape Ibrahima Diakhaté ne sait pas le montant exact de la somme. Quand Clédor Sène a tendu le paquet de travellers à Me Wade pour les lui retourner, le « Vieux » n’a pas accepté, il indique aux jeunes qu’ils peuvent le garder. C’est ce qu’ils font. Clédor Sène assure la gestion des fonds, se souvient Pape Ibrahima Diakhaté. Ce dernier affirme :
« Dans la perspective de mettre en place notre groupe armé, tel que souhaité par le « Vieux », nous avions décidé de prendre contact avec un certain René Diédhiou. C’est cet homme qui a été pris par les enquêteurs et relâché quand nous avons été arrêtés. Beaucoup de personnes qui avaient entendu parler de son arrestation se demandent encore pourquoi il n’a pas été jugé. Il ne devait pas l’être, car il n’a jamais fait partie du complot. Son histoire avec notre groupe est simple à expliquer. Quand il Faut-il le rappeler, quand Clédor Sène a rendu l’argent et les travellers chèques au Vieux, il a refusé en nous disant « non, non, non, prenez-le ». Il était étonné, parce qu’il ne s’y attendait pas. Il nous avait en plus offert 100 litres. Le soir même. Clédor Sène a pris l’initiative, de contacter René Diédhiou, pour aller lui rendre visite en Casamance avec nous. Il ne connaissait pas exactement son village. Il savait, juste, qu’il habitait dans le département d’Oussouye, non loin de cette même ville. »

René Diédhiou est un ancien rebelle. Il a fait connaissance avec Clédor Sène en prison. Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté ont fait le voyage avec Clédor Sène pour lui rendre visite. Ils sont allés voir René Diédhiou pour le convaincre d’intégrer leur prétendu groupe armé en état de constitution. Ils l’ont trouvé chez lui à Bocotingo. C’est à Oussouye qu’on leur a indiqué le chemin qui conduit à son village natal de Bocotingo. Ils s’y sont rendus le soir même, quand ils sont arrivés dans l’après-midi à Oussouye. Clédor avait pensé qu’en rencontrant René Diédhiou, ce dernier pourrait les aider à trouver des armes de guerre ou leur indiquer des pistes clandestines pouvant servir à leur approvisionnement. Quand ils sont arrivés, les villageois ne leur faisaient pas confiance et les regardaient d’un drôle d’œil. Ce sont, pourtant, eux qui ont annoncé l’arrivée des hôtes à René Diédhiou qui était en cachette quelque part dans le village, non loin d’eux, nous précise Pape Ibrahima Diakhaté.

C’est René Diédhiou, lui-même, qui révèle le plus tard à ses visiteurs :

« Il nous voyait à notre entrée dans le village et c’est quand il a reconnu Clédor qu’il est sorti de sa cachette. Nous avons vu René, les gars ont discuté longuement avec lui. C’est un gars bien. Il est Diola. Il nous a présenté aux gens du village, à tonton Simon… Nous sommes trois jours dans le village et faisions des allers-retours entre Bocotingo et Oussouye. Le dernier jour, les gendarmes d’Oussouye et les militaires avaient remarqué notre véhicule et nos allers-retours. Nous-mêmes étions conscients qu’on pouvait se faire descendre par les rebelles. Nous avions, en effet, peur qu’ils pensent que nous étions des nordistes venus faire de l’espionnage au profit de l’armée nationale. On avait, quand même, pris le risque. »

Un soir, alors que les visiteurs étaient en compagnie d’un proche de René Diédhiou, ils ont été arrêtés sur la route par des gendarmes. :

« Nous nous sommes garés devant une école. Apparemment, les gendarmes savaient que nous allions repasser. Il y avait une table et des chaises. Il y avait un militaire, un lieutenant ou un capitaine, je ne sais plus, avec un gendarme lui aussi lieutenant ou capitaine. Ils ont fouillé la voiture. Ils n’y ont rien trouvé. Ils nous ont demandé nos pièces et ont commencé à nous poser des questions :
- qu’est-ce que vous faites ici ?
- qu’est-ce qu’on fait où ?
- Ici à Oussouye
-Nous sommes venus voir notre copain, nous sommes des Sénégalais et puis, ici, c’est le Sénégal
- Mais vous n’ognorez pas qu’ici c’est une zone rebelle. Nous ne savons pas si vous venez donner des informations.

Ils ont eu des soupçons. Ces soupçons étaient sûrement renforcés par un fait : la voiture à bord de laquelle nous voyagions était immatriculée en Gambie. Après discussions, ils nous ont dit, en pointant du doigt vers le village :
- Ce sont des rebelles. De toutes les façons, ne revenez plus ici. Si vous remettez les pieds ici, vous serez arrêtés

Et ils ont commencé à vilipender les rebelles et leurs soutiens. »

Pape Ibrahima Diakhaté se rappelle qu’en quittant le village, un petit garçon leur avait demandé de lui ramener un ballon. Etant donné qu’ils rentraient et ne revenaient plus au village, ils devaient, après achat remettre le ballon à une personne qui quittait Oussouye pour Bocotingo. Ce sont les paysans, eux-mêmes, qui ont indiqué le nom du porteur et le lieu où devaient le retrouver les amis de René Diédhiou.

