leral.net | S'informer en temps réel

Daouda Sembene, PDG d’Africatalyst Global Development Advisory: « Il est regrettable de constater un recul incontestable dans la coopération multilatérale, alors que celle-ci est le gage de la réforme de l’architecture financière internationale »


Rédigé par leral.net le Lundi 14 Juillet 2025 à 00:00 | | 0 commentaire(s)|

1400 milliards de dollars (source Banque mondiale), c’est le montant record versé en 2023 par les pays en développement au titre du remboursement de leur dette extérieure. La hausse brutale des taux d’intérêt appliqués par les créanciers privés serait à l’origine de cette statistique. Au sommet du G20 qui s’est tenu en Afrique du Sud et où l’Afrique a placé la question de sa dette au premier plan, le sénégalais Daouda Sembène, ancien Conseiller à la présidence de la République du Sénégal, ancien administrateur au Fonds Monétaire International (FMI) et aujourd’hui Président Directeur Général(PDG) d’Africatalyst Global Development Advisory, figure parmi les experts mandatés du G20 pour proposer des solutions durables. Dans cet entretien qu’il a bien voulu accorder au Journal de l’économie sénégalaise (Lejecos), il revient sur la question et sur bien d’autres. Entretien.
Daouda Sembene, PDG d’Africatalyst Global Development Advisory:  « Il est regrettable de constater un recul incontestable dans la coopération multilatérale, alors que celle-ci est le gage de la réforme de l’architecture financière internationale »
Le Secrétaire général de l’ONU déclarait, récemment qu’« Aucun exemple de l'échec de l'architecture financière internationale n'est plus flagrant que sa gestion de la dette». Quelles sont les implications de l’évolution et de la configuration actuelle de la dette dont l’écrasante majorité provient (plus de 40% de la dette africaine) des créanciers privés.  N’est-ce pas inéluctable ?
 
Je pense que l’évolution dont vous parlez est en fait non seulement inéluctable mais aussi censée être positive et souhaitable. Pourquoi, parce que les pays en développement devraient avoir la possibilité de s’intégrer davantage dans les marchés internationaux de capitaux qui sont axés au capital privé. Surtout dans un contexte où les sources traditionnelles de financement du développement sont quasiment taries telles que l’Aide publique au développement qui a baissé de manière sensible, ces dernières années. A partir de là, la question est de savoir comment mitiger les risques qui vont avec, notamment le fait que la plupart des créanciers privés ont tendance à adjoindre des conditions du marché beaucoup plus corsées que pour les financements traditionnels obtenus avec les multilatéraux et bilatéraux. Donc l’évolution en question a tendance à contribuer à augmenter significativement le service de la dette des pays en développement notamment. L’autre aspect et non moins important de la dette privée, c’est que les conditions sont telles qu’une éventuelle restructuration de la dette s’avère plus difficile, du fait notamment que les créanciers privés composés de plusieurs types d’acteurs, ont des motivations différentes.  
 
Pourquoi, selon vous, bon nombre de pays africains rechignent à adhérer au cadre commun pour la restructuration de leur dette, en outre, ce cadre commun est-il la panacée ?
 
Le G20 a effectivement mis en place en 2020, un Cadre commun visant à faciliter la restructuration de la dette des pays en développement qui y sont éligibles. Cinq ans après, le bilan du Cadre commun est plutôt mitigé et depuis sa mise sur pied, seulement trois pays africains, la Zambie, le Ghana et l’Ethiopie, ont eu à solliciter une restructuration de dette dans ce cadre. A un moment donné il y avait aussi le Tchad qui s’est par la suite retiré. Un problème avec le cadre commun est relatif à la lenteur du processus. Par exemple, si on prend le cas de la Zambie, ce pays a dû attendre quatre ans pour compléter ses efforts de restructuration de sa dette. Ça c’est un véritable problème pour un pays confronté à des difficultés pour satisfaire ses besoins prioritaires. L’Ethiopie est en plein dans les négociations en cours pour la restructuration de sa dette dans le cadre commun.

En somme, les exigences du cadre commun font que pas mal de pays ne se pressent pas pour y aller. D’un côté le pays qui demande une restructuration dans le contexte du Cadre commun doit satisfaire le principe d’un traitement équitable des créanciers officiels et privés et ça s’est révélé très compliqué. De l’autre, on a constaté que les agences de notation ont tendance à sanctionner le pays qui sollicite une telle restructuration. C’était notamment le cas de l’Ethiopie. Finalement, le cadre commun, ce n’est pas forcément la panacée, et certains pays en développement arrivent à restructurer leur dette sans pour autant y recourir. C’est le cas, par exemple, du Sri Lanka qui a pu restructurer complètement sa dette en dehors du cadre commun.

