SENGHOR ET LE MARABOUT DE CHEIKH FALL
Je me souviens de la discussion que j’eus avec Cheikh Fall, à la veille des élections de 1973.
Pour rappel, au moment de ma nomination comme Premier ministre, nombreux étaient ceux qui aspiraient à cette fonction, et parmi eux Cheikh Fall, à l’époque président-directeur général d’Air Afrique, dont le siège était à Abidjan. Après mon élection comme député (parce que la première fois que j’étais Premier ministre j’étais non élu), Senghor m’a fait savoir qu’il allait me reconduire comme Premier ministre, mais qu’avant il souhaitait que j’appelle Cheikh Fall pour lui dire qu’il le voulait dans le gouvernement comme ministre d’État chargé des Travaux publics, des Transports et des Télécommunications. Il faut reconnaître que Cheikh Fall avait réalisé un bon travail au niveau de la compagnie multinationale -exemple réussi d’une bonne politique de coopération et d’intégration régionale. On était fier de ce qu’il en avait fait. J’appelai donc Cheikh Fall. Je pus ainsi mesurer toute sa rancœur envers le président de la République: « Senghor se moque des gens 1. On en a assez, il passe son temps à voler de continent en continent pour chercher des doctorats honoris causa et met toute la puissance de l’État au service de son prestige. »
Je lui répondis: «Cheikh, je ne suis pas de ton avis. Senghor dirige quand même ce pays et il le fait bien. J’ai l’honneur d’être son Premier ministre et je suis chargé de gouverner. Il définit la politique de la nation, et moi je l’exécute avec le gouvernement. Je sais aussi qu‘il a une grande confiance en toi.
-Abdou, me dit-il, Senghor, c’est fini. Il faut le savoir. Je te signale d’ailleurs [et c’est là qu’il m’a vraiment surpris] que j’ai vu un grand marabout qui m’a dit avoir vu en rêve que je serais le prochain président de la République du Sénégal. Ce chef religieux a dit que, pour Senghor, c’était bien fini. Dans quelques jours, tu vas voir qu’il va commencer à boiter, et ce sera le début de la fin. Moi, je me présente aux prochaines élections et je gagnerai. Le peuple a besoin de moi, et puis les chefs religieux sont tous pour moi. Tout le monde, y compris le khalife général des mourides, est avec moi. »
Je lui fis remarquer la gravité de ses propos, en lui rappelant que le président Senghor avait confiance en moi et qu’il m’avait chargé de l’appeler pour lui proposer de rejoindre son gouvernement. Je ne comprenais pas sa réaction. «Je refuse cette proposition, me dit-il. Mon ambition, tu la connais. »
Je me demandai alors comment présenter ce refus au président Senghor, car je ne voulais pas qu’il pense que c’était moi qui avais des réticences à mettre Cheikh Fall au gouvernement. J’appelai Jean Collin, qui à l’époque était ministre de l’Intérieur, et je lui fis part de ma perplexité après ma conversation avec Cheikh Fall, tout en lui rapportant les propos de ce dernier.
«Ne vous en faites pas », me dit-il. Il téléphona alors à Mme Senghor et lui raconta toute l’affaire. Cette dernière prévint à son tour son époux. C’est ainsi que Senghor et moi n’eûmes jamais à en parler. Cheikh développa son action jusqu’à la veille des élections. Mais, comme il n’avait pas de parti politique pour porter sa candidature, il ne pouvait pas, en vertu des dispositions constitutionnelles d’alors, se présenter à l’élection présidentielle.
Après celle-ci, Senghor fit relever Cheikh Fall de son poste d’administrateur du Sénégal à Air Afrique. De ce fait, il cessait d’en être le président-directeur général. Il fut remplacé par un administrateur désigné par la Côte d’Ivoire.
DANSOKHO, BATHILY, LANDING…
Dans les moments de crise, Dansokho venait me voir, souvent avec Magatte Thiam, ou Sémou Pathé Gueye, ou Samba Diouldé Thiam, et tous me donnaient des conseils. Dansokho est un homme animé d’un esprit très positif. C’est pourquoi d’ailleurs il a dit, évoquant son séjour en prison: «On nous a mis en prison en 1988, mais nous l’avions mérité parce que nous avions fait des bêtises.» Il le dit honnêtement et il sait de quoi il parle; les autres aussi.
En 1991, avant que je ne forme le gouvernement de majorité présidentielle élargie, Dansokho a demandé à me voir. «Monsieur le Président, je voudrais faire une tournée à travers le pays pour dénoncer Abdoulaye Wade, parce que je veux que le pays sache qui il est. »
Je lui dis: «Mais vous étiez ensemble en 1988, vous avez travaillé ensemble contre moi, et vous venez me dire une telle chose ?
-Oui, oui! me répondit-il. Mais il y a beaucoup de choses que le pays doit connaître sur lui, et moi, je veux faire une tournée pour le dénoncer. »
Il est donc entré avec son camarade Magatte Thiam dans le gouvernement de majorité présidentielle élargie. Mais j’ai finalement réussi à le convaincre de renoncer à sa tournée. .