Après avoir cherché, en vain, des moyens pour se procurer des armes auprès de René Diédhiou, ses visiteurs l’ont quitté pour se rendre à Siléki. Assane Diop avait suggéré à ses amis de s’y rendre pour y trouver un autre rebelle susceptible de les aider à trouver des armes. En fin de compte, à la fin de du séjour en Casamance, rien n’a été réglé. Ils sont rentrés à Dakar, au bout d’une semaine de voyage.

Ce voyage ainsi relaté par Pape Ibrahima Diakhaté est confirmé dans les grandes lignes de son déroulement par le bulletin de renseignements produit par la police dès l’annonce de la mort de Babacar Sèye. Le bulletin ne mentionne pas le nom de Pape Ibrahima Diakhaté, mais il indique clairement :

« Une source sûre nous a révélé le séjour durant le mois d’avril, en Casamance, de deux (02) militants du Pds identifiés comme suit : Mamadou Clédor Sène, Assane Diop. Ils auraient rencontré à Boukoutingo le nommé René Diédhiou connu comme étant un membre de l’aile militaire du Mfdc (…) Les vérifications effectuées par le service démontrent que les deux militants du Pds ont bien séjourné à Boukoutingo du 3 avril 1993 au 5 avril 1993. (…) Il nous revient toujours par la même source, que les deux éléments du Pds, ont eu à proposer à l’élément du Mfdc de transférer leurs activités à Dakar, pour s’attaquer à des personnalités, au lieu de les circonscrire dans la région de Casamance où les victimes les plus nombreuses se comptent au sein de leurs parents. »


Les policiers poursuivent en écrivant :

« Pour confondre Assane Diop Mamadou Clédor Sène, de leur séjour en Casamance, nous pouvons affirmer qu’ils ont été interpellés le samedi 3 avril 1993 à 17 heures au Pc du sous-groupement de l’Armée nationale basé à Oussouye parce que leurs nombreux déplacements dans le secteur intriguaient les soldats. Une fiche de renseignements aurait été rédigée et envoyée à l’état-major des Armées à Dakar. »

Le bulletin de renseignements détermine une série de mesures à prendre immédiatement :

«- Interpeller René Diédhiou, Mamadou Clédor Sène et Assane Diop, leur interroger sur leur présence en Casamance ;
-Vérifier la plaque d’immatriculation en Gambie, car il se pourrait que la 505 blanche qu’avaient utilisée Clédor Sène et Assane Diop soit du parc du Pds, dans l’affirmative, dans quel intérêt ont-ils choisi de camoufler le véhicule ?;
Interroger Assane Diop et Clédor Sène, de leurs emplois du temps, le jour de l’assassinat, etc. ;
- Assane Diop est originaire de Bargny où sa famille habite dans une maison située en bordure de la route national, juste après le poste de contrôle ;
Actuellement, il est chez Me Wade, notre informateur pourrait l’identifier. »

Dès leur retour à Dakar, ils sont reçus par le « Vieux » à qui ils rendent compte de leurs démarches en Casamance. Pape Ibrahima Diakhaté pense, avec le recul, qu’en réalité, Abdoulaye était à peine intéressé par ce compte rendu. En tous les cas, à peine leur récit terminé, Me Wade leur reparle le cas de Me Sèye.

Bro, Baye Moussé était présent au « Quartier général » où se déroulait l’entretien mais n’a pas été associé aux discussions. C’est Clédor Sène et Pape Ibrahima Diakhaté qui en ont, à nouveau, discuté avec Me Wade à la permanence électorale : le « Quartier général ». Ce jour-là, un homme, identifié comme étant un militant du Ps était séquestré par des responsables du Pds.

Baye Moussé « Bro » était l’un des chefs de l’opération de séquestration.