Il n’empêche, les pays en développement qui sont en situation de surendettement gagneraient à bénéficier d’un cadre multilatéral de restructuration de la dette, dont les critères seraient bien connus et clarifiés. Il y a, par exemple, huit à dix pays qui sont qualifiés par le FMI et la Banque mondiale comme étant dans cette situation et qui pourraient bénéficier d’un cadre multilatéral fonctionnel pour les aider à restructurer de manière opportune leur dette. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas, et si le Cadre commun du G20 doit jouer ce rôle, il devra être sensiblement amélioré.
 
La problématique de la perception du risque, liée aux agences de notation, est pour beaucoup dans la situation actuelle des pays africains, la mise en place d’une Agence panafricaine de notation ne semble pas trouver grâce à vos yeux, pourquoi ?
 
En fait c’est comme ce que je disais tantôt sur le cadre commun, la création d’une agence panafricaine de notation n’est pas non plus la panacée pour résoudre le problème de la perception des risques en Afrique. Son efficacité dépendrait de sa structure et de sa gouvernance. Une telle agence est censée aider les investisseurs à disposer d’autres alternatives en dehors de ce qu’on appelle les « Big three », S & P, Moody’s, Fitch, notamment. Certains officiels africains pensent qu’il y a un biais de ces structures contre les pays africains et l’Union Africaine, qui est derrière l’initiative de création d’une agence panafricaine, estiment que cela pourrait représenter une alternative plus objective aux investisseurs.

L’indépendance de cette agence serait un gage pour être plus utile aux investisseurs potentiels, mais si sa structure, son opérationnalité et sa gouvernance ne sont pas adéquates, cela risque de ne pas avoir l’impact souhaité. Le plus important en fait c’est de savoir que même la création d’une agence panafricaine de notation ne règle pas le problème. Les risques auxquels nos pays font face sont importants et souvent ce n’est pas juste une question de notation, mais aussi de réglementations, de disponibilité et fiabilité de données, ou de politiques économiques. Car, quel que soit l’agence, elle devra utiliser les données disponibles pour évaluer le risque de défaut. Si l’agence vient dans un pays où le risque est très élevé, quel que soit son objectivité il y a fort à parier que cela se répercutera dans sa notation. Ce sont des problèmes de fond qu’il faut gérer au-delà de la notation, elle-même.
 
 
Sur les questions de développement notamment de son financement, on est encore loin du compte ?
 
C’est une excellente question parce que l’architecture du financement du développement est en pleine mutation. Je rappelais tantôt qu’il y a une forte diminution de l’Aide publique au développement, mais aussi un accès inadéquat au financements multilatéraux, notamment ceux octroyés par les banques multilatérales de développement, ou les institutions financières internationales. Si vous ajoutez à tout cela, les tensions géopolitiques et le protectionnisme avec le nationalisme en toile de fond, on se rend compte qu’on a réuni tous les facteurs aggravants de l’inadéquation du financement du développement. Cela veut dire qu’il faudrait, comme alternative, essayer de stimuler les financements intérieurs, c’est-à-dire les sources   financements intérieurs qui renvoient aux recettes fiscales, à l’efficacité des dépenses publiques, et aussi voir comment les gouvernements pourraient mobiliser les capitaux privés, aussi bien en interne qu’au niveaux des investisseurs étrangers.

Il faudrait également mieux adresser la question des flux de financements illicites et se battre aussi pour avoir un système de taxation internationale plus adéquat et plus juste, notamment en ce qui concerne le numérique, entre autres.
 
 
Le financement du développement, de la bouche des occidentaux, intègre surtout les questions climatiques mais dans l’état actuel de nos économies en Afrique, faut-il mettre la priorité sur ces questions climatiques, ou davantage sur l’économie réelle ?       
 
Je pense qu’il ne faut pas nier le fait qu’on est dans une situation où le monde en général et l’Afrique en particulier fait face à une menace sérieuse relativement au réchauffement climatique. Ce n’est pas un fantasme et on en voit tous les jours les effets dans le monde comme en Afrique, que ce soit les sécheresses, les inondations, l’avancée de la mer, tout ça ceux sont des manifestations du changement climatique. Il est vrai que ce n’est pas juste que l’Afrique doive s’endetter pour faire face aux effets de ce réchauffement climatique, dont il a peu contribué. Pour rappel, l’Afrique ne contribue qu’à hauteur à peu près de 4 % aux émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois, il est important de mobiliser des financements pour faire face à ces effets dont l’Afrique est grandement victime. C’est même un impératif surtout au regard des besoins de financement du continent pour l’adaptation.