Quant à Abdoulaye Bathily, le chef de file de la Ligue démocratique, j’avoue qu’avec lui aussi mes rapports restèrent fort bons, même si la différence de nos visions politiques était patente. Il n’a pas toujours été tendre avec moi, mais une certaine sympathie a toujours présidé à nos échanges. Et puis j’aimais beaucoup son . beau-père, Samba Cor Sarr, et cela créait un lien. Quand j’étais gouverneur du Sine-Saloum, Samba Cor Sarr y était inspecteur régional de l’élevage et faisait partie des hauts fonctionnaires de grande qualité qui m’entouraient. Donc, j’avais une sympathie naturelle et ancienne pour Bathily. Au moment où il devait passer maître de conférences à l’Université, Iba Der Thiam a voulu s’y opposer en me disant qu’il n’était pas au niveau requis.
Bathily, ayant fait ses études en Angleterre, n’a pas eu son troisième cycle comme dans le système français, mais sa thèse d’État a quand même été soutenue à Dakar. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais Iba Der a demandé à ses agents de ne pas me transférer le projet de décret pour le nommer maître de conférences. Finalement, c’est quand j’ai demandé au recteur, Madani Sy, de trouver une solution qu’Iba Der a compris qu’il ne pouvait pas aller contre la volonté du. président de la République, et Bathily a donc pu être nommé. Le même problème s’est d’ailleurs posé au niveau du conseil de l’Université quand Sémou Pathé Guèye a soutenu sa thèse de doctorat. Une majorité de membres du conseil de l’Université refusa sa nomination comme maître de conférences. Là aussi, j’ai réclamé le projet de décret et je l’ai signé en accord avec le recteur Souleymane Niang.
En 1988, la Ligue démocratique avait refusé de discuter avec moi; c’est seulement après les élections de 1993 que Bathily a voulu me rencontrer. Il a demandé une audience et je l’ai reçu la nuit au Palais. Alors qu’il n’estimait pas le dialogue possible quelques années auparavant, il est venu ce soir-là offrir spontanément sa collaboration, dans l’intérêt national. Il entra au gouvernement pour diriger le département de l’Environnement, tandis que son camarade Mamadou NDoye s’occupait de l’Éducation de base.
Avec Landing Savané aussi, j’avoue que les relations n’ont jamais été heurtées, même s’il n’a participé à aucun gouvernement de majorité présidentielle élargie. En 1988, Landing n’était pas très proche de Wade. J’ai pensé le nommer quand, en 1995, j’ai voulu à nouveau former le gouvernement de majorité présidentielle élargie. Je l’ai alors appelé et lui ai fait savoir que Wade aussi allait entrer dans le gouvernement, et je lui ai demandé qui, de lui ou de Marie-Angélique, son épouse et camarade de parti, voudrait y venir.
Il a dépassé la question en me disant: «Président, vous avez besoin d’une opposition crédible. Vous ne pouvez pas mettre tout le monde dans le gouvernement, sinon ce sera l’unanimisme à l’Assemblée nationale.» Je n’ai pas insisté parce que son argument était pertinent.
DEMISSION DE KEBA MBAYE
Qu’on me permette un bref retour en arrière pour rappeler les faits marquants ayant permis l’élaboration d’un Code électoral consensuel. En 1991, j’avais réuni tous les partis politiques autour du président Kéba Mbaye pour l’élaboration de ce code. Grâce à sa science juridique et à l‘appui d’autres juristes éminents comme Youssou Ndiaye, Ibou Diaité et Kader Boye, grâce aussi à son sens pédagogique, à ses qualités de négociateur et d’homme de synthèse, un projet de Code électoral fut accepté par toutes les parties.
Le président Kéba Mbaye vint alors me présenter ce texte et m’en exposer les grandes lignes. Je le félicitai, félicitai ses collègues juristes ainsi que toute la classe politique. J’acceptai le projet de code et décidai de le soumettre immédiatement à l’Assemblée nationale, sans même y changer une virgule. Le code fut adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et promulgué par le chef de l’État. Les élections de 1993 devaient quand même révéler une faille dans le système.