« Cette affaire l’avait mené, je crois bien, devant les tribunaux. C’est Souleymane Ndéné Ndiaye qui était son avocat. C’est ce même jour que nous avons pris la résolution de filer Me Sèye et de donner suite aux souhaits du « Vieux ». Concernant Assane Diop, je suis formel, c’est Samuel Sarr qui lui a parlé et l’a sûrement convaincu. Dans la nuit du jeudi 13 mai 1993, nous nous sommes rendus au Conseil Constitutionnel. Le « Vieux » s’impatientait. Il fallait lui prouver notre détermination. Nous sommes allés au Conseil Constitutionnel pour faire un repérage des lieux. Arrivés là, nous avons vu des véhicules garés. Nous avons trouvé sur place quelques gendarmes. Nous sommes passés du côté de la plage, là où est implanté, aujourd’hui, le parc d’attraction : [Magic Land]. Il y avait un gendarme qui faisait sa ronde. Quand on a calculé le tour de sa ronde, on avait largement le temps de pouvoir entrer et tenter de brûler des voitures. Nous avons mis le feu sur une CX. Nous ne voulions pas nous en prendre aux gendarmes. Nous ne le voulions absolument pas. Il fallait cependant donner au « Vieux » un gage de notre détermination : la voiture piégée au Conseil Constitutionnel en était une preuve. Le lendemain le « Vieux » était euphorique. »

Sur le chemin du retour, affirme Pape Ibrahima Diakhaté :

« Nous avons croisé, dans cette nuit, à la hauteur de la station d’essence de Baobab, à l’angle sur le chemin du domicile du « Vieux », Samuel Sarr qui nous a déclaré qu’il allait chez Serigne Ndiaye Bouna. Il nous avait déjà dit, auparavant, que Serigne Ndiaye Bouna habitait aux Almadies. C’est une grande maison entourée d’arbres. Ce jour-là, lui, Samuel Sarr est parti avec notre copain Assane Diop. Ce dernier est descendu de notre voiture alors que nous revenions du Conseil constitutionnel et est reparti avec Samuel et Baye Moussé. Ce sont eux qui ont tiré les coups de feu chez Sérigne Ndiaye Bouna et qui ont été rapportés par la presse dans ses livraisons, du vendredi 14 mai. La bande est immédiatement revenue nous retrouver chez le « Vieux ». Samuel Sarr l’a retrouvé dans ses appartements. Les deux hommes se sont entretenus pendant au moins une trentaine de minutes, avant que Me Wade ne revienne prendre congé de nous, en nous souhaitant de passer une bonne nuit. »

Les confrères Kassé et Camara ont écrit :

« Cette nuit-là, Clédor Sène l’attendait dans une voiture. A son approche, il lui fit un appel de phares, l’abordant ainsi pour pour discuter avec lui. Une manière de le « mouiller » (…). Sa rencontre avec Samuel Sarr, il la situe cependant dans la nuit du 13 mai 1993 ».

C’est cette rencontre qui est ainsi confirmée par Pape Ibrahima Diakhaté :

« Contrairement à ce que Samuel Sarr a affirmé aux enquêteurs, ce n’était pas pour régler des problèmes à Clédor, qu’ils se sont vus dans cette nuit. C’est faux. Samuel devait récupérer avec nous, Assane Diop. Deuxièmement, Clédor Sène lui demandait de nous changer la voiture et de nous en trouver une autre pour le crime, prévu le samedi 15 mai. Car Clédor soutenait que le véhicule que nous avions, la 505, était devenue trop familière ax gens de son quartier et peut-être même à la police Samuel nous a conseillé de poser de fausses plaques d’immatriculation au moment d’opérer. Ce que nous avons fait. Samuel, a, dans un premier temps nié cette rencontre, pour reconnaître ensuite, quel a bel et bien eu lieu »

Pendant les casses de 1988, comme en 1998, Abdoulaye Wade ne voulait laisser aucun détail qui puisse compromettre ses plans et prouver ses liens directs avec nos actions. Il avait une préoccupation particulière pour la sécurité de son téléphone. Il tenait à mettre à l’abri toutes ses lignes. La bande à Clédor Sène, révèle Diakhaté, avait reçu des consignes :

« Ne point appeler sur les lignes de son domicile. Le « Vieux » avait tenu à nous indiquer que même si ses lignes étaient protégées par un appareil très sophistiqué, il fallait se montrer prudent. Quelques temps auparavant, il nous a fait une démonstration sur le fonctionnement de l’appareil en question. C’était un vendredi. Ce jour-là, Ousmane Ngom devait se rendre en Amérique. Il peut en témoigner car c’était devant lui. Le « Vieux l’avait fait venir alors qu’il s’apprêtait à partir aux Etats-Unis. Il est venu au Point E.