La question, c’est vrai, c’est de voir comment faire pour que cela n’occulte pas les autres priorités de développement comme la santé, l’éducation, entre autres. C’est donc une question légitime qu’il faut adresser avec la communauté internationale.      
 
L’un des enjeux de la réforme des banques multilatérales de développement est relatif à l’amélioration de la représentativité des pays en développement, quels en sont les autres enjeux et y a-il une évolution réelle sur la question ?  
 
Comme vous dites, la question de la représentation des pays en développement au niveau des organisations internationales est un défi important, particulièrement pour l’Afrique. Il faut dire que quelques progrès ont été notés dans ce sens, mais il y a encore beaucoup à faire. Mais au-delà de la question de la représentation, il y a celle du pouvoir de vote de beaucoup de pays notamment africains, qui demeure trop faible et qui est de nature à restreindre leur accès aux ressources financières attribuées par ces organisations.

C’est un problème qu’il convient de régler de manière urgente. Il y par ailleurs plusieurs autres enjeux de la réforme des banques multilatérales de développement, comme le fait d’augmenter leur capacité de financement tout en préservant la qualité de leur notation et je pense que cela nécessite un certain nombre de mesures, qui ont été définies et qu’il convient de mettre en œuvre. C’est le cas des mesures internes d’optimisation de leur bilan, mais aussi des mesures qui consisteraient à renforcer leur capital si nécessaire et surtout, surtout la réduction de leur aversion au risque.

Il ne sert à rien d’augmenter leur capacité de financement si c’est pour qu’en retour elles (banques multilatérales) n’en fassent pas bénéficier les pays en développement. L’expérience montre que beaucoup de banques de développement ont mis des dispositions restrictives importantes de leur capacité à octroyer des financements et ça, c’est un problème majeur qu’il faut régler.

Le G20 a essayé ces dernières années de définir une feuille de route pour la réforme des banques de développement, il faut maintenir la pression pour que sa mise en œuvre se fasse rapidement.      
 
Sur toutes ces questions relatives à la réforme de l’architecture financière internationale, 2024 a-t-elle été l’année de l’action et à quoi peut-on s’attendre en 2025 ?
 
En 2024 et même auparavant, la question de la réforme de l’architecture financière internationale a été débattue de manière soutenue lors des conférences internationales, sous l’impulsion du G20 mais aussi avec le plaidoyer des pays en développement. Actuellement, le système financier international fait face à des défis inédits et très importants et nous constatons aussi que le système est en pleine mutation. Le fonctionnement et la réforme de l’architecture reposent vraiment sur la qualité de la coopération multilatérale, laquelle est essentielle pour permettre à la communauté internationale de s’accorder sur les mesures à prendre pour améliorer l’efficience et l’efficacité du système. Il est toutefois regrettable de constater un recul incontestable sur ce plan. On note ça et là des mesures de protectionnisme, un nationalisme grandissant dans certains pays, qui sont des acteurs majeurs du système et tout cela constitue une menace importante qui risque de retarder voire freiner plusieurs aspects de la réforme de l’architecture financière internationale, qu’il s’agisse de celle concernant les banques multilatérales de développement, ou celle de la mise en place de financements innovants, ou encore des questions liées à la taxation internationale, ou à la dette. Ce qui suppose que, pour 2025 et au-delà, tout dépendra de l’engagement de la communauté internationale, à commencer par le G20, par exemple. Il est important que celui-ci continue de jouer son rôle surtout au moment où un acteur majeur de ce groupe, les Etats-Unis, semble plutôt s’en « désintéresser », si j’en juge par leur absence du Sommet ministériel du G20 qui s’est tenu le mois en mars dernier en Afrique du Sud.

Autrement dit, les avancées de la réforme vont dépendre de l’engagement des autres membres du G20, y compris l’Union Africaine qui en est membre, pour pousser l’agenda de la réforme en dépit de ces pays qui marquent le pas. Il sera aussi question, au-delà du G20, de pousser la machine lors du prochain COP 30 au Brésil, mais aussi en Espagne en juin prochain, dans le cadre du Sommet des Nations-Unis pour le financement pour le développement...
 
Tout compte fait il y a urgence à opérer des réformes profondes de l’architecture ?     
 
Tout à fait car, face au tarissement des sources traditionnelles de financement, il faut absolument promouvoir les sources alternatives et j’ose espérer que c’est le moment pour beaucoup de pays en développement notamment africains, d’œuvrer pour davantage renforcer la mobilisation des financements intérieurs sans oublier les institutions financières panafricaines, qu’on a tendance à oublier et qui peuvent jouer un rôle important, tout comme les institutions sous-régionales comme la BOAD, entre autres.  
 
 Lejecos Magazine (Mai 2025)



Source : https://www.lejecos.com/Daouda-Sembene-PDG-d-Afric...

La rédaction