Dans l’enthousiasme général du consensus, on avait créé à la cour d’appel une commission électorale qui devait proclamer les résultats. La commission était placée sous la direction du premier président de la cour d’appel, entouré de magistrats et de responsables des partis politiques. Mais, malgré toutes nos précautions, la politique politicienne reprit vite le dessus, les partis politiques ne songeant qu’à leurs intérêts au détriment de l’intérêt national. Sans entrer dans le détail, j’indiquerai simplement qu’il y eut un blocage total -et, malgré tous les appels à la raison et à l’esprit des textes, les résultats ne purent être proclamés par la commission en raison de l’opposition systématique de certains représentants de partis politiques. La cour d’appel décida alors de renvoyer le dossier au Conseil constitutionnel, qui l’examina, mais ne trancha pas. Kéba Mbaye m’appela alors pour me dire: « Monsieur le Président, j’ai étudié le dossier et l’ai renvoyé à la cour d’appel avec des directives, mais moi, je démissionne.» Devant mon étonnement, il ajouta: «Oui, oui, monsieur le Président, je démissionne, et c’est irrévocable. »
Ce jour-là, j’avais terminé le Conseil des ministres assez tôt, à 11 heures, et j’appelai immédiatement le Premier ministre pour l’en informer et lui dire qu’il fallait absolument qu’on trouve une solution. Je fis appeler Youssou Ndiaye, premier président de la Cour de cassation, à qui j’appris la nouvelle.
«Je suis abasourdi, me dit-il.
Est-ce que tu veux être nommé président du Conseil constitutionnel, Youssou? lui demandai-je alors. -Monsieur le Président de la République, je suis à votre disposition, mettez-moi là où vous voulez », me répondit-il. C’est donc comme cela que Youssou Ndiaye est devenu président du Conseil constitutionnel.
Je me pose toujours des questions sur les raisons de la démission de Kéba. Je n’ai pas, jusqu’à ce jour, obtenu d’explication tangible. Pourquoi a-t-il lâché la République au milieu du gué?
J’essaie de trouver des explications, mais la rumeur court selon laquelle on lui aurait demandé des choses qu’il ne pouvait pas faire. «Ce n’est pas le Président, aurait-il dit, mais quelqu’un de son entourage qui a voulu faire pression sur moi.» Pour moi, cela n’a pas de sens: je ne vois pas pour quelle raison on aurait fait pression sur lui puisque, ces élections, je les avais gagnées.
Peut-être a-t-il voulu donner l’impression d’être un homme capable de dire non et de résister au pouvoir? Le plus dur pour moi fut, après sa démission, de voir les responsables de l’opposition aller vers lui et le féliciter, comme si c’était vraiment un des leurs. Ça, je ne peux pas le comprendre. Ou alors peut-être a-t-il reçu des menaces au point d’avoir pris peur ... Je n’en sais rien, mais quand on connaît la suite des événements, l’hypothèse est plausible.
Certains ont voulu romancer cette histoire et en faire une légende. Ainsi, quand des troubles se sont produits à Médina Gounass, dans le département de Vélingara, j’ai demandé qu’on les gère avec intelligence. Il s’agissait de questions difficiles, à la fois politiques et religieuses, à l’intérieur de la même localité. J’ai donc demandé au ministre de l’Intérieur, Djibo Kâ, de dire au gouverneur de Kolda de gérer ces problèmes avec un maximum de doigté. Mais, contre toute attente, le gouverneur Pape Bécaye Seck a alors affirmé, devant témoins, qu’il n’était pas là pour «recevoir des instructions ». «Kéba Mbaye a bien fait d’ailleurs, a-t-il ajouté. Quand on a voulu lui imposer des choses qu’il ne devait pas faire, il a refusé, c’est des exemples comme ça qu’il faut suivre. » Lorsque cela m’a été répété, j’ai fait venir les témoins, qui me l’ont confirmé. J’ai alors demandé à Djibo Kâ de le convoquer pour lui demander à son tour la confirmation de ses propos, ce qu’il a fait. Je l’ai donc relevé de ses fonctions. C’était moins pour sanctionner une désobéissance que pour punir et fustiger un contresens historique particulièrement grave.
Une autre fois, c’est sur RFI que j’ai entendu un journaliste togolais, qu’Assane Diop recevait, tenir ces propos: « Vous savez, il faut bien qu’il y ait en Afrique des gens comme Kéba Mbaye, puisque, lorsqu’on a voulu lui imposer, disons, le point de vue du gouvernement, il a refusé et a démissionné. » J’ai alors pris mon téléphone et appelé Assane Diop. «Je ne fais pas de démenti, mais mettez les choses au point puisqu’elles ne se sont pas passées comme ça. Je n’ai jamais donné d’instructions à personne et il faut absolument rétablir la vérité. » Ce fut fait, et de belle manière.
J’ai cessé ensuite de recevoir Kéba jusqu’au moment où on a mis en place l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires)
CHEIKH TIDIANE SY LACHE DIOUF POUR WADE
J'ai déjà parlé de mes excellents rapports avec tous les chefs religieux sénégalais, musulmans comme catholiques, et avec toutes les confréries. Je n'y reviens pas, sinon pour évoquer un cas particulier. Celui de Cheikh Ahmet Tidiane Sy, avec qui j'entretenais des relations privilégiées. Il me considérait comme son frère. Il m'a toujours soutenu de toutes ses forces. Au demeurant, à l'occasion de l'élection présidentielle de 1988, il avait créé ce mouvement de soutien à ma candidature, le MSRA (Mouvement de soutien pour la réélection d'Abdou Diouf). Je le recevais en audience tous les mois, non pas dans mon bureau, mais dans mes appartements, dans mon salon, et nous passions notre temps à parler de tout : philosophie, astronomie, métaphysique, tradition, culture. Cheikh est vraiment un homme très agréable, très cultivé, même si on ne peut pas être d'accord sur tout. Nous avions une audience prévue en décembre 1992, mais j'ai eu un empêchement car je devais aller en Arabie Saoudite pour une visite inopinée, et l'audience a été reportée au mois de janvier. Mais à mon retour de Ryad, quand on a voulu fixer l'audience, Cheikh a refusé les dates qu'on lui proposait, prétextant un emploi du temps trop chargé.