Nous sommes le samedi 15 mai 1995. Jour du drame. Les Sénégalais s’adonnent encore aux discussions sur les résultats des élections législatives publiés la vieille. Le pays n’a pas encore flambé, pourtant le Ps a fait élire une majorité écrasante de députés, quatre vingt quatre au total, alors que son malheureux et éternel rival, le Pds n’a récolté que vingt sept sièges. Me Sèye, avait averti Me Wade, pourrait être l’élément par lequel le Ps passerait pour opérer son brigandage électoral. Les trois jeunes commis à l’avance pour régler éventuellement son compte ont écouté comme tous les citoyens les résultats publiés par la commission nationale de recensement des votes. Cette publication joue comme une sorte de feu vert. C’est le moment de passer à l’action. Pape Ibrahima Diakhaté raconte :

« Le matin du 15, Clédor est venu me chercher chez moi. C’est lui qui conduit la voiture. Ensemble, nous sommes allés voir Assane Diop. Il se trouvait encore chez Ousmane Ngom. Nous sommes, Ensuite, nous sommes partis ensemble voir Samuel Sarr. Quand nous l’avons vu, il nous a dit qu’il nous fallait une mitraillette, pour bien réussir notre coup. Mitraillette, c’est ainsi que les civils nomment les armes à rafales. Il disait qu’il nous fallait une bonne arme à rafales. Assane Diop nous a dit, en ces instants, qu’il connaissait quelqu’un qui en avait en sa possession. Celui qui devait nous trouver était à Bargny, et non Sébikhotane, comme nous l’avions prétendu au cours de l’instruction et des enquêtes. Quand nous sommes partis, nous n’avons pas vu les gars, et on a rebroussé chemin sur Dakar, aux environs de 12 heures. Certains ont prétendu, je crois même que Clédor l’a dit, lors de sa première audition, que nous étions aller chercher des mangues dans un verger à Sébikhotane, c’est faux, tout ça. Nous étions partis à la recherche de quelqu’un qui pouvait nous fournir une arme à rafales. »

Après l’échec de la descente sur Bargny, Assane Diop prétend encore connaître quelqu’un qui vit aux Hlm Las Palmas, dans la banlieue de Dakar, dans les « montagnes » et qui pourrait leur trouver les armes automatiques. Cet homme-là, soutient-il, est un ancien militaire qui a travaillé dans l’armurerie et qui fait un peu dans le trafic des armes. La bande peut se rendre chez lui où elle a longuement discuté avec l’ancien militaire. Elle rente à nouveau bredouille. Les jeunes décident de passer à l’action avec les armes dont ils disposent, en dépit de leurs limites qui leur ont été soulignées par Samuel Sarr.

Pape Ibrahima Diakhaté se souvient des discussions qu’ils ont engagées entre eux :

« Nous avons failli renoncer momentanément à l’exécution, en attendant, conformément aux indications de Samuel Sarr de trouver des armes à rafales. A notre retour, nous avons discuté entre nous et avons conclu que le Vieux nous prendrait pour des menteurs, parce que nous avions pris des engagements et qu’il n’y avait pas encore de résultats. En fait, ces engagements-là, ce sont surtout Clédor Sène. Son cousin, Ousmane Sène dit « Tenace » était aussi dans le coup. Assane Diop n’était pas familier au Vieux. A quatre nous nous sommes décidés. Nous nous sommes dit : [il ne faut pas que Me nous prenne pour des menteurs, des trouillards]. Le « Vieux » nous avait trop mis la pression, pour qu’on exécute l’affaire. Nous étions comme ses talibé. »
Pourquoi Me Sèye ? La réponse que donne Pape Ibrahima Diakhaté mêle des considérations à la fois pratiques et métaphysiques:

« Je dis que ce fut d’une certaine manière la décision de Dieu. Je dois cependant dire que Me Wade avait su utiliser un argument fort contre lui. J’entends encore sa voix tonner et insister sur le passé militant de Me Sèye. [C’est un ancien député Ps. C’est un politicien qu’on a déguisé en juge]. En mon niveau personnel cet argument a eu de l’effet. Il a été décisif. J’avais une haine tenace contre le parti socialiste. Ses dirigeants symbolisaient à mes yeux le mal absolu. Au terme de nos discussions dans cette fin de matinée du 15 mai, nous sommes allés voir Ousmane Sène « Tenace », avant de nous rendre sur la corniche. Il avait une arme. Nous l’avons récupérée. Ousmane Sène n’était pas avec nous sur les lieux du crime. Il était au courant. Il voulait même venir avec nous. Nous l’en avions dissuadé. »

Le décompte final s’enclenche. Me Sèye est condamné. Il mourra. Les commanditaires de sa mort et les exécutants du crime en ont décidé ainsi. Pape Ibrahima Diakhaté explique :

« Nous sommes partis. Nous sommes passés à Dieuppeul. Nous n’avions pas vu la voiture de Me Sèye et nous avons mis le cap vers le Conseil Constitutionnel. Clédor avait en mémoire le numéro d’immatriculation de la voiture. Arrivés là, il dit à Assane qui était devant, à côté de lui : « vérifie le numéro de la voiture ». En venant de Mermoz, et en allant vers le Conseil Constitutionnel, celui qui est à côté du chauffeur a une meilleure vue. Il s’exécute et dit : « Oui, la voiture est là ». Nous nous garons alors un peu plus loin. Peu après, Youssou Ndiaye nous dépasse. Il était dans sa voiture. Nous sommes allés faire le guet devant l’Ambassade du Brésil, je pense. Un journal l’a écrit. C’était vrai. Pendant que nous faisions le guet, j’ai eu un désaccord avec eux. C’est à ce moment que j’ai décidé de descendre vers la plage. Je suis resté sur le rivage et mon pantalon était mouillé. Puis je suis retourné à la voiture et nous sommes repartis. Au carrefour de l’Université, on s’est arrêté. Quelques minutes après, la voiture nous dépasse et nous la reconnaissons. Et nous la suivons de près. Nous l’avons suivi jusqu’au moment où il tourne vers…. Moi, j’avais un 7.5 et un 9 court. Un 9mm court. C’est ce que j’avais. J’avais des balles artisanales dans mes deux pistolets. »

Diakhaté se veut encore plus précis et détaillé dans ses explications :

« Quand j’ai tiré l’une des deux armes que j’avais s’est bloquée. Ce n’est pas pour me défendre. Les balles des 9mm courts sont difficiles à trouver ici. Voilà la raison. Assane Diop s’était chargé de m’en trouver. Mais celles qui ont été trouvées sont des balles pour 9mm long, que nous avons adaptées à l’arme. C’est la personne que nous étions allés trouver aux Hlm « Las Palmas » qui avait fait sur l’arme un petit travail de modification. Pour ce faire, il avait pris la balle de 9mm long dont il avait enlevé la l’amorce, pour d’abord couper la douille, et remettre, ensuite, le couvercle sur la douille. Cela ressemble alors à un 9 long. Souvent, quand on « traficote » une arme artisanalement, en coupant l’amorce, en perd beaucoup en fiabilité et en qualité de tir. De toutes les façons, l’arme s’était enraillée. Elle s’est coincée. En dépassant la voiture, j’ai visé les pneus. Assane était devant. Les gars disaient : « visez le chauffeur, visez le chauffeur ». Dans un premier temps, notre objectif était de leur faire peur. Nous voulions leur faire peur et faire parler. Nous avons ensuite changé d’avis pour satisfaire le Vieux.»

On a beaucoup spéculé sur l’existence d’un témoin oculaire du meurtre de Me Babacar qui roulait derrière les meurtriers, dans un véhicule tout terrain de couleur rouge. Ce témoin n’a jamais été retrouvé, ni lors de l’instruction, ni au procès des assassins. Pape Ibrahima Diakhaté confirme pourtant son existence :

« Nous avions derrière nous un véhicule 4x4 de couleur rouge. Le chauffeur qui le conduisait nous a suivis jusque vers Liberté, près du camp militaire. Quand nous avons remarqué sa présence, nous l’avons intimidé. Il a immédiatement fait marche arrière. Il y avait à bord, un homme de type européen et une Sénégalaise. Nous sommes allés à Liberté 6, puis à l’emplacement du quartier de Sacré Cœur 3, à côté de la carrière, il n’y avait que peu de maisons dans ces endroits en ces temps-là. On s’est arrêté et avons remis la plaque d’immatriculation que nous avions enlevées. Les plaques ont été vissées. Et c’est là, et en ce moment, où nous avons réalisé ce que nous avions fait. »

Avaient-ils l’intention de tuer réellement ? Sûrement. Pape Ibrahima a un sentiment mitigé, même s’il pense qu’il ne pouvait pas faire autrement compte tenu de la forte pression qui était mise sur eux :
« Nous sommes allés jusqu’au bout du projet macabre pour démontrer au Vieux, que nous n’étions pas des menteurs, mais aussi pour lui prouver notre loyauté, parce qu’il n’arrêtait pas de nous mettre la pression, et disait entre les lignes que nous étions des poltrons. C’est la raison pour laquelle nous y sommes allés. J’avais un désaccord avec mes gars. C’est la raison pour laquelle je parle aujourd’hui. Lui, je peux le jurer, nous avait confié la mission d’assassiner, sans hésitation, ni murmure. En fait, sa première cible était Youssou Ndiaye. C’est volontairement que nous ne l’avons pas atteint. »

Les meurtriers commencent déjà, dès l’annonce de la mort de Me Sèye, à regretter et à se poser des questions. Paradoxalement, le soir, quand ils ont appris qu’il y avait eu mort d’homme, ils se sont sentis comme presque anéantis :

« Nous nous sommes dit : « Ce n’est pas possible ». Ce jour-là, le journal télévisé a démarré avec du retard. Clédor m’avoue alors qu’il avait fait une revendication. Je lui dis : « il ne fallait pas ça. Quelle revendication ? ». Clédor répond : « Armée du Peuple, ou Armée du Salut, je ne sais plus. Cette revendication a été faite au journal Sud quotidien. Elle avait laissé l’enregistrement sur le répondeur d’un téléphone, car dans cette soirée du samedi, il n y avait personne, je suppose, dans cette rédaction. »