La campagne électorale qui commençait en janvier fut donc lancée sans que j'aie la moindre nouvelle de lui. Mais une nuit, alors que j'étais à Saint-Louis, je me suis réveillé vers 4 heures du matin, et mon épouse aussi. Je lui ai dit alors: «Élisabeth, je sens que Cheikh Tidiane Sy m'a quitté parce que son silence m'inquiète. Dans mon sommeil, une chose m'a traversé l'esprit: je crois qu'il m'a lâché. » Et ça n'a pas raté. En effet, un ou deux jours après, son fils Moustapha Sy a entamé une série de conférences pour me traîner dans la boue et m'insulter; c'était la manœuvre. Et lui a attendu le dernier moment pour faire des cassettes où il demandait à tous les tidianes de voter pour Abdoulaye Wade. Il a fait dire à son frère Abdoulaye Aziz Sy Junior: «J'ai rompu tout lien avec Abdou Diouf. Il faut soutenir Abdoulaye Wade." Je dois rendre hommage à Junior puisque ce dernier lui a répondu: «Non, tu nous avais dit de soutenir Abdou Diouf, et aujourd'hui tu nous demandes de lui tourner le dos. Dis-moi ce qu'il t'a fait pour que tu n'aies plus confiance en lui. » Cheikh lui a dit: «Fais simplement ce que je te dis de faire. »
Il lui a alors répondu: «J'ai toujours fait ce que tu me demandais de faire, mais cette fois je ne puis obtempérer. » Junior a donc refusé et a lancé un appel en ma faveur.
DIOUF LOUE LA LOYAUTE DE JAMMEH
A propos de la Casamance, je dois du reste rendre hommage au président de la Gambie, Yahya Jammeh, qui s'est montré extrêmement coopératif dans la recherche d'une solution à la crise casamançaise, contrairement à son prédécesseur, Daouda Diawara, qui n'a jamais joué le jeu.
Le président Jammeh nous a apporté tout son appui, alors que, à sa prise de pouvoir, l'opinion publique estimait plutôt qu'il fallait s'en méfier, parce qu'il pouvait en sous-main aider les rebelles. Je sais que cela n'a jamais été le cas et qu'au contraire il a toujours déclaré aux rebelles casamançais: «Vous n'êtes pas dans le vrai.» Une fois même, à une délégation partie le voir pour l'entretenir de sa volonté d'indépendance, il aurait répondu: «C'est hors de question.» La conversation m'a été rapportée par quelqu'un qui était dans la délégation de rebelles. Jammeh nous a aidés à créer cette dynamique de paix dont je parlais plus haut. Il a toujours été loyal avec moi, contrairement à Diawara, qui, même s'il n'a pas été déloyal dans le problème casamançais, n'a rien fait non plus pour m'aider à le résoudre.
Un jour, je me souviens que Lansana Konté, le président de la république de Guinée, à la fin d'une réunion de l'OMVG (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie) qui s'était tenue à Conakry, nous a dit avec son franc-parler habituel: «Maintenant on va parler entre nous.' Diawara, Nino [Nino Vieira, de la Guinée-Bissau], vous ne valez rien: vous n'aidez pas notre frère Abdou dans la solution de la crise casamançaise. » Je suis intervenu pour souligner que le président Nino m'apportait son aide dans cette crise,mais je n'ai rien dit à propos de Diawara.
Donc, quand Yahya Jammeh a pris le pouvoir en renversant Diawara, de bonnes âmes ont tenté de lui faire croire qu'il ne devait pas dormir sur ses deux oreilles, car le Sénégal s'apprêtait à l'attaquer. Lorsque le coup d'État s'est produit, la Gambie traversait une longue période d'insécurité. Nous avions donc disposé des forces le long de la frontière pour nous protéger de troubles éventuels, ce qui était la moindre des précautions. Heureusement, le président Jammeh a très vite compris que nous n'avions pas d'intention hostile à son égard. Je lui ai moi-même téléphoné à ce sujet, et quand il est venu me rendre visite, je l'ai accueilli en chef d'État. On a discuté, puis ce fut mon tour d'aller lui rendre visite. Bref, nos relations étaient excellentes. Malheureusement, et malgré son aide, nous ne sommes pas parvenus à trouver une solution à la crise casamançaise, et les négociations ont continué à piétiner.