La revendication du cime faite par Clédor Sène au nom de l’Armée du Peuple, ressemble à celles qui avaient été faites en 1988, dans le cas des voitures piégées. Mody Sy avait, selon Pape Ibrahima Diakhaté, fait une revendication pareille, en parlant le premier d’Armée du Peuple à l’AFP (Agence France Presse). Il affirmait d’ailleurs, à l’occasion, qu’il y avait des militaires, des policiers, et beaucoup de gens actifs dans l’organisation. C’était, en vérité, du pipeau, affirme Pape Ibrahima Diakhaté. Ce dernier fait remarquer à Clédor Sène que les revendications de 1988 et celle de 1993 étaient similaires et lui précise qu’elles revendications vont mettre la police sur les traces des incendiaires de 1988.

A partir de cet instant, Pape Ibrahima Diakhaté lui demande de tenter quelque chose pour essayer de brouiller les pistes :

« Je lui proposais alors d’aller, coûte que coûte, chercher une cabine téléphonique pour brouiller encore plus les pistes. Nous étions choqués. Moi, je n’avais jamais, auparavant fait la prison. La chose était quand même très grave. Il s’agissait de la mort d’un homme. Qui plus est vice-président du Conseil constitutionnel. Parce que il y avait eu mort d’homme, nous étions anéantis. Nous avons regardé la télé. On a regardé la télé chez moi. Ce jour-là, le journal télévisé a commencé à 21 heures au lieu de 20h30. Il y avait un grand retard. C‘est là que nous avons vu Madieng Khary Dieng, à l’époque ministre de l’iNtérieur, tenant une balle à la main et expliquant au journaliste Loum, qui couvre les évènements de l’armée, la trajectoire de la balle, etc. Cela nous a frappé. A partir de ce moment j’ai senti monté en moi la peur. J’étais terriblement choqué. »

La peur. Il y avait de quoi. Pour l’instant, ce qui urge c’est de trouver les moyens de brouiller d’avantage les pistes pouvant conduire à Clédor et aux autres qui ont été arrêtés en 1988. Clédor que l’on présente comme un homme intelligent a commis peut-être une grosse bourde en revendiquant auprès de la rédaction de Sud quotidien l’assassinat. Pape Ibrahima Diakhaté en prend vite conscience et invite son ami à trouver une solution, rapidement. Diakhaté explique :

« Sur ce, nous sommes partis à la recherche d’une cabine téléphonique vers Niary Tally. En ces temps-là, beaucoup de cabines étaient détruites et c’était difficile d’en trouver une qui marche. A Niary Tally, nous avons fait un stop chez Baye Mbarrick, un vendeur de viande grillée célèbre et connu de toute la ville de Dakar. Nous n’avions pas mangé de toute la journée. Nous avons acheté à boire. Nous n’avons pu réellement mangé le morceau de viande que nous avions commandé. Nous sommes restés discuté là. Quelques instants après, nous sommes sortis et avions pris place sur un banc public non loin de la « dibiterie » de Mbaye Mbarrick. Sur ce banc, Clédor moi avons longtemps discuté avant de décider d’aller trouver le « Vieux » à son domicile dans le quartier du Point E. »

Après le crime, les exécutants sont naturellement curieux de prendre connaissance de l’état d’esprit de ceux qu’ils désignent comme étant les commanditaires et apprécier, en même temps, l’ambiance qui règne chez eux. Ils décident d’aller les trouver, après avoir grignoté quelques morceaux de viande chez Mbaye Mbarrick Fall. Pape Ibrahima Diakhaté se souvient :

« Nous avons pris un taxi. Le chauffeur, sur notre demande, nous avait débarqué, juste, derrière le domicile des époux Wade. Aux abords de la maison, nous avons vu Lamine Faye, le petit neveu du « Vieux » qui est actuellement son garde du corps. Nous avons demandé alors au gardien qui était posté devant la maison d’éteindre la lampe qui est devant la porte dérobée de la concession, pour qu’on puisse s’introduire en toute discrétion dans la maison. Assane Diop, lui, était déjà, là. Dès que nous sommes arrivés il est parti. Le « Vieux » était dans sa cuisine. Je reviens un peu en arrière. Quand nous faisions le guet sur la corniche pour attendre le véhicule de Me Babacar Sèye, nous avons vu Famara Ibrahima Sagna, alors Président du Conseil économique et social, filant à toute allure sur le bitume. Il a été reconnu par Clédor Sène et Assane Diop. Le soir, quand nous sommes arrivés chez le « Vieux », Me Wade, nous a informés que Famara Ibrahima Sagna était venu le voir. »

C’est en ce moment que les deux amis ont compris que Monsieur Sagna se dirigeait vers Wade lorsqu’ ils l’ont vu sur la corniche dans l’après-midi, au moment où ils faisaient le guet pour attendre le véhicule de Me Sèye. Clédor et Diakhaté ont pu accéder à la maison de Me Wade et ont pu lui rendre compte, explique Pape Ibrahima Diakhaté qui ajoute :

« Quand nous sommes arrivés, le « Vieux » était assis dans le salon. Il semblait quelque nerveux. En tous les cas trop silencieux à mon avis. Normal, nous avions tué, mais nous portions ensemble le fardeau de la mort. Lui, sur sa vieille conscience de militant politique et nous sur nos frêles consciences de jeunes manipulés. Il était incapable de nous fixer. Il avait la tête enfoncée dans les épaules et les yeux rivés sur la table qui était devant lui. Il était habillé d’un léger petit boubou sénégalais, de couleur bleu. »

Comment la rencontre s’est-elle passée ? Pape Ibrahima Diakhaté se rappelle de celle-ci dans ses moindres détails, douze ans après :

« Nous lui avons expliqué le déroulement de l’opération dont il était le cerveau et le principal commanditaire. Il nous dit : « C’est bien ». En même temps, il nous apprit qu’il avait reçu une convocation de la gendarmerie. Il précisera cependant qu’il ne répondrait pas : « j’attendrai qu’on vienne me chercher. »

A la suite de l’entretien entre les deux assassins et le supposé commanditaire, Pape Ibrahima Diakhaté en est sorti totalement bouleversé et dépité par les hommes politiques en général. Il évoque cet entretien avec une certaine amertume nettement perceptible dans le timbre de sa voix. Il raconte :

« Il nous parlait, mais j’entendais à peine ce qu’il disait, mon esprit était ailleurs. Depuis ce jour, j’ai perdu toute estime pour cet homme. Parfois, il m’arrive de le haïr, car j’estime qu’il a détruit ma vie. Au moment où nous le quittions, Clédor Sène et moi, il m’a retenu par le vêtement. Clédor était devant moi, il me demanda : « Qui était dans la voiture ? » Je lui donnais les noms. Il revient à la charge en me demandant qui occupait les places de devant. Je lui ai dis : « Assane Diop et Clédor Sène ». Je l’ai senti confus, un instant. Je n’avais pas compris quand il m’a demandé qui est encore Assane Diop ? » Je lui alors dit : « c’est lui qui vient de sortir ». J’ai pris quand même le temps de lui décrire le grand barbu. Je dois reconnaître que le « Vieux » n’était pas familier à Assane Diop. »

Les deux jeunes sont sortis de chez Wade par la porte dérobée de la maison et ont quitté les lieux. Avant leur sortie, Wade, lui-même, leur a indiqué qu’Ousmane Ngom était à l’intérieur de la maison, avec Viviane. Avant qu’ils prennent congé de lui, Viviane est venue à eux et leur a dit : « vous n’avez pas d’argent, je vais vous en trouver un peu ».


Elle est revenue vers eux, affirme Diakhaté avec un billet de 500 francs français et le leur a remis en présence de Me Ousmane Ngom, l’actuel ministre de l’Intérieur.

Avant de partir, Madame Wade leur a fixé un rendez-vous ferme pour le lendemain. Ce rendez-vous pris est fixé aux abords d’une pâtisserie située au Point-E, à Dakar, « Les Ambassades ». C’était pour leur donner, explique Diakhaté, une somme plus consistante. Assane Diop et Clédor Sène y sont allés:

« Mais moi, non ! Mes amis devaient me retrouver à Pout, après leur rencontre avec les époux Wade. Tout le monde parlait déjà d’une voiture blanche, d’une Peugeot 505 conduite par les assassins, au moment du crime. Le signalement de la voiture, je crois, a été donné aux enquêteurs par les gendarmes d’Oussouye. J’en suis aujourd’hui convaincu. La couleur de la voiture était blanche au moment de notre voyage à Oussouye. La visite à René Diédhiou est la raison pour laquelle ce dernier a été arrêté par les gendarmes quand l’attention des enquêteurs s’est focalisée sur la Peugeot 505 de couleur blanche. Les gendarmes d’Oussouye qui nous avait fichés ont certainement fait le lien entre nous et le meurtre de Me Sèye. Mais, entre le moment où nous étions à Oussouye et l’assassinat, la voiture avait changé de couleur, pour devenir bleue. Dès que l’assassinat a été annoncé les gendarmes d’Oussouye n’étant pas au courant que la voiture avait changé de couleur ont dû donner le signalement d’un véhicule de couleur blanche suspect qui avait été repéré dans la zone rebelle. En tous les cas, ce sont eux-mêmes qui ont arrêté René Diédhiou pour le livrer aux enquêteurs de Dakar. »