1. Senghor dafa fonto nit ni
Je me souviens de la discussion que j’eus avec Cheikh Fall, à la veille des élections de 1973.
Pour rappel, au moment de ma nomination comme Premier ministre, nombreux étaient ceux qui aspiraient à cette fonction, et parmi eux Cheikh Fall, à l’époque président-directeur général d’Air Afrique, dont le siège était à Abidjan. Après mon élection comme député (parce que la première fois que j’étais Premier ministre j’étais non élu), Senghor m’a fait savoir qu’il allait me reconduire comme Premier ministre, mais qu’avant il souhaitait que j’appelle Cheikh Fall pour lui dire qu’il le voulait dans le gouvernement comme ministre d’État chargé des Travaux publics, des Transports et des Télécommunications. Il faut reconnaître que Cheikh Fall avait réalisé un bon travail au niveau de la compagnie multinationale -exemple réussi d’une bonne politique de coopération et d’intégration régionale. On était fier de ce qu’il en avait fait. J’appelai donc Cheikh Fall. Je pus ainsi mesurer toute sa rancœur envers le président de la République: « Senghor se moque des gens 1. On en a assez, il passe son temps à voler de continent en continent pour chercher des doctorats honoris causa et met toute la puissance de l’État au service de son prestige. »
Je lui répondis: «Cheikh, je ne suis pas de ton avis. Senghor dirige quand même ce pays et il le fait bien. J’ai l’honneur d’être son Premier ministre et je suis chargé de gouverner. Il définit la politique de la nation, et moi je l’exécute avec le gouvernement. Je sais aussi qu‘il a une grande confiance en toi.
-Abdou, me dit-il, Senghor, c’est fini. Il faut le savoir. Je te signale d’ailleurs [et c’est là qu’il m’a vraiment surpris] que j’ai vu un grand marabout qui m’a dit avoir vu en rêve que je serais le prochain président de la République du Sénégal. Ce chef religieux a dit que, pour Senghor, c’était bien fini. Dans quelques jours, tu vas voir qu’il va commencer à boiter, et ce sera le début de la fin. Moi, je me présente aux prochaines élections et je gagnerai. Le peuple a besoin de moi, et puis les chefs religieux sont tous pour moi. Tout le monde, y compris le khalife général des mourides, est avec moi. »
Je lui fis remarquer la gravité de ses propos, en lui rappelant que le président Senghor avait confiance en moi et qu’il m’avait chargé de l’appeler pour lui proposer de rejoindre son gouvernement. Je ne comprenais pas sa réaction. «Je refuse cette proposition, me dit-il. Mon ambition, tu la connais. »
Je me demandai alors comment présenter ce refus au président Senghor, car je ne voulais pas qu’il pense que c’était moi qui avais des réticences à mettre Cheikh Fall au gouvernement. J’appelai Jean Collin, qui à l’époque était ministre de l’Intérieur, et je lui fis part de ma perplexité après ma conversation avec Cheikh Fall, tout en lui rapportant les propos de ce dernier.
«Ne vous en faites pas », me dit-il. Il téléphona alors à Mme Senghor et lui raconta toute l’affaire. Cette dernière prévint à son tour son époux. C’est ainsi que Senghor et moi n’eûmes jamais à en parler. Cheikh développa son action jusqu’à la veille des élections. Mais, comme il n’avait pas de parti politique pour porter sa candidature, il ne pouvait pas, en vertu des dispositions constitutionnelles d’alors, se présenter à l’élection présidentielle.
Après celle-ci, Senghor fit relever Cheikh Fall de son poste d’administrateur du Sénégal à Air Afrique. De ce fait, il cessait d’en être le président-directeur général. Il fut remplacé par un administrateur désigné par la Côte d’Ivoire.
DANSOKHO, BATHILY, LANDING…
Dans les moments de crise, Dansokho venait me voir, souvent avec Magatte Thiam, ou Sémou Pathé Gueye, ou Samba Diouldé Thiam, et tous me donnaient des conseils. Dansokho est un homme animé d’un esprit très positif. C’est pourquoi d’ailleurs il a dit, évoquant son séjour en prison: «On nous a mis en prison en 1988, mais nous l’avions mérité parce que nous avions fait des bêtises.» Il le dit honnêtement et il sait de quoi il parle; les autres aussi.
En 1991, avant que je ne forme le gouvernement de majorité présidentielle élargie, Dansokho a demandé à me voir. «Monsieur le Président, je voudrais faire une tournée à travers le pays pour dénoncer Abdoulaye Wade, parce que je veux que le pays sache qui il est. »
Je lui dis: «Mais vous étiez ensemble en 1988, vous avez travaillé ensemble contre moi, et vous venez me dire une telle chose ?
-Oui, oui! me répondit-il. Mais il y a beaucoup de choses que le pays doit connaître sur lui, et moi, je veux faire une tournée pour le dénoncer. »
Il est donc entré avec son camarade Magatte Thiam dans le gouvernement de majorité présidentielle élargie. Mais j’ai finalement réussi à le convaincre de renoncer à sa tournée. .
Quant à Abdoulaye Bathily, le chef de file de la Ligue démocratique, j’avoue qu’avec lui aussi mes rapports restèrent fort bons, même si la différence de nos visions politiques était patente. Il n’a pas toujours été tendre avec moi, mais une certaine sympathie a toujours présidé à nos échanges. Et puis j’aimais beaucoup son . beau-père, Samba Cor Sarr, et cela créait un lien. Quand j’étais gouverneur du Sine-Saloum, Samba Cor Sarr y était inspecteur régional de l’élevage et faisait partie des hauts fonctionnaires de grande qualité qui m’entouraient. Donc, j’avais une sympathie naturelle et ancienne pour Bathily. Au moment où il devait passer maître de conférences à l’Université, Iba Der Thiam a voulu s’y opposer en me disant qu’il n’était pas au niveau requis.
Bathily, ayant fait ses études en Angleterre, n’a pas eu son troisième cycle comme dans le système français, mais sa thèse d’État a quand même été soutenue à Dakar. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais Iba Der a demandé à ses agents de ne pas me transférer le projet de décret pour le nommer maître de conférences. Finalement, c’est quand j’ai demandé au recteur, Madani Sy, de trouver une solution qu’Iba Der a compris qu’il ne pouvait pas aller contre la volonté du. président de la République, et Bathily a donc pu être nommé. Le même problème s’est d’ailleurs posé au niveau du conseil de l’Université quand Sémou Pathé Guèye a soutenu sa thèse de doctorat. Une majorité de membres du conseil de l’Université refusa sa nomination comme maître de conférences. Là aussi, j’ai réclamé le projet de décret et je l’ai signé en accord avec le recteur Souleymane Niang.
En 1988, la Ligue démocratique avait refusé de discuter avec moi; c’est seulement après les élections de 1993 que Bathily a voulu me rencontrer. Il a demandé une audience et je l’ai reçu la nuit au Palais. Alors qu’il n’estimait pas le dialogue possible quelques années auparavant, il est venu ce soir-là offrir spontanément sa collaboration, dans l’intérêt national. Il entra au gouvernement pour diriger le département de l’Environnement, tandis que son camarade Mamadou NDoye s’occupait de l’Éducation de base.
Avec Landing Savané aussi, j’avoue que les relations n’ont jamais été heurtées, même s’il n’a participé à aucun gouvernement de majorité présidentielle élargie. En 1988, Landing n’était pas très proche de Wade. J’ai pensé le nommer quand, en 1995, j’ai voulu à nouveau former le gouvernement de majorité présidentielle élargie. Je l’ai alors appelé et lui ai fait savoir que Wade aussi allait entrer dans le gouvernement, et je lui ai demandé qui, de lui ou de Marie-Angélique, son épouse et camarade de parti, voudrait y venir.
Il a dépassé la question en me disant: «Président, vous avez besoin d’une opposition crédible. Vous ne pouvez pas mettre tout le monde dans le gouvernement, sinon ce sera l’unanimisme à l’Assemblée nationale.» Je n’ai pas insisté parce que son argument était pertinent.
DEMISSION DE KEBA MBAYE
Qu’on me permette un bref retour en arrière pour rappeler les faits marquants ayant permis l’élaboration d’un Code électoral consensuel. En 1991, j’avais réuni tous les partis politiques autour du président Kéba Mbaye pour l’élaboration de ce code. Grâce à sa science juridique et à l‘appui d’autres juristes éminents comme Youssou Ndiaye, Ibou Diaité et Kader Boye, grâce aussi à son sens pédagogique, à ses qualités de négociateur et d’homme de synthèse, un projet de Code électoral fut accepté par toutes les parties.
Le président Kéba Mbaye vint alors me présenter ce texte et m’en exposer les grandes lignes. Je le félicitai, félicitai ses collègues juristes ainsi que toute la classe politique. J’acceptai le projet de code et décidai de le soumettre immédiatement à l’Assemblée nationale, sans même y changer une virgule. Le code fut adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et promulgué par le chef de l’État. Les élections de 1993 devaient quand même révéler une faille dans le système.
Dans l’enthousiasme général du consensus, on avait créé à la cour d’appel une commission électorale qui devait proclamer les résultats. La commission était placée sous la direction du premier président de la cour d’appel, entouré de magistrats et de responsables des partis politiques. Mais, malgré toutes nos précautions, la politique politicienne reprit vite le dessus, les partis politiques ne songeant qu’à leurs intérêts au détriment de l’intérêt national. Sans entrer dans le détail, j’indiquerai simplement qu’il y eut un blocage total -et, malgré tous les appels à la raison et à l’esprit des textes, les résultats ne purent être proclamés par la commission en raison de l’opposition systématique de certains représentants de partis politiques. La cour d’appel décida alors de renvoyer le dossier au Conseil constitutionnel, qui l’examina, mais ne trancha pas. Kéba Mbaye m’appela alors pour me dire: « Monsieur le Président, j’ai étudié le dossier et l’ai renvoyé à la cour d’appel avec des directives, mais moi, je démissionne.» Devant mon étonnement, il ajouta: «Oui, oui, monsieur le Président, je démissionne, et c’est irrévocable. »
Ce jour-là, j’avais terminé le Conseil des ministres assez tôt, à 11 heures, et j’appelai immédiatement le Premier ministre pour l’en informer et lui dire qu’il fallait absolument qu’on trouve une solution. Je fis appeler Youssou Ndiaye, premier président de la Cour de cassation, à qui j’appris la nouvelle.