Pourquoi les trois acteurs du meurtre avaient-ils décidé de se rendre en Gambie, en circulant avec le même véhicule qui a servi au crime, prenant ainsi de gros risques ? La réponse de Diakhaté donne des renseignements intéressants :

« C’est cette confusion faite sur la couleur de la voiture qui nous a permis de circuler avec trois jours après l’assassinat et la conduire jusqu’en territoire gambien. Dans la soirée du lundi 17 mai, mes amis sont venus me trouver à Pout avec le même véhicule. Nous avons, ensuite, décidé de nous rendre à Banjul. Nous ne prenions pas la fuite. Nous voulions y aller pour nous débarrasser du véhicule, en le revendant en territoire gambien et acheter un autre. J’admets que cette décision ne fut pas du tout brillante, ni éclairée. Nous avions pris trop de risques. Nous avons demandé à Assane Diop de nous devancer sur le chemin. Le point de ralliement convenu était Kaolack. Nous avons pris notre départ dans l’après-midi du mercredi 17 mai, et nous avons mangé à Mbour, au « Sénégaulois.» La gérante était une Française. Petite de taille. Sur le chemin de Kaolack, nous nous sommes arrêtés pour prendre en stop un pénitencier. En discutant en cours de route avec Clédor, ils se sont rendus compte qu’ils avaient des connaissances communes. Le de rendez-vous avec Assane Diop, c’était la gare routière de Nioro. A notre arrivée, il n’y était pas. A Kaolack, nous l’avons, en vain, attendu. Ne l’ayant pas vu, nous avons demandé des renseignements à son propos, en le décrivant à des gens que nous avions trouvé sur place. Ils nous ont affirmé l’avoir vu, mais il venait de quitter l’endroit. C’est à ce moment que nous avons décidé d’aller en Gambie. Le soir commençait à tomber. Nous nous sommes empressés de partir. »

Partir vers la Gambie. Ils allaien, ainsi, vers le « piège » qui se refermera sur Clédor Sène. La fin de la cabale de Clédor Sène et Pape Ibrahima Diakhaté est toute proche.

Ils sont en territoire gambien. Alors qu’ils espérent échapper aux mailles des policiers, c’est là où tout se gâte pour eux. Diakhaté sent les choses venir. Il n’est pas en réalité tranquille, depuis qu’ils ont débarqué le garde pénitentiaire à Kaolack. Diakhaté explique comment les choses se sont passées dès qu’ils arrivent dans le village de Keur Ayib, au poste frontière sénégalais:

« Là, Clédor a voulu descendre de la voiture. Je l’en dissuade parce qu’il y avait trop de gendarmes. Il y avait trop de policiers et tout le monde ne parlait que de çà. Hein ! Nous continuions et entrions en Gambie, sans nous arrêter. Quand nous sommes entrés en Gambie, là, je livre mon interprétation des choses, je pense que les gendarmes, les policiers ou les douaniers que nous avons dépassés à Keur Ayib, sans nous arrêter, ont donné notre signalement, surtout celui de la voiture qui était suspecte, compte tenu de tout ce qui dit et précisé sur l’assassinat et les circonstances dans lesquels il est survenu. En Gambie, un membre des Field Forces, en fait, un membre de la police gambienne nous attendait. Il demanda à Clédor son permis de conduire. A la vue de son nom, il s’exclame : «Clédor ». C’est comme si le nom était connu, comme si l’on l’avait déjà donné. Ce nom là, depuis 1988, était connu et à Oussouye, on lui avait demandé son permis, il a été sûrement fiché. Donc, le nom était connu. L’agent des Field Forces lui demande de descendre de la voiture. Moi aussi, je descends de la voiture, en faisant mine d’être un passager quelconque, quelqu’un qui avait été pris en chemin. »

Cela sent totalement le roussi. Un des assassins de Me Sèye, Clédor Sène vit, ici, pour au moins neuf ans, ses dernières minutes de liberté. Il est presque cerné. Il devine la suite des événements et trouve le moyen d’alerter son ami Pape Ibrahima Diakhaté qui l’attend dans le véhicule immobilisé devant le poste de la police gambienne, juste à la hauteur du « check point ». Diakhaté qui le surveille, depuis le véhicule où il est assis en avant de la voiture, le voit sortir et se diriger vers lui. Il ne bouge pas. Il attend Clédor arriver pour lui dire :
« [Mon gars, je suis en train de négocier, les policiers n’attendent que de l’argent.] Moi, je n’ai pas été inquiété. Je fais semblant de lui demander des allumettes, pour pouvoir lui parler. Il me demande de l’attendre à l’hôtel à Edis. Lui retourne dans le poste de police et moi j’avance. Puis, j’enlève les habits que j’ai sur moi, je me change et je reviens sur mes pas et me mets en face du poste de police. Puis, une voiture bleue arrive, avec à son bord,
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