«Je suis abasourdi, me dit-il.
Est-ce que tu veux être nommé président du Conseil constitutionnel, Youssou? lui demandai-je alors. -Monsieur le Président de la République, je suis à votre disposition, mettez-moi là où vous voulez », me répondit-il. C’est donc comme cela que Youssou Ndiaye est devenu président du Conseil constitutionnel.
Je me pose toujours des questions sur les raisons de la démission de Kéba. Je n’ai pas, jusqu’à ce jour, obtenu d’explication tangible. Pourquoi a-t-il lâché la République au milieu du gué?
J’essaie de trouver des explications, mais la rumeur court selon laquelle on lui aurait demandé des choses qu’il ne pouvait pas faire. «Ce n’est pas le Président, aurait-il dit, mais quelqu’un de son entourage qui a voulu faire pression sur moi.» Pour moi, cela n’a pas de sens: je ne vois pas pour quelle raison on aurait fait pression sur lui puisque, ces élections, je les avais gagnées.
Peut-être a-t-il voulu donner l’impression d’être un homme capable de dire non et de résister au pouvoir? Le plus dur pour moi fut, après sa démission, de voir les responsables de l’opposition aller vers lui et le féliciter, comme si c’était vraiment un des leurs. Ça, je ne peux pas le comprendre. Ou alors peut-être a-t-il reçu des menaces au point d’avoir pris peur ... Je n’en sais rien, mais quand on connaît la suite des événements, l’hypothèse est plausible.
Certains ont voulu romancer cette histoire et en faire une légende. Ainsi, quand des troubles se sont produits à Médina Gounass, dans le département de Vélingara, j’ai demandé qu’on les gère avec intelligence. Il s’agissait de questions difficiles, à la fois politiques et religieuses, à l’intérieur de la même localité. J’ai donc demandé au ministre de l’Intérieur, Djibo Kâ, de dire au gouverneur de Kolda de gérer ces problèmes avec un maximum de doigté. Mais, contre toute attente, le gouverneur Pape Bécaye Seck a alors affirmé, devant témoins, qu’il n’était pas là pour «recevoir des instructions ». «Kéba Mbaye a bien fait d’ailleurs, a-t-il ajouté. Quand on a voulu lui imposer des choses qu’il ne devait pas faire, il a refusé, c’est des exemples comme ça qu’il faut suivre. » Lorsque cela m’a été répété, j’ai fait venir les témoins, qui me l’ont confirmé. J’ai alors demandé à Djibo Kâ de le convoquer pour lui demander à son tour la confirmation de ses propos, ce qu’il a fait. Je l’ai donc relevé de ses fonctions. C’était moins pour sanctionner une désobéissance que pour punir et fustiger un contresens historique particulièrement grave.
Une autre fois, c’est sur RFI que j’ai entendu un journaliste togolais, qu’Assane Diop recevait, tenir ces propos: « Vous savez, il faut bien qu’il y ait en Afrique des gens comme Kéba Mbaye, puisque, lorsqu’on a voulu lui imposer, disons, le point de vue du gouvernement, il a refusé et a démissionné. » J’ai alors pris mon téléphone et appelé Assane Diop. «Je ne fais pas de démenti, mais mettez les choses au point puisqu’elles ne se sont pas passées comme ça. Je n’ai jamais donné d’instructions à personne et il faut absolument rétablir la vérité. » Ce fut fait, et de belle manière.
J’ai cessé ensuite de recevoir Kéba jusqu’au moment où on a mis en place l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires)
CHEIKH TIDIANE SY LACHE DIOUF POUR WADE
J'ai déjà parlé de mes excellents rapports avec tous les chefs religieux sénégalais, musulmans comme catholiques, et avec toutes les confréries. Je n'y reviens pas, sinon pour évoquer un cas particulier. Celui de Cheikh Ahmet Tidiane Sy, avec qui j'entretenais des relations privilégiées. Il me considérait comme son frère. Il m'a toujours soutenu de toutes ses forces. Au demeurant, à l'occasion de l'élection présidentielle de 1988, il avait créé ce mouvement de soutien à ma candidature, le MSRA (Mouvement de soutien pour la réélection d'Abdou Diouf). Je le recevais en audience tous les mois, non pas dans mon bureau, mais dans mes appartements, dans mon salon, et nous passions notre temps à parler de tout : philosophie, astronomie, métaphysique, tradition, culture. Cheikh est vraiment un homme très agréable, très cultivé, même si on ne peut pas être d'accord sur tout. Nous avions une audience prévue en décembre 1992, mais j'ai eu un empêchement car je devais aller en Arabie Saoudite pour une visite inopinée, et l'audience a été reportée au mois de janvier. Mais à mon retour de Ryad, quand on a voulu fixer l'audience, Cheikh a refusé les dates qu'on lui proposait, prétextant un emploi du temps trop chargé.
La campagne électorale qui commençait en janvier fut donc lancée sans que j'aie la moindre nouvelle de lui. Mais une nuit, alors que j'étais à Saint-Louis, je me suis réveillé vers 4 heures du matin, et mon épouse aussi. Je lui ai dit alors: «Élisabeth, je sens que Cheikh Tidiane Sy m'a quitté parce que son silence m'inquiète. Dans mon sommeil, une chose m'a traversé l'esprit: je crois qu'il m'a lâché. » Et ça n'a pas raté. En effet, un ou deux jours après, son fils Moustapha Sy a entamé une série de conférences pour me traîner dans la boue et m'insulter; c'était la manœuvre. Et lui a attendu le dernier moment pour faire des cassettes où il demandait à tous les tidianes de voter pour Abdoulaye Wade. Il a fait dire à son frère Abdoulaye Aziz Sy Junior: «J'ai rompu tout lien avec Abdou Diouf. Il faut soutenir Abdoulaye Wade." Je dois rendre hommage à Junior puisque ce dernier lui a répondu: «Non, tu nous avais dit de soutenir Abdou Diouf, et aujourd'hui tu nous demandes de lui tourner le dos. Dis-moi ce qu'il t'a fait pour que tu n'aies plus confiance en lui. » Cheikh lui a dit: «Fais simplement ce que je te dis de faire. »
Il lui a alors répondu: «J'ai toujours fait ce que tu me demandais de faire, mais cette fois je ne puis obtempérer. » Junior a donc refusé et a lancé un appel en ma faveur.
DIOUF LOUE LA LOYAUTE DE JAMMEH
A propos de la Casamance, je dois du reste rendre hommage au président de la Gambie, Yahya Jammeh, qui s'est montré extrêmement coopératif dans la recherche d'une solution à la crise casamançaise, contrairement à son prédécesseur, Daouda Diawara, qui n'a jamais joué le jeu.
Le président Jammeh nous a apporté tout son appui, alors que, à sa prise de pouvoir, l'opinion publique estimait plutôt qu'il fallait s'en méfier, parce qu'il pouvait en sous-main aider les rebelles. Je sais que cela n'a jamais été le cas et qu'au contraire il a toujours déclaré aux rebelles casamançais: «Vous n'êtes pas dans le vrai.» Une fois même, à une délégation partie le voir pour l'entretenir de sa volonté d'indépendance, il aurait répondu: «C'est hors de question.» La conversation m'a été rapportée par quelqu'un qui était dans la délégation de rebelles. Jammeh nous a aidés à créer cette dynamique de paix dont je parlais plus haut. Il a toujours été loyal avec moi, contrairement à Diawara, qui, même s'il n'a pas été déloyal dans le problème casamançais, n'a rien fait non plus pour m'aider à le résoudre.
Un jour, je me souviens que Lansana Konté, le président de la république de Guinée, à la fin d'une réunion de l'OMVG (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie) qui s'était tenue à Conakry, nous a dit avec son franc-parler habituel: «Maintenant on va parler entre nous.' Diawara, Nino [Nino Vieira, de la Guinée-Bissau], vous ne valez rien: vous n'aidez pas notre frère Abdou dans la solution de la crise casamançaise. » Je suis intervenu pour souligner que le président Nino m'apportait son aide dans cette crise,mais je n'ai rien dit à propos de Diawara.
Donc, quand Yahya Jammeh a pris le pouvoir en renversant Diawara, de bonnes âmes ont tenté de lui faire croire qu'il ne devait pas dormir sur ses deux oreilles, car le Sénégal s'apprêtait à l'attaquer. Lorsque le coup d'État s'est produit, la Gambie traversait une longue période d'insécurité. Nous avions donc disposé des forces le long de la frontière pour nous protéger de troubles éventuels, ce qui était la moindre des précautions. Heureusement, le président Jammeh a très vite compris que nous n'avions pas d'intention hostile à son égard. Je lui ai moi-même téléphoné à ce sujet, et quand il est venu me rendre visite, je l'ai accueilli en chef d'État. On a discuté, puis ce fut mon tour d'aller lui rendre visite. Bref, nos relations étaient excellentes. Malheureusement, et malgré son aide, nous ne sommes pas parvenus à trouver une solution à la crise casamançaise, et les négociations ont continué à piétiner.
1. Senghor dafa fonto nit